Maintenant que je la vois de plus près, son visage m’a l’air familier. Je m’apprête à lui demander si l’on se connaît, mais on me coupe l’herbe sous le pied.
— On va poireauter longtemps ? se plaint une voix féminine.
— T’as déjà envie de rentrer chez toi ? renchérit une fille à la peau ébène, visiblement agacée par son impatience. C’est dommage, hein ? On doit encore attendre nos camarades de classe.
La blonde lui adresse un regard mauvais, mais ne lui répond rien. Bon, j’en connais au moins deux qui ne s’apprécient pas.
— Franchement, ils nous ont ressorti le même discours, il faudrait qu’ils pensent à changer d’endroit, poursuit la geignarde.
— On s’en fiche de ton avis, Solange, la rembarre aussitôt son interlocutrice.
— Si on m’avait dit qu’une dispute de filles allait commencer le jour de la rentrée, je serais restée chez moi, se plaint un garçon aux épaisses boucles cuivrées. Sérieux, vous ne pouvez pas régler vos comptes une autre fois ? Là, vous foutez une ambiance de merde, ça donne un aperçu de ce que ça va être cette année avec vous deux.
La fameuse Solange se tourne aussitôt vers lui :
— Je ne t’ai pas sonné, d’accord ? Alors, ferme-là.
— Je t’emmerde, réplique-t-il en lui adressant son majeur.
— Bon, ça suffit ! s’exclame sèchement notre professeur. Vous voulez que je sévisse dès le premier jour ? Un peu de respect, s’il vous plaît !
Son intervention fait taire les protestations des trois bavards, malgré les marmonnements du garçon.
— Un problème, Pierrick ? lance l’adjoint du directeur.
— Rien de très pertinent, répond celui-ci avant de s’adresser à nous. Bien, maintenant que les choses soient claires : vous allez tous me suivre en silence jusqu’à la Maison des Lycéens, où nous allons récupérer vos manuels scolaires. Si j’entends la moindre remarque, cette journée promet d’être plus longue que prévu pour tout le monde !
Son attention se porte sur le trio concerné. Cinq minutes plus tard, nous sortons enfin de la chapelle. Des messes-basses résonnent dans le couloir malgré l’avertissement, mais ils cessent après un simple regard de l’enseignant.
Comme des élèves sont déjà dans la salle, se trouvant sous le réfectoire, nous attendons dehors. Notre professeur se met alors à s’entretenir avec son collègue, dans l’entrebâillement des doubles portes vitrées, et en voyant quelques-uns de mes camarades discuter entre eux, il les observe un instant, ses yeux noirs passent d’une tête à une autre. A u final, il ne fait aucun rappel et continue sa conversation.
— Tu espérais mieux qu’un crêpage de chignon comme accueil, pas vrai !
Mon attention se porte sur la voix de mon interlocutrice. La fille aux cheveux verts se tient à ma droite, elle dévisage les deux nanas de tout à l’heure, qui se regardent en chien de faïence. Chacune de leur côté, elles parlent à leurs copines respectives.
— Ça arrive souvent ? m’étonnais-je.
— Entre elles, tu veux dire ? Ouais, de temps en temps, mais elles finissent toujours par se réconcilier avant le weekend.
Elle hausse les épaules avant de se tourner vers moi.
— Alors, pourquoi as-tu choisi ce lycée ?
— La religion…, disais-je dans la précipitation. J’sais pas pourquoi je t’ai dit ça, c’est sorti tout seul.
Elle reste perplexe avant d’éclater de rire.
— Celle-là, on ne me l’a jamais faite ! s’exclame-t-elle avant d’interpeller la fille à la peau ébène. Hé, Jelen, tu ne vas pas en croire tes oreilles !
La fameuse Jelen me lance un regard en écoutant son amie, avant d’esquisser un sourire.
— La religion, vraiment ? me dit-elle. Je n’y aurais jamais pensé !
Je hausse les épaules, je ne sais pas quoi ajouter de plus. Jelen reporte de nouveau son attention vers l’une de ses copines, tandis que la fille aux cheveux verts réitère sa question.
— Ma mère était scolarisée ici, admis-je. Une histoire de famille en somme. Elle a adoré ce lycée, ça m’a donné envie de tenter ma chance.
— Donc tu as choisi de ne pas suivre tes amis ?
