Chapitre 1

Par Pamiel

Il avait assez attendu. Le plancher du navire craqua sous sa botte lorsqu’il y posa le premier pas. Une lanterne suspendue vacilla sur le porche, sa flamme dansant à la surface de l’eau noire. Grincements, roulis du voilier sous la houle, frisson des vagues sur la coque… Le port contenait une multitude de bateaux en sommeil, mais un seul parmi la flotte marchande intéressait Loup. Il s’accrocha à son grimoire tel l’oisillon à sa branche. Quel piètre aventurier !

Il se hâta jusqu’au pont supérieur. Aucun changement dans sa performance ne le rendrait plus crédible. Ne restait qu’à assurer son rôle à la perfection. Nerveux malgré tout, il consulta ses notes, réajusta le pli de sa veste, toqua trois coups. Silence. Il colla l’oreille au battant dans l’espoir d’entendre un bruit à la cale. Seul son sang pulsa à ses tempes. S’était-il trompé d’embarcation ? Il leva les yeux vers la plaque de bois qui servait d’enseigne au bateau, une chouette enserrant des herbes médicinales. Son inscription dorée ne laissait aucune place au doute.

« Helvet Luma, Sorboriste. »

Il se mordit la joue et prit son mal en patience. Peut-être s’occupait-elle d’un client tardif. Qu’il n’aurait pas vu arriver malgré le guet constant qu’il effectuait sur les va-et-vient de la jeune femme depuis trois semaines. Un long soupir lui échappa. Non, bien sûr. Personne n’attendait à l’intérieur. Il l’aurait su. Il retardait simplement le moment de la rencontrer. Aucun négociant ne s’annonçait à elle : ils embarquaient les bras chargés de marchandises pour le troc et ressortaient au point de l’aube, un trésor unique serré contre leur cœur. 

Potion au liquide mystérieux, concoction verdâtre, parchemin usé, cristal scintillant… Autant de merveilles que Loup n’avait qu’aperçues, penché à la fenêtre de son auberge, face au port.

Presque un mois qu’on lui avait confié cette mission. Sa première tâche en tant que jeune mage. Une quête simple, soi-disant impossible à rater. Observer la Sorboriste, amorcer le premier contact, lui proposer une alliance. Loup froissa le col de sa chemise. Tant de renseignements glanés à écouter les conversations des marins et des buveurs de rist, pour rapporter ses habitudes à son mentor et n’obtenir que son intérêt poli. Il aurait souhaité pousser plus loin la prudence. Qui sait ce qui pouvait mal tourner ?

Mais il ressentait la pression invisible des anciens du Magistère dans son dos, à l’affût de sa faiblesse. Prêts à révoquer leur choix à l’instant même où il hésiterait.

La volonté du jeune mage s’affermit. Il ne pouvait pas se permettre d’échouer. Pressant la porte du bout des doigts, il franchit le seuil sombre.

Sa vision s’adapta avec lenteur au changement d’obscurité. Il distingua l’antre du navire, presque habitée par le démon. Un feu éclairait des étagères surchargées sous le poids d’artefacts et de cloches aux fleurs fanées. Des pages pendaient entre les rayonnages, croquis étranges suspendus à des cordes de part et d’autre des gondoles. Bocaux runiques, champignons luminescents, élixirs, bouteilles au liquide ambré, plumes, remèdes aux herbes… Loup descendit un escalier étroit en retenant son souffle. Au fond de la caverne — comment qualifier autrement une telle abondance de merveilles ? —, un grand tapis étendu au sol accueillait un canapé et ses fauteuils de cuir. Un vieil âtre à la tuyauterie cuivrée brûlait derrière eux.

Le jeune mage frissonna en s’approchant du comptoir. Il n’entendait plus ni l’océan, ni le craquement feutré du bois, ni le lent heurt de l’embarcation contre son point d’accroche. Quelqu’un, ou quelque chose, avait éteint le bruit venu de l’extérieur. Sur la volige, une unique sonnette appelait le chaland à tenter le diable. Loup avala sa salive et effleura la cloche. Elle émit un tintement clair en brisant le silence de la longue boutique.

