Comme chaque jour, Lara se leva assez tôt. La jeune femme prit une douche et coiffa sa longue chevelure couleur ébène. Elle avait pris une année sabbatique afin de pouvoir se rapprocher de son jeune fils de neuf ans. En effet son travail de vétérinaire lui prenait beaucoup de temps et elle n’hésitait pas à assurer les gardes de nuit auprès de ses protégés à poils et à plumes. De plus, étant divorcée s’occuper de tout gérer devenait compliqué.
— Cody vient boire ton chocolat, il ne faut pas tarder !
Ses yeux verts parcoururent une par une les affaires du petit garçon, rien ne devait manquer pour l’école. Elle prit la laisse de son compagnon à quatre pattes Nao, et une fois le petit déjeuner avalé mena Cody devant son établissement pour son dernier jour avant les vacances scolaires. Elle reprit ensuite sa route en direction d’une petite clairière en bordure de la forêt. Elle engagea son vieux tout-terrain sur des sentiers de moins en moins praticables jusqu’à la stopper dans une zone où elle avait ses habitudes.
Habiter Trinidad lui permettait de garder une grande proximité avec la belle forêt amazonienne, elle ne savait pas pourquoi, mais à ses yeux c’était vital et elle savait qu’elle ne pourrait jamais vivre ailleurs qu’ici. En effet la ville était située dans le bassin amazonien, au bord de la rivière Arroyo San Juan. Elle chérissait cet endroit et aimait se rendre dans cette clairière pour y photographier les quelques animaux qui venaient y paitre. Parfois elle se rendait aussi à Puerto-varador à treize kilomètres de Trinidad sur la rivière Mamore, là elle aimait admirer les dauphins d’eau douce. Comme toujours, elle se cala à l’abri des arbres, laissant Nao vagabonder non loin de là. Elle sortit son appareil photo de sa sacoche et y fixa un puissant objectif. Quoi de mieux qu’une matinée ensoleillée pour espérer prendre en photo des perroquets ou encore des singes-écureuils ? Oh bien sûr comme tout passionné de la faune sauvage elle aurait aimé croiser un jaguar, mais pas sûr que cela soit une bonne idée en fin de compte. À quoi bon avoir une belle photo si l'on est dans son estomac ?
Et puis après tout, rien n’était perdu peut-être que cela finirait par arriver, une bonne surprise n’étant jamais à exclure. Nao se promenait déjà depuis près d’une heure lorsque quelque chose retint son attention. Le Berger blanc dressa ses oreilles et sa queue en alerte. Mais bientôt, son poil se hérissa, il rabattit ses oreilles en arrière et montra les crocs, un grondement menaçant s’échappa de sa gorge, l’éclat qu’il distinguait dans les fourrés devait lui sembler dangereux et il paraissait prêt à en découdre.
Lara, à qui le comportement étrange de Nao n’avait pas échappé, accourut auprès de lui pour le calmer. Mais à peine fut-elle à ses côtés qu’un bruit dans les buissons le fit réagir et en une fraction de seconde il s’élança, sa maitresse sur les talons. Qu’est-ce qui avait pu provoquer une telle réaction agressive chez son chien d’ordinaire si calme ? Jamais elle ne l’avait vu s’en prendre à un humain ou à un animal, il y avait bien la fois où son ex-mari avait été mordu … Non Nao n’avait fait que défendre sa maitresse contre la colère de ce dernier qui encore une fois s’était réfugié dans l’alcool.
Décidément, Lara ne comprenait pas. Les aboiements de Nao se firent plus proches, elle le rattrapait ! Enfin après avoir parcouru une centaine de mètres dans la forêt, elle le retrouva, nez à nez avec une femme aux yeux bleu acier qui semblait méfiante vis-à-vis du chien. Elle devait avoir une trentaine d’années, elle avait des cheveux aussi dorés que du miel et la peau légèrement hâlée. Il aurait pu s’agir d’une joggeuse qui avait surpris son chien ! Elle aurait pu s’en convaincre si la femme ne portait pas une dague accrochée à sa ceinture.
Une braconnière ! Voilà, c’était ça ! Lara ne savait que trop bien que la forêt était victime de ce genre de personnes peu scrupuleuses.
Seulement, quelque chose chez cette femme la captivait, elle ne savait pas pourquoi, mais d’un seul coup elle s’en voulut d’avoir pensé cela. Après tout, de plus en plus de femmes s’armaient comme elles le pouvaient pour pouvoir se défendre face à d’éventuels agresseurs.
