Cinq ans plus tard…
Les doigts sur les cordes de sa guitare azur, Jayden enchainait les accords sans défaut. Ces gestes-là, il les avait fait des centaines de fois. La mélodie qui sortait de son instrument lui vint aux oreilles et, les yeux fermés, il continuait à jouer sans se préoccuper de ce qui l’entourait.
Il était assis par terre sur un tapis rouge effiloché et taché de soda, le dos contre le canapé abîmé derrière lui. Juste devant, sur une table basse en bois, plusieurs feuilles gribouillées étaient étalées à côté d’une cannette à moitié vide. La musique s’étala dans l’air, s’écrasant sur le piano électrique placé un peu plus loin, se couchant sur les poils dorés d’un golden retriever qui dormait sur une large couverture bleue, passant devant les vinyles accrochés aux murs beiges, effleurant les caisses de résonnance d’une batterie positionnée dans un coin.
Et la force de cette musique attrapa toutes les couleurs de la pièce ; comme des filaments qui s’attirent entre eux, le rouge du tapis s’entremêla au bleu de la couverture, le beige des murs se calqua sur le doré du chien, l’azur de sa guitare s’associa au noir et au blanc des touches du piano. Tout était différent, mais tout ne faisait plus qu’un. Les paupières toujours baissées, Jayden étira délicatement ses lèvres en un sourire discret. Ses doigts continuaient à caresser les cordes.
— Jay-jay ! s’écria tout à coup une voix à l’extérieur.
La porte – ensevelie sur une tonne de posters – s’ouvrit brusquement, faisant sursauter Jayden, et entra alors un homme d’une vingtaine d’année. Ses cheveux complètement noirs contrastaient avec ceux de Jayden, châtains, dont les pointes étaient éclairées d’un bleu ciel lumineux.
Dans la pièce, toutes les couleurs reprirent leur place. Le golden retriever s’était réveillé soudainement et fouettait l’air de sa queue. Il s’élança joyeusement vers le nouvel arrivant, la langue pendante, tandis que ce dernier prenait place devant la table basse en face de Jayden. Ses yeux noisette étaient entourés d’un maquillage noir, et il était seulement habillé d’une veste en cuir noir sans manche, ouverte sur son torse. Plusieurs badges y étaient épinglés.
— Chris, j’étais en train de jouer la suite de mon morceau… se plaignit Jayden tandis que son interlocuteur grattait férocement la tête du chien.
— Je sais, j’ai entendu, mais maman voulait que tu montes mettre la table.
— C’est tout ? Juste pour ça ? Comment je fais pour retrouver mes accords, moi ?
Chris leva les mains en signe d’innocence. Ses nombreuses bagues cachaient presque tous ses doigts.
— Si tu veux je pourrai t’aider plus tard, j’ai une bonne mémoire pour ce qui se rapporte à la musique, le rassura-t-il en s’emparant du soda presque terminé pour en boire le reste d’une traite.
— C’est sûr que pour ce qui est d’autre chose…
Son grand frère lui balança la canette sur la tête avec une grimace offusquée.
— Jay-jay ! s’exclama-t-il avec indignation. Respecte ton aîné, voyons !
— Y’a rien a respecté ! se moqua Jayden. C’est pas moi qui, à vingt-cinq ans, s’est fait largué par sa copine et revient vivre à la maison en attendant de trouver un job stable.
Chris fit les yeux ronds, les deux mains sur la bouche, et échangea un regard avec leur chien. Ce dernier lui lécha le bras.
— T’as vu ça, Pilmo ? chuchota-t-il à l’adresse du golden retriever. T’as vu comme il est méchant avec moi ? Attaque-le !
Et, tout obéissant, le chien se jeta sur Jayden par-dessus la table sous les rires des deux garçons.
— C’est trop gentil comme attaque, ça, Pilmo, lui reprocha Chris tandis que l’animal se blottissait dans les bras du châtain.
