« Malgré un entraînement intensif, l’équipe de New-York ne parviendra pas à atteindre le première ligue cette année. »
« Les spéculations sont ouvertes sur qui animera la mi-temps du match le plus attendu de l’année. »
« Trois raisons de détester son patron et de démissionner. »
J’appuyai un index las sur la touche de mon ordinateur pour effacer les titres que je venais d’écrire. J’avais un papier à rendre pour le lendemain et pas la moindre inspiration. En même temps, je n’avais jamais eu à écrire de rubrique aussi peu digne d’intérêt. C’était ma punition. Je levais un regard haineux vers le bureau déjà vide de mon rédacteur en chef. Il savait que me coller ce genre d’article bas de gamme dans les pattes était la pire des punitions. Je valais mieux que ça, tellement mieux. Je soupçonnais mon supérieur, monsieur Hendricks, d’avoir accepté de me mettre sur la touche, vu que mon dernier vrai reportage avait mis à la mal la réputation de certains représentants de notre classe politique.
Je n’avais fait qu’exposer la vérité, ce qui était le fondement de mon métier. Un peu trop de journalistes avaient tendance à oublier cela. J’avais volontairement ignoré les appel à la prudence de ma hiérarchie, qui n’en étaient en définitive pas vraiment. Certains des actionnaires du journal n’avaient pas intérêt à voir mes informations être dévoilées au grand jour. Dommage pour eux, j’avais préféré rester fidèle à mes principes plutôt qu’au sacro-saint capital. Voilà pourquoi je me retrouvais dans un open space depuis longtemps déserté, alors que la nuit était tombée depuis déjà plusieurs heures, avec un article bas de gammes à rédiger.
Je n’étais pas encore complètement seule, quelques lampes illuminaient encore l’océan sombre de l’open-space comme de petites lucioles perdues dans une mer d’écrans éteints et de câbles emmêlés. Dans le couloir adjacent, je pouvais entendre le vrombissement d’un aspirateur et une voix féminine étouffée. Je grimaçais : la personne à laquelle appartenait la voix chantait atrocement faux. Je soupirai avant de me pencher de nouveau sur mes notes. Les mots se mélangeaient en une bouillie sans forme ni sens devant mes yeux. Pas que je sois particulièrement fatiguée, mais je n’arrivais tout simplement pas à faire semblant de m’intéresser à des sujets sans consistance.
J’étais reporter, une des meilleures. Je n’aimais rien de plus que de courir après la vérité, déterrer les secrets, surtout ceux que leur propriétaire préféraient voir enfouis le plus profondément possible. La politique, la corruption, la pègre, les escroqueries, les meurtres, voilà les sujets qui m’intéressaient et me faisaient vibrer. J’étais douée pour traquer les menteurs et les confronter avant de les afficher en plein écran pour les donner en pâture à la foule la plus hargneuse qui soi : celle du net. C’était pour ça que j’étais devenue journaliste, que je n’avais jamais renoncé malgré les menaces et les rédacteurs en chef corrompus. J’étais hargneuse, une fois mes dents plantée dans la jambe d’une proie, il m’était impossible de la lâcher. Dès que je flairais une bonne histoire, il fallait que je remonte la piste.
Me demander d’écrire sur l’actualité sportive, c’était pire qu’une punition : c’était insultant. Je valais mieux, et j’avais des sujets bien plus intéressants à traiter. Abandonnant le carnet sur lequel j’avais essayé tant bien que mal de prendre des notes quand j’avais interviewé l’entraîneur de l’équipe d’un sport que je ne suivais pas et dont j’avais déjà oublié le nom de l’équipe, je sortis de mon sac un carnet bien plus épais, corné, usé, dont des centaines de post-il dépassaient.
- Salut Hélèna, à demain !
Je levais une main peu convaincue au dessus de mon box avant de l’agiter mollement en direction de mon dernier camarade de fortune qui allait quitter le navire me laissant seule à la barre des bureaux du web magazine le plus lu des Etats-Unis : le DailyFeed. Je me redressais après avoir entendu la porte se refermer pour vérifier que j’étais bien seule. Une fois ma solitude confirmée, j’ouvris mon carnet avant de le feuilleter jusqu’à retrouver le sujet qui m’intéressait. Attrapant un crayon dont je me mis à mâchonner la gomme, je relus mes notes pour essayer de voir si peut-être un détail pouvait me mettre sur une nouvelle piste.
