C’était le grand jour. Shy’r admirait le lever du Soleil, allongée à la surface de l’eau. La peau noire de son ventre gras se soulevait au rythme de sa respiration alors que sa queue glissait sur les vagues. L’Oracle lui avait indiqué le lieu et l’heure exacts du naufrage. Elle ferma les yeux un instant, laissant le vent glisser sur sa peau salée. Il était chaud, signe que la mort était proche.
Un cri la fit revenir à elle. Elle plongea et suivit le courant jusqu’à l’île la plus proche. Ses branchies rouge vif s’affolaient sur son cou. Elle devait agir vite. La proie devait être sienne.
Elle rattrapa vite le corps de l’humaine qui venait de couler et l’envoya s’échouer sur la plage. Pas de bois, pas d’arme, pas de vivres, pas de compagnon. Shy’r tressa sa longue chevelure verte comme la mousse et se glissa sur la rive, un sourire aux lèvres. En ce jour, elle ramènerait son humaine, mangerait sa chair et deviendrait divinatrice à son tour. Ses longs doigts griffus agrippèrent le cadavre qu’elle retourna aussitôt. C’était une femme dans la trentaine, à la chevelure rousse et au nez tordu. Sa main serrait un médaillon. Shy’r posa la sienne sur son poignet et s’adressa à elle d’une voix solennelle :
« Je vous honorerai. »
Puis, hésitante, elle déposa un baiser sur le majeur de la morte.
« Bas les pattes, monstre ! »
Le corps gisait toujours au sol. Pourtant la victime était debout devant elle, pointant un doigt accusateur dans sa direction. Elle avait la peau translucide et une voix puissante. Shy’r recula d’un bond et feula.
« Comment faites-vous ça ?
— Et vous, comment osez-vous profaner mon cadavre encore chaud ?
— Mais vous êtes morte !
— J’aimerais bien l’être, oui ! Et pourtant me voilà.
— Je ne comprends pas.
— Je suis devenue ce que je redoutais le plus. »
Ses mots moururent dans un murmure plaintif et la femme s’agenouilla sur le sable, fixant son cadavre d’un regard vide.
« Que comptez-vous faire de moi ?
— De vous ?
— De mon corps.
— Je vais le rapporter à mon village où nous ferons une cérémonie en votre honneur.
— Dites-moi la vérité.
— C’est ce que je fais.
— L’entière vérité. S’il vous plaît.
— Après la cérémonie, je mangerai la chair de votre ventre et boirai le jus de votre cœur.
— C’est affreux.
— De votre point de vue, certainement. »
Il y eut un silence. La femme releva la tête. Tous ses traits grimaçaient d’une douleur qu’elle aurait pensé cesser de ressentir en mourant.
« Pourquoi faites-vous cela ?
— Vous aviez le pouvoir dont j’ai besoin pour devenir divinatrice. Sans lui, j’aurais sacrifié bien trop d’années de ma vie pour rien. C’est tout. Rien de personnel.
— C’est pour cela que vous avez réduit mon navire en poussière ?
— Ce n’est pas moi qui ai fait ça.
— Pourtant ce sont bien les monstres de votre espèce qui coulent nos bateaux.
— Madame, ce sont mes sœurs qui vous ont tuée, pas moi.
— Quelle différence ?
— Mes ancêtres ont été contraints de migrer à cause des humains, vous ne me voyez pas vous accuser de toutes mes misères. »
Shy’r était droite et plantait ses yeux verts dans ceux de l’humaine qui secoua la tête. Elle qui avait été si douce de son vivant, la voilà en train d’accuser celle qui avait promis d’honorer son âme.
« Pardonnez-moi. Je viens de mourir, bon sang ! »
La femme se mit à pleurer à chaudes larmes. Des cris s’échappèrent de sa gorge. Shy’r s’assit à ses côtés sur le sable chaud.
« C’est si douloureux de me souvenir de ma vie… Je ne veux même pas savoir comment je l’ai perdue. »
La femme s’arrêta de pleurer et fixa l’horizon, perdue dans les vagues. Shy’r s’excusa et ne reçut d’autre réponse qu’un haussement d’épaules. Elles passèrent une heure l’une à côté de l’autre à observer l’océan dans un profond mutisme.
L’humaine brisa finalement le silence, aussi curieuse que déboussolée :
« Quel don mon corps vous apportera-t-il ?
— Un instinct comme on en croise rarement. Je l’ai senti lors de la dernière tempête. Vous avez été brave.
— Je n’ai pas vécu beaucoup plus longtemps... (Elle soupira et posa sa main tremblante sur le bras de la sirène.) Prenez-le. Après tout, je n’en ai plus grande utilité désormais.
— Je suis désolée.
— Je sais. Je le serais tout autant si vous deviez renoncer à votre rêve, je ne sais que trop bien ce que cela fait.
— Je reviendrai vous voir. »
Shy’r prit la main de l’esprit, embrassa son majeur et entraîna le corps au fond de l’océan.
En tout cas, j'apprécie vraiment la manière d'écrire.
Merci encore !
Me voilà comme promis. Et la suite me plaît beaucoup ! J'ai eu plaisir à suivre Shy'r dans ce chapitre, et je crois que je commence à voir un peu mieux quelles seront les thématiques de cette histoire ?
En tout cas, on en découvre un peu plus sur ton univers, lequel semble par ailleurs solidement construit. Tout y est : de la magie, des éléments mythiques, un conflit interespèce, une promesse d'évolution... C'est assez classique, mais je trouve que tu mènes l'ensemble avec un petit quelque chose en plus.
Après, c'est assez personnel, mais je trouve malgré tout qu'il y a beaucoup de dialogues. J'aurais parfois aimé en savoir davantage sur le contexte, les mouvements des personnages, leurs expressions, surtout qu'on est en début de roman, donc... J'aurais peut-être eu besoin de plus de repères pour être immergée encore un peu plus. Après, l'avantage des dialogues, c'est que c'est prenant et efficace.
Je vais me laisser embarquer dans la suite, en tout cas !
A bientôt, donc !
Je comprends totalement le manque de descriptions que tu perçois ! J'ai toujours peur de faire du remplissage ennuyeux, faut que je me soigne ahah
J'aime beaucoup (toujours), il y a pas mal de mystère mais on n'est pas non plus submergé de questions sans réponse, donc on peut suivre quand même.
Par contre, le dialogue est un peu étrange mais bon vu les circonstances, c'est presque logique. Donc voilà mon avis sur ce premier chapitre.
Oui j'ai essayé de rendre le dialogue gênant et un peu "décalé", je suis content que ça ait réussi même si j'ai peur d'en avoir trop fait ?