« Je suis occupée pour l’instant. Adressez-vous aux hiboux ! »

La voix, venue de derrière le guéridon, paraissait amicale. Ses épaules se détendirent et il soupira en reculant d’un pas. Impossible d’apercevoir le passage plongé dans l’ombre. Cet accès devait sans doute mener aux cabines, peut–être aux quartiers personnels de la propriétaire. Elle ne semblait pas prête à le recevoir… Il examina le désordre autour de lui. De quels oiseaux parlait-elle ? S’agissait-il d’un système de doléances ? Rien sur le buffet. Il longea le manteau de la cheminée, haussa les sourcils devant le chaudron bouillant, s’émerveilla de la douce chaleur d’une fiole.

Un sourire fendit son visage tandis que sa curiosité l’emportait dans les profondeurs du navire marchand. Il attrapa un fruit inconnu à la forme triangulaire, en huma le parfum suave, le reposa pour ouvrir une géode coupée en deux. Même sa sœur aurait trouvé ce chaos indécent… Mais elle aurait adoré l’attrape-rêve tissé en soie de chenille.

Il finit par déboucher sur une alcôve où, à sa grande stupéfaction, nichait une chouette effraie. Le reflet de la clé autour de son cou, nouée d’un ruban violine, étincela dans ses yeux noirs. Le garçon se figea, le souffle court.

C’est alors qu’il les discerna tous.

Véritable flopée de plumages bruns, gris ou beiges, un parlement de hiboux s’amassait autour de lui. Chacun préservait un trésor, battait des ailes et criaillait contre ses congénères. 

L’effraie au visage de lune glatit pour leur imposer le silence. En réaction à sa clameur, l’agitation cessa. Elle s’envola et se ficha sur l’épaule de Loup. Ses serres rapaces s’enfoncèrent dans la sangle de cuir de son sac. Le jeune mage, incapable de respirer, se flatta de toujours le porter en bandoulière. Elle lui aurait transpercé l’épaule autrement. Le reste des oiseaux de nuit s’égailla et elle pépia sa victoire en lissant de son bec les cheveux blonds de sa « proie ».

« Quel… chouette accueil », ne put s’empêcher de chuchoter Loup, tétanisé.

Un éclat de rire tonitruant ébranla la boutique de fond en comble. Surgie des tréfonds de sa cale, une jeune marchande à la peau brune et aux cheveux d’encre s’approcha de lui. Tel le halo d’une braise dormante, sa tunique rouge cousue de dorures flottait autour d’elle. Loup fut à la fois soulagé et inquiet de la découvrir. Maîtresse des lieux, elle franchit la distance du comptoir à la nichée avec l’aisance de l’habitude. Tout son sourire proclamait son âme généreuse.

L’effraie chuinta pour l’accueillir. Helvet plongea la main dans la bourse de cuir à sa ceinture et tendit le poing. À peine eut-elle agité son appât, chair de poussin encore duveteuse, que la chouette quitta l’épaule de Loup. Elle se jucha sur le gant et dévora sa récompense.

Helvet rit de plus belle. Elle posa ses yeux émeraude sur son invité, le détaillant avec expertise.

« Tu n’es pas d’ici, pas vrai, gaora ? Ne t’inquiète pas, mes chercheuses ne te feront aucun mal. Elles s’approprient tout ce qui possède une once de magie, c’est ce qui les rend si utiles pendant les fouilles.

— C’est ma nervosité qui m’a trahi ? » s’excusa Loup, vacillant.

Un froissement d’ailes au–dessus de lui le fit sursauter. Il tenta de reprendre contenance en toussotant. La Sorboriste déposa la petite chouette sur le haut d’un meuble, retira sa protection et tendit au garçon sa paume nue, doigts inclinés vers le sol. Loup se secoua et glissa son index sur sa ligne de vie. Ils se saluèrent ainsi selon la coutume d’Icarie. Loup se félicita de l’avoir apprise au port. Son hôte parut satisfaite et hocha la tête en signe d’approbation.

« Bienvenue sur la haute mer. Que notre accord te soit en toutes voiles favorable. Je suis Helvet Luma, actuelle tenancière du Maga.

— Puisses-tu prospérer de cette rencontre. Mon nom est Loup Travel, je représente le Magistère d’Ys. »

Il avait honoré en tout point la présentation d’usage. Son interlocutrice le fixa intensément. La lueur du feu se mêla à l’ardeur sur son visage.