Jayden releva la tête et planta son regard vairon sur les feuilles éparpillés devant lui. Son œil droit était mauve, tandis que l’autre était bleu clair, exactement comme les pointes de ses cheveux. Il caressa Pilmo d’une main et, de l’autre, attrapa une des partitions. Son écriture brouillonne retranscrivait parfaitement sa précipitation à chaque fois qu’une nouvelle note naissait dans son esprit.
— Tu voudras des paroles ?
Le plus jeune releva la tête.
— Hein ?
— Pour ta musique, tu voudras que je t’écrive des paroles ? Comme je sais que t’as du mal…
— Non c’est bon, ça ira, lui assura le châtain. Mais merci.
Ils se sourirent et au même moment, une voix forte les interpela :
— Christopher Tristan McPherson ! Combien de fois dois-je te dire de venir mettre la table !
Jayden plissa les yeux.
— Menteur, lâcha-t-il en pointant du doigt son frère.
— Sache que je t’aime aussi, frangin chéri, dit Chris en retour, avant de partir en courant, Jayden et Pilmo le poursuivant.
***
— Vous avez des nouvelles de votre sœur ? les questionna leur mère.
Ils étaient tous les trois installés sur la petite table en bois de la salle à manger. La pièce n’était pas grande et seulement séparée du salon par un bar où la vaisselle était rangée. Tout au fond, près de la porte d’entrée, un escalier en colimaçon montait à l’étage des chambres et descendait au sous-sol, là où les six enfants McPherson avaient installés leur salle de musique, tous passionnés par ce domaine depuis petits. Leur mère n’avait jamais vraiment compris pourquoi la musique les avait si soudainement transportés, et s’inquiétait souvent de les voir avec trop peu d’argent pour bien vivre.
Chris et Jayden relevèrent la tête de leur assiette d’haricots. Ceux du plus jeune étaient encore intacts, mais ceux de Chris avaient été complètement saccagés avec sa fourchette.
— Laquelle ? demanda-t-il à sa mère.
— Carly, soupira cette dernière. Je sais qu’Emily s’en sort bien, j’ai réussi à l’avoir au téléphone hier. Mais Carly… ça fait un moment que je n’arrive pas à la joindre, je m’inquiète un peu.
— Elle va bien, je l’ai vu trainé avec Matt près de la plage il y a trois jours. Tout baigne pour elle.
— Bien, soupira-t-elle en hochant la tête. Et votre frère ?
Ses deux fils échangèrent un regard et un sourire.
— Lequel ? répéta Jayden.
— Logan, enfin ! Je sais que Frost est responsable.
Chris haussa des épaules.
— Aucune nouvelle, je le vois plus trop depuis qu’il est en internat. Pourquoi tu l’as envoyé là-bas d’ailleurs ? Il n’a que dix-huit ans, tu aurais pu le laisser finir sa dernière année au lycée…
— Il en avait besoin, c’est pour son bien. Je ne savais plus quoi faire d’autre et c’était la meilleure solution pour lui, crois-moi.
Et comme pour clore le sujet, elle ramassa les assiettes et les couverts et se dirigea vers l’évier. Ses enfants la suivirent du regard, étonnés.
— Tu ne nous obliges pas à finir nos légumes ? lui fit remarquer Jayden en levant un sourcil.
Leur mère passa les mains sur son visage et soupira un long moment, puis se retourna vers eux. Ses yeux étaient brillants, comme si des larmes menaçaient de couler sur ses joues. Chris et Jayden ne l’avait vu que rarement dans cet état et restèrent silencieux, attendant qu’elle dise le premier mot. La dernière fois qu’elle avait vraiment pleuré, ils étaient encore jeunes : c’était quand leur père était partit après que l’œil droit de Jayden soit devenu violet, annonçant en lui une capacité surnaturelle. Ce qui l’avait fait fuir, c’était le fait que Jayden n’avait que huit ans quand ça s’est produit et que, normalement, ces caractéristiques ne pouvaient pas se manifester avant l’âge de dix ans. Et à neuf ans, encore une année trop tôt par rapport aux avancées scientifiques, Jayden avait déclenché son élément : le contrôle de la glace.
