Vania, debout et droite comme un i, se tenait immobile comme les quatre-vingt-dix-neuf autres apprentis chasseurs. La salle ronde n’était pas très grande, mais splendide. Le sol était d’un marbre rose doux pailleté d’or qui avait déjà accueilli des milliers de promotions comme la leur. Quant aux murs… Il n’y en avait pas, rien qu’une immense baie vitrée circulaire qui possédait une vue imprenable sur la terre aride de la plaine des vents. Mais si la vue était à couper le souffle, les commandants des chasseurs l’étaient encore plus. Habillés de la traditionnelle tenue des chasseurs ocre et pourpre, ils avaient une prestance qui fit frissonner Vania. Une aura d’autorité les entourait si bien que la jeune fille était persuadée que si elle tendait la main, elle pourrait la toucher. Bien sûr, elle n’en fit rien, le corps tendu et immobile. Comme ses camarades, au souffle si silencieux, on aurait pu la croire morte si elle ne clignait pas des yeux de temps à autre.
A ses côtés, Carmène, sa meilleure amie, était détendue et à son aise dans cette cérémonie. Bien sûr, elle avait de quoi l’être : si Vania était bonne en tout, mais excellente en rien, Carmène était brillante en tant que chasseuse. D’aucuns la soupçonnait de devenir la meilleure chasseuse depuis cent ans. Vania avait même surpris deux professeurs discuter sur le fait que, s’il y avait bien une personne qui pourrait un jour attraper l’Aefa originel, ce serait Carmène Deboussi.
Vania jeta un regard admiratif à son amie. Elle lui semblait incroyable, et c’était peu de le dire. Carmène avait un instinct presque surnaturel quand il s’agissait de traquer les Aefas, maniait les différents lassos comme s’ils étaient partie intégrante de son corps et était d’une beauté hors du commun : de longs cheveux noirs comme jais coiffés impeccablement en une longue tresse, des grands yeux noirs et brillants, la peau d’un joli caramel foncé, sans parler de sa bouche pulpeuse et de ses hanches pleines qui faisait rougir plus d’un de leur camarade. Mais Vania n'avait jamais vu son amie jouer de ses charmes ou de son intelligence pour obtenir quelque chose. Au contraire, elle était d'une gentillesse et d'une loyauté sans limite, n'hésitant pas à donner le peu de son temps libre à aider les autres. On aurait pu la croire parfaite, et elle l’était aux yeux de Vania. Ses seuls défauts notoires étaient son incapacité à dessiner autre chose que des bâtons, et son air buté quand elle pensait avoir raison.
— Nous allons à présent appeler, dans l’ordre décroissant de leur classement, nos élèves reçus, raisonna soudain la voix de la commandante Aefa, retenant immédiatement l’attention de Vania.
La commandante tendit un parchemin à son collègue près d’elle, avant de se positionner près de l’estrade montée pour l’occasion. Ses yeux bruns parcoururent les élèves, puis leurs familles qui se tenaient derrière eux. Même pour les ignorants, il était évident qu’elle était quelqu’un d’important. Son statut de commandante Aefa la désignait comme la directrice de l’école, mais aussi comme la présidente du Conseil des Chasseurs. Personne ne connaissait son vrai nom, et nul ne lui aurait demandé. Après tout, lorsque l’on devenait Chasseur, il fallait abandonner son identité pour en revêtir une nouvelle, faite d’un nom d’animal. Seuls les présidents du Conseil des Chasseurs avaient droit d’emprunter celui de l’Aefa, tous les autres devaient se contenter d’un animal moins prestigieux. La commandante avait eu le nom d’Aigle avant d’accéder à son nouveau titre. Vania comprenait pourquoi : elle avait le regard perçant et ne ratait jamais sa cible. Elle n’était intervenue que très rarement pendant les cours des apprentis chasseurs, mais leur avait laissé à chaque fois un souvenir cuisant : elle était d’une exigence telle que même Carmène peinait à satisfaire.