— Le déménagement dans le coin l’a fait pour moi.
— Bienvenue parmi nous ! Au fait, je m’appelle Zoé.
— Meghan. Tu as toujours étudié ici ? demandais-je à mon tour.
— Pas du tout, je suis scolarisée depuis la sixième. Solange et les deux garçons là-bas, sont inscrits dans cette école depuis la maternelle. Jelen est arrivée après moi.
Zoé m’explique que bon nombre des parents d’élèves sont passés à l’Institut des Arts Élémentaires, et poussent leurs enfants à prendre le même chemin. Je suis heureuse d’avoir eu le choix de suivre les traces de ma mère.
Inconnu au bataillon avant que je pointe le bout de mon nez, je ne connais pas mon père. Malheureusement, maman n’arrive pas à parler de lui, j’ai beau tenter de lui soutirer des informations, elle se renferme sur elle-même. Ironique quand on sait que je tiens de lui mes cheveux noirs et mes yeux noisette, ma mère, elle, arbore une beauté nordique. J’aurais aimé ressembler à ma famille maternelle, mais le sort en a décidé autrement.
Après m’avoir briefé sur nos camarades – je risque de lui redemander en cas de doute —, Zoé me demande :
— Tu aimerais être ma voisine de table ? À moins qu’un plan de classe ait déjà été établi, soupire-t-elle. Ce ne serait pas étonnant de la part de Mr Brachet, il est réputé pour remanier les places quand il en a marre de certains élèves.
— Du moment où il ne nous envoie pas chez l’adjoint du directeur, ajoutais-je.
— Oh quelle horreur !
— Au fait, sympa, ta couleur de cheveux !
Zoé balaie d’un revers de main une mèche devant ses yeux avant de me glisser :
— C’est une teinture qui a mal tourné… T’aurais dû voir la tête de ma mère, j’ai cru qu’elle allait me tuer.
Nous échangeons un sourire. Mr Brachet, notre professeur principal, nous appel pour nous prévenir d’aller chercher nos manuels scolaires. Forcément, c’est par ordre alphabétique, sinon ce n’est pas drôle.
Je suis la première à entrer dans la MDL, moins stressée maintenant que j’ai noué un premier lien. Je m’avance vers le bureau, derrière lequel la femme au chignon strict se tient droite comme un i, en compagnie de deux autres adultes. Des surveillants sans doute.
— Meghan Arkyn, annonce-t-elle sans émotion, les yeux baissés sur une fiche. Options Histoires des Arts et Langues Anciennes.
Comme je ne réponds pas, elle relève la tête et pose sur moi un regard perçant. De plus près, elle est encore plus intimidante. Aucun cheveu ne dépasse de son chignon, ses vêtements sont tirés à quatre épingles et surtout, son visage est tellement tendu que je suis incapable de savoir si elle est jeune ou non.
— Vous n’aviez pas pris d’autres options ? me dit-elle, d’un ton péremptoire.
Je jette un coup d’œil à la pile de livres devant moi.
— Non, répondis-je d’une petite voix.
— Vous pouvez récupérer vos manuels.
J’ai à peine le temps de ranger mes livres dans mon sac, que le garçon derrière récupère déjà les siens.
— Langues Anciennes ? s’étonne-t-il en jetant un coup d’œil à l’un de mes ouvrages.
— C’est si étonnant que ça ?
— C’est un mélange de Latin, de vieux Grec et de celtique. Ça ressemble à de la sorcellerie.
Avec ses cheveux blonds tressés et sa casquette à l’envers, le garçon pourrait être mannequin pour vêtements d’adolescents. Son apparence androgyne contraste avec ses habits masculins.
— Je pourrais te jeter un sort, lançai-je sans réfléchir.
Je referme la bouche. Mal à l’aise d’avoir dit ça, je m’empresse de quitter la salle. Il me regarde partir, avec un sourire en coin.
— Ça va ? On dirait que tu as vu un fantôme ! me fait remarquer Zoé. À moins que la dragonne s’en ait pris à toi le premier jour…
— Je crois que je viens de faire du rentre-dedans à un de nos camarades de classe, avouais-je.
— Déjà ? Eh bah ! Tu ne perds pas de temps ! s’amuse Zoé. Qui ça ?
— Je n’en sais rien, je ne connais pas son nom ! Tout ce que je sais, c’est que son nom est après le mien sur la liste.
