Chapitre 1
Un jour, Edana avait vu une petite fille hurler devant un feu. Elle s'était toujours demandé ce que ça faisait, d'avoir peur des flammes. Elle ne le saurait sans doute jamais. Tous les jours, Edana se promenait dans les rues de New-York pour trouver une rue grouillante de touristes. Une fois l'endroit choisi pour son spectacle, elle enfilait sa veste tressée en attendant que les gens s'approchent et la regardent avec peur et émerveillement. Des flammes dansaient dans leurs yeux écarquillés jusqu'au clou du spectacle. Alors, pour finir son numéro, Edana plongeait sa tête dans le feu. Tous les spectateurs étaient effrayés puis rassurés quand elle ressortait du brasier. Pour Edana, ce n'était que des petits picotements qu'elle ressentait. Les flammes ne l'effrayaient pas du tout, au contraire, elles la rassuraient et ce, depuis sa naissance. Naissance, qui, d'ailleurs, était toujours un mystère aux yeux de l'adolescente. Un groupe d'enfants de la rue l'avait découverte à l'intérieur d'une maison calcinée. Ils l'avaient alors recueillie pour en faire une apprentie artiste. Quand ils avaient découvert son don pour le feu, ils avaient doublé ses heures de travail et Edana était leur principale source d'argent. Parfois, l'adolescente rêvait de partir avec et d'aller à la recherche de ses parents. Elle en rêvait tellement qu'un jour, elle en avait parlé au chef de la bande. Ce dernier, Ethan, lui avait ri au nez et avait placé un enfant aux côtés de la jeune fille pour s'assurer qu'elle ne s'enfuirait pas. Edana ne comprenait pas Ethan, il s'appropriait tout l'argent et méprisait les autres adolescents du groupe. C'était le plus âgé, le plus fort et le plus intelligent. Il trouvait toujours un moyen de dissuader les autres de garder l'argent récolté. Mais Edana n'était pas dupe, chaque fois que l'occasion se présentait, elle mettait de l'argent de côté et s'achetait divers objets. Elle achetait le plus souvent des livres, des livres d'histoire, plus particulièrement des livres de mythologie grecque. C'était passionnant, elle avait fini par apprendre le grec ancien grâce à ses livres et cela lui avait pris seulement quelques jours. L'adolescent qui la suivait n'était pas bavard et il ne disait rien à Ethan sur ses achats personnels. Pour le remercier de sa discrétion, l'adolescente lui achetait du chocolat car il adorait ça. Comme il ne parlait jamais, Edana ne savait pas son prénom mais elle l'avait surnommé Albus - blanc en grec ancien - car il avait un teint très pâle et ses cheveux étaient presque blancs. Les journées d'Edana se résumaient à ça, elles ne changeaient jamais… Ce jour-là, l'adolescente alla à la librairie pour trouver de nouveaux livres. Ensuite, elle se dirigea vers le repère de son groupe. C'était une ruelle sombre et étroite. Des draps étaient suspendus dans les airs et faisaient office de couchettes. Les occupants des draps étaient classés en fonction des années qu'ils avaient passées ici et Edana était presque au sommet puisqu'elle avait maintenant atteint ses quinze ans (quatorze ans vécus avec les orphelins). Elle pouvait donc observer ses frères et sœurs dormir et ça la réconfortait quand elle n'arrivait pas à faire de même. Les enfants avaient décidé de s'appeler comme des frères et sœurs puisque c'était ce qui se rapprochait le plus de ce qu'ils étaient. Dans le drap d'en dessous de celui d'Edana, une petite fille y était assise. Elle n'avait que sept ans et elle était trop jeune pour faire des spectacles dans les rues. C'était Edana qui avait insisté car elle la protégeait comme si c'était sa petite sœur. La fillette avait la peau sombre, des cheveux crépus et des yeux caramel qui tremblaient sous ses paupières quand elle dormait. Comme elle était orpheline, personne ne savait son prénom alors Edana l'avait prénommé Kafe, marron en grec ancien. Edana, elle, avait décidé de son prénom grâce à la flamme qui brûlait dans son regard brun. Un jour, Ethan le lui avait fait remarquer et Edana avait donc répliqué qu'elle pouvait au moins choisir son prénom. L'adolescente grimpa jusqu'à son drap. Comme à son habitude, Kafe l'attendait pour discuter.
- Devine ce que je t'ai ramené ?
Edana garda la main dans le dos et la fillette tenta de deviner.
- Des bonbons ?
- Non.
- Du chocolat ?
- Non.
D'ordinaire, Edana lui rapportait des friandises.