« Enchantée, louveteau. Pour répondre à ta question, j’ai pu déduire rien qu’en te regardant que tu arrivais de loin. C’est ton teint blafard et ton aspect de brindille qui ont vendu la mèche. Tes yeux bleus aussi. Ce n’est pas courant par ici. Mais viens, allons partager un grog aux épices et tu pourras me raconter ce qui t’amène à la porte de mon bateau. »

Le jeune mage accepta, taisant les battements de son cœur. Il n’avait pas encore atteint l’âge de la boisson. Sans rien dire, il lui emboîta le pas entre les étagères jusqu’au salon et son âtre cuivré. Elle l’invita à s’asseoir. Il prit place dans le fauteuil qu’elle lui désignait, s’enfonçant dans le cuir confortable tandis qu’elle débouchait une bouteille de cristal. Le liquide ambré ruissela dans deux coupes ornées d’or.

Loup se saisit de l’une d’elles. Une odeur de pommes, de clou de girofle et de cannelle se dégagea du breuvage brûlant. Se composait-il de l’un de ces fameux fruits triangulaires ? Il n’y posa pas les lèvres. Helvet s’assit en face de lui et but avec un soupir satisfait.

« Explique-moi d’où tu viens. Sous quel cap puis-je trouver Ys ?

— Bien au–delà de toute frontière connue des tiens. Il s’agit de la capitale des Terres du soleil.

— Jamais entendu parler. Tu arrives de derrière les monts d’Haubans ?

— Plus loin encore. 

— Et que me vaut l’honneur ?

—  Le Magistère a émergé des cendres de l’ancien empire. Je viens te proposer en son nom un contrat marchand. Nous sommes prêts à commercer de nouveau. »

Helvet haussa les sourcils.

« De nouveau ?

 — Oui, il existe des traces de nos transactions avec tes prédécesseurs. Nous cherchons à nous reconnecter avec…

— Impossible, répliqua la marchande du tac au tac. La traversée de ce territoire est pire que le septième enfer, et je pèse mes mots. Si tu as été assez fou pour te lancer à l’assaut des montagnes, tu sais de quoi je parle.

— Que voulez-vous dire ?

— Quel organe les Rhantiens t’ont-ils arraché ?

— Je n’ai pas eu le plaisir de les rencontrer. »

Helvet resta un moment silencieuse. Elle reprit la parole dans un sourire.

« Les habitants des plaines ne s’esquivent pas. Certaines Sorboristes, attirées par des rêves de richesse ou guidées par une stupidité sans nom, ont tenté de négocier avec eux. »

La marchande bascula son corps vers l’avant. 

« Elles ont brûlé avec leurs bateaux. Voilà pourquoi notre caste a abandonné ce côté du monde. »

Son expression, à l’opposé de ses propos, encouragea Loup à continuer. L’émissaire l’avait harponnée. Sans escorte, avec son sac pour seule ressource, elle devait se douter qu’il n’avait pas pu traverser sans user d’un tour de passe-passe. 

La Sorboriste flairait source d’éventuel profit.

Et de mystère.

Loup inspira en profondeur. Il savait que la réussite de sa mission dépendait de sa force de persuasion. Maintenant qu’il avait capté son regard, il ne restait plus qu’à réciter les dernières lignes de son texte.

« J’ai voyagé par téléportation. »

Il plongea la main dans sa sacoche, où le sceau de l’Ordre des dholes, deux plumes bronzes croisées par une étoile polaire, luisait. Symbole des mages diplomates. 

Il en sortit un vieux bouquin de cuir, dont le diamant enchassé refléta les flammes. 

« Nous les appelons grimorts », commença Loup.

Au fond de la pièce, un hululement de convoitise le coupa. La Sorboriste siffla pour faire taire l’importune, mais les ombres se mouvaient déjà autour d’eux ; les chouettes les épiaient. Cette idée donna des sueurs froides au garçon.

« Ils ont la capacité de déplacer leurs porteurs sur des distances étonnantes…, poursuivit-il, gorge sèche. Du moment que l’endroit a déjà été visité – par le livre lui-même. Démonstration. »

Il se leva et tendit l’ouvrage en avant, face à la tuyauterie. Le diamant encastré prit vie. Il s’illumina, dévoré de lumière. Loup se laissa emporter par l’appel, donnant de son âme pour alimenter le joyau. Il tendit la main à la Sorboriste. Helvet n’hésita qu’un très bref instant. Elle claqua sa paume dans la sienne et s’accrocha avec le sourire.