— Nao, ça suffit !!
Son ton était sans appel et le chien lui obéit sans opposer de résistance.
— Pardonnez-le, votre couteau à du l'effrayer, ajouta-t-elle à l’adresse de l’inconnue.
La femme se releva et fit un pas en arrière.
— N’ayez crainte, Nao ne vous fera rien, insista Lara.
— Ce loup à un nom ? demanda la femme.
Lara allait lui répondre lorsque son regard se porta sur un tatouage que l’inconnue portait sur l’épaule : une fleur blanche que la jeune femme connaissait parfaitement. Cette fleur était la même qui était cousue sur la couverture qui la bordait lorsqu’elle n’était encore qu’un bébé. Ce qui surprit le plus la jeune femme, c’est que cette fleur n’était pas commune et peu connue du grand public.
Elle pensait elle-même lorsqu’elle était petite que cette dernière était une invention de sa propre mère, une fleur magique qui serait là pour protéger ses rêves.
Lara reprit ses esprits, mais demanda encore troubler.
— Ce … Ce couteau ? Vous chassez ? Vous savez Nao n’est pas un loup. C’est un berger blanc, un chien.
La femme regarda attentivement l’animal et répondit
— Je ne chasse pas, cette dague est uniquement pour me défendre.
Elle s’écarta de l’arbre et s’éloigna
— Je dois partir, si l’envie te prend de t’aventurer plus loin dans la forêt prend garde, le danger peut être n’importe où. Derrière chaque arbre. Ne fait confiance qu’à toi-même.
Lara regarda la femme partir assez perplexe. Elle trouvait son comportement étrange. De plus, après réflexion, la dague, bien qu’impressionnante, n’avait pas l’air vraiment taillée pour résister à un jaguar ou un caïman affamé. La jeune femme détestait la sensation qu’elle ressentait en cet instant. La sensation d’être suivie et épiée. Son imagination lui jouait peut-être des tours. Cependant, elle préféra couper cours à sa séance photo et prit le chemin du retour, après quoi, sa journée fut remplie de questions. Vers dix-sept heures, elle reprit la route pour récupérer son fils à l’école, elle avait d’autres choses à penser et cette inconnue qu’elle ne croiserait probablement plus jamais n’en faisait pas partie. Du moins, c’est ce qu’elle s’efforçait de se dire. Elle s’attela à ne plus y penser et après un bon repas en compagnie de Cody elle se plongea dans un bon film d’action.
Elle profita des vacances de son fils pour ne plus y penser et se changer les idées. En effet, un petit garçon avec de l’énergie à revendre promettait des journées bien remplies en activités diverses. Le jeune enfant était de caractère aventureux, mais relativement sage et posé lorsqu’il se trouvait avec sa mère.
Privé jeune de son père, il avait appris à faire sans et à ne compter que sur Lara. Tous deux partagèrent depuis toujours des choses qu’ils aimaient faire eux, de la balade en passant par des initiations à la nage. Parfois, Lara amenait même son fils avec elle à la clinique où l’enfant prenait plaisir à l’aider les week-ends quand il n’avait pas cours. Au fond, elle espérait qu’il resterait aussi bon et gentil envers la faune et la flore, qu’elle ne l’était. Après tout, quelle mère ne serait pas fière de léguer sa propre clinique à son enfant, de le voir perpétuer une passion pour laquelle elle s’était donnée corps et âme ? Cependant malgré ses efforts, cette femme lui revenait sans cesse en mémoire.
Lara se sentait attirer par cet endroit et se posait de nombreuses questions sur l’inconnue, c’est pourquoi elle prit la décision de retourner sur les lieux de leur rencontre, laissant son fils chez une amie.
Elle avait passé un peu de son temps libre à faire des recherches sur une quelconque activité de braconnage dans le secteur en vain.
Comme toujours, elle détacha Nao et entreprit de se balader en lisière de forêt.
Alors qu’elle ajustait l’objectif de son appareil photo en direction d’un oiseau de paradis, une lueur attira son regard non loin de là. Un éclat étincelant semblable à celui de l'autre jour. Nao aussi le remarqua et comme la première fois, il s’élança dans les bois, Lara le suivit.
Le chien s’arrêta quelques minutes plus tard et la jeune femme scruta les lieux, mais mis à part l’épaisse forêt elle ne distingua rien.
