Chapitre 1

  Elle n’aimait pas les Hommes. Yuna Hiruma haïssait la race humaine du plus profond de son être. Très jeune, elle avait été confrontée à la perfidie de la gent masculine et avait dans un premier temps abhorré ces derniers. Mais elle avait très rapidement compris que les femmes n’étaient pas en reste de tous ces vices et avait donc englobé l’espèce humaine dans son entièreté. Elle détestait les Hommes et, pourtant, avait fait l’étrange choix de ne consacrer sa vie qu’à les sauver.

  Les apprenants foulaient par centaines l’entrée de l’université du Tohoku, annonçant le début d'une nouvelle journée de cours. L’étudiante en sixième année de médecine avança d’un pas calme et assuré vers l’amphithéâtre où elle suivait ses cours de la matinée.

  La salle pouvant accueillir près de cinq cents étudiants était pleine à craquer et bruyante à souhait, laissant échapper à la jeune femme un frisson de mal-être. Elle, qui préférait le calme et la solitude au brouhaha ambiant.

  Elle repéra rapidement une place en milieu de salle, isolée de toute autre personnalité. La jeune étudiante n’avait pas d’ami et n’appréciait guère ce terme ainsi que la notion d'attache qu’il impliquait.

  Parce que vivre signifiait forcément mourir un jour, les attaches générées par les liens ne finissaient par devenir que souffrances et regrets. Étudiant la médecine depuis maintenant six ans, Yuna savait à quel point la mort pouvait frapper à des moments imprévus, de façon brutale et impitoyable.  Mais aussi parce que dans ce monde où régnaient la tromperie et la perfidie, les liens n’étaient qu'éphémères face à la vanité de la Nature humaine.

  Le bruit de la porte de l’amphithéâtre qui venait de s’ouvrir interpella Yuna qui comprit que le professeur venait de rentrer à son tour la salle. Elle prit place sur sa chaise et – comme tous les étudiants autour d’elle – entreprit de sortir ses affaires pour prendre des notes.

  Mais à peine avait-elle commencé à ouvrir son sac que l’enseignant prit la parole :

  — Ne sortez pas vos affaires, seulement de quoi écrire et réfléchir.

  Yuna se figea brièvement, le cœur palpitant. Elle releva ses orbes et constata que son enseignant de cancérologie distribuait des copies. Ses billes saphir parcoururent automatiquement la salle, à la recherche des expressions de ses congénères. Et à en croire les airs éberlués que tous affichaient, personne ne s’attendait à devoir composer sur une copie aujourd’hui. Puis, elle se rappela d'un détail qui termina de l’inquiéter.

  Ils étaient en cours magistral et non pas en TD. Le cours n’étant pas obligatoire, les enseignants ne sont pas censés les évaluer officiellement. Alors à quoi tout cela rimait ? D’autant plus que ça ne ressemblait pas à ce professeur de vouloir perdre inutilement du temps dans le programme.

  Lorsqu’il arriva à hauteur de la brune, son visage fermé s’éclaira presque imperceptiblement.

  — Heureusement que vous êtes à l'heure aujourd'hui, Yuna. Vous auriez été dans de beaux draps autrement, avoua le professeur avant de continuer sa distribution. 

  Il était vrai que la jeune femme arrivait généralement en retard à la première heure de cours de la matinée, prétextant un problème de bus à ses camarades et ses enseignants, qui ne pouvaient rien lui reprocher au vu de ses notes excellentes depuis son entrée en première année. 

  Mais en réalité, il existait une tout autre explication aux retards réguliers de la jeune femme. Explication que personne au monde n’aurait jamais été capable de soupçonner.

  Les paroles de l’homme firent tiquer l’étudiante qui se posait de plus en plus de questions. De toute évidence, l’enseignant ne souhaitait pas faire cette interrogation, il semblait comme contraint de le faire. Plus elle y réfléchissait et plus Yuna se disait que toute cette histoire devait avoir un lien avec la situation actuelle dans laquelle se trouvait le pays.

  Et lorsqu’elle retourna le sujet pour découvrir les questions, l’étudiante se rendit rapidement compte que ces dernières n’étaient pas des plus compliquées. Manifestement, une personne qui révisait régulièrement ses cours avec un minimum de sérieux devait être capable de décrocher la moyenne.

  Il ne faisait aucun doute pour la jeune femme que son enseignant ne leur disait pas tout, gardant pour lui quelques éléments clés concernant les réelles intentions de ce contrôle. Pour en avoir le cœur net, elle lui poserait la question individuellement à la fin du devoir. 