C’était depuis cet incident qu’Ella McPherson s’était toujours montré forte pour ses enfants. Même quand son fils Logan était tombé en dépression, même quand sa fille Carly avait commencé à fumer et à trainer avec des hommes beaucoup plus vieux, elle n’avait jamais baissé sa garde.
Cependant, à cet instant, elle avait l’impression qu’elle allait craquer. Elle inspira calmement plusieurs fois pour ne pas que ça arrive et ferma les yeux quelques secondes. Quand elle les rouvrit et qu’elle posa son regard sur ses deux fils présents, elle se racla la gorge.
— Les garçons… commença-t-elle.
Leur attention était focalisée sur elle.
— S’il vous arrivait quelque chose, je ne me le pardonnerai jamais…
Elle s’avança vers eux, se rassit à table et leur attrapa une main chacun.
— Je sais que j’ai été parfois difficile avec vous…
— Bof, ça va, commenta Chris.
— Tais-toi, chéri. Ce que j’essaie de vous dire… reprit-elle, c’est qu’à partir de maintenant, les choses vont légèrement changer. Vous avez sans doute remarqué ce qu’on raconte aux informations, à chaque fois qu’on allume la télé ?
— Tous les matins c’est pareil, ouais, approuva l’aîné en faisant mine de bâiller. Morts inexpliquées, blabla, possibilité que ce soit l’œuvre d’un tueur en série, blabla… où veux-tu en venir ?
Sa mère le regarda gravement.
— J’aimerais instaurer un couvre-feu, annonça-t-elle. Interdiction de sortir avant neuf heures du matin et après sept heures du soir.
Les deux garçons ouvrirent grand la bouche, surpris.
— Mais maman… ça se passe aux États-Unis ! protesta Jayden. On habite en Australie, ici !
— Un meurtre du même type est arrivé en France et au Japon, ça a été dit ce matin. Je ne veux prendre aucun risque. Et je suis votre mère, c’est moi qui décide. Chris, ajouta-t-elle, tu iras chercher Carly et Frost et tu leur diras de revenir à la maison. J’ai avertie Emily quand je l’ai eu au téléphone, elle devrait arriver demain ou ce soir. Logan quant à lui restera en sécurité à l’internat.
— T’es sérieuse ? se plaignit Chris.
— Oui, très.
Il y eu un silence. L’affolement de leur mère semblait réel et Chris acquiesça, lui assura qu’il s’en occupera et se leva de table pour partir aussitôt. La porte claqua derrière lui quand il sortit.
Jayden, les yeux ronds, fixa sa mère avec insistance. Ella n’avait pas encore la cinquantaine mais à ce moment-là, elle semblait avoir le poids de plusieurs vies d’expérience sur les épaules. Son expression grave amplifiait les traits de son visage.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive, maman ? murmura Jayden, sincèrement troublé.
Elle soupira et tendit une main pour caresser la joue de l’adolescent.
— Quand je pense que tu auras déjà seize ans à la fin de l’année… laissa-t-elle échapper, pensive. Tu sais le point commun qu’il y a entre toutes les victimes, Jay-jay ?
Jayden secoua la tête de droite à gauche.
— Ce sont tous des Surnaturels, ou des membres de leur famille.
Les battements de cœur du garçon s’accélérèrent, et il comprit. Encore une fois, il gâchait la vie de ses proches. Et cette fois-ci, c’était encore pire : il les mettait en danger, et il n’y pouvait rien.
— Je suis désolée… finit par dire sa mère.
— De quoi ?
— De ce qu’il va se passer ensuite.
