Chapitre 1

Notes de l’auteur : Bonjour, merci à tout.es ceux qui passeront un agréable moment en présence de Théo et Tom ! Ce roman est un premier jet partiellement corrigé.

— Bon sang ! Mais il ne va jamais arrêter, avec sa cornemuse !?

D’agacement, je jette mon porte-mine sur le côté de ma planche et me renfonce dans le dossier de mon fauteuil de travail. J’hésite entre me percer les tympans pour ne plus JAMAIS entendre les couinements asthmatiques de la cornemuse, ou me frapper la tête contre le mur.

Je suis censé rendre mon projet la semaine prochaine. Mais me concentrer avec les beuglements de cette vessie de bestiole en fin de vie est mission impossible. D’autant qu’à cause de la chaleur estivale, j’ai dû ouvrir ma fenêtre… et vu la puissance des braillements mal joués qui émanent de la maison voisine… le voisin aussi a ouvert la sienne.

Il le fait exprès, j’en suis sûr. Il sait que je travaille à domicile. Il sait que j’ai besoin de calme pour bosser. Il sait que mon bureau donne sur le sien.

Je l’imagine, ce crétin, en train de tripoter et malmener sa cornemuse pile devant sa fenêtre ouverte, en ricanant comme un sale gosse à l’idée de me faire chier.

— Bon…

Pas le choix. Je m’extirpe de mon fauteuil et vais fermer ma fenêtre. Un coup d’œil vindicatif par le carreau m’apprend qu’en effet, il est à côté de la sienne, ouverte. Dommage que la haie de thuyas marquant la limite de nos terrains ait grillé cet hiver et ne me masque plus la maison de Théo… ça m’aurait évité de voir ce fichu voisin pratiquer son instrument en simple jogging gris.

Je n’ai pas besoin de plus de distractions !

D’un geste déterminé, je ferme mes doubles rideaux. Ça n’étouffera pas les râles déprimants de la cornemuse qui me parviennent toujours trop fort, mais au moins je n’aurais plus à subir la plastique à demi nue de mon voisin.

Revenant jusqu’à mon bureau, j’empoigne mon casque, le plante sur mes oreilles avant de sélectionner un mix de folk nordique que je lance à fond. Mais même comme ça subsiste l’écho de couinements écossais mal pianotés.

Avant de devoir subir cette horreur musicale, jamais je n’aurais cru que le cri d’une cornemuse torturée portait aussi loin ni aussi fort.

Enfermé dans un environnement auditif (presque) maîtrisé, je me réinstalle devant ma planche, reprends mon porte-mine et tente de me vider la tête pour recouvrer ma concentration. Mais je suis trop agacé pour ça. J’ai beau respirer calmement, me focaliser comme je peux sur le projet… pas moyen de m’y remettre. La mine tremblote entre mes doigts trop crispés, je grince des dents à chaque note couinée qui me parvient malgré les tambours vikings, et mon pied droit s’agite comme un maniaque sous la table.

Ce type a le chic pour me mettre hors de moi.

Deux ans !!!

Ça fait deux ans que je supporte ces voisins !

Avant leur arrivée, le quartier était tranquille, tout juste si le calme était rompu parfois par les cris des petits-enfants de la vieille madame Gérard, au bout de la rue. Le fait que les pavillons de la rue Joséphine Baker ne soient habités que par des couples sans enfants, quelques retraités ou des célibataires ayant dépassé l’âge de procréation a compté pour beaucoup dans mon choix d’acheter ce terrain, et pas un autre, pour y faire construire.

Et il a fallu que les Pinotin, un sympathique couple de retraités de l’Éducation Nationale, décident de louer leur maison puis de s’installer dans le sud… et eux sont arrivés.

Le cauchemar de tout voisin.

Elle, une pimbêche hautaine avec un goût prononcé pour les fêtes et la musique industrielle.

Lui, un emmerdeur de catégorie A, qui prend beaucoup trop de plaisir à m’agacer. Et qui joue (très mal) de la cornemuse.

Avant eux, je n’avais jamais eu le moindre problème de voisinage. Je suis une personne calme, raisonnable… en temps ordinaire. Mais ces voisins-là me poussent à devenir un animal furieux, trop souvent.

Surtout lui.

Sans doute que s’il ne s’était pas fichu de moi, à son arrivée dans le quartier, j’aurais été mieux disposé à leur égard. Mais voilà : il s’est joué de moi, m’a pris pour un imbécile, et j’ai découvert que j’avais la rancune tenace. D’autant qu’ils sont vraiment des voisins épouvantables. Je ne comprends pas pourquoi je suis le seul à m’en rendre compte. Personne d’autre ne s’en plaint, c’est un mystère pour moi ! Peut-être parce qu’étant leur voisin le plus proche, je suis celui qu’ils dérangent le plus ? Toujours est-il que chaque fois que j’ai essayé de soulever le reste du quartier contre eux, je me suis heurté à un mur de sourires incompréhensifs et de « oh, c’est un si gentil couple ! ».

Franchement, personne ne voit combien ils sont… insupportables?

Moi, je le vois.

Même si, je dois l’admettre, chaque confrontation entre eux et moi ne s’est pas achevée par une victoire.