Ils furent engloutis.

Helvet tituba. Une bise glaciale se saisit de leur peau, sifflant le nom de l’hiver à leurs oreilles. À ciel ouvert, une tour embrassait les nuages. Sa pointe dévoilait le faîtage d’une cathédrale immense, vitraux et gargouilles figées. Seule la brume l’effleurait. La terrasse sur laquelle reposaient leurs pieds s’ouvrait sur une ville infinie et, au-dessus d’eux, un clocher vertigineux sonna. Le bruit assourdissant provoqua l’envol d’une nuée de valravens, des corbeaux-loups dont Helvet ne connaissait que la légende.

Elle se tourna vers Loup qui l’observait avec attention. Le baiser du froid piqueta ses joues lorsqu’elle parla.

« Magnifique. »

Une lueur de fierté se logea dans le regard du garçon.

« Nous sommes sur les toits de l’Académie des mages, au cœur de la cité d’Ys. Regarde en bas. »

Doucement, la Sorboriste se pencha au rebord. Au milieu d’un lac gelé, de hautes pagodes tutoyaient des toits de tuiles bleues. Toutes sortes de créatures marchaient dans les grandes allées. Des lanternes éclairaient de lueurs saphirs les arbres nus et les écailles des dragons de perle. Le château courbé plongea Helvet dans la fascination.

Proches du ciel, des gardes en armures d’argent tournoyaient autour de ses murailles. Ils chevauchent… des griffons, réalisa Helvet. Les montures aigles-lions glissaient de son donjon de pierre jusqu’à une longue baraque militaire. Leur ronde étourdissante n’effleurait même pas le bas des tours de l’Académie.

Ils se tinrent immobiles sous le vent. Helvet se gorgea du paysage jusqu’au vertige.

« J’ai mille questions pour toi. Mais je vais commencer par la plus évidente. »

La marchande plissa ses yeux verts.

« Ce voyage, c’est à quel prix ? »

Loup se tendit. Il avala sa salive avec difficulté.

« Seuls les plus jeunes mages ont assez d’énergie pour se servir des grimorts. Chaque tome se lie à la volonté de son porteur, d’une façon que nous peinons à saisir. Il n’en existe qu’une poignée et, actuellement, le Magistère en possède deux. Nous gardons dans nos archives la trace des alliances qu’ils auraient permis de nouer. »

Loup laissa le silence les envelopper.

« Tes ancêtres auraient fourni de nombreux objets magiques à Ys, avant la guerre. Nous voulons renouer ce troc. »

Le rire d’Helvet éclata sa phrase. Un rire puissant, qui fit vibrer les cloches de la tour, s’agiter les valravens et grincer les nerfs du jeune mage.

« Tu espères que j’ignore tes répliques apprises par cœur et ton air d’académicien ? Je sais désormais que tu convoites ma coopération, gaora. Comme je sais que tu m’observais depuis le port il y a encore deux semaines.

— Attends, je –

— J’ai assez attendu. Rien de ce que tu pourras m’offrir ne m’intéresse, j’ai plus d’émeraudes qu’il ne m’en faut et ta monnaie ne fonctionne pas chez moi - je n’en ai d’ailleurs jamais vu de semblable. »

Loup porta la main à son sac, choqué. Comment pouvait-elle connaître le contenu de sa bourse ? Son esprit s’affola. La marchande en profita pour s’approcher du jeune garçon et siffler. Un hululement aigu lui répondit tandis que son effraie pointait le bec de sous sa capeline. Loup manqua défaillir. La chouette qu’il avait eu la « chance » de rencontrer le fixa, l’oeil noir empli de convoitise.

Il fut incapable de s’enfuir.

Helvet joua avec la clé qui pendait au cou de sa chercheuse. Il y avait quelque chose de félin dans sa manière de sourire en coin, son attention entière focalisée sur le ruban violine.