— L’élève le plus prometteur, commença le commandant Moineau, reçu avec une moyenne de 105/100 aux examens de passage, teneur du record de l’école du kilomètre en voile, major de cette promotion : Carmène Deboussi.
Derrière elles, les spectateurs applaudirent à tout rompre. Vania entendit même la famille de son amie, chose assez rare pour être remarquée, exprimer leur joie à travers un petit cri admiratif. Carmène adressa un clin d’œil et un sourire éblouissant à Vania, puis sortit du rang pour monter sur l’estrade. Là, elle posa un genou contre terre, tête baissée, devant la commandante Aefa. Cette dernière sortit son lasso cérémoniel, fait d’un cuir de buffle abîmé par les siècles, et le posa sur l’épaule gauche de l’élève.
— Carmène Deboussi, consens-tu à devenir une Chasseuse ?
— Oui, j’y consens.
— Renonces-tu à ton identité antérieure pour te consacrer pleinement à la tâche divine qui nous as été attribuée ?
— Oui, j’y renonce.
— Quel nom demandes-tu de revêtir ?
— Chasseuse Panthère, ma commandante.
La commandante jeta un regard rapide à ses compagnons. La panthère était un animal, et par ce biais un nom, très puissant. Vania savait que Carmène le demanderait, même si elle risquait de se le faire refuser et donc de vivre l’humiliation de se faire désigner un nom. Mais, comme à son habitude, Carmène avait pris un air buté devant les paroles de Vania et avait conclu qu’elle aurait ce nom, et aucun autre, quoi qu’il lui en coûte. Vania retint sa respiration devant l’indécision des commandants. Enfin, ils hochèrent tous la tête positivement.
— Chasseuse Panthère, bienvenue parmi nous, lâcha alors la commandante en relevant le lasso.
Une nouvelle fois, une salve d’applaudissements parcourut la salle. Carmène se releva, les yeux brillants, et vint se poster sur le côté de l’estrade pour attendre les compagnons qui allaient la rejoindre. Vania savait que malgré l’émotion qui l’étreignait, Carmène ne pleurerait pas. Elle était bien trop forte pour cela.
Jérémy Gilbert fut le second appelé, ce qui n’étonna personne. C’était quelqu’un de nerveux et d’impatient, qui avait toujours détesté se faire battre. Sa ténacité l’avait mené loin, mais jamais plus que Carmène. Il la foudroya du regard avant de s’adresser à son tour à la commandante Aefa. Il demanda le nom d’Ours, qu’il se fit accorder. Suivi alors Nobert Meso, timide et introverti, mais si vif dans l’action qu’il avait failli battre Carmène au kilomètre en voile, cette course très aimée des Venturiens. Il demanda le nom de Guêpe.
— Reçue avec une moyenne de 93/100, Vania Celta, prononça alors le commandant Moineau à la surprise générale.
Vania ouvrit de grands yeux, comme si on lui avait fait une blague. Elle n’avait pas eu l’impression d’exceller aux examens. Elle se savait douée, oui, perspicace et volontaire, mais pas à ce point. Elle passa une main nerveuse dans ses longs cheveux châtains, puis se dirigea à son tour vers l’estrade. Derrière elle, elle entendit son père et ses frères hurler de joie.
Lorsqu’elle posa à son tour genou à terre devant la commandante, tête baissée, et qu’elle sentit le lasso sur son épaule, Vania se mit à trembler légèrement, fébrile. Ses souvenirs lui revinrent alors avec la puissance d’une tempête de sable. Ses cousins qui rêvaient de devenir Chasseurs quand ils étaient plus petits. Le dernier souffle de sa mère, qui avait toujours poussé ses enfants à devenir les meilleurs possibles. Son père qui regardait avec admiration la commandante Aefa revenir d’une chasse où elle avait réussi à capturer un Aefa triplé. Et enfin Carmène, qui lui avait transmis sa passion. Tout cela l’avait mené à cet instant précis, où seuls les mots de la commandante et les siens importaient, où son destin se jouait.
— Vania Celta, consens-tu à devenir une Chasseuse ?
