— Non !
Horrifié, Jonathan exécute un bond sur le côté et secoue vivement la jambe. Trop tard toutefois pour réparer les dégâts : son bas de pantalon – qui vient de faire connaissance avec une flaque d’eau formée là où plusieurs pavés manquent – est crotté et sa chaussette transformée en éponge. En sus, sa chaussure en cuir se retrouve souillée de la pointe jusqu’au talon. Une petite merveille dont il n’a pas fait l’acquisition depuis une semaine. Pour un peu, il en pleurerait !
Grelottant et plus malheureux que jamais, il reprend sa route. Tente d’ignorer le bruit spongieux qui accompagne à présent ses pas.
Sur son dos, un manteau sombre de belle facture, mais peu adapté au type d’intempérie qu’il se voit contraint d’affronter. La pluie, en effet, tombe en rafales sur la ville, déborde des gouttières, rendant le pavé glissant et les rues encore plus tristes qu’à l’accoutumée. Pour ne rien arranger, celle-ci s’est infiltrée jusqu’aux dernières couches de ses vêtements. Jusqu’à sa chair, jusqu’à ses os, et ruisselle du bord de son chapeau melon.
Ses mains gantées, elles, ne tiennent aucun parapluie sous lequel il aurait pu s’abriter – la faute aux médias consultés avant de quitter son hôtel et qui, en dehors du froid et du brouillard habituel, avaient passé sous silence la possibilité d’une telle averse. Quant à ses cheveux châtains, qui lui arrivent en général un peu au-dessus du menton, ils pendouillent pour l’heure misérablement autour de son cou.
Il se mord la lèvre et doit retenir une exclamation indignée au moment où une voiture – passant à proximité – provoque des éclaboussures boueuses qui viennent consteller son pantalon et son manteau. N’éprouve même pas la force d’inspecter l’étendu des dégâts et continue son chemin avec l’expression de ceux habitués à ce que la vie ne les chouchoute pas.
Et dire que j’espérais faire bonne impression !
Car s’il a pris le risque de sortir avec une tenue aussi coûteuse que la sienne, ce n’est pas par simple coquetterie. Elle lui a demandé beaucoup de réflexions, ainsi que de trop nombreux essais. Avec pour interrogations : comment impressionner favorablement une Gardienne ? Quels pièges éviter afin de ne pas passer pour un rigolo ? Ses effets les plus chics ont vite été mis de côté – par crainte de paraître prétentieux –, les couleurs trop voyantes écartées – de peur qu’on ne le prenne pour un hurluberlu – et son choix s’est finalement arrêté sur l’élégance sobre d’un costume gris sombre. Il y a ajouté un chapeau de même teinte – pas seulement par souci de finition, mais également pour réduire l’effet désastreux qu’un temps humide produit sur ses cheveux – et tout cela en pure perte !
Maintenant qu’il y pense, il aurait sans doute été préférable qu’il s’habille de cet affreux costume découvert dans le fond de sa malle. Il l’a négligé à cause de son apparence vieillotte, mais surtout parce qu’il ne lui a coûté que quelques sous à une époque plus compliquée de sa vie. Une erreur, car après une telle averse, le résultat visuel aurait été peu ou prou le même – et surtout, quelle importance de ruiner un vêtement de si piètre qualité ?
Il s’arrête sous le préau d’un commerce et sort de sa poche un morceau de papier plié en deux. Découpé dans un journal, l’encre a un peu bavé, mais l’offre d’emploi y est encore visible. S’il en croit ses maigres connaissances du quartier, l’adresse recherchée ne devrait plus être bien loin. Malheureusement, le temps est si affreux que chaque rue, chaque ruelle, chaque place et chaque habitation tendent à se ressembler.
Il jette un regard autour de lui sans parvenir à se décider. En plus de la pluie, le brouillard réduit son champ de vision et il est à peu près certain de se perdre s’il se fie à son seul instinct. Avec un soupir, il chiffonne l’annonce et se décide à demander son chemin.
Une petite clochette tinte quand il pousse la porte de la boulangerie – pour l’heure désertée par la clientèle. Il pose les yeux sur le plancher, puis sur la femme derrière son comptoir qui le fixe avec horreur.