Jayden l’interrogea du regard mais Ella n’ajouta aucune précision. Elle se leva et s’en alla faire la vaisselle, le laissant dans ses pensées troubles. Il voulut insister avec ses questions mais quand il se retourna vers sa mère et qu’il vit que ses mains lavaient les assiettes avec une extrême lenteur, il n’en fit rien. Elle semblait combattre quelque chose dans sa tête et il décida qu’ils reprendraient cette conversation plus tard.
Il gagna les escaliers et traversa le couloir de l’étage. Il y avait trois portes de chaque côté et une dernière tout au fond. Jayden soupira et entra dans la deuxième à droite, la seule, sans compter celle de Chris, qui ait encore de l’utilité depuis quelques années. Quand il referma derrière lui, il se traîna jusqu’à son lit et s’y étala.
Son cerveau ne cessait de retourner en boucle les paroles de sa mère, comme une chanson qu’il avait écouté plusieurs fois et dont le rythme de voulait plus le lâcher.
Pourquoi lui disait-elle qu’elle était désolée de ce qu’il allait se passer ? Qu’allait-elle faire ?
Il enfouit son visage dans son coussin.
Tu sais le point commun qu’il y a entre toutes les victimes, Jay-jay ?
Il frappa le matelas de son poing.
Ce sont tous des Surnaturels, ou des membres de leur famille.
Un cri s’échappa de sa gorge, étouffé par l’oreiller qu’il tenait à présent fermement de ses mains. Maintenant, sa famille était danger à cause de lui, et il ne pouvait rien y faire. Il tenta de se redresser plusieurs fois pour se reprendre, mais rien à faire. Les larmes menaçaient de couler à chaque fois, comme pour se moquer de sa faiblesse.
Il en avait marre d’avoir les joues humides à cause de ce qu’il était. Pour s’en échapper, il tenta de se rappeler un souvenir de quand son père n’était pas encore parti. Quand les McPherson étaient heureux.
Le seul qui lui vint à l’esprit, tellement ils étaient peu, fut celui d’un jour d’été. Ils étaient ensemble à la plage et leurs sourires prenaient tout l’espace. Sa mère lisait, allongée sur une serviette dans le sable et à côté d’elle, une petite Emily et un petit Logan se démenaient à faire un château avec des sauts. Dans l’eau, un petit Chris s’amusait à éclabousser une petite Carly. Derrière eux, un petit Frost plongeait la tête dans l’eau pour chercher des coquillages. Un peu plus loin, leur père portait Jayden pour le faire marcher sur la surface de l’eau. Tout le monde riait.
Aujourd’hui, c’était loin d’être le cas.
Un nœud se noua dans le ventre de Jayden. Il se débarrassa de son coussin pour l’envoyer à l’autre bout de la pièce avec violence.
L’apparition de son élément ne lui causait que des malheurs, et à cause de ça, il se sentait exclu de sa famille et de ses amis. Il ne pouvait se confier à personne, puisque le sujet était tabou chez ses proches. Il ne pouvait dire à personne à quel point ce pouvoir le mangeait de l’intérieur, petit à petit, et commençait à s’approprier le corps qui était censé être le sien. Il ne pouvait pas s’exprimer sur le fait qu’il avait l’impression de ne plus être lui-même. Il ne pouvait pas crier dans la rue à quel point il souffrait.
Il ne pouvait pas avouer qu’il voulait juste s’en débarrasser.
Ses mains massèrent son visage et montèrent jusque dans ses cheveux, dont il abaissa les mèches les plus longues devant ses yeux.
Même quand il se regardait dans le miroir, il voyait une autre personne. Son œil violet semblait plus important que son œil bleu, prenant le dessus sur sa couleur originelle qui marquait pourtant sa véritable identité. Les pointes de ses cheveux châtains quant à elles avaient l’air de dévorer sa chevelure naturelle, laissant des traces cyan impossible à cacher – parce que oui, Jayden avait de nombreuses fois essayé de se les teindre, en vain. À part un vide conséquent dans le porte-monnaie de sa mère, ça n’avait eu aucun effet.