« Tu as déjà eu l’honneur de rencontrer mes alliées. Tu vois, mes oiseaux ont une particularité. Il me semble te l’avoir mentionné. Ils flairent la magie. »

Helvet fit passer son effraie à son gant. Elle saisit l’épaule du jeune mage et, d’une pression légère, le força à se pencher en arrière. Dans son dos, il n’y avait que le vide.

« Dès que tu es arrivé à Icarie, ma Caliste est devenue dingue. Il m’a fallu une semaine pour déterminer ce qui brouillait sa perception. Au début, je pensais qu’il s’agissait d’une chose que tu possédais. Qu’une grande puissance se dissimulait au fond de ta sacoche. J’ai envoyé mes belles examiner son contenu, mais rien de ce qu’elles ont rapporté n’a attisé leur intérêt. »

Helvet caressa le joyau du grimort avec une moue contrariée.

« Ton livre n’émane pas de pouvoir si tu ne l’utilises pas. C’est un peu de la triche, tu en conviendras. Mais ça m’amène à une petite déduction. »

Elle approcha son effraie du grimoire. Caliste huma le cuir puis s’en détourna, indifférente. Helvet l’observa, la déposant ensuite en douceur sur l’épaule de Loup. La chercheuse se lova aussitôt contre lui. Malgré le velouté de son duvet beige, Loup frissonna d’horreur. La voix d’Helvet se durcit.

« Si tu veux conclure un contrat marchand avec moi, gaora, il faudra me rendre un service. »

Elle se pencha vers lui.

« Et tu vas commencer par m’expliquer quelle sorte de magie coule dans tes veines pour que ma chercheuse réagisse avec toi comme un chaton baigné dans la crème. »

Loup ne l’entendit qu’à travers un voile. Il fallut de longues minutes pour qu’Helvet relâche la pression sur son épaule. D’abord résolue, perplexe et, enfin, gênée, elle le ramena doucement vers elle. Sa chercheuse s’envola, tête inclinée sur le côté, point d’interrogation silencieux. Le jeune mage respirait à peine.

Il trembla un moment. Lorsque le silence et la tempête en lui-même passèrent, il esquissa une grimace. Il désigna la chouette du menton.

« Désolé. Je n’ai pas l’habitude des créatures comme elle. »

Son attitude feignit la désinvolture, mais Helvet avait vu sa détresse. Caliste pouvait-elle réellement provoquer une telle crise ? Un jeune mage comme lui devait pourtant croiser toutes sortes de bestioles. Elle s’absteint de lui répondre, dubitative, tandis qu’il rajustait le col de sa veste.

« Je peux faire fleurir, marmonna-t-il alors. »

Helvet s’approcha, yeux grands ouverts et tête penchée.

« Tu peux quoi ?

— Faire éclore des fleurs. »

Il mima un bourgeon en train de s’épanouir de façon désabusée. Mais son autodérision n’amusa pas Helvet. Au contraire, la marchande perdit son sourire. 

« Sur commande ? »

Il haussa les épaules. Oui, techniquement. Helvet se mordit le pouce. Caliste glatit, sentant que sa maîtresse était troublée. Loup sursauta à son cri et frotta la sangle de son sac, nerveux.

« Je… pourrai déjà te ramener au bateau. Si tu as besoin d’assistance pour l’une de tes préparations, je connais la plupart des composantes de potions. Je peux me rendre utile autrement qu’avec… »

Il allait dire, mon stupide pouvoir. Se retint.

« Je sais mes formules alchimiques sur le bout des doigts, enchaîna-t-il. J’ignore l’usage Sorboriste, mais si tu me l’apprends, je saurai m’adapter. Et j’avais un très bon professeur de runes à l’Académie. »

Il saisit la boucle de sa bandoulière, la tordit jusqu’à en faire un nœud. Baissa le nez. 

« Je chante, aussi. »

Cette fois, Helvet replongea son regard émeraude dans le sien. Elle balaya son anxiété d’un sourire.

« Bien, petit oiseau. Je n’oublierai pas de te faire chanter à l’occasion. Ramène-moi, maintenant. »

Il hocha la tête et s’empressa de se concentrer sur son grimort. De nouveau, la lumière les avala et ils réapparurent au centre du salon d’Helvet, à l’intérieur de son navire. Le feu brûlait doucement. Sans attendre, la marchande raccompagna Loup à la porte et ils remontèrent de la cale ensemble. Elle sortit à l’air frais avec lui.