Conscient du spectacle déplorable qu’il offre ; du paillasson qui, sous lui, est déjà trempé, il ne s’aventure pas plus loin et se racle la gorge – plus par gêne que dans le souci d’attirer une attention qui lui est déjà toute accordée.
— Je cherche le dix-huit chemin des Loups.
La commerçante – une quinquagénaire potelée – serre les poings contre sa poitrine. Elle bat des paupières, comme étonnée de l’entendre s’adresser à elle.
— Le dix-huit… ? répète-t-elle.
— Chemin des loups.
— C’est le bureau de la Gardienne que vous cherchez ?
Ça a l’air de la surprendre. Pire, il a le sentiment que ça éveille sa suspicion. Pourtant, une Gardienne n’est pas censée avoir mauvaise réputation auprès de la population Naturelle.
— C’est exact.
— Et pourquoi donc ?
C’est à son tour d’exprimer la surprise. En quoi ses affaires privées la concernent-elles ?
— Écoutez, j’ai simplement besoin de savoir quelle direction je dois prendre. (Puis, d’une voix un peu trop désespérée à son goût, il ajoute :) Il pleut !
Il faut un instant à son interlocutrice pour daigner quitter la sécurité de son comptoir. Et tout en conservant entre eux une certaine distance, elle lui désigne un point à travers sa vitrine.
— C’est par là-bas. Faut suivre la rue jusqu’à ce que vous tombiez sur le bon numéro. Là, ce sera sur votre droite. Vous tournez dans la ruelle, passez le portail et vous frappez à la première porte. Vous retenez bien ? La première, pas la deuxième ! Ils risqueraient de pas appréciez que vous entriez chez eux, voyez ?
Il la remercie donc, puis rentre la tête dans ses épaules et retourne affronter les intempéries.
Une chance, il ne lui faut pas longtemps pour atteindre le numéro dix-huit. La petite plaque en fer usée où s’exhibe celui-ci appartient à un bâtiment imposant, quoique plus impressionnant en largeur qu’en hauteur. De ce côté-ci, pas l’ombre d’une porte, juste des fenêtres aux volets et stores tirés.
Il prend sur sa droite, s’enfonce dans une ruelle sombre et ruisselante. L’écho de la pluie l’encercle, son odeur aussi – celle de l’humidité et du sol boueux qui termine de ruiner ses chaussures. Au bout de la ruelle, un haut portail en bois à la peinture écaillée, dont le portillon a été laissé ouvert. Il débouche sur une cour pavée, protégée des regards extérieurs par un mur d’enceinte.
Sur sa droite, coincé entre deux portes, un banc dont la pierre disparaît en partie sous la mousse. S’il doit être agréable de s’y installer par beau temps, dans cet espace privé qui semble comme isolé du monde, pour l’heure son apparence misérable n’invite pas au farniente.
Son regard s’attarde sur la porte de gauche. Le store en est tiré, mais derrière la vitre il peut distinguer un écriteau indiquant que les bureaux sont ouverts.
Il pousse un soupir et, les mains enfoncées dans les poches, sent une boule de stress faire son nid du côté de son estomac.
Il a vraiment du mal à croire qu’il se trouve ici. Du mal à imaginer qu’il vient de se rendre de son propre chef sur le territoire d’une Gardienne. D’une personne qui est pourtant techniquement son ennemi.
C’est drôle de quoi on est capable, une fois qu’on se sent acculé…
En venir à espérer qu’il trouvera en ces lieux la main secourable qui lui fait tant défaut au sein de son propre camp… c’en est presque déprimant, quand il y pense.
Enfin, ce n’est pas comme si j’avais de meilleure solution… !
Comme il lève le poing pour frapper, il ne peut s’empêcher de se tourmenter à nouveau au sujet de son apparence. Il ne doit plus ressembler à grand-chose, à présent, et il craint que cela ne lui fasse perdre des points. S’écouterait-il qu’il ferait demi-tour pour rentrer se changer, mais… ça le mettrait salement en retard et, au final, il n’est pas certain que ça sera mieux accueilli.
Et de toute façon, je ne pense pas que je trouverais le courage de refaire le trajet jusqu’ici…
Il abat donc son poing, puis pénètre dans une pièce silencieuse et déserte, où l’accueille une douce chaleur. Deux bureaux, l’un encombré plus que raison, l’autre parfaitement rangé. Le long des murs, quelques meubles – notamment des casiers à archives. Dans le fond, une horloge comtoise dont le pendule mêle sa sonorité aux cliquètements du chauffage.
