Avant de pouvoir parler de métarph, il faut déjà comprendre le principe de métamorphose. La métamorphose est l'une des nombreuses capacités que seule une poignée de créatures magiques développe durant leur temps de vie. Ce changement dans leur structure corporelle est ce qui s'approche le plus d'une mutation. La plupart des chercheurs s'accorderont sur le fait que quelque chose a changé dans leur environnement. Quelque chose qui les mettrait en danger. En réponse, ces créatures développeraient cette capacité hors norme qui leur permet de prendre l'apparence de l'objet désiré, peut importe la taille ou la matière. La métarph quant à elle est la substance qu'ils secrètent pour effectuer la métamorphose.
Grâce aux avancées technologiques, les Trappeurs possèdent désormais des lunettes équipées du MECA — Module Extrasensoriel de Créature Anomalie pour les non-initiés — qui met en évidence ces objets factices.
Extrait de Les Trappeurs d'aujourd'hui
par Orléo Dorlémon
Je rouvre lentement mes yeux. Les flammes m'encerclent. Elles crachent leur souffle ardent sur le sol, les cartons de marchandises et saturent l'air d'une chaleur étouffante. Soudain, la fumée me prend à la gorge. Je tousse violemment, des larmes dévalent mon visage. Il faut que je m'en aille. Il faut que… Je regarde, paniquée, autour de moi. Où est-elle ? Aldena, où… ?! Une horrible odeur de chair qui brûle envahit à son tour l'espace de stockage.
– Sol' !
Je frotte frénétiquement mes yeux pour effacer ces images. Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel… Quelques larmes s'accumulent au coin de mes yeux. Je suis en sécurité maintenant. Il n'y a pas de flammes. Il n'y a plus de flammes Sol'. Le sang bat frénétiquement contre mes tempes. Boum ! Boum ! Des tambours oppressants dans ma tête. C'est du passé, juste des souvenirs. Allez, calme-toi. Le feu finit par disparaître ; la pièce revient à ma vue. Petit, carré, sombre, seule une lampe solitaire au-dessus de ma tête éclaire l'espace confiné. Je respire difficilement. Mes doigts tremblants effleurent ma gorge. J'ai toujours autant de peine à respirer.
J'étouffe presque. L'air est tiède autour de moi. Chaque respiration est éprouvante. Une épaisse humidité se colle à ma peau moite. Plus je tente de me défaire de cette sensation, plus elle s'intensifie. Toujours plus chaude, toujours plus pesante. C'est comme se noyer à l'air libre. On a l'impression de sombrer sans jamais pouvoir sortir la tête de l'eau. Quelque chose nous tire vers le fond, s'agrippe à nous, prêt à nous dévorer. Ma respiration est saccadée. Même en m'y reprenant à plusieurs reprises, j'ai de la peine à me calmer. Encore et toujours, ces images tournent dans ma tête. L'odeur de la mort est incrustée dans mon esprit.
– Sol' !
Mes yeux se ferment. Une larme roule le long de ma joue. Pourquoi… ? Pourquoi… ! Pourquoi… Je respire un bon coup. Je tente de me reprendre. Il faut que je fixe mon attention ailleurs, sinon… J'essuie maladroitement la pellicule de sueur sur mon front. Tout va bien se passer. Calme-toi : tout va bien se passer. Fixe ton attention ailleurs. Fixe ton attention ailleurs !
Je jette un regard autour de moi. Une table branlante, quelques moutons de poussières et des murs opaques… Un frisson. J'ai l'impression d'être observée. Je regarde nerveusement autour de moi, comme pour me rassurer, mais la sensation ne me quitte pas. Je suis dans un bocal à poisson en béton. Je pourrais me lever, tourner en rond, cela n'y changerait rien. Des regards pèsent sur moi, j'en suis sûre. Je les sens qui m'épient de tous les côtés. Je sens leur jugement peser sur mon corps. La culpabilité m'assaille à nouveau. Les larmes reviennent.
C'est de ta faute...
Fixe ton attention ailleurs. Ça ne marche pas. Mon angoisse s'intensifie. Les quelques meubles présents rendent le tout encore plus étouffant : une table avec un verre et une carafe d'eau pour compagnie. Un sourire amer. Bien futile comme attention : ma gorge est si sèche que je ne peux rien avaler. Ça et… Un sanglot m'échappe. Le creux dans ma poitrine s'agrandit. Quelque chose de profond, sans fond même. Il aspire tout. L'énergie de mon corps. Ma volonté. Un morceau de mon âme est perdu. Je me sens comme une marionnette dont on a coupé les fils. Impuissante. Inutile.