- Du beurre de cacahuète ?
Edana sourit.
- Mieux que ça.
- Mieux que ça ?! Comment c'est possible ?
Elles rirent. La fillette adorait le beurre de cacahuète.
- Je te montre ?
Kafe battit des mains.
- Oui !
Edana lui révéla une robe blanche avec des petits citrons et un col. Kafe écarquilla les yeux. Elle adorait les habits mais puisqu'Ethan gardait tout l'argent, la petite fille ne pouvait pas s'acheter de nouveaux vêtements. Néanmoins, elle trouvait parfois des bouts de tissu abandonnés et travaillait d'arrache-pied pour préserver son apparence. Edana, elle, ne trouvait pas que Kafe avait besoin de nouvelles tenues pour être belle mais elle voulait surtout lui faire plaisir.
- Oh, Edana ! Merci !
Les larmes aux yeux, la fillette se blottit dans ses bras. Elle cala sa tête contre son cou. Soudain, elle s'écarta brusquement.
- Et si Ethan l'apprenait ? On n'a pas le droit de garder de l'argent ! Je refuse de te laisser prendre des risques ! Tu imagines si tu es bannie de notre groupe ?
- Calme toi, Kafe… Si tu n'acceptes pas mon cadeau, cela n'aura servi à rien…
Malgré sa moue boudeuse, Kafe ne se fit pas prier et attrapa la robe.
- Je vais l'enfiler !
Quand Kafe disparut derrière la porte du cabanon qui faisait office de toilettes, Edana escalada jusqu'au drap du dessus. Elle eut à peine le temps de soupirer de fatigue qu'une voix sifflante l'interpella.
- Edana, viens.
La jeune fille obéit et monta jusqu'à la couchette d'Ethan.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Malgré le mauvais caractère d'Ethan, Edana ne se voyait pas lui parler méchamment. C'était quand même celui qui était là depuis le plus longtemps et qui prenait soin du confort de tous les orphelins. Ethan tendit la main et Edana déposa l'argent récolté de cette journée. L'adolescent siffla, impressionné.
- Tu as gagné tout ça aujourd'hui ?
- Oui.
En vérité, elle en avait récolté plus mais elle mettait de l'argent de côté. Ethan se rapprocha imperceptiblement.
- Tu sais, Edana, je sais que je te l'ai déjà dit mais je…
Edana leva une main et le stoppa net.
- On en a déjà parlé…
L'adolescent avait des sentiments pour elle qui n'étaient pas réciproques. Edana aurait aimé ne pas lui faire de peine et lui dire l'inverse mais c'était compliqué… Ethan n'était qu'un frère pour elle et l'adolescente ne lui trouvait pas le caractère qu'elle voulait… Edana recherchait quelqu'un comme elle, doux et réconfortant ce qui était tout le contraire d'Ethan.
- Mais pourquoi ?! Je ne parle pas de se marier, quand même !
Edana soupira.
- Pour moi, c'est presque la même chose. Je ne veux pas de quelque chose d'instable et court.
Pour le plus grand plaisir de l'adolescente, Kafe choisit ce moment pour l'interpeller.
- Bon, j'ai l'impression que Kafe a besoin de moi…
Et elle descendit rapidement les trois "étages" pour rejoindre le sien. Elle fit alors un câlin à Kafe pour l'avoir sortie de cet embarras.
- Merci, Kafe. Je ne voulais pas lui faire de mal en lui brisant tous ses espoirs…
La fillette haussa les épaules.
- Pas de problème. Il est parfois très insistant.
Edana préféra en rire.
- Oh ça oui !
Kafe s'allongea.
- Bon, ce n'est pas que je n'aime pas discuter mais j'aimerais bien dormir.
Elle lissa sa robe et Edana la complimenta sur celle-ci. Kafe la remercia encore pour ce cadeau puis elles s'installèrent pour dormir. Malgré le fait qu'elle ait son drap, Kafe dormait presque toujours avec l'adolescente. Elle n'avait pas toujours eu un lit et s'était habituée à dormir aux côtés de sa sœur. Edana l'embrassa sur le front.
- Je t'aime Kafe.
- Moi aussi, Edana. Même si je serais toujours jalouse de tes cheveux !
Elles rirent. Kafe enviait les cheveux bruns et bouclés de l'adolescente alors que les siens étaient emmêlés et impossibles à dompter. Edana se sentait bien, ici, contre une personne qu'elle considérait comme sa sœur. Elle se promit de prendre toujours soin de Kafe et s'endormit quelques secondes après.