Je croise son regard surpris, un sourire amusé se dessine sur ses lèvres.
— Tu as dragué Lysian Athalion ! lance-t-elle, ses yeux verts cherchant le principal intéressé. Nom d’un chien, quand Jelen va apprendre ça…
— Non Zoé… !
— Apprendre quoi ? intervient la concernée, déjà près de nous.
Je ne l’avais pas vu venir, ou alors elle était déjà là quand je suis revenue.
— Meghan ici présente a dragouillé avec Lysian, murmure Zoé en gloussant.
— Tu plaisantes !
Jelen me regarde de la tête aux pieds, elle semble se demander d’où me sort ce culot.
— Si c’est ton petit-ami, je suis désolée…, commençais-je à marmonner.
— Du calme la nouvelle, je ne suis pas intéressée par les planches à pain, rétorque celle-ci en croisant les bras. Mais si ça peut te rassurer, ça m’arrangerait s’il pouvait se concentrer sur toi.
Zoé pose son coude sur mon épaule, elle me désigne Lysian sortant de la MDL. Quand je croise son regard, je le détourne assez vite pour jeter un coup d’œil à la première chose qui croise ma route, à savoir… le regard de Mr Brachet, ses sourcils froncés. Je rougis de plus belle. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit lui !
— Jelen et Lysian font partis des meilleurs élèves, et jusqu’ici, c’est toujours lui qui a remporté les louanges en premier, me confie Zoé. Et elle aimerait bien le surpasser pour une fois.
— Ça ne saurait tarder, réplique Jelen. Mais ne changeons pas de sujet, il doit sans doute se demander si tu plaisantais ou pas.
Au bout de vingt minutes, Zoé et Jelen me laissent seule pour aller chercher leurs manuels. Mon regard se promène sur les élèves, et s’arrête sur Lysian. Gênée comme je l’étais, je ne l’ai pas très bien vu tout à l’heure, alors je prends le temps de détailler sa silhouette en remontant vers ses yeux qui me fixent intensément. Je me sens devenir rouge comme une tomate, mais sauvée par le gong, Mr Brachet nous conduit enfin à notre salle de classe, se trouvant au premier étage.
En plein dans le couloir bondé, notre professeur galère à ouvrir la porte. On l’entend marmonner des « maudite serrure » et « satanée clé » avant qu’il ne donne un coup d’épaule. Finalement, au bout de quelques tentatives, on finit par y entrer, tous amusés par l’agacement de notre prof. Comme promis, je m’installe à côté de Zoé.
— Bien, avant de commencer, je tiens à préciser qu’un changement de place s’imposera d’ici quelques semaines ; ou lorsque je serais lassé de vous entendre jacasser pendant mes cours, essentiels à votre éducation, c’est-à-dire très bientôt. Et je compte bien vous clouer le bec, bande de sales morveux.
Je jette un regard interrogateur à Zoé, elle se mord la lèvre inférieure pour réprimer un rire.
— De toute façon, ce n’est pas avec moi que vous allez vous ennuyer, je vais tellement vous donner du boulot, c’est garanti, vous n’en dormirez plus la nuit. En tant que super professeur, vous aller glorifier chaque mot sorti de ma bouche, le manuel d’Histoire va devenir votre nouveau livre de chevet, je serais votre prophète.
Cette fois, toute la classe éclate de rire. Mr Brachet n’en tient même pas compte, trop absorbé par son discours.
— Maintenant que les choses soient claires, nous allons aborder les règles de cet établissement, notamment le comportement, et ça ne va pas rigoler.
Il insiste sur le dernier mot, regardant tour à tour Jelen et Solange. Aucune d’entre elles ne daignent répondre.
Chaque point est passé au crible par le professeur, et il dévisage un élève quand il s’agit d’une règle. Enfin, il le fait avec ceux qu’il a l’air de déjà connaître, notamment un garçon aux boucles cuivrés et voisin de table de Lysian. D’ailleurs, celui-ci m’observe sans tenter d’attirer mon attention. Il doit sans doute se demander si j’étais sérieuse ou non. Et ça a l’air de faire plaisir à Jelen, car elle me fait un clin d’œil à plus d’une reprise.
Quant à moi, milles questions se bousculent dans ma tête, et notamment sur la gargouille. Alors, une fois mon courage pris à deux mains, je lève le doigt, bien décidée à en savoir davantage.
