Ce matin, je suis sous tension.
Je le suis toujours à chaque rentrée scolaire, et ce malgré les multiples techniques d’anti-stress conseillées par ma mère. Aucune n’a fonctionné. Et pour enfoncer le clou, j’arrive dans un nouvel établissement – comme c’est original – j’ai opté pour celui-ci au préalable sans laisser le choix à maman.
— Tu es sûr Meghan ? m’a-t-elle demandé lors de la visite du lycée, en août dernier.
— Certaine !
— Ma chérie, c’est très élitiste ici et je te connais, tu ne supportes pas la pression.
Elle avait peut-être raison ce jour-là, mais au fond de moi, cette décision me convenait. J’avais oublié un détail dans tout ça : le stress de la rentrée. Hier soir, en songeant à ce nouveau départ, je me suis mise à me ronger les doigts. Même maintenant, tandis que nous arrivons au dernier carrefour me séparant du lycée.
Maman ralentit au feu rouge, et en profite pour jeter son ultime carte pour me calmer :
— Tu n’as aucune raison de t’inquiéter ma puce, tout va bien se passer, j’en suis sûre !
— C’est facile à dire pour toi, tu n’atterris pas dans un endroit inconnu !
— C’est toi qui as choisi cette école, je te rappelle. Et arrête avec tes doigts, tu vas attraper un panaris si tu continues !
Maman me prend les mains après avoir ajusté ses lunettes de soleil sur son nez.
— Ce n’est pas la mort de changer d’établissement, et tu ne seras pas la seule nouvelle élève ! Tu verras, dans quelque temps, tu n’y penseras plus !
Je me trouve ridicule en voyant mon reflet de petite fille apeurée dans ses verres, alors je détourne les yeux. Elle se penche vers moi et m’embrasse sur le front, les mèches blondes échappées de son chignon me chatouillent le nez. Ma mère me propose de m’accompagner jusqu’au portail, mais je refuse, je ne veux pas me faire remarquer.
Dix minutes plus tard, après une énième tentative pour me rassurer, je vois la Clio rouge de maman s’éloigner dans la rue. Elle m’adresse un geste de la main avant de disparaître à l’angle d’une maison. J’inspire plusieurs fois, l’estomac noué, et me décide enfin à faire face à l’Institut des Arts Élémentaires. Les grilles grandes ouvertes, j’ai un aperçu de la foule amassée dans la cour. Le brouhaha des conversations me donne envie de prendre mes jambes à mon cou. Le toit en ardoise du lycée brille sous la lumière aveuglante du soleil. Je plisse les yeux, une main en visière. Mon attention est attirée par une ombre étrange sur ma gauche. Au début, je pense que ce sont les contours des arbres projetés, mais en relevant la tête, c’est la douche froide.
Ses longues griffes accrochées au faîte du bâtiment principal, et ses ailes repliées dans son dos, la gargouille a le regard perdu dans le vide.
N’importe qui se dirait :
— C’est normal, ça fait partie de l’architecture gothique !
Dans mon cas, ça veut dire que l’une de mes visions est en train de se réaliser. À une différence près : ladite gargouille fondait sur la foule pour m’attraper.
Je n’aime pas ça. D’abord parce que mes prémonitions ne sont jamais de bons augures. Et surtout car je suis certaine qu’elle n’était pas là lors de la visite de l’établissement.
Je reste immobile, je m’attends à la voir bouger, mais elle ne fait aucun mouvement. Elle me nargue. Comment a-t-elle atterri ici ? Je secoue la tête, agacée par sa présence, et aussi d’avoir pris au pied de la lettre l’une de mes trop nombreuses prédictions. Bien décidée à me moquer de la statue, je franchis le portail, lui jetant un regard de défi au passage.