L’eau bouillonnait contre la coque. D’un pas vif, ils franchirent le pont jusqu’à la passerelle qui les ramena au port. Dans l’ombre, Helvet ramena le haut de sa capeline sur son visage. Elle jeta un dernier coup d'œil au jeune mage. Il se dandinait d’une jambe sur l’autre, mal à l’aise.

« Rendez-vous demain à la serre royale. Pour me rendre ce fameux service. J’imagine que tu te débrouilleras pour te renseigner sur sa localisation ? Je t’y expliquerai ce que j’attends de toi. »

Il manqua se casser le cou en acquiesçant. Helvet rit de sa soudaine frénésie, consciente qu’elle avait dû éprouver ses nerfs cette nuit.

« Parfait. Ne flanche pas ! Sache que je négocie toujours au prix que je fixe, sans conditions. Même et surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’argent. »

Elle l’abandonna à l’obscurité. Loup laissa ses jambes le porter à son auberge, éviter les derniers clients et monter quatre à quatre les marches de bois. Il s’enfonça dans la chambre sans se retourner et verrouilla machinalement sa porte. Puis il s’installa à son bureau où il chut un moment.

À la fenêtre, la lune éclaira le diamant de son grimort. Un reflet capta l’attention de Loup. Il l’ouvrit délicatement. Sur la page griffonnée, un court message attendait pour lui. 

Bonne nuit, mon prince.

Le bref soupir que le jeune mage laissa s’échapper fit naître la frustration dans sa gorge. Il secoua la tête. Impossible de flancher, pas maintenant, pas si proche du but. Helvet restait sa priorité et, dût-il s’humilier en public à maintes reprises, il remplirait sa mission et deviendrait un mage accompli.

Pour Flo.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
louvemeraude
Posté le 22/12/2021
Bonjour !
merci pour ce premier chapitre que j'ai dévoré : l'univers, les personnages, les dialogues sont très réussi. L'intrigue est lancée et donne envie de lire la suite !
Pamiel
Posté le 28/12/2021
Bonjour Louvemeraude !
Merci à toi pour ce gentil commentaire. Je suis contente que le début de ce roman te plaise !
Aliam JCR
Posté le 17/12/2021
Bonjour Pamiel :)

Je suis tombée amoureuse de ta couverture et du nom de ton histoire ! :)

Je trouve ton premier chapitre très bien, on est tout de suite plongé dans ton histoire ! Je peux d'ailleurs voir qu'elle est très travaillée ! En résumé : j'ai passé un très bon moment à te lire !

Cependant, petit détail personnel, tu devrais faire attention à ne pas faire des chapitres trop longs. Quand je lis en ligne, j'ai tendance à me perdre assez rapidement :)
Pamiel
Posté le 28/12/2021
Bonjour Aliam,
Au vu de ton adorable avatar, ça ne me surprend qu'à moitié. ♥
Merci beaucoup pour ton commentaire. Je suis contente que tu aies passé un bon moment. Ce n'est pas la première fois qu'on me fait remarquer la longueur de mes chapitres - à terme, je les couperai peut-être en deux !

A bientôt au détour des lignes.
sifriane
Posté le 15/12/2021
Bonjour Pamiel
Désolée mais ce commentaire ne va pas être très constructif
J'ai adoré ce premier chapitre, on plonge tout de suite dans ton univers, dense et très travaillé.
Loup est d'emblée attachant. Il y a beaucoup d'infos mais on s'y retrouve, c'est même ce qui fait je pense qu'on a très envie de poursuivre la lecture.
Bravo à toi, et à très bientôt pour la suite :)
Pamiel
Posté le 16/12/2021
Bonjour Sifriane,
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Il m'a gonflé le cœur. Je suis ravie que ton univers et surtout mon Loup te plaisent, je les aime aussi et je suis très contente de vous les partager.
A bientôt au détour des lignes !
Pamiel.
Nanouchka
Posté le 30/11/2021
Bonjour Pamiel

Je ne sais pas où tu en es de la réécriture de ce roman, mais en tout cas je débarque, et je ressors de ce premier chapitre avec deux constats : je n’ai pas tout compris, et j’ai très envie de lire la suite.