— Si c’est en rapport avec la semaine d’intégration, nous allons y venir, s’empresse d’ajouter Mr Brachet, focalisé sur le règlement intérieur encadré à côté du tableau.
— Non justement, répliquais-je.
— Oui, vous pourrez vous absenter aux toilettes si et seulement si vous avez vos problèmes de filles, Mlle Arkyn.
Sur ces mots, un gars de la classe rétorque :
— Monsieur, j’ai mes problèmes de filles !
— Félicitation jeune homme ! Tu es le premier élève à être collé au bout de deux heures de rentrée scolaire.
Le professeur écrit sur un papier bleu et le remet à l’insolent. Nous sommes encouragés par Mr Brachet à l’applaudir et le garçon nous remercie de notre ovation. Puis, l’attention est de nouveau porté sur moi.
— Toujours pas, dis-je.
— Alors quoi ? Vous comptez monopoliser la parole, mademoiselle ?
Une soudaine bataille de regard s’installe entre nous.
Il veut que je baisse les yeux. Moi je veux juste poser une question !
Ne me voyant pas céder, il finit par m’inciter d’un mouvement de tête à cracher le morceau.
— Pourquoi y a-t-il une gargouille sur le bâtiment principal ? demandais-je.
Un silence s’abat sur la classe.
— Ah, enfin un sujet intéressant ! s’en amuse le professeur.
L'histoire en entrainante et captivante.
Il est dur de s'arrêter de lire.
Je n'ai pas encore fini de lire mais je suis emballée.
Merci pour ton commentaire, ça me touche beaucoup ! J'espère que la suite te plaira tout autant :)
L'histoire continue bien, j'aime beaucoup ton style d'écriture qui n'est pas du tout encombré ! Je trouve que tout est très bien en fait. Je ne trouve rien à redire. Un bon chapitre.
À bientôt Sagalee06
Gardar
Je te remercie pour ton commentaire, et ça me fait vraiment plaisir que le prof te fasse rire, j'ai l'impression qu'il fait l'unanimité !
Si jamais tu as des remarques, n'hésite surtout pas, je les prendrais en compte :)
À bientot Gardar !
On continue de suivre cette rentrée avec la découverte d'un personnage intéressant. Mr Brachet est un prof assez particulier, on sent que ce n'est pas n'importe qui. La chute de chapitre est très réussie ! On voit que les sujets intéressants commencent à arriver ! Ca donne très envie de découvrir le prochain chapitre (=
J'avoue que je n'ai pas encore identifié exactement tous les élèves dont tu parles dans ce chapitre mais ça va venir petit à petit.
Mes remarques :
"Jusque-là, tout est correcte Mademoiselle ?" -> correct
"Je m’exécute sans brancher," -> broncher
"— Non Zoé…" virgule après non ?
"— Du calme la nouvelle," virgule après calme ?
Un plaisir,
A bientôt !
Haha oui Mr Brachet est particulier 😅
Oui c'est vrai qu'il y a pas mal d'élèves, mais ils seront récurrents dans l'histoire (heureusement d'ailleurs sinon quel intérêt ?)
Merci pour tes remarques, elles m'ont aidé !
À bientôt !
Avoir lu le chapitre : Fait
Avoir aimé le chapitre : Fait
Avoir trop hâte de lire la suite : Fait
J'aime beaucoup trop l'histoire ! Je ne sais pas si tu publies à intervalles réguliers ou si tu les publies dès que tu les as écris, mais j'ai hâte d'être le jour où ça sortira ! Je ne te connais pas, mais surtout ne te mets pas la pression pour moi, j'ai une patience extrême, rien ne presse X)
Je t'encourage de tout coeur à persévérer dans l'art qu'est l'écriture !
Alors pour te répondre, j'écris à l'avance mes chapitres mais je les poste petit à petit, je veux être sûr que la suite est cohérente avant de les partager ! Et puis je fais un travail de réécriture et de relecture derrière pour enlever ce qui n'est pas nécessaire.
En tout cas, je te remercie pour tes commentaires, et si jamais tu as des remarques, n'hésite pas, je suis preneuse ! Si ça peut me permettre de m'améliorer, je ne dis pas non aux avis des lecteurs :)
Je suis en générale pas très douée pour faire des remarques constructives, mais j'essaierai :)