  Elle termina sans grande difficulté son interrogation en moins d’une heure sur les deux qui étaient indiquées sur le sujet. Elle feignit alors de relire ses réponses jusqu’à la fin du temps imparti et fit en sorte de rendre sa copie en dernier.

  — Vous avez mis du temps pour terminer ce contrôle. Voilà qui ne vous ressemble pas, Yuna, remarqua l'enseignant en prenant les feuilles de son élève.

  — Si cela peut vous rassurer, j’avais terminé bien avant tout le monde. Cependant, je devais vous parler de quelque chose, avoua la jeune femme avec un calme et une indifférence bien à elle.

  Le professeur de cancérologie fut d'abord surpris mais se douta  rapidement du sujet que souhaitait aborder son élève. Il fallait bien avouer que cette jeune femme était aussi impressionnante tant par ses capacités d'apprentissage que par ses talents analytiques. 

  — Je vous écoute. De quoi voulez-vous me parler ? demanda-t-il bien qu'il connaissait déjà la réponse.

  — Quelle est la véritable raison de cette interro surprise ? Votre attitude me laisse supposer que vous ne nous dites pas tout.

  Le plus vieux soupira, conscient que sa meilleure élève ne lâcherait pas l’affaire si facilement. De toute façon, que perdait-il à lui dire ce qu'il savait ?

  — Je ne sais pas grand-chose, nous n'avons pas eu énormément d'explications sur le sujet. Tout ce dont j’ai été informé, c'est que toutes les universités du pays ont eu les mêmes consignes et que je dois fournir les noms de tous ceux étant absents ou ayant raté l'examen une fois que j'aurais terminé les corrections, annonça le professeur d'un ton qui laissait penser que cette méthode ne lui plaisait guère.

  — Cela voudrait donc dire que l'ordre vient de bien au-dessus, comprit la brune dont les doutes se confirmèrent. Le gouvernement ? Mais pour quelle raison ? tenta-t-elle d’approfondir.

  — Je vous l'ai déjà dit, je n'en sais pas plus. Il faudra vous contenter de cette réponse, répondit-il en rangeant les copies dans son sac.

  — Je vois. Bonne journée, monsieur, salua Yuna avant de quitter la salle pour se rendre à son cours suivant.

  Pour elle, cette ignorance de son professeur ne pouvait signifier qu’une seule et unique chose. C’était effectivement le gouvernement qui se cachait derrière toute cette histoire.


 

~◇◇◇~

 

  La sonnerie retentissait pour la deuxième fois de la journée, annonçant la fin des cours de la matinée. Alors qu'elle rangeait ses affaires, s'apprêtant à rentrer chez elle, Yuna s’immobilisa soudain. Elle avait oublié qu’elle devait s’assurer de certaines choses avant de songer à se reposer. Elle consulta l’heure à sa montre avant de tiquer. Ce n’était de toute évidence pas aujourd’hui encore qu’elle allait pouvoir souffler.

  Elle mit son sac sur ses épaules avant de se mettre en route pour le centre-ville. Elle avait envie de s’arrêter boire un coup dans un bar.

  Sur le chemin, la brune observait et écoutait tout ce qui l'entourait, ne laissant rien échapper à sa vigilance. Elle devait tenter de trouver des informations complémentaires quant à l'origine des étranges décisions du gouvernement. Mais rien ne semblait attirer son attention à ce sujet.

  Elle arriva devant un bar qu’elle n’avait encore jamais testé et décida d’y entrer. Elle s’installa directement au comptoir, faisait mine de réfléchir à ce qu’elle allait prendre alors qu’en vérité, son choix était déjà tout fait. Elle commanda un mojito au barman qui lui tournait le dos, visiblement trop affairé à nettoyer son plan de travail. Mais lorsqu’il fit un signe du pouce, Yuna comprit qu’il l’avait entendu et allait s’occuper d’elle.

  La jeune femme sortit son portable de la poche de sa veste, consultant brièvement sa messagerie qui demeurait vide à cette heure de la journée, ce qui était déjà en soi une bonne nouvelle.

  Le son d’une télévision diffusant les chaînes d’information attira son attention et la força à diriger son regard vers celle-ci. Elle retint un sourire satisfait quand elle vit le sujet qui faisait la une du journal télévisé.

  — Votre commande est prête. 

  La voix joyeuse du barman attira le regard de Yuna sur lui. C’était un jeune homme, à peine plus vieux qu'elle selon son analyse, dont de courts cheveux châtains et une peau plutôt mate faisaient ressortir à merveille la couleur argentée de ses iris. La jeune femme devait bien avouer qu’il était charmant.