Une sonnerie retentit et Jayden sursauta. Il attendit quelques secondes avant de se tourner vers sa table de chevet et de prendre son téléphone. Quand il vit le nom inscrit sur l’écran, un sourire discret transforma ses lèvres et rendit son visage plus lumineux.
— Que puis-je faire pour toi, Sofia ? lança-t-il dès qu’il décrocha.
— Jay-jay, il faut absolument que tu viennes m’accompagner à l’aquarium aujourd’hui ! Il y a une réduction de 50% au Sea Life, c’est immanquable ! Si tu ne peux pas payer toi-même t’inquiète pas, j’aurais de quoi t’offrir l’entrée.
— Oh, je…
Il tourna son regard vers le réveil. Il était encore très tôt, sa mère ne pouvait pas lui interdire de passer une après-midi dehors.
— D’accord, je viens, accepta-t-il.
Au l’autre bout du fil, la jeune fille exprima sa joie si rapidement que Jayden ne compris que la moitié de ce qu’elle racontait.
— Rejoins-moi à l’arrêt de bus, j’ai trop hâte de te revoir !
— Mais on se voit presque tout le temps…
— Le presque n’est pas assez !
Et elle raccrocha sans lui laisser le temps de protester.
Sofia était à ce jour la meilleure amie de Jayden. Elle ne l’avait jamais repoussé pour sa différence – elle avouait même que son œil violet était très mignon – et ne l’avait jamais laissé tomber une seule fois depuis qu’ils se connaissaient. C’était une fille incroyable passionnée par la nature, plus précisément par la façon dont vivaient les insectes et les animaux. Jayden et elle s’étaient rencontrés la première semaine de collège et s’étaient tout de suite bien entendu.
Il descendit aussitôt, s’étonna de la facilité avec laquelle sa mère le laissait sortir et s’en alla retrouver la jeune fille. Ella n’avait presque pas levé les yeux de son linge à repasser, lui rappelant seulement le couvre-feu qu’il fallait respecter impérativement.
Au loin, juste devant un bus qui venait d’arriver, une adolescente bougea frénétiquement le bras pour inciter Jayden à accélérer. Ses cheveux blonds platine étaient coiffés en une coupe au carré dont les mèches fouettaient son visage à cause du vent et elle se mit à en rire quand le châtain la rejoignit. Ils sautèrent ensemble dans le bus et en descendirent les premiers lorsqu’ils arrivèrent à destination. L’aquarium était un large bâtiment où s’amassait une petite troupe de touristes. Sur la devanture, on pouvait y lire les mots Sea Life, tous les deux reliés par une étoile de mer.
Sofia s’empara du bras de Jayden et l’entraina dans la file. Son excitation rendit tout de suite le garçon joyeux. Ils bousculèrent quelques personnes, fonçant çà et là dans les sacs à dos des gens. Et tandis que Jayden balançait une myriade d’excuses, la jeune fille continua sa traversée. Elle arrêta seulement quand ils furent à l’intérieur, leur ticket en main, face au bleu de l’atmosphère.
— Trop de bleu tue le bleu, dit Jayden en plissant les yeux.
— Ton œil, ton t-shirt et la moitié de tes cheveux sont bleus, Jay-jay, lui fit remarquer Sofia, un sourire au coin.
— La couleur me va bien au teint, j’y peux rien…
Elle rit et s’élança encore une fois en avant, son ami sur ses talons, concentré à ne pas la perdre de vue.