Le consentait-elle ? Était-ce ce qu’elle souhaitait vraiment ? Au fond d’elle, Vania savait qu’elle ne réalisait pas son rêve, contrairement à Carmène. Elle réalisait le rêve de n’importe quel Venturien, de n’importe quel Terrien, mais pas le sien. Elle ne savait pas rêver. Mais elle savait réaliser ce que les autres souhaitaient.
— Oui, j’y consens.
— Renonces-tu à ton identité antérieure pour te consacrer pleinement à la tâche divine qui nous as été attribuée ?
Voilà la question qu’elle redoutait le plus. Sa famille était présente à cette cérémonie, et elle pourrait encore profiter d’eux deux jours durant. Puis ce serait fini. Vania Celta disparaîtrait à jamais au profit de la chasseuse qu’elle deviendrait. Elle ne verrait plus sa famille que lors de cérémonies officielles. Elle ne jouerait plus avec sa nièce, n’écouterait plus son père lui conter des histoires, ne tenterait plus de séparer ses frères lors d’une bagarre. Elle ne pourrait plus enfanter. Sa vie tiendrait dans les mains du Conseil des Chasseurs.
— Oui, j’y renonce.
— Quel nom demandes-tu de revêtir ?
Voilà la seule chose qu’elle savait sur elle-même, son animal totem. Elle était loyale, et féroce si l’on s’attaquait à ceux qu’elle aimait. Très résistante également. Mais elle suivait ce que sa meute décidait.
— Chasseuse Louve, ma commandante.
— Chasseuse Louve, bienvenue parmi nous.
Et c’est sous un tonnerre d’applaudissement que Vania renonça à elle-même.
Je me permet quelques remarques formelles :
- Pour la phrase suivante : "Vania avait même surpris deux professeurs discuter sur le fait que, s’il y avait bien une personne qui pourrait un jour attraper l’Aefa originel, ce serait Carmène Deboussi." ==> Je me demande si ça ne serait pas plus simple avec une construction comme ça : "Vania avait même surpris un professeur dire à un autre 'Si quelqu'un peut un jour attraper l'Aefa originel ça sera Carmène Deboussi !'" (désolé pour l'empilement de guillemet).
- Pour cette phrase : "teneur du record de l’école du kilomètre en voile" je crois que "détentrice du record" serait peut-être plus fluide.
Et aussi des question de fond :
- Carmène et présenté comme la meilleur amie de Vania, mais la façon dont Vania la voit laisse penser qu'elle éprouve plus que de l'amitié à son égard ou alors c'est moi qui interprète de travers ?
- Pourquoi Vania accepte d'être chasseuse si elle n'en a pas envie plus que ça ?
Bref ça donne envie de continuer.
Merci d'avoir pris le risque de partager ce texte, je vais de ce pas lire la suite.
Très contente de vous revoir sur cette deuxième oeuvre :) ravie qu'elle vous tente!
Et merci pour toutes ces remarques, elles sont notées, je vais pouvoir corriger ce premier jet!
Les émotions sont bien décrites, les descriptions intéressantes, on s y croirait, je m'imagine très bien la scène et les dilemmes auxquels elle est confrontée. Et j'aime le nom de l'animal qu' elle a pris (la Louve) que j'aurai certainement pris à sa place !
Donc encore un bon chapitre, et je vais lire la suite ;)
Je suis très fière que ce premier chapitre te plaise bien :)
* comme s’ils étaient partie intégrante de son corps et était d’une beauté hors du commun -> c'est un peu confus, ici. Il faudrait commencer une autre phrase: Elle était d'une beauté hors du commun
* sans parler de sa bouche pulpeuse et de ses hanches pleines qui faisait rougir -> faisaient, non ?
* Carmène se releva, les yeux brillants, et vint se poster sur le côté -> tu peux juste dire "se posta" et ça rend le texte un tantinet plus fluide !
Ton commentaire me touche beaucoup! Cette dernière phrase, c'est celle qui a fait naître mon personnage alors j'en suis assez fière x)
Merci beaucoup pour tes remarques très justes, elles m'aideront dans la réécriture!