Aux murs, un papier peint jauni aux motifs géométriques. Au plafond, les poutres qui soutiennent le premier étage sont apparentes. Il flotte dans la pièce une odeur complexe. Celle de la vie, du cirage, du café, d’un trop plein de cigarettes, mais aussi de renfermé.
Sur le bureau du fond, le plus grand des deux, il peut distinguer une petite sonnette. Mais il n’ose pas s’y rendre de crainte de salir le plancher qui, bien qu’ancien, semble entretenu. Le tapis sous lui est déjà constellé de taches sombres et chacun de ses mouvements en rajoute d’autres. Il baisse un regard déprimé sur ses chaussures et son pantalon humide, trempé aux chevilles, avant d’aviser la porte close, sur sa droite.
Après un raclement de gorge, il appelle, d’une voix forte, mais hésitante :
— Ex… excusez-moi ! Est-ce qu’il y a quelqu’un ?
Du mouvement dans la pièce voisine. Quelques secondes s’égrainent, puis la porte s’ouvre et laisse place à un individu au regard sombre.
D’apparence, il ressemble à un jeune homme de tout juste vingt-ans. Il a de longs cheveux noirs et bouclés, qui encadrent un visage à la peau trop blanche et aux traits trop fins. Son expression pourrait geler le souffle d’un dragon et il y a dans son attitude un quelque chose destiné à vous informer que vous n’évoluez pas dans le même monde.
Sa chemise blanche souligne des épaules fluettes et, bien que plus grand que lui, le nouveau venu est de constitution délicate.
— Jonathan Owan, je présume ? questionne-t-il, après l’avoir détaillé des pieds à la tête.
Sentant le rouge lui monter aux joues, Jonathan bredouille :
— Je… je suis désolé… je ne m’attendais pas à ce que le temps se dégrade et…
— Aucune importance ! Débarrassez-vous de votre… manteau et allez vous asseoir là-bas. La Gardienne va arriver.
Si le mépris qui perce dans le ton de son interlocuteur l’agace, Jonathan prend sur lui et s’exécute. Sur sa gauche, un portemanteau où il abandonne son manteau, son melon et ses gants. Il s’apprête à quitter la sécurité du tapis quand une seconde voix, féminine celle-là, s’élève :
— Un problème, Théo ? Je te sens un poil crispé, là !
— Théodore ! rectifie l’homme aux cheveux noirs, avec irritation.
Un soupir lui répond et une petite forme le pousse sur le côté pour venir les rejoindre. Jonathan doit retenir un hoquet de surprise.
Bien qu’il la sache en charge de ce territoire depuis une dizaine d’années, la personne qui se tient face à lui a tout d’une adolescente de quinze ou seize ans. Un mètre soixante à vue de nez, des cheveux noirs qu’elle attache en queue de cheval et qui dégage son front haut. Des yeux un peu trop grands, offrant une drôle d’allure à ce visage étroit où ils semblent prendre toute la place. De ses sourcils, il ne reste presque plus rien, juste deux petites touffes. Elle lui sourit, mais son expression a quelque chose de cynique.
Tout comme le dénommé Théodore, elle a la peau blafarde et les pupilles sombres. Du reste, il y a quelque chose de très masculin dans sa façon de s’habiller et ses vêtements, trop larges, paraissent grossiers sur ce corps androgyne.
À ses pieds, deux ombres, dont l’une est en perpétuel mouvement : signe qu’il se trouve bel et bien en présence de la Gardienne de ce territoire.
Un éclat de rire lui échappe et elle envoie un coup de coude à son compagnon.
— Allez, ça peut arriver à tout le monde ! Va plutôt lui chercher une serviette, qu’il se sèche un peu.
De mauvaise grâce, Théodore repart dans l’autre pièce.
De plus en plus mal à l’aise, Jonathan se dandine d’un pied sur l’autre. Elle pointe un doigt dans sa direction.
— Jonathan, c’est ça ? Faut l’excuser, l’est un peu coincé comme garçon !
— Je peux le comprendre… je ne suis pas très présentable.
— Et même pas du tout, tu veux dire ! Mais on va pas en faire toute une histoire, hein ?