J’adore que tu nous plonges dans ton monde tel qu’il est, avec son vocabulaire, sa géographie, ses coutumes et ses rôles. Pour autant, je me demande s’il n’y a pas peut-être quelques détails qui sont mentionnés ici et qui pourraient être gardés pour plus tard, parce qu’à force de regarder dans tous les sens, j’ai fini par ne plus écouter le dialogue. J’avoue allègrement que c’est au moment des dragons et griffons que mon cerveau a complètement lâché l’affaire de pendant que je contemplais le paysage autour de moi (ça m’arrive dans la vraie vie ET ça m’arrive dans les romans). Du coup, quand on est retournés sur le bateau, j’étais perplexe : ils ont conclu quoi comme marché ? Quels termes de négociation ? (J’ai de toute évidence des troubles de l’attention qui me suivent jusque dans la fiction.)

Deux raisons majeures me donnent envie de continuer : Helvet est si intimidante que j’ai envie d’apprendre à la connaître ; et les deux derniers mots — et c’est fou parce que j’ai beau savoir qu’ils sont là précisément pour me faire tourner la page, ça marche, je veux savoir qui est Flo et quel lien l’unit à Loup.
Pamiel
Posté le 11/12/2021
Bonjour Nanouchka !

Merci beaucoup pour ton retour à la fois touchant et très constructif.

J'ai presque fini la réécriture du projet (il me reste 5 chapitres sur 19 plus un épilogue). Il n'y a pour le moment que trois chapitres sur PA. J'étais contente de revenir au chapitre 1 pour clarifier ce souci de compréhension. C'est essentiel à mes yeux que le lecteur comprenne où il en est.

Leur marché tient en deux phrases :
"Je viens négocier un contrat marchand avec toi.
- Ok, à condition que tu me rendes un service en échange."

La façon dont je tournais mes phrases t'a fait croire qu'ils venaient échanger quelque chose de concret, ou qu'au sortir du dialogue les termes du "service rendu" avaient été clarifiés. Ce qui n'est pas le cas ! Loup n'a aucune idée de quel service il va rendre, Helvet le lui expliquera sur le lieu de rendez-vous du lendemain.

Donc sache que ce n'était point ton attention le soucis, mais bel et bien le rythme du dialogue. Pour délayer ton impression, j'ai mis davantage de pauses entre les tirades des personnages, leurs actions et le paysage. Pour, j'espère, laisser "imprégner" ce qu'ils disent. J'espère que la compréhension du passage s'est améliorée avec ces modifications !

En tout cas, grand merci encore une fois pour ton retour. À chaque retouche, l'histoire s'affine. J'ai beaucoup apprécié que ton commentaire soit mon tremplin d'envol pour cette strate de fluidité là.

Meilleures pensées !
Xanne
Posté le 30/07/2020
Bonjour Pamiel!
C'est la première fois que je lis ton histoire et je suis convaincue par une chose: je vais m'éclater!
Le style est tout à fait à mon goût, les tournures de phrase m'ont l'air très travaillées, l'ambiance de ce premier chapitre est en résonnance avec mes attentes de lectrices.

Juste une toute petite remarque: "des étagères surchargées sous le poids d’artefacts et de fleurs fanées" Je ne connais pas le poids des artefacts, mais une fleur fanée me semble relativement légère. J'imagine que tu souhaite souligner l'abondance d'objets dans les étagères, et peut-être que des cloches en verre qui contiennent des fleurs fanées pourraient s'y inviter? Simple suggestion.

M'autorises-tu à embarquer pour la suite des aventures de Loup? ^^
Pamiel
Posté le 07/09/2021
Bonjour Xanne,
Je te remercie pour ton joli commentaire, constructif et qui donne la pêche !
J'ai invité les cloches à la fête. ;) (Et depuis ta lecture, le roman a encore bien changé. Mais je crois bien que c'est sa dernière réécriture, celle-là.)