Un léger sifflement à peine audible attira son attention, elle regarda dans la direction, mais, sans avoir le temps de réagir elle fut frappée violemment et tomba au sol. Puis tout devint flou, des cris... Des aboiements… Le bruit du métal que l’on entrechoque… Et puis plus rien.
Elle sombra dans l’inconscience.
Lara fut réveillée par une sensation humide sur les joues. Elle ouvrit les yeux et, en voyant son compagnon, comprit que ce dernier lui avait léché le visage. Il la regarda, assis devant elle en remuant sa queue sur le sol, balayant les feuilles mortes qui s’y trouvaient. Elle se redressa, la nuit était tombée et elle se trouvait toujours dans la forêt. Ses yeux mirent un léger moment pour s’habituer à la pénombre Les cris des singes hurleurs et autres créatures de la nuit résonnaient de manière lugubre dans cette immensité forestière. Elle devait bien s’avouer que se retrouver seule ici était loin de la rassurer.
Seule. Vraiment ? Elle se ravisa en découvrant un feu de camp qui brûlait avec piqué dessus un Capybara chaud.
Où était-elle ? Que s’était-il passé ? Une sourde inquiétude s’empara d’elle. Elle observa l’animal rôtir.
Il ressemblait à un gros castor et elle éprouva une sorte de dégout à l’idée qu’il soit consommé. Elle se redressa un peu plus. Il fallait qu’elle rentre au plus vite, son fils devait l’attendre chez la nourrice.
— Tu es enfin revenue à toi !
Lara reconnut la voix de l’inconnue.
— Tu te sens mieux ? s’enquit cette dernière.
— Je crois que oui… Que s’est-il passé ?
— Mange, nous aurons le temps pour les questions un peu plus tard.
Manger ? Son estomac avait beau crier famine elle se sentait incapable d’avaler quoi que ce soit pour le moment. Soudain, un vent de panique l’emporta.
— CODY ! Où est mon fils ?! Je devais le récupérer chez mon amie !
— Calme-toi, j’ai trouvé ton cellulaire et je me suis permis de prévenir ses grands-parents. J’ai prétexté que tu étais de garde ce soir.
Lara s’apaisa un peu. Au moins son fils n’était pas seul livré à lui-même.
— C’est gentil merci … Une minute !! Comment savez-vous où je travaille ? Qui êtes-vous à la fin ?
— Calme-toi Lara ! Je vais répondre à tes questions, mais tu dois d’abord reprendre des forces.
La jeune femme examina la viande que lui tendait l'inconnue et finalement la prit sentant que son estomac ne tiendrait pas plus longtemps. Elle n’avait pas le choix, autant faire ce que cette femme lui conseillait. Plus vite elle obéirait, plus vite elle obtiendrait des réponses et rentrerait chez elle.
Après s’être repue, elle laissa les restes à Nao qui se délecta de ronger les os jusqu’à les faire briller. Lara reporta son attention sur la femme qui lui faisait face, des tas de questions se bousculaient dans son esprit et cette dernière semblait l’avoir deviné. Elle raviva le feu et se cala dos à un arbre.
— Je m’appelle Alkaia, si je sais qui tu es et où tu travailles c’est parce que je te surveille depuis quelques mois »
Lara sentit un frisson la parcourir et son sang ne fit qu’un tour.
— Vous m’espionnez ?! Pourquoi ? Si c’est mon ex-mari qui vous envoie …
— CERTAINEMENT PAS ! Je ne t’espionne pas, je cherche juste à te protéger, ma mission consiste à veiller sur toi.