Depuis quelques mois, des profanations de tombes et des vols de cadavres se produisaient dans tout le pays mais également en Europe. Je revenais d’ailleurs de quelques jours en France où les dernières profanations avaient été commises. J’avais évité l’Angleterre malgré le fait que mon fixer local m’ai indiqué qu’il y avait également eu des tombes retrouvées vides à Londres. J’avais laissé plus que des mauvais souvenirs quand j’avais quitté la contrée de Shakespeare après mes études.
Me voir confiée la rubrique sur le football américain avait été le cadeau de mon supérieur quand j’avais remis un pied sur le territoire américain, moi qui avait bêtement cru que me planquer en dans cette bonne vieille Europe allait lui faire oublier que je lui avais désobéi… j’en avais pris pour mon grade. Cependant, ce petit séjour m’avait été plus que profitable puisque j’avais pu aller enquêter dans un cimetière dont les tombes avaient été profanées.
C’était une histoire fascinante : les cadavres volés étaient uniquement des corps de femmes, les noms sur les tombes étaient systématiquement effacés et j’avais été incapable de retrouvé la moindre trace de l’identité des défuntes dans tous les registres que j’avais épluché, et ils avaient été nombreux. Malgré l’absence de noms, certaines tombes étaient clairement anciennes et pouvaient dater de plusieurs décennies voir de plusieurs siècles tandis que d’autres avaient été mis en terre quelques jours à peine avant d’être forcés. Au début, ce n’avais été que quelques cas isolés mais le nombre de cadavres disparus ne faisait qu’augmenter.
Le plus intéressant était que ce n’était pas tout le cadavre qui était volé, non, les voleurs ne prélevaient que certaines parties bien spécifiques du corps. Comme les parties manquantes étaient systématiques les mêmes et que le nombre de tombes vidées devenaient impossibles à dissimuler, j’avais commencé à m’intéresser à cette histoire. J’avais méticuleusement vérifié tous les rapports et tous indiquaient la même chose : les voleurs ne prélevaient que les crânes, les mains et les pieds des défuntes. C’était plutôt étrange, il devait apparemment exister un trafic pour les fétichistes de ce genre d’ossements. Je déglutis avec difficulté au moment où je repensais à la tombe ouverte où j’avais réussi à apercevoir un cadavre malheureusement pas encore décomposé à qui il manquait ces mêmes parties du corps.
J’avais dû quitter Paris trop rapidement pour vraiment poursuivre mon enquête sur place mais le nombre de tombes profanées ne manquait pas non plus en Amérique. Je n’étais restée que dans la capitale mais j’avais entendu dire que des faits similaires c’étaient produits dans d’autres villes. Lors de mon vol retour, j’avais eu le temps de méditer sur cette affaire : j’avais l’habitude du glauque, du sanglant, de l’inimaginable, du répugnant mais je ne pouvais pas imaginer qui aurait intérêt à voler une telle quantité de membres, même pour les revendre.
Le monde devenait complètement fou. Fermant mon carnet, j’appuyai mon menton sur la paume de ma main avant de soupirer. Cela ne servait à rien que je m’épuise à relire mes notes, je n’avais pas de piste intéressante et même si j’en avais eu une : jamais je n’aurais l’autorisation de la suivre. Or, même si je détestai travailler pour un journal plutôt qu’en indépendante, appartenir à une rédaction voulait dire avoir accès aux fonds du journal et à la protection que le nom que celui-ci pouvait apporter. Et ça, je ne pouvais pas m’asseoir dessus.
Mon téléphone vibra, me tirant de ma rêverie. L’écran s’illumina au moment où la notification du message s’affichait. Je souris avant de pianoter sur l’écran pour répondre à mon interlocutrice.
*Tu es retard*
Le message suivant s’afficha alors que je n’avais pas encore eu le temps d’envoyer ma réponse, je souris encore en imaginant la tête de celle qui était sans doute en train de mâchouiller ses cheveux, comme à chaque fois qu’elle était inquiète ou juste que je l’agaçais.
*Tu aurais dû arriver au magasin il y déjà plus de 20 minutes H, à défaut de venir tu aurais au moins pu me prévenir ! *
* E, tu sais que je dois terminer mon article… J’essaye de venir au plus vite, tu gardes la boutique ouverte pour moi ?:) *
* Fais attention à toi en venant H, s’il te plaît*
Elvire était ma meilleure amie depuis notre rencontre à Oxford. Depuis, nous ne nous étions jamais quittées. Elle avait même choisi de s’installer à New-York avec moi quand j’avais dû quitter précipitamment l’Angleterre. Depuis, je passais presque toutes mes soirées dans la librairie, salon de thé, boutique ésotérique qu’elle avait ouverte pas très loin de mon appartement.