Bon, au moins a-t-elle le mérite d’être franche. Un peu trop, sans doute, car il perçoit dans son ton la rudesse de ceux qui ont la fâcheuse habitude de vous lancer au visage leurs vérités, et au diable votre sensibilité.
Il cherche encore quoi répondre quand Théodore revient et lui tend une serviette de bain. Bredouillant un remerciement, il sent ses joues le brûler de nouveau et entreprend de se frictionner les cheveux.
Le laissant à sa besogne, l’autre va s’installer face au bureau du fond, sur l’une des deux chaises prévues pour l’accueil des visiteurs. Sa compagne le rejoint, prend place derrière le meuble où elle s’allume une cigarette.
Entre deux doigts, Jonathan trifouille une mèche de cheveux ondulés qui lui tombe devant le regard. Elle est à peine humide, mais il devine que ce séchage sauvage n’a rien arrangé à son apparence. Finalement, il s’essuie les pieds et s’aventure sur le plancher.
— Au fait, moi c’est Elyza, se présente-t-elle, tandis qu’il prend place aux côtés de Théodore. Quant à lui, j’imagine que je n’ai plus besoin de te le présenter ? Oh ! Et j’espère que tu n’auras rien contre, mais c’est un vampire.
— Oui, j’en ai vaguement entendu parler.
— Vrai qu’il commence à être connu, approuve-t-elle avec un hochement de tête.
— J’ignorais que c’était possible. Je veux dire… que l’Ordre accepte des Surnaturels dans ses rangs.
Disant cela, il se tourne en direction du vampire, qui s’obstine à fixer le plancher. Elyza a un geste de la main, afin de chasser la fumée qui flotte devant son visage.
— Logiquement, ça se fait pas. C’est contre tout ce qu’il représente, pas vrai ? Et qu’une Gardienne accepte de travailler avec un Surnaturel, tu vois… c’est sans doute une première dans nos annales. Mais bon… m’ont pas vraiment laissé le choix !
— Normalement, poursuit Théodore d’une voix qui tient du murmure, ce territoire nécessite la présence de plusieurs Gardiens.
— D’un bataillon, tu veux dire ! Les zozos que j’ai remplacés étaient cinq et, à ce que j’en sais, ils en chiaient pas mal. Alors moi toute seule… 'fin, pas comme si je pouvais demander du renfort, hein ?
Jonathan approuve d’un signe de tête. De ce qu’il en sait, l’Ordre n’a en effet plus grand pouvoir sur ce territoire dont la surveillance lui a été retirée, ce dans le but de tester d’autres systèmes de contrôle de la population Surnaturelle. À force d’obstination, il est tout de même parvenu à obtenir qu’un de ses Gardiens continue d’y œuvrer, ce qui explique la présence d’Elyza en ces lieux.
Commençant à comprendre les raisons de cette offre d’emploi pour le moins atypique – découverte par pur hasard dans une feuille de chou – Jonathan questionne :
— Donc… vous cherchez du renfort… même Surnaturel ?
— Je vais te dire : c’est même en priorité du Surnaturel que je recherche. Enfin… pas de vampire. Parce qu’avec Théo…
— Théodore !
— Ça risquerait de coincer.
Jonathan a du mal à se contenir, doit batailler contre le sourire de victoire qui lui titille les lèvres. Il ne pensait pas que ce serait aussi simple !
Mais avant qu’il ne puisse prononcer le moindre mot, Elyza grimace et ajoute :
— Ah oui ! J’allais oublier les lycanthropes. Pas question de m’encombrer de ce genre d’emmerdeurs !
Et à Jonathan d’ouvrir la bouche sur une exclamation muette.
— Mais…, bredouille-t-il.
Avant que Théodore ne le coupe :
— Ce qui est de l’ordre de la logique. Qui voudrait travailler avec cette racaille ?
— Mais… !
— T’y vas fort, Théo ! C’est limite pas sympa pour la racaille, c’que tu dis là ! Non mais vrai, elle au moins elle a la décence de pas foutre la merde partout où elle passe.
Blafard, Jonathan a l’impression que le monde vient de s’ouvrir sous lui pour l’emporter dans une chute vertigineuse. Il se demande d’ailleurs s’il doit prendre congé maintenant ou bien chercher à plaider sa cause, quand Elyza reporte son attention sur lui.