  Se sentant observé, le jeune homme dirigea son regard vers l’étudiante aux longs cheveux d'ébène qui détourna aussitôt le regard. Ses cheveux d'un noir profond associés à la pâleur de sa peau mettaient en évidence de la meilleure des manière la pureté du bleu de ses yeux. Il remarqua alors rapidement un changement d'éclat dans les globes de cette femme alors qu'un sujet des plus délicat était abordé aux informations. 

  — On nous informe à l'instant que le corps de Soma Aki, l'un des plus grands PDG du pays, a été retrouvé sans vie ce matin dans la villa dans laquelle il résidait. La mort est pour sûr d'origine criminelle mais nous ignorons encore qui en est l'auteur, annonça l'envoyé spécial à travers le petit écran. 

  — Encore ?! C'est la troisième grosse tête qui tombe cette semaine ! s'inquiéta une femme à l’autre bout du comptoir.

  — Et le neuvième en moins d'un mois ! Mais c'est surtout le trentième depuis le début de l'année ! enchérit un homme assis à une table non loin.

  — Et si on ajoute à ça les innombrables vols ayant eu lieu, on peut très clairement commencer à douter de la sécurité de ce pays, ajouta le barman en posant un regard attentif sur la brune.

  — "On ignore encore qui en est l'auteur." Mon œil ! Tout le monde sait parfaitement que c'est la troupe du Pégase qui a fait le coup ! Comme tous les autres meurtres, cracha une autre personne, énervée que les forces de l'ordre n'aient toujours pas arrêté ce gang de dangereux criminels qui sévissait depuis maintenant près de huit ans.

  — Moi, je me demande surtout ce qui les pousse à agir comme ça. Il faut soit être complètement suicidaire, soit avoir une bonne raison pour s'attaquer à de hautes personnes comme ça, remarqua Yuna, gardant ses grands yeux bleus rivés sur le petit écran.

  Le barman resta silencieux, observant cette jeune femme qui, il devait se l’avouer, l’intriguait plus qu’elle ne le devrait. Il ne savait dire si les cobalts de l’étudiante renvoyaient un éclat inquiet ou une indifférence effrayante.

  Incernable, c’était selon lui le mot qui la qualifiait le mieux. Il était totalement impossible de savoir à quoi elle pensait en cet instant, bien que le jeune homme eût habituellement une certaine aisance pour lire les pensées les plus profondes des gens qu’il observait.

  — Ce ne sont que des terroristes. Mais ce n'est plus qu'une question de temps avant que les flics ne les chopent. À force de tuer comme ils le font, ils finiront forcément par commettre une erreur qui leur sera fatale, tenta le barman afin de rassurer les gens autour de lui.

  Yuna se retourna en direction du jeune homme qui la fixait de ses hématites perçantes. Les iris singuliers de cet homme lui rappelaient sans qu’elle ne le souhaite celles de l’un de ses plus proches amis. Ce n’était cependant pas leur similitude – bien qu’elles arboraient la même couleur – qui fit naître un rapprochement entre les orbes de ces deux personnes. C’était justement leur éclat divergent qui la frappa.

  Si les prunelles de son ami étaient froides et ne semblaient dégager aucune chaleur, une chaleur certaine et rassurante émanait de celles de cet homme. Non. En réalité, maintenant qu’elle s’en rappelait, c’était parce que les yeux du barman lui rappelaient ceux qu'avait autrefois son ami qu’ils avaient interpellé Yuna.

  — J'espère que vous dites vrai, avoua la brune en regardant chaleureusement le barman en face d'elle.

  Le barman resta subjugué par l’aura que renvoyait cette étudiante. Il était évident qu’elle était différente de toutes les autres femmes qu’il avait déjà pu rencontrer. Mais il ignorait encore à quel point. Ce qui était cependant certain, c’était que le corps de cette femme appelait naturellement le sien, qu’il ressentait ce besoin de la connaître un peu plus que derrière ce visage indifférent qu’elle semblait vouloir arborer sans discontinuer.

  D’une voix pleine d’assurance, il osa :

  — Je termine mon service dans une dizaine de minutes. Ça te dit de prendre un verre dans un autre bar ?

  La jeune femme resta un instant immobile, pesant le pour et le contre de cette proposition. Il était évident que cet homme ne la laissait pas indifférente, mais il aurait été cruel de lui faire miroiter un avenir qui ne risquait pas d’arriver.

  Elle finit par hocher nonchalamment la tête, jugeant qu’elle avait elle aussi le droit à un peu de temps pour elle.