Avec un soupir énervé, j’essaie encore une fois de reprendre mon calme, de me reconcentrer sur les plans que je dois livrer la semaine prochaine. Le client n’est pas un de mes habitués ; je lui ai été recommandé et je sais qu’il me teste sur ce projet. Si je veux pérenniser cette relation professionnelle, je dois fournir un plan en béton.

Je reprends quelques mesures et ajoute quelques notes, mais un braiment déchirant perce une envolée héroïque de mon groupe norvégien, et ma mine s’écrase sur le papier.

— Trop, c’est trop ! m’écrié-je en bondissant de mon fauteuil.

Excédé, je jette mon casque sur mon clavier, bondis de ma chaise, ouvre rideaux et fenêtre avant de me pencher.

— Eh !! crié-je en direction de la maison voisine. Oh ! Arrête ça ! Théophile !!

À croire que tripoter son engin l’a rendu sourd : il ne tressaille même pas à mes cris. Il me tourne le dos et s’en donne à cœur joie sur son instrument. Je braille encore une fois, sans plus de résultat. De quoi faire grimper mon agacement d’un cran supplémentaire.

Je quitte mon bureau d’un pas furibond. Tout juste si je ne claque pas le battant derrière moi. Je me retiens in extremis : enfermer Jewel dans la pièce n’est pas une bonne idée : la chatte irait se venger sur ma souris. Je traverse mon petit vestibule avant d’ouvrir ma porte d'entrée. Là, j’avoue que j’y mets un peu trop d’énergie : elle va cogner contre le mur et me revient presque en pleine figure. Sans prendre le temps de la refermer derrière moi, je descends mon allée avant de monter celle des voisins pour aller frapper chez eux.

Du poing.

Sauf que ça finit par faire mal et je décide de changer de tactique. Ma main, c’est mon outil de travail. Il ne manquerait plus que je me blesse à cause du musicien et de son instrument mal ventilé !

Je finis par planter le doigt sur la sonnette et attends en serrant les dents.

J’attends.

Et j’attends.

Mon doigt commence à s’ankyloser sur le bouton, mais mon fichu voisin ne coupe pas la chique à sa cornemuse ni ne vient ouvrir.

Vu l’ambiance et le tintamarre qui règne chez lui, je comprends qu’il mette du temps à entendre le vrillement aigu de la sonnette, mais quand même…. Il ne le ferait pas exprès ? Ou alors… Ce sale gosse se venge pour le coup de la poubelle de jeudi ? Eh, ce n’est quand même pas ma faute si son raptor d’épouse a oublié de fermer leur bac à poubelles ! Encore moins ma faute si elle y avait jeté des déchets de crevettes ! Pas ma faute du tout si les chats errants se sont déchaînés pour dépiauter le sac et étaler les ordures sur toute leur sortie de garage !

Je lâche la sonnette, masse mon doigt pour lui rendre sa souplesse puis, comprenant que rester à la porte ne résoudra rien, je descends le perron et vais d’un pas guerrier vers le coin de la maison.

Aux grands maux, les remèdes extrêmes, comme dirait ma mère.

Je m’enfile dans les trois mètres réglementaires séparant nos deux maisons. Je suis tellement remonté que je me moque de voir mon pantalon griffé par les branches de thuyas moribonds. Je grimace, les oreilles malmenées par le piaulement de plus en plus fort à mesure que je m’approche de la fenêtre ouverte d’où s’échappent les braillements musicaux.

— Pitié, que quelqu’un achève cette pauvre bête…, marmonné-je pour moi-même avant de me planter devant les battants béants.

L’ennemi est là, me tournant toujours le dos.

Théophile Brunet.

Ses muscles fins s’étirent tandis qu’il malmène l’innocente cornemuse. À mon corps défendant, j’oublie de respirer pendant plusieurs secondes. La faute, évidemment, à ce voisin torse-nu qui me plaît un peu trop… au moins autant qu’il m’énerve.

Ce n’est pourtant pas une gravure de mode, encore moins un canon bodybuildé. Avec sa silhouette longiligne, mais musclée, il tient plus d’un Loki de seconde zone que d’un Thor charismatique. Sa tonte de dessous, plus foncée, accentue l’exubérance des mèches blondes qui se dressent sur son crâne, mal contenues dans un chignon flou. Que ce soit par le look ou l’allure, tout me plaît en lui.

Franchement, c’est bien ma veine que ce type soit mon genre de mec… Ce serait plus simple s’il me laissait indifférent. Et mon quotidien serait tellement plus calme si les Pinotin n’avaient pas quitté la région.

Je lâche un soupir entre dépit et agacement, incapable d’empêcher mon regard de glisser le long du dos nu, jusqu’à buter sur l’élastique du jogging. Il faut que j'arrête. Pas question de me demander encore une fois quelle texture a sa peau nue légèrement humide de sueur. Je vais éviter de m’attarder sur la manière dont son jogging gris tombe sur ses hanches ou d’observer la manière dont ses épaules dansent à chacun de ses mouvements. Sentir mes joues chauffer ne suffit pourtant pas à me tirer de mon reluquage coupable.

Le fait que Théo commence à déambuler dans la pièce et se tourne vers moi, si. Je me fige.

Il me regarde.

Je le regarde.

Nous nous regardons.

La cornemuse pousse un bêlement plaintif.

Dans un sursaut, je détourne les yeux.

Et dans un sanglot agonisant, la cornemuse se tait enfin quand l’ennemi se plante face à moi.

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