Au réveil, Edana remarqua que Kafe était retournée dans sa couchette. Elle alla dans les toilettes et s'habilla avec les habits qu'elle avait mis à sécher : une chemise marron, un jean et des baskets. Ensuite, Edana attrapa son sac à dos et alla voir Ethan pour lui dire qu'elle allait dans les rues. Quand elle ne fut qu'à quelques mètres, elle se ravisa. Il valait mieux le laisser tranquille après leur dispute. Edana se mit alors en route pour trouver un endroit populaire. Après quelques minutes de marche, elle arriva à Central Park et posa son sac sur l'herbe. L'adolescente enfila sa veste tressée avec du rouge, du orange et du jaune pour éveiller la curiosité des passants. Ensuite, elle grimpa sur sa petite estrade pour être plus haute que les spectateurs. Edana se mit à jouer avec des cerceaux enflammés au fur et à mesure que les curieux approchaient. Elle aimait ça, elle aimait produire ses spectacles mais elle n'aimait pas ce sentiment d'emprisonnement. Ethan l'empêchait de faire ce qu'elle voulait, explorer le monde et ça, elle n'aimait pas du tout. L'adolescente canalisa sa frustration et réussit quelques figures. Les touristes étaient de plus en plus nombreux et le seau contenant l'argent se remplissait. Ses mouvements se firent plus rapides et peu d'yeux réussirent à les regarder sans avoir le tourni. Edana arriva enfin à son moment préféré.
- Vous en voulez encore ?! cria-t-elle à la foule
Des acclamations lui répondirent. Elle sourit ; le moment qu'elle préférait arrivait enfin.
- Très bien.
Elle attrapa une allumette, la craqua et créa un feu qui gagna en puissance.
- Vous êtes prêts ?!
Tout le monde applaudit et elle se lança. Sa main passa en premier à travers les flammes, puis son bras puis tout son corps. Des fourmillements lui traversèrent le corps et l'adrénaline s'empara d'elle. Elle fit quelques pas de danse dans le feu puis ressortit sous les tonnerres d'applaudissements. C'était surtout les enfants qui étaient impressionnés, les parents, eux, croyaient à un subterfuge. Des pièces et des billets remplirent le seau à rabord.
- Excusez-moi ?
Edana se retourna pour regarder l'homme qui se tenait devant elle.
- Comment vous appelez-vous ?
Edana réfléchit et scruta le jeune homme en quête d'indice d'honnêteté. Il devait avoir à peine dix-huit ans et n'était pas très joli. Il était très grand et maigre, son sourire était de travers et il avait des yeux perçants.
- Annie.
Edana avait du mal à mentir mais cet homme n'y vit que du feu.
- Très bien, Annie. Je voulais vous faire une proposition.
Piquée par la curiosité, Edana l'encouragea à poursuivre.
- Allez-y.
Le grand homme se racla la gorge puis poursuivit.
- Vous n'avez pas l'air d'être dans une situation financière aisée. Pourtant, avec votre talent, vous pourriez gagner beaucoup plus d'argent. C'est pourquoi je vous propose de vous joindre à moi et à mon équipe pour faire des spectacles à travers les États-Unis. Nous avons beaucoup de succès mais notre cracheuse de feu a démissionné et nous en recherchons une.
Edana en resta bouche bée. C'était la chance de sa vie. Soudain, le visage de Kafe lui vint en mémoire.
- Si j'accepte, pourrais-je emmener avec moi une personne ?
Une moue dubitative remplaça le sourire de travers du jeune homme.
- Quel âge a cette personne ?
- Sept ans et c'est une fille.
L'homme parût hésiter.
- A-t-elle quelque chose de spécial ?
- Elle s'y connait très bien en vêtements. Elle saurait sans doute manier une aiguille avec un peu d'apprentissage…
L'homme la stoppa d'une main.
- Nous avons déjà une couturière. Alors, Annie…
Il se pencha légèrement vers l'adolescente et la scruta.
- Soit vous restez avec cette personne, soit vous partez pour une vie meilleure mais sans elle. Quel est votre choix ?
Edana avala difficilement sa salive.
- Je… J'ai besoin de temps pour réfléchir…
L'homme parût satisfait.
- Bien. Quand vous l'aurez fait, venez me voir dans mon bureau. Voici ma carte. dit-il en lui tendant une carte dorée À la prochaine, Annie.
Il partit aussi vite qu'il était venu. Edana remballa ses affaires en réfléchissant à sa proposition. Comment être sûre qu'il était bienveillant ? Comment allait-elle choisir entre Kafe ou sa carrière ? Le monde était injuste !