***
Jayden soupira en s’adossant contre un des murs. Presque trois heures étaient passées depuis qu’ils étaient arrivés à l’aquarium, et Sofia n’avait pas l’air de s’en lasser, au plus grand malheur du jeune garçon. Son amie n’avait cessé de lui expliquer comment chaque poisson et autres animaux marins mangeaient, dormaient et chassaient, et il n’a pas osé lui dire qu’il s’en fichait totalement. Au moins, il était avec elle et elle était heureuse, c’était tout ce qui comptait. Et puis il n’avait même pas payé l’entrée, alors il n’allait pas se plaindre.
Son regard vairon suivit la jeune fille tandis qu’elle se plantait devant une vitre d’où elle pouvait admirer des requins-scies. Jayden les regarda de loin et ne pouvait nier qu’ils étaient impressionnants. Alors qu’il tourna la tête pour continuer à le fixer, ses yeux s’attardèrent sur un homme plus loin.
Toute son attention était focalisée sur Jayden et celui-ci déglutit. L’homme avait l’air de l’examiner et ne comptait pas se détourner. Même avec les lumières bleues ambiantes, l’adolescent devina la couleur grise de sa chevelure et de ses iris. Il remarqua aussi que la majeure partie de ses cheveux était ramenée du côté gauche de sa tête, lui donnant un air à la fois propre et mauvais.
La voix de Sofia l’appela et Jayden s’en alla vers elle, le corps toujours tourné vers l’homme mystérieux.
— Qu’est-ce que t’as ? lui demanda la blonde quand il l’eut rejoignit.
Il mit un moment avant de lui répondre.
— J’ai l’impression d’être suivi.
Sofia suivit la direction de son regard. Elle ne vit personne en particulier.
— Tu dois être parano, non ? Qui te suivrait ? Sans vouloir te vexer, tu n’intéresserais personne à par les jeunes filles en chaleur…
— Sofia ! s’indigna-t-il, se tournant enfin vers elle, qui haussa des épaules.
Il n’osa pas lui faire part des inquiétudes de sa mère concernant les meurtres dont toutes les chaînes d’information parlaient en ce moment.
L’homme avait disparu en un clin d’œil parmi la foule. Jayden ne fut pas soulagé pour autant et, décidant qu’il commençait à se faire tard, ils ressortirent dehors ensemble. Il avait le pressentiment étrange que quelque chose allait se produire dans peu de temps et ses oreilles n’écoutèrent qu’un mot sur deux du monologue de Sofia.
Un quart d’heure plus tard, il était seul devant la porte de sa maison à Darlinghurst. De l’extérieur, on pouvait déjà entendre les bribes de conversations fougueuses. Chris devait sûrement être de retour avec Carly et Frost. Sans se presser, Jayden laissa tomber sa main sur la poignée et entra doucement.
Au milieu du salon, sa mère et Chris se tenaient côte à côte face à un jeune homme blond assis sur le canapé et qui croisait les bras. À l’arrière, derrière le bar, Jayden aperçu sa grande sœur Carly. Ses cheveux châtains étaient retenus en une queue de cheval faite à la va-vite. En même temps de mélanger plusieurs contenus de bouteille entre eux, elle le salua d’un signe de tête et d’un sourire.
— Salut Carly, salut Frost, lâcha-t-il par politesse.
Ça faisait plusieurs mois qu’il ne les avait pas vu, aussi ne savait-il pas vraiment quoi leur dire d’autre.
— Encore une nouvelle teinture ? fit-il tout de même remarquer au jeune homme blond en refermant la porte derrière lui.
— Ouais, et cette fois-ci c’est une permanente, lui certifia Frost.
Frost était peut-être le membre de la famille que Jayden connaissait le moins. Maintenant qu’il avait quitté la maison pour avoir son propre appartement au centre de Sydney, ils ne se parlaient qu’en de très rares occasions, et Jayden le regrettait un peu ; son frère était très mystérieux quant à sa vie et ne parlait pas souvent de lui. Seule leur mère arrivait quelques fois à lui soutirer des informations, et ainsi on avait pu découvrir qu’il vivait en colocation avec un gars sympa qui aimait la musique autant que lui. C’était peu, mais c’était suffisant.