— Enfin, bref. On préfère éviter les lycans et les vampires, mais pour le reste… on est plutôt ouverts ! (Ses paupières se plissent.) Et j’avoue que j’aurais aussi préféré me passer des Naturels. C’est pas contre toi, hein, mais je cherche de l’allié suffisamment costaud pour me seconder dans la journée. T’aurais pas travaillé pour les Brigades, des fois ?
Jonathan, qui n’écoutait plus que d’une oreille, sent son intérêt s’éveiller de nouveau. Une petite minute ! Elle le prend donc pour un Naturel ?
Surpris, il baisse les yeux en direction des pieds d’Elyza, où seule l’une de ses ombres est visible. Si celle-ci continue de se mouvoir, elle ne semble pas s’intéresser à lui, ce qui ajoute à son étonnement. Il sait que les Ombres des Gardiens ont la capacité de démasquer les lycanthropes et tout Surnaturel qui dissimulerait ses origines sous une apparence Naturelle. Lui-même en a déjà fait les frais et, à cause de ça, a perdu deux de ses emplois précédents – car autant dire que ses patrons Naturels, apprenant qu’ils avaient été bernés, n’avaient pas beaucoup apprécié.
… un test ?
Possible… probable, même. Néanmoins, il songe qu’il y a une petite chance pour que ce ne soit pas le cas et, parce que de toute façon, il n’a plus grand-chose à perdre, se décide à jouer la carte de l’entourloupe :
— J’ai bien peur que non.
— Et merde !
Elle grimace, l’air franchement déçu, mais il ne détecte chez elle aucun agacement, aucun signe qui laisserait penser qu’elle a deviné la supercherie et s’apprête à lui passer un savon, avant de le mettre à la porte. Alors, il continue, le cœur battant un peu plus fort dans sa poitrine :
— Mais… mais j’ai de bonnes connaissances sur les surnaturels.
— Ah ouais ? Quoi, par exemple ?
— Eh bien… par exemple… sur les lycanthropes !
Ce qui la fait rire.
— Nous aussi, tu penses ! Hein, Théo ? (Et comme l’interrogé se contente de froncer un peu plus les sourcils, elle poursuit :) Quoi d’autre ?
— Oh, heu… mes connaissances sont plutôt vastes, alors…
— Vampires ? Infernaux ? Féeriques et… toutes ces choses, quoi ?
— En gros, oui…
Elle grogne et se laisse aller contre le dossier de son siège. Il devine, à son expression, qu’il est loin de l’avoir convaincue.
— Je te l’accorde, c’est important dans ce métier, commence-t-elle en tirant sur sa cigarette. Mais c’est très loin d’être suffisant ! Ce qu’il faut avant tout c’est… disons… certaines facultés… sinon des compétences qui te permettront de rester en vie face à un Monstrueux fou furieux. Tu vois, juste être capable d’identifier ton adversaire, ça va pas te servir à grand-chose dans le feu de l’action.
— Oui, mais comme vous le précisez…
— Tu ! Comme « tu » le précises. Ça sert à rien de se vouvoyer.
— D’accord, comme tu le précises, c’est avant tout une aide pour les activités diurnes que tu recherches. Et de ce que j’en sais, le travail des Gardiens se fait principalement la nuit. Alors oui, c’est vrai que sur ce territoire, la population Surnaturelle est plus importante qu’ailleurs, mais…
— Mais en journée, le gros des emmerdeurs préfère dormir ou faire profil bas. Je comprends ton idée. Continue… !
— C’est ça ! En journée, les éléments à problèmes sont moins nombreux. Et puis, je suis loin d’être incompétent : je sais me servir d’une arme à feu et je peux tout aussi bien me débrouiller sans.
— Rassure-moi, quand tu parles de te débrouiller… tu veux dire que tu sais te servir de tes poings ?
Il comprend, au regard qu’elle lui jette, que sa question est encouragée par son apparence. Malgré les dégâts causés par la pluie, il reste suffisamment bien habillé pour que l’on puisse douter de ses capacités à réagir en cas de confrontation musclée. En d’autres termes, il passe pour un fils à papa qui chercherait à s’encanailler.
— Je n’en ai sans doute pas l’air, mais… oui. Oui, je sais me défendre et j’ajouterai que prendre des coups ne me fait pas peur.
