Le chant strident des oiseaux artificiels résonna dans la pièce sombre, mais son occupante était déjà réveillée. Elle tendait paresseusement les bras pour tenter d'éteindre l’agaçant appareil.
Ses doigts cherchèrent le bouton frénétiquement, et elle manqua de faire tomber son réveil. Elle le trouva finalement, appuya dessus un coup sec, et la pièce redevint silencieuse. Elle ferma les yeux, mais elle savait qu’elle ne devait pas se rendormir, malgré l’appel tentant de son moelleux oreiller.
Elle se força à garder les paupières ouvertes et fixa le terne plafond, l’esprit vide de toute pensée. Si elle tendait l'oreille, elle pouvait entendre le son des machines, au loin dans la zone industrielle. Elle pouvait même sentir l'odeur âcre de la fumée.
Son téléphone émit un petit bruit, ce qui lui fit tourner la tête dans sa direction. Elle attrapa son portable et l’alluma. Elle le regretta cependant rapidement lorsque l'écran l’éblouit, et elle dut cligner des yeux plusieurs fois. Elle ouvrit ensuite la notification, mais c'était simplement l’annonce du nouvel article d’un journal en ligne. La jeune femme parcourut la page en diagonale, lisant à peine le contenu.
Apparemment, cette bande de rebelles dont tout le monde parlait, mais qu’aucun policier n’arrivait jamais à attraper, avait encore frappé.
Avec un soupir, elle reposa son téléphone sur sa table de chevet, et dut se faire violence pour parvenir à s’asseoir. Ses longs cheveux pâles étaient encore emmêlés, ce qui lui arracha un grognement de frustration.
“Je vais finir par me faire un carré, si ça continue. Ou même me raser toute la tête”, se dit-elle.
Elle balança ses jambes hors du lit et se leva contre son gré. Elle s’approcha de la petite fenêtre carrée et tira sur les rideaux d'un coup sec, illuminant la pièce de la lumière rosée de l’aube.
Elle se frotta les paupières, et ouvrit les battants de la fenêtre pour aérer la chambre, qui en avait bien besoin. Le vent frais d’automne eut pour effet de réveiller la jeune femme un peu plus. Cependant, elle referma aussi la fenêtre ; ce n'était pas le moment d’attraper un rhume.
Elle saisit un pull et un jean noir qui traînaient sur le bout de son lit, froissés, et les enfila tant bien que mal. Sa tête lui faisait mal, sans doute à cause de sa consommation bien trop élevée de café.
“Vivement mes prochains congés”, songea-t-elle.
Elle se dirigea ensuite hors de sa chambre, aussi vite que sa fatigue le lui permettait. Arrivée vers le comptoir de la cuisine, elle se mit sur la pointe des pieds pour attraper sa tasse favorite, se faisant par la même occasion une note mentale pour se rappeler de ne pas la ranger aussi haut la prochaine fois.
Elle prépara un café, pour se réveiller complètement et ne pas tomber raide endormie au travail. Elle versa ensuite la boisson fumante dans sa tasse, la sirotant du bout des lèvres. Elle s’installa sur son canapé, s’enfonçant contre le dossier grinçant et sortit son téléphone de sa poche, entendant le son caractéristique d’un nouveau message.
Maé : Adélaïde, je vais sans doute arriver en retard au boulot ce matin. Il y a pas mal de bouchons autour de chez moi.
Adélaïde : T’en fais pas. C'est sans doute à cause de ce nouveau coup de la rébellion.
Maé : Ouais. C’est fatiguant.
Adélaïde : Ouais…
Adélaïde reposa son téléphone et prit une gorgée de son café. Elle ne savait pas trop quoi penser de cette histoire de rebelles. Elle ne les avait jamais vu en action, elle était donc un peu sceptique.
“Les gens ont tendance à exagérer ce genre de rumeurs…” se disait-elle.
En revanche, tout cela inquiétait beaucoup, Maé, qui y croyait bien plus que la blonde. Celle-ci faisait de son mieux pour rassurer et réconforter son amie, mais ce n'était pas exactement son fort.
Adélaïde vérifia l’heure. Sept heures et demie, elle devait partir dans quelques minutes. Elle n’avait pas la chance, contrairement à la plupart de ses collègues, d’habiter près son lieu de travail ou d’avoir une voiture, ce qui coûtait cher. Alors Adélaïde se voyait obligée de prendre le métro pendant une demie-heure. Elle partait tôt le matin, et en cette saison, il faisait toujours nuit lorsqu'elle quittait son appartement.
La jeune femme souffla sur la surface de son café dans l’espoir de la faire refroidir, puis le but cul-sec. Sa gorge la piquait, mais elle n'avait pas le temps de profiter de sa boisson
Elle se leva, attrapa quelques affaires pour les glisser dans son sac. Elle parcourut son appartement des yeux une fois, deux fois, trois fois, pour être sûre de ne rien oublier en partant.
Elle tourna les clés dans la serrure et sortit dans le couloir. La ventilation soufflait doucement et la lumière verte du panneau sortie clignotant irrégulièrement. Sur le sol gisaient des emballages de nourriture et des sacs poubelles troués. L’odeur était si omniprésente qu’Adélaïde avait fini par s’y habituer, après toutes ses années.