Je suis seule. Encore. Seule et recouverte de cendres. Mon cerveau est en ébullition et pourtant j'ai froid. Mes muscles sont transis de froid. Je prends ma tête entre mes mains, frissonnante. Des pas pressés, des voix étouffées me parviennent de l'autre côté de la porte. Des chuchotements rampent jusqu'à mon esprit, lui murmurant des horreurs vraies.
C'est de ta faute… Tu as son sang sur tes mains… Meurtrière...
Je resserre ma prise sur son collier. Le motif d'une fleur au centre d'un cercle en orichalque. Impossible à briser. Impossible à brûler… Je caresse du bout des doigts les arcs de cercle en rêvant de revenir en arrière. Si seulement je n'avais pas cédé, Aldena respirerait encore. On serait à la maison, pestant joyeusement contre le four qui ne voudrait pas s'allumer. Elle me sourirait tel le Soleil levant, ses yeux couleur ambre s'illumineraient de cette étincelle que j'aime tant. Ses mains dans les miennes, on tournoierait dans la pièce avec des cris de joie. Elle, m'avouant sa fascination pour mes cheveux lisses ; moi, admirant sa perfection. Puis tout s'en va. La réalité, cruelle, revient me hanter. Il ne reste plus qu'un cadavre calciné dans mes bras.
La porte s'ouvre. Je relève rapidement la tête pour observer la nouvelle venue. Une femme d'âge mûr. Ses cheveux noirs tombent en cascade sur ses épaules tandis qu'une frange droite barre son front pâle. Hormis son rouge à lèvres rubis, tout est noir ou blanc chez elle. Je me raidis sur ma chaise. Une broche dorée en forme de triangle avec un dragon est accrochée sur sa veste de satin. Un agent haut gradé du C.C.M. — le Contrôle des Créature Magiques — l'organisation qui gère tout ce qui est relatif aux Trappeurs. Elle incline la tête à mon attention.
– Mademoiselle Dorlémon, je suis Rubis. Vous avez sûrement entendu parler de moi.
Je hoche de la tête. Qui ne connaît pas Rubis, la plus grande Trappeuse de sa génération ?
– Dans ce cas, vous savez sûrement ce qui m'amène ici ? Les détails de la mort de votre coéquipière, Aldena Faliez, doivent être…
Un sifflement aiguë transperce mes tympans. Mes dents grincent. Je secoue ma tête pour essayer de le chasser. Rien à faire ; c'est comme si tous les sons ne se résumaient plus qu'à lui. Rubis continue de parler comme si de rien n'était ; je vois sa bouche bouger, mais aucun son n'en sort. Ma vue se trouble légèrement. La pièce tangue… des bruits de marteau envahissent ma tête… des lumières multicolores apparaissent autour de moi… Je ferme les yeux pour me ressaisir. Encore ces migraines, je croyais m'en être débarrassé.
– … Dorlémon ? Mademoiselle Dorlémon, est-ce que vous m'écoutez ?
Les lumières disparaissent. Rubis, son stylo encore en l'air, me lance un regard étrange. Des flammes dansent dans ses prunelles. Je retiens un cri de surprise. Je… juste pendant une seconde… Mais quand je la regarde de nouveau, ces iris noirs sont des plus banals. Je secoue ma tête. Ce n'est qu'une illusion ; tout ça, c'est dans ma tête.
– Mademoiselle Dorlémon ?
– Je… je vous écoute…
Ma voix n'est qu'un murmure. Ma bouche est pâteuse. J'ai soif, mais je n'ose pas esquisser un mouvement. Rubis me scrute. Je détourne mon regard, fixant le bout de mes chaussures. Le marteau dans ma tête résonne encore. J'ai l'impression d'avoir des notes funèbres piégées dans ma boîte crânienne.
Boum ! Boum ! Boum !
Une illusion, rien de tout cela n'est réel… C'est juste une migraine. Ça va passer. Respire profondément. Mes main tremblent ; je les serre l'une contre l'autre pour essayer de les calmer. La voix de Rubis me sort de mes pensées.
– Racontez-moi ce qui s'est passé ? Comment en êtes-vous arrivées jusque-là ?
Je me tortille légèrement, mal à l'aise, sous son regard insistant. C'est la douche froide ; j'ai réussi à oublier la raison pour laquelle je suis ici.