— Ce sera toujours mieux que Théodore.
Le concerné lui adresse un regard noir, auquel elle répond par un ricanement. Puis elle écrase son mégot dans le cendrier placé sur le bureau et croise les mains derrière sa nuque.
— Bah ! Pourquoi pas, après tout ? Je vais pas te mentir, t’es bien le seul à avoir répondu à mon annonce… à croire que travailler pour moi est la dernière chose qu’on souhaite dans le coin.
Mais elle semble encore hésiter et Jonathan est à court d’arguments. Quant à Théodore, il se borne au silence – attitude d’autant plus surprenante que son antipathie à son égard est évidente.
Elyza a levé les yeux au plafond, l’air songeur. Entre eux, un silence lourd, que trouble le tic-tac de l’horloge, ainsi que les cliquètements du radiateur.
— Il faut que tu saches que le métier de Gardien n’est pas de tout repos, continue-t-elle. Je t’ai dit que j’aurai besoin de tes services le jour, mais je pourrais également en avoir besoin au milieu de la nuit. Et puis, dans un cas comme dans l’autre, tu seras rapidement confronté à des trucs pas folichons. Tu te sens vraiment prêt à affronter ça ? J’veux dire… si la vue du sang ou de la barbaque te fait tourner de l’œil, autant que tu restes chez toi.
— Laisse-moi une chance, une seule, de faire mes preuves ! Je pense… non, je suis certain que tu n’auras pas à le regretter !
Il a mis toute l’assurance dont il est capable dans ces quelques mots. Elle le fixe, scrutatrice et, comme il soutient son regard, émet un claquement de doigts.
— C’est d’accord, on va te prendre à l’essai ! dit-elle, faisant se renfrogner un peu plus Théodore. Sois au bureau demain, dans la matinée : je verrai ce que je peux te faire faire.
Bien que l'histoire soit transposée dans un univers fantastique, on peut imaginer que ce rendez-vous d'embauche pourrait se passer dans le monde réel tant l'aventure de Jonathan sonne juste. Le début où tous ses efforts pour paraître bien habillé et coiffé sont anéantis par la pluie est une fois de plus visuellement super. J'ai bien aimé le fait qu'il se dise tant pis, j'y vais quand même ! même s'il n'a plus l'allure qu'il souhaitait. Au fond, il a bien raison !
J'attends de lire la suite mais ouf ! Jonathan est embauché, il a réussi :)
Merci pour cette lecture
Pour moi, toutes les conditions pour faire un bon premier chapitre sont remplies, je suis vraiment admirative. Le personnage principal est présenté avec humour, sans lourdeur, on est tout de suite impliqués dans son malheur et on le cerne assez vite, sa maladresse à laquelle on peut s’identifier le rend sympathique. Outre sa poisse apparente, c’est un personnage charismatique que tu nous laisse entrevoir. (Sans compter Théo et Elyza qui ont l’air d’être de beaux excentriques eux aussi !)
Les informations « saupoudrent » le récit, tout n’est pas présenté d’un coup, et c’est fait de manière habile, juste assez pour nous donner envie de connaître un peu plus cet univers.
Ça va vite, c’est fluide, tout ce qu’on demande à un premier chapitre, et on discerne à la fin les principaux enjeux qui vont suivre (et qui donnent tous envie de poursuivre la lecture) : les tensions entre Jonathan et Théodore (dont on devine tout de suite, rien qu’avec sa description, la véritable identité, bravo pour ça) ; le mensonge que le héros ne pourra pas garder indéfiniment ; la découverte du métier de gardien qui s’annonce riche en rebondissements…
Merci pour cette lecture (dont il faudrait en urgence que je prenne de la graine pour mes propres écrits ^^), hâte de connaître la suite !
Eh bien, un grand merci pour ce commentaire très complet ! Je suis content si mon style est parvenu à te plaire et si ce premier chapitre t'a paru convaincant. C'est que je ne me suis pas trop mal débrouillé, héhé ! (C'est toujours compliqué, les premiers chapitres.)
J'aime bien les personnages qui n'ont pas de chance, du coup je me suis bien amusé à mettre en scène Jonathan. Ravi d'apprendre que ça le rende sympathique, du coup !
Bonne chance à toi pour tes écrits et encore merci de ton passage. J'espère que la suite ne te décevra pas. :)