La jeune femme descendit les marches inégales menant à l’entrée, posant des pieds aux exacts même endroits que le jour précédent. Elle appuya sur un bouton usé, et la lourde porte s’ouvrit avec un déclic.
L'air frais extérieur fit danser ses cheveux et lui piquait les jours. Un petit nuage de buée s'échappait de ses lèvres. Elle enfouit ses mains profondément dans ses poches et remonta sa sacoche sur son épaule. Puis elle se mit en marche en direction du métro.
Les rares personnes qu’elle croisait en cette heure matinale ne lui prêtaient pas attention. Ils étaient tous perdus dans leurs pensées, ou avaient les yeux rivés sur leur téléphone. Adélaïde avait les doigts trop gelés pour sortir le sien, donc elle se contentait d’observer ce qu’il se passait autour d’elle.
Dans les flaques d’eau au sol se reflétaient les néons des immeubles, colorés de mille nuances. Adélaïde faisait de son mieux pour ne pas mouiller ses chaussures. Elle monta ensuite l’escalator menant au métro, et patienta pour l’arrivée de celui-ci.
Elle s’assit au bout d’une rangée, éloignée des autres personnes, et son regard se tourna vers la vitre. Les immeubles défilaient, se mêlant les uns aux autres dans le paysage flou. Ses paupières étaient lourdes, mais elle devait rester éveillée. Elle envoya ensuite un message à Maé.
Adélaïde : Je suis dans le métro, et toi ?
Maé : Voiture. Bouchons.
Adélaïde : OK. À tout à l’heure.
La jeune femme rangea son téléphone, sachant que son amie ne pouvait sans doute pas beaucoup lui répondre.
Le métro s’arrêta, et Adélaïde quitta son siège. Elle souffla un petit nuage de vapeur lorsque le froid l’enveloppa de nouveau. Elle se frotta les mains pour se réchauffer, mais en vain. Ses doigts la brûlaient, mais elle avait tout sauf chaud.
Plus elle avançait, plus les immeubles devenaient hauts. Elle accéléra le pas, le regard rivé vers le sol. Elle rejoint le bâtiment où elle travaillait et ouvrit la porte principale avec son badge. Elle sourit en sentant la chaleur de l’endroit lui détendre le corps. Elle s'arrêta devant le secrétaire.
– Salut ! T’es toujours là tôt, à ce que je vois, lança la jeune femme.
– Il faut bien que quelqu'un soit présent pour vérifier le pointage.
– C’est vrai.
Adélaïde attrapa le stylo bleu que l’homme lui tendait et signa son nom sur la feuille de pointe du jour.
– Maé risque d’arriver en retard aujourd'hui, ajouta-t-elle.
– À cause de cette histoire avec les rebelles, j’imagine… Fais-lui de ne pas s’inquiéter. Ça va être le cas de pas mal de personnes, je pense.
L'homme sourit, jeta un coup d'œil à sa liste, puis hocha doucement la tête.
– Bonne journée, Adélaïde.
La jeune femme le salua, puis se dirigea à droite, vers les bureaux open-space où elle travaillait. La petite musique monotone de l’ascenseur lui tint compagnie pendant quelques minutes, jusqu’à ce que les portes s’ouvrent. Des lumières étaient allumées dans quelques pièces, mais la plupart étaient vides.
“On dirait que beaucoup de personnes sont bloquées à cause des rebelles”, se dit la jeune femme.
Elle se posa à son bureau et brancha son lecteur de travail sur sa tour d’ordinateur. Il se connecta immédiatement et s’ouvrit. Adélaïde ouvrit ses fichiers en quelques clics, puis elle se releva pour prendre une tasse de café. Elle devait arrêter, mais elle en avait besoin pour tenir durant la journée.
Les minutes passèrent, et la pièce se remplit peu à peu d’employés. Puis Adélaïde aperçut la longue chevelure bouclée de Maé, et elle lui fit un petit signe de la main.
– Salut ! Tu t’es pas trop ennuyée sans moi ?
Adélaïde rit doucement.
– Pas du tout. Je vois pas de quoi tu parles.
Maé rit également, et s’assit sur le bureau en face de celui de son amie.
– Alors, à propos de cette affaire avec les rebelles…, commença Adélaïde. C'était comment ? Tu as vu quelque chose ?
Maé se rembrunit, et se mordilla la lèvre un petit moment avant de répondre.
– C’était impressionnant… Je n'avais jamais vu quelque chose comme ça.
Le léger sourire d’Adélaïde s’effaça en entendant cela, et elle se tut.
– Un bâtiment a été détruit, une entreprise affiliée au gouvernement… Il y avait des ambulances partout, et des enquêteurs…
C'était la première fois qu’une attaque de rebelles avait autant d’effet. S’il y avait eu des ambulances, c'est que plusieurs personnes avaient été gravement blessées, ce qui était une première.
Adélaïde se mit à se mordiller l’ongle. Les deux jeunes femmes se turent. Elles se retournèrent vers leurs écrans, et un lourd silence enveloppa lentement leur petit coin de salle.