– Je… Nous avons reçu un rapport sur un lutin qui causait des ennuis dans un centre commercial. J'ai voulu refusé la mission à cause de l'heure tardive, mais Aldena a insisté pour y aller. Elle voulait faire ses preuves. J'ai fini par céder. Après tout, un lutin, ce n'était pas un C.M. — créature magique — difficile.
– Et ensuite ?
J'avale difficilement ma salive. Une bouffée de chaleur me submerge tandis que l'étau se resserre sur mon cœur. Je respire un bon coup avant de continuer.
– Ensuite, sur place, j'ai remarqué une étrange fumée rouge. Le M.E.C.A. détectait ce phénomène comme étant de la métarph, mais sous une forme qui m'était inconnue. Je l'ai signalé à Aldena qui s'en est approchée tout de suite malgré mes protestations. Tout s'est enchaîné très vite après. L'explosion, l'attaque du feu follet et… et…
Les mots se coincent dans ma gorge. Je baisse la tête. Mes épaules s'affaissent, un poids vient se rajouter en haut de ma pile de désespoir. J'ai soif. Ma main attrape maladroitement le verre d'eau sur la table, une vaine tentative pour soulager ma peine. Le liquide coule dans ma gorge. Amer est son goût, il s'est imprégné de ma détresse. J'arrête de boire. J'ai l'impression d'avoir avalé de l'acide.
– Et ensuite votre partenaire est morte carbonisée par ce feu follet, finit Rubis.
J'acquiesce ; il n'y a rien d'autre à ajouter. L'agent du C.C.M. pousse un soupir. On dirait que ça l'agace de me poser toutes ces questions. La manière dont son stylo frappe frénétiquement la table, ses lèvres pincées, ses quelques soupirs… Je me recroqueville un peu plus sur ma chaise. Je ne suis qu'une perte de temps pour elle.
Un silence inconfortable s'installe entre nous. Elle notant méticuleusement le moindre détail de cette conversation sur sa feuille, moi la regardant faire. Je n'ose dire quoi que ce soit de peur de m'enfoncer un peu plus dans la boue de mes ennuis. Les phrases défilent devant mes yeux, s'accumulant toujours plus sur la feuille. Le stylo arrête sa course. Finalement, c'est la célèbre Trappeuse qui prend l'initiative.
– Pensez-vous que vous auriez pu éviter ce drame ?
– Je… Je pense que j'aurais pu être plus convaincante. Peut-être même que j'aurais dû…
– Et pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? me coupe Rubis.
La surprise se peint sur mon visage. Ce n'est pas le genre de question à laquelle je m'attendais.
– Je…
Rubis pose violemment son stylo sur la table, m'empêchant de répliquer quoi que ce soit. L'interrogatoire touche à sa fin, je le sens.
– Voilà votre problème, mademoiselle Dorlémon : vous hésitez. Pour tout, pour rien. Vous feriez mieux de rentrer chez vous et laissez les gens compétents se charger du reste.
Mon cœur se fracasse à ses mots durs. Les larmes me montent aux yeux. Je suis… incompétente ?Un air désolé s'affiche sur le visage de la représentante du C.C.M., presque de la pitié.
– Je ne vous dis pas tout ça pour vous faire du mal. Je dis cela pour votre propre sécurité et celle de vos collègues.
Rubis se lève et se dirige vers la porte. Juste avant de sortir, elle se tourne vers moi et me lance :
– Désormais, mademoiselle Dorlémon, vous êtes relevée de vos fonctions de Trappeuse.
La porte claque, brisant mes rêves en morceaux.
Et aoutch... c'était fortement brutal. Genre, on est tout juste au début que le perso principal se prend des pains mentaux dans la gueule, c'est violent, quand même. C'en est à un point où j'essaie de deviner ce qui peut lui arriver dans sa tête et quand c'est quelque chose qui arrive dès le premier chapitre, ça veut bien dire qu'il y a un truc, c'est positif.
Let's go pour le chapitre 2, donc.
Je suis toujours un peu nerveuse par rapport à la façon dont j’ai commencé cette histoire, si ce n’était pas un peu trop… brutal. Mais apparemment, cette fois s’est bien passé !
J’ai hâte de savoir ce que tu penses de la suite et, si tu as des suggestions, je suis preneuse.
Enoxa
D'habitude l'utilisation d'une rédaction à la première personne peine à convaincre mais ce n'est pas le cas ici. Tant mieux.
J'espère que la suite sera à la hauteur de ce premier chapitre alors.
À bientôt.
Enoxa