Depuis mon enfance, un « don » de clairvoyance rythme mon quotidien. Le problème avec cette capacité incroyable, est son imprévisibilité. Jamais positives, mes visions débarquent à n’importe quel moment, le jour comme la nuit. Au début, ça tournait autour de catastrophes naturelles, avec des morts ensevelis sous la terre ou entassés sur les côtes maritimes. Ces derniers temps, c’est moi le sujet principal de mes prémonitions, dans lesquelles je suis poursuivie par des bêtes difformes ou piégée par des êtres étranges. Je n’arrive pas à voir leurs visages, aussi le danger est palpable, je n’ai aucun répit. Forcément, j’en ai parlé à ma mère et à ma tante, car elles tiennent une boutique dont les produits servent à l’occultisme et la spiritualité. Leurs explications sont toutes revenues au même point : ce ne sont que des métaphores.
Je m’attendais à mieux comme conclusion, puisqu’elles semblaient en connaître un rayon sur le sujet, mais j’ai fini par laisser tomber. Je vais me débrouiller avec mon « don », après tout, je n’ai pas trop le choix.
Je fais tournoyer ma bague en argent autour de mon index, de plus en plus nerveuse, au fur et à mesure que je me rapproche de la foule. Je prends sur moi en me mêlant à celle-ci, et je cherche un point sur lequel me concentrer pour repousser mon stress. Je détaille de nouveau le bâtiment en forme de U qui me fait face, devant lequel est installé une estrade. Les professeurs présents discutent entre eux, un gobelet à la main. Ils balaient quelque fois la foule d’élèves de leurs regards perçants, comme s’ils essayaient de déterminer lesquels d’entre nous vont leur compliquer la tâche.
Soudain, une femme, au chignon strict, s’éloigne de ses collègues et s’avance vers le micro.
— Bonjour tout le monde ! Je vous enjoins à vous rapprocher, s’il vous plaît !
Même si le ton de sa voix est bienveillant, son autorité naturelle impose un silence respectueux.
— Bien, maintenant que j’ai votre attention, je vais demander aux étudiants de secondes de se rendre directement dans la chapelle. Vous rencontrerez le directeur de l’établissement avant d’être réparti dans vos classes attitrées. Je compte sur vous pour suivre les panneaux ! Quant aux élèves de premières…
La chapelle ? Ah, c’est donc pour ça la présence de la gargouille, mais étrange emplacement, ne devrait-elle pas se trouver au-dessus de ladite chapelle ?
À moins qu’elle ne soit vivante.
Je suis parcourue de frissons, et me risque à jeter un coup d’œil autour de moi. Rien à signaler !
Emboîtant le pas aux autres élèves, je me dis que la décision du proviseur est un peu spéciale. Dans le collège où j’ai été scolarisé, on se rendait à l’église uniquement pour les fêtes cultuelles, comme Pâques, Noël et quelques-unes dont j’ai oublié les noms. Jamais pour un discours de bienvenue. Mais c’est sans doute l’endroit idéal pour amplifier sa voix, gare aux inattentifs !
La chapelle est accolée au bâtiment principal, en plein dans son centre, et ses deux grandes portes en bois sont ouvertes. J’hésite à entrer.
Je ne suis pas amatrice de religions, à vrai dire, plus elles sont loin de moi et mieux je me porte ! Quand on naît dans une famille où les exorcismes et les prières de protections sont monnaie courante, on sait d’avance que les lieux de cultes peuvent avoir été profanés. La plupart du temps, je me fie à l’intuition de ma mère ou celle de ma tante, et maintenant je dois me faire confiance.
Quelle énorme blague ! Mon instinct quasi inexistant m’empêche d’affûter mes ressentis. Alors me concentrer sur de potentiels dangers est un pari perdu d’avance. Pourtant, je décide de me jeter à l’eau, j’entre et je m’installe vers les dernières rangées, trop intimidée pour oser m’asseoir à côté des autres adolescents.
À peine mon sac à dos posé à mes pieds, les discussions baissent d’un volume à l’arrivée des adultes. Je les ai aperçus dans la cour, mais j’ignore lequel des quatre est le fameux directeur. Ma réponse ne tarde pas à arriver quand le plus bedonnant d’entre eux s’avance devant l’autel.
Le silence finit par régner, tous les yeux tournés vers le proviseur.
— Bienvenue à tous ! Même si certains d’entre vous me connaissent déjà, je tiens à me présenter aux nouveaux. Je suis Étienne Sylvestre, proviseur de l’Institut des Arts Élémentaires. Bien sûr, ceux ayant choisi l’option TP3, vous m’aurez comme professeur deux fois par semaine dans la bibliothèque, qui se situe au premier étage.