Son inquiétude me touchait mais n’avait pas réellement lieu d’être : j’étais parfaitement capable de me défendre seule et puis je ne prenais pas beaucoup de risques sachant que le trajet n’était pas très long entre le building qui abritait les bureaux du Daily et sa boutique. Mais je pouvais comprendre le fait qu’elle soit anxieuse, depuis quelques mois, la ville semblait avoir sombré dans une spirale infernale. La nuit, la violence avait atteint une nouvelle intensité. C’était devenu difficile de se sentir en sécurité. Tout semblait plus sombre, plus malsain, plus sale… C’était une très étrange sensation. Ceux qui d’ordinaire choisissaient les rues étroites et sombres pour commettre leurs méfaits, agissaient aujourd’hui au vu et au su de tous. Et, la violence semblait être devenue totalement hors de contrôle. New-York était devenue étouffante. C’était un sentiment d’angoisse indescriptible, difficilement perceptible mais qui était pourtant bien là, qui s’insinuait sous la peau.
* Je ferais attention, c’est promis E. Passe donc chez ton admirateur pour nous prendre de quoi manger ce soir, je meurs de faim !*
* Ce n’est pas mon admirateur, sors toi cette idée de la tête !!! Bon, je t’attends, fais vite.*
Je rangeais mon téléphone dans mon sac à dos avant d’éteindre mon ordinateur. Finalement, je n’avais pas écrit la moindre ligne. Et bien tant pis, si cela dérangeait ce cher Hendricks, je m’en lavais les mains. Je récupérais également mon appareil photo avant d’éteindre la lumière de mon poste et d’enfiler ma veste en cuir. Tandis que je fermais la porte, une voix me fit sursauter.
- Vous partez tard, mademoiselle Chantraine, vous faites des heures sup’ ?
C’était la femme que j’avais entendu chanter tout à l’heure et qui me regardait sans sourire, son aspirateur éteint dans les mains. Elle avait l’air d’avoir une cinquantaine voire un soixantaine d’années, son dos était légèrement voûté et ses doigts s’agrippaient comme des griffes crochues à son aspirateur. Je ne l’avais jamais vue et c’était étrange qu’elle connaisse mon nom. Après une seconde de réflexion, je me dis que ce n’était pas étranger qu’elle le connaisse : je signais mes articles avec mon vrai nom et il y avait toujours ma photo d’affichée à côté. Elle avait dû lire un de mes articles. Je la contournais sans la regarder pour ne pas l’encourager à plus me parler.
- Oui, désolée, répondis-je avant de me diriger vers l’ascenseur.
Je n’étais pas quelqu’un de particulièrement sociable et ces petites discussions contraintes au détour d’un couloir m’insupportaient. J’avais déjà refoulé de nombreux collègues à la machine à café qui avaient cru intelligent de venir me parler de la météo ou de leur vie de famille. Je ne travaillais pas pour me faire des amis ou raconter ma vie. En fait, c’était simplement qu’ils ne m’intéressaient pas, et je n’avais pas envie de faire semblant. Il en allait de même avec cette étrange femme de ménage qui avait réussi à me faire sursauter.
Le sol était un carrelage sur lequel le moindre bruit raisonnait et pourtant elle était apparue dans mon dos sans que je l’entende approcher. J’avais développé la capacité d’avoir des yeux dans le dos : nécessaire dans ma profession si l’on veut exercer assez longtemps. Cependant, je ne l’avais pas entendue ni n’avais sentie sa présence. Un exploit.
- Vous allez prendre le métro ? Me demanda soudain l’étrange femme qui maintenait son visage dans l’ombre. Je vous le déconseille, avec les inondations, la rame est fermée.
Je ne lui répondis pas et appuyai sur le bouton du rez-de-chaussée tout en grinçant des dents, j’étais bonne pour me taper le trajet à pied jusqu’à la boutique d’Elvire, décidément ce n’était vraiment pas une bonne soirée. Je soupirai avant de sortir mon téléphone pour prévenir mon amie.
- Les nuits sont dangereuses, mademoiselle Chantraine, faites attention à vous, murmura la femme avant que les portes de referment sur moi.
Je relevai brusquement la tête, le ton de la femme avait brutalement changé quand elle prononcé ses derniers mots et alors que les portes métalliques claquaient, j’aperçus son visage clairement. Ce n’était plus celui d’une vieille femme comme je l’avais d’abord cru, son visage était bien plus juvénile et ses yeux brillaient d’une lueur étrange et insondable.
Je secouai la tête, certaine d’avoir rêvé. Le brusque changement d’apparence de la femme occupa tant mon esprit qu’au moment où je sortais du building, j’avais oublié d’envoyer un message à Elvire.