  Le barman afficha un sourire victorieux et s’empressa de finir ses commandes pour ne pas trop la faire attendre. À peine son service était-il fini,  que déjà il était passé de l'autre côté du comptoir, demandant à la jeune étudiante de le suivre à l'extérieur. 

  Ils se promenèrent dans les rues de Sendai, parlant çà et là de leur vie banale d'étudiante et de barman. Yuna avait appris qu’il s’appelait Akihiko Kurayami, bien qu’il préférât qu’on l’appelle Aki. Il était âgé de vingt-six ans et occupait ce poste de barman depuis maintenant trois ans après avoir honteusement minoré ses études de lettres.

  Deux heures après être entrés dans un bar à l'autre bout de la ville, le soleil commençait d'ores et déjà à se coucher en cette soirée d'automne.

  — Alors comme ça tu étudies la médecine ? Ce ne sont pas des études simples apparemment. Je ne sais pas comment tu fais pour garder une moyenne honorable tout en faisant la tournée des bistrots.

  — Forcément, pour quelqu’un qui est parvenu à foirer des études de lettres par manque de conviction, je dois être un véritable extra-terrestre.

  La brune appuyait là où ça faisait mal et cette répartie avait le don de plaire et d’amuser le châtain. Les saphirs de cette femme renvoyaient une certaine malice. Et il sentait que s’il jouait un peu plus sur ce côté de sa personnalité, il aurait face à lui le vrai visage de cette femme. Qui pouvait bien se cacher derrière ce visage fermé et froid ? Il était prêt à tout pour le savoir.

  Il allait renchérir quand le téléphone de la Yuna se mit soudain à vibrer, affichant un message de la part de Yukio. Elle écarquilla alors les yeux en constatant l'heure et s'empressa de répondre avec un certain stress, malmenant l'écran de ses doigts fins.

  — Je suis désolée, il commence à se faire tard. Je dois rentrer pour réviser, annonça-t-elle avec un certain embarras trahissant sa voix.

  — Je comprends, j'ai moi aussi quelque chose de prévu ce soir. Alors, à la prochaine ? tenta-t-il en espérant que ce rendez-vous ne serait pas le dernier qu'il aurait avec cette femme.

  — Volontiers ! dit-elle avant de quitter les lieux avec hâte.

    Elle laissa sur place le barman qui se rendit compte qu'ils n’avaient pas échangés leurs numéros de téléphones. Aki resta un instant immobile avec son sourire habituel pour le perdre presque instantanément, laissant place à un air bien plus froid et sérieux. Il laissa de l'argent pour payer leur consommation avant de se rendre dans une direction inconnue.

  Le froid de la nuit semblait se lire dans ses yeux de glace.

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Leaf
Posté le 06/02/2023
Il faudrait peut-être cessé de jouer avec mon coeur ainsi ! Moi qui faisait confiance à Aki, voilà toutes mes certitudes chamboulées en une seule ligne. Cependant, j'apprécie beaucoup Yuna, même si je n'ai jamais été vraiment fan des personnages semblant parfaits, cette fille là me plaît beaucoup ! En espérant que ça continue.
Camille Octavie
Posté le 22/12/2022
Ces deux personnages ont l'air louche tous les deux ! 🤣 on verra lequel des deux l'est le plus bientôt je pense.
Je commence à me dire que les orbes et topazes ne sont pas juste les yeux, si ?
Je n'ai rien a dire concernant la qualité du français. Par contre il y a un petit côté "etudiante seule contre le monde" qui m'inquiètent un peu pour la suite, parce que de base je suis pas très litterature jeune adulte. Mais on verra :)
elinamrtn
Posté le 23/12/2022
Tu le découvriras très rapidement oui XD
Pour le coup, je crois que c'est la seule chose de mon roman qui n'ait pas de double sens haha ! Ce sont juste des synonymes pour éviter les répétitions. J'aime donner un style plutôt poétique à cette histoire et je trouve que ses mots s'y prêtent plutôt bien.
Hehe je suis contente que tu aies cette première impression là parce que ce n'est en réalité pas du tout la dynamique de l'histoire, et la suite devrait rapidement t'en convaincre. Tu découvriras (à tes dépends malheureusement) que j'adore jouer avec mes lecteurs et leur faire croire des choses qui en réalités ne sont là que pour les berner :p
J'ai hâte d'avoir tes retours sur la suite ! Moi je reprends la lecture de ton histoire dès ce soir, vu que je serais un peu moins prise avec le taf ;)
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