Il jette un regard circulaire sur son auditoire.
— Avant de poursuivre mon discours, je vais demander aux quatre dernières rangées de bien vouloir avancer pour combler les places manquantes.
Je me lève, gênée d’être soudain le centre d’intérêt, et trouve un siège à côté d’un groupe de filles, trop occupées par leur conversation pour me calculer.
— Bien, je ne compte pas vous apprendre grand-chose quant aux attentes de cet établissement. Vous avez un an pour vous préparer à votre rite de passage, cependant votre attention sera mise à l’épreuve dès le premier trimestre de l’année de seconde. Si vous suivez en classe, vous n’avez aucune raison de vous inquiéter pour vos résultats. Dans le cas contraire, je vous souhaite bonne chance pour vous rattraper. Vous pouvez faire autant de fiches personnelles, ça ne changera rien si vous avez décidé de ne pas vous investir.
Mr Sylvestre sort un trousseau de clés de son pantalon bleu marine et le tend devant lui, son index et son pouce repliés sur l’une d’entre elles.
— Un élève indifférent à sa propre réussite n’aura aucun impact sur sa classe, alors que tout un groupe…
Il laisse tomber le porte-clés, le bruit se répercute dans le silence.
— C’est une perte d’investissement pour notre corps professoral et pour moi-même. Ce qui compte le plus c’est que le succès soit au rendez-vous. Ne vous reposez pas sur vos lauriers et surtout, sortez de votre zone de confort, c’est comme ça que vous découvrirez votre vraie valeur.
Il ramasse le trousseau tout en énumérant les dates festives, religieuses comme celles dédiées à des productions musicales et artistiques, je n’en retiens aucune par manque d’intérêt.
— Mesdemoiselles, ce que vous avez à dire doit être fort passionnant, soupire-t-il en se tournant vers mes voisines. Je vous en prie, partagez-nous votre avis.
Elles deviennent cramoisies de honte. Je me mords la joue intérieure pour ne pas sourire. D’autres adolescents s’en chargent pour moi, ils ont l’avantage de ne pas être vus par le proviseur.
Près de l’autel, l’un des adultes, le plus svelte, s’approche de Mr Sylvestre après avoir consulté son téléphone.
— Monsieur, je crains qu’il y ait un imprévu.
Il lui montre l’écran et le directeur s’excuse auprès de nous.
— Je vous laisse le soin de répartir les élèves par classe, dit-il à son collègue.
Puis il ajoute à notre attention :
— Vos professeurs seront là pour vous guider tout au long de votre parcours, mais mon bureau vous sera toujours ouvert, quel que soit le motif. Sur ces mots, je vous souhaite une bonne rentrée scolaire.
Dès sa sortie, des chuchotements s’élèvent dans la salle. L’homme qui a interrompu Mr Sylvestre se racle la gorge.
— Pardonnez-moi de cette intervention, mais le discours n’est pas terminé, donc aucun commentaire n’est toléré.
Il lance un regard sévère en direction des plus bavards.
— Je me présente, je suis Hippolyte Duval, l’adjoint du directeur. Bien, reprenons là où il s’était arrêté. Avant de vous affecter à vos classes respectives, je tenais à vous informer qu’une semaine d’intégration aura lieu dans quinze jours. Pour ceux ne sachant pas ce que c’est, je ne vais pas passer par quatre chemins : il s’agit d’accueillir les étudiants et de les amener à créer des liens entre eux. Bien sûr, pour que vous appreniez à vous connaître, des activités seront mises en place et vous serez répartis par chambre.
Il jette à peine un coup d’œil à une main levée et poursuit son monologue :
— Des parents d’élèves pourront bien évidemment participer à cet évènement.
Si Mr Sylvestre m’a paru intransigeant au premier abord, ce n’est rien, comparé à la froideur de son adjoint. Je n’oserais pas lui chatouiller les narines, même si l’on me le demandait.