Il s’avança rapidement dans la pièce en direction de Carly tandis que la conversation entre Frost et leur mère reprenait. Quand il s’approcha de sa sœur, celle-ci le prit rapidement dans ses bras et lui embrassa le front, sans pour autant lâcher ses bouteilles en verre qu’il entendit tinter entres elles derrière sa nuque.
Contrairement à la relation qu’il entretenait avec Frost, Carly et lui s’envoyaient régulièrement des messages pour avoir des nouvelles – surtout parce qu’elle avait besoin de se plaindre et que Jayden était la parfaite victime pour parler de ses conquêtes amoureuses insupportables.
Quand elle lui demanda si tout allait bien, il acquiesça silencieusement d’un sourire et elle s’éloigna de lui pour continuer son mélange d’alcool, satisfaite.
Soudain, une main sur l’épaule de Jayden le fit se retourner : sans rien dire, Chris l’emmena avec lui à la salle de musique. Quand ils y arrivèrent, Pilmo, qui les avait suivis en les bousculant dans les escaliers, s’affalait déjà près de la table basse.
— On se joue un rythme ? demanda le plus âgé à son frère.
— Tu voudrais pas plutôt parler ? s’enquit Jayden en rejoignant Chris sur le canapé.
Il était déjà en train d’accorder sa guitare mais se stoppa net, un sourcil levé. Il décala l’instrument à côté de lui pour se tourner vers le châtain.
— De quoi tu veux parler ?
Jayden laissa tomber sa tête en arrière, les yeux vers le plafond.
— De cette situation. C’est encore de ma faute si vous devez…
— Wow, doucement, qu’est-ce que tu racontes ?
D’une main puissante, il attrapa la mâchoire de Jayden et lui écrasa les joues en le tournant vers lui.
— C’est de ta faute si t’as un élément ? Non. C’est de ta faute si un abruti se trimballe et zigouille tous les Surnaturels qu’il croise ? Toujours pas. Rien n’est de ta faute, Jay-jay, alors ferme-là avant de dire n’importe quoi.
Un petit sourire naquît sur les lèvres du châtain alors que son frère le relâchait. Mais il s’effaça bien vite.
— Tout à l’heure, après que tu sois parti chercher Frost et Carly, maman m’a dit qu’elle était désolée.
— Ah ? Désolée pour quoi ?
— De ce qu’il va se passer ensuite.
Chris attendit la suite de son explication. Quand il se rendit compte qu’elle ne viendrait pas, il fit la moue.
— Elle n’explique jamais clairement ce qu’elle veut dire, hein ? marmonna-t-il. Quoi que ça puisse être, c’est sûrement pas si grave. Elle s’excuse souvent pour rien et en plus on va devoir rester confinés ensemble pendant un bon moment, alors qu’est-ce qui pourrait t’arriver ?
Il passa un bras derrière le cou du plus jeune pour le réconforter et lui ébouriffa les cheveux. Un rire leur échappa. Au final, Chris insista pour jouer un peu et ensemble, ils commencèrent un concert d’accords absurdes auquel Pilmo joignit des aboiements plus ou moins forts, au rythme de leurs instruments.
L'écriture est fluide et très agréable à lire.
L'entrée en matière avec les couleurs qui se mélange grâce à la musique est très poétique, mais quel est le rapport avec son pouvoir sur la glace ? ( ou alors c'est juste une métaphore et j'ai rien compris ? )
Quelques petites remarques :
interpela -> interpella
"face au bleu de l’atmosphère." ça sonne un peu bizarre, peut-être à reformuler.
"- Sofia ! s’indigna-t-il, se tournant enfin vers elle, qui haussa des épaules." La fin de la phrase prête à confusion, on ne comprend pas tout de suite qui hausse les épaules.
Bon courage pour la suite.