Tu es évidemment la bienvenue pour embarquer. Allons-y, Alonso !
Xanne
Posté le 08/09/2021
Bonjour Pamiel,
Quelle agréable surprise ! J'avais presque oublié ton début de roman. Je te souhaite un bon retour sur PA :)
J'ai vu que tu avais changé quelques passages dans ce premier chapitre et ça me plaît toujours autant ! J'imagine que ton projet a beaucoup évolué au fil des réécritures? Tu publieras les prochains chapitres ? J'ai tellement envie de lire la suite de l'histoire!
Pamiel
Posté le 28/11/2021
La suite arrive. <3 Merci encore pour tes encouragements, Xanne.
DraikoPinpix
Posté le 22/09/2019
Coucou ! J'ai beaucoup aimé ce premier chapitre : les descriptions sont denses, agréables à lire et nous plongent direct dans l'ambiance de ton univers. Il y a quelques mots dont je n'ai pas retenus la définition, mais je suppose qu'on en apprendra plus au fil des chapitres (bon, je préviens : je suis quelqu'un de pas très attentive, non plus ^^')
Je m'attache déjà à Loup, je le trouve adorable :)
Et cette dernière réplique me donne envie de connaître la suite ! :)
Pamiel
Posté le 25/07/2020
Bonjour Draiko !
Tu me vois ravie que ce premier chapitre t'ait plu, en particulier que tu trouves Loup adorable (j'ai un faible pour lui, moi aussi). J'ai commencé la réécriture/correction du projet et j'espère que c'est encore plus agréable à lire qu'avant.
C'est parti pour la suite !
Stella
Posté le 20/09/2019
Coucou Pamiel,
Ta couv est trop ❤️❤️❤️❤️. Oh secours dès que je vois un bout d'oreille velue ou une truffe, je clique et ma Pal augmente. Ton histoire est une heureuse découverte non prévue. Je me suis fait avoir 🤣.
Le début in media res premier pas sur le bateau est efficace.
Le pourquoi et le comment de la mission en flash back bien amené.
Loup déjà rien qu'avec son prénom je fond. Il a gagné ma sympathie tout de suite. En plus il y a des chouettes. J'adore les chouettes.
Concernant le monde, il y a beaucoup de mots propre à ta création, ils ne sont pas tout de suite expliqués, je ne les ai pas tous retenus, mais ils ne m'ont pas gênée à la lecture, au contraire je suis très intriguée.
La description de l'intérieur du bateau est très bien.
C'est étrange de s'être séparé d'une page d'un livre à priori si précieux. La raison sera expliquée après ?
Ce chapitre fonctionne à la perfection. Je me suis demandée dès le début pourquoi Loup était le seul à même de réussir cette mission et j'ai la réponse à la fin : la magie rare qui coule dans ses veines. J'adore le câlin que lui fait la chouette.
Tu me reverras pour la suite.
Peccadilles
"lui tendre une paume nue les doigts tendus" une petite répétition qui saute aux yeux
"avec un poids nouveau à l'esprit" la formulation est un peu bancale
Des bisous étoilés
Pamiel
Posté le 25/07/2020
Coucou Stella !
Je te remercie fort pour ton message que j'ai souvent relu pour m'encourager pendant l'écriture du roman. Me voilà heureuse de t'annoncer que j'ai achevé ce projet et débuté sa réécriture ! J'ai corrigé les problèmes que tu as soulevé, encore merci pour les avoir pointés à mon attention. J'espère que cette version éclaircira un peu la brume du premier jet.
Tu me vois ravie que la couverture ait autant attirée ton oeil. C'est l'oeuvre de la graphiste Fei (https://www.feigraphisme.com/), dont j'admire énormément le trait !
Effectivement, Aster s'est séparé de la page et l'a confiée à son amie Helvet pour une raison belle et simple. Elle a besoin d'argent et il voulait lui venir en aide. Je mentionne cela plus tard dans le roman, penses-tu que je devrais l'ajouter ici ? J'avais peur que ça fasse trop d'informations d'un coup.
Bises venteuses à toi !
Keina
Posté le 19/09/2019
Oh tu nous embarques dans un univers très riche, ça promet pour la suite! Le début est très dense, j'ai dû relire plusieurs fois pour comprendre que le héros était mage, qu'il venait de loin et que l'action se passait sur un bateau... Mais une fois qu'on est dedans, c'est plein de mystères et de promesses d'aventure ! J'ai hâte d'en apprendre plus!
Pamiel
Posté le 25/07/2020
Héhé, je suis vraiment contente que tu te sentes embarquée ! J'ai commencé la réécriture/correction de ce projet, j'espère que le début est plus fluide qu'avant. En avant toute, moussaillon !
Vous lisez