— Maintenant que tout est dit, vous allez être appelé par vos professeurs principaux avant d’aller récupérer vos manuels scolaires. Nous allons commencer.
Je fais de nouveau tournoyer ma bague autour de mon index, mon attention est focalisée sur les élèves qui se lèvent les uns après les autres lorsque leurs noms sortent.
D’ailleurs, parmi ceux toujours assis, je remarque une fille aux cheveux verts, ses yeux fixés sur moi. Elle me dit vaguement quelque chose. Je l’ai peut-être croisée quelque part, pourtant, aucun souvenir ne me vient. Quand elle se met à sourire, je balaie les sièges autour de moi et je me rends compte qu’il m’est adressé. Je lui réponds par un geste timide, que faire d’autre !
— Meghan Arkyn… Lysian Athalion…
Je me lève aussitôt en attendant mon nom, et m’approche d’un homme aux cheveux si courts que je demande pourquoi il ne s’est pas carrément rasé le crâne. J’écoute à peine l’appel, car je suis trop occupée à regarder si la personne qui m’a salué sera dans ma classe.
Même si je ne sais pas qui elle est, je me sens moins seule, quand elle finit par rejoindre le petit groupe formé autour de notre nouveau professeur.
Merci Sagalee06
Gardar
Et oui, les chapitres sont longs, désolé 😅
À bientôt Gardar !
Gardar
J'ai bien aimé ce premier chapitre. L'introduction en mode rentrée n'a rien de révolutionnaire mais tu l'as vraiment bien réussie ! Et la petite originalité, c'est le côté un peu mystique, magique qu'on peut déjà deviner dans l'esprit de la narratrice et dans l'école.
La scène du discours aide bien à s'imaginer le décor en tant que lecteur. J'ai beaucoup aimé le dialogue entre Zoé et Meghan, notamment la réplique sur la religion. Tu ne pousses pas plus de ce côté là mais on devine que cet enjeu va revenir. Je suis aussi curieux d'en savoir plus sur la mère de Meghan et sa boutique, ainsi que sur les étranges visions qui la prennent.
Mes remarques :
"Jamais pour un discours de bienvenu." -> bienvenue
"Le silence fini par régner," -> finit
"Vous avez beau avoir un an devant vous avant les premiers examens du baccalauréat," je pense que tu peux couper le "devant vous"
"il faudrait qu’il pense à changer d’endroit, ils pensent en ce qui concerne le respect et la tolérance zéro !" je pense qu'il faut couper le "zéro" ou changer la formulation
"— Un problème Pierrick ?" virgule après problème ?
"Ma mère a déjà été scolarisé ici" -> scolarisée
Un plaisir,
A bientôt !
Merci beaucoup pour ton commentaire, et surtout d'avoir lu ce premier chapitre ! Ça m'encourage beaucoup pour la suite !
Haha je savais que l'idée n'avait plus rien d'originale mais j'ai essayé de sortir des sentiers battus pour y mettre ma pâte 😅 Évitons les clichés haha ! En tout cas, si ça peut te rassurer, je vais bien y venir petit à petit sur les croyances (elles ont leur importance comme tu as pu le constater dans l'introduction), la boutique un peu spéciale de sa mère et les visions de Meghan ! J'ai hâte de partager la suite !
Merci pour tes remarques je vais rectifier cela ! Par contre, je ne comprends pas trop pour celle de la virgule 🤔 Ou alors me suggères-tu de ne pas en faire une question ?
À bientôt !
Pour la virgule, ma suggestion c'est de mettre :
Un problème, Pierrick ? En général, je mets une virgule avant un prénom dans un dialogue. Dis-moi si c'est bien clair (=
A bientôt !
Je rigole, évidemment, prends tout ton temps ! Je voulais juste commenter pour dire que j'aime beaucoup ton histoire et qu'elle m'intrigue énormément. J'ai hâte de pouvoir lire le prochain chapitre et je t'encourage fort à continuer et à ne pas baisser les bras.
Si à un mot tu doutes, rappelle toi que je suis là pour te lire !
Sur ce, bonne soirée, et entretiens bien ta plume, elle est si belle !
Si ça peut te rassurer, la suite ne saurait tarder :)