Lara repoussa une mèche de ses cheveux ébène d’un geste agacé, écoutant intensément l’inconnue qui lui expliquait sa présence dans cette forêt
Malgré sa contrariété évidente, la jeune femme semblait perdue, Alkaia savait qu’à sa place il en serait de même, elle reprit :
— Quelqu’un te veut du mal, cette personne est mauvaise… D’ailleurs, ce n’est pas une personne, mais un monstre, une erreur créée par les hommes. Ils ont joué avec la génétique et la science pour créer une armée de soldats. Ils se sont servis de leurs propres guerriers, blessés dans leurs guerres stupides pour la course au pouvoir. Les cobayes ont commencé à muter, et au lieu d’avoir des soldats à toute épreuve, ils ont créé un monstre. Le projet a avorté, mais entre-temps une centaine de ces ignobles créatures avaient vu le jour, elles ont été enfermées au cœur de la forêt dans un ancien tombeau. Cependant, ils ont réussi à trouver une faille, et c’est grâce à notre peuple si les êtres humains de ton monde n’en connaissent pas l’existence…
Lara regarda l’inconnue, les yeux écarquillés de stupeur : qu’est-ce que c’était que cette histoire ? La femme reprit :
— Nous avons une reine Mais voilà elle est souffrante, et sans toi à nos côtés la guerre est perdue d’avance. Ces monstres le savent et en jouent. Nous avons jugulé leur progression en les repoussant plus loin dans la forêt, mais si notre reine trépasse ce sera la fin…
Lara secoua la tête, sans comprendre. Quel était son rôle dans tout cela ? Elle se moquait bien de ces histoires farfelues, elle voulait simplement rentrer chez elle. Pourtant, la curiosité la poussa à demander :
— Pourquoi chercherait-on à me tuer ? De quoi parlez-vous quand vous dites votre peuple, votre reine ? Et en quoi pourrais-je vous aider ? C’est absurde !
— Tu as tout de la mère célibataire ordinaire, une petite vie bien remplie, un enfant… Mais tout cela n’est qu’une illusion. Ton destin est ailleurs, loin de tous ces artifices que vous nommez voitures, ordinateurs, ou encore supermarchés. Tu appartiens à une autre réalité. Ma réalité, celle de ta mère biologique !
— Ma mère biologique !?
Les yeux de Lara s’élargirent. En voilà une bonne. Elle était orpheline de naissance. Personne jusque-là n’avait eu d’information sur sa mère pas même les services sociaux. Cette femme devait avoir à peine cinq ou six ans de plus qu’elle. Comment pouvait-elle prétendre avoir de telles connaissances ?
Alkaia lui adressa un sourire compatissant, elle savait combien la jeune femme devait être perdue. Lara voulut se lever et partir. Mais ses muscles l’en empêchèrent, elle était bien trop fatiguée et endolorie. Alkaia reprit :
— Je suis comme ta mère et toi-même une femme Amazone, une guerrière. Il y a de ça des années, ta mère a dû faire un énorme sacrifice. Elle devait trouver un moyen de te protéger de la créature dont je t’ai parlé. Alors avant la fin de ta première année elle t’a confié à une famille d’adoption de la ville. Elle t’a déposé devant leur porte. Cela avait pour but de te préserver des difficultés rencontrées par notre peuple jusqu’à ce que tu sois en âge de comprendre. Tu as un don, tu fais partie tout comme ta mère de la lignée de notre grande déesse Artémis.
Lara observa Alkaia comme un enfant à qui l’on vient d’apprendre que les licornes jaunes à pois bleus existent et fut prise d’un rire nerveux.
— Je sais que ça doit être dur pour toi, reprit l’amazone, mais tu t’y habitueras après un petit temps d’adaptation. Tes parents adoptifs étaient au courant et avaient pour instruction de ne jamais t’en parler. Quant à moi, mon rôle est depuis quelques mois de te protéger, j’ai donc un peu étudié votre culture. Me servir de ton appareil n’as pas été chose aisée.
— Oh non, ironisa Lara, et je suppose que vous allez me dire que vous vous mutiler la poitrine et que vous abattez les hommes comme des chiens !
Alkaia sourit et répondit gênée.
— Nous ne nous mutilons plus depuis bien longtemps. Pour ce qui concerne les mâles, nous n’abattons qu’en cas de nécessité. En cas d’intrusion ou d’agression par exemple.
Lara resta muette, immobile…Tout cela était impossible… irréel.
Elle fut prise de vertiges et cela n’échappa guère à son interlocutrice.
— Repose-toi, tu en as besoin, la journée a dû être longue et éprouvante pour toi !
Lara acquiesça et s’allongea n’ayant pas la force morale de protester après toute ce flux d’information, elle se blottit contre son compagnon. Ses poils lui tiendraient chaud durant cette nuit qui s’annonçait plutôt fraiche.
Alkaia décida de monter la garde, elle devait maintenir le feu actif afin de maintenir les animaux à distance. Elle devait aussi trouver un moyen de convaincre Lara de la suivre au village le lendemain. Ce ne serait certainement pas aussi simple compte tenu du nombre d’informations qu’elle avait dû emmagasiner en si peu de temps.
Elle ferma les yeux et prit un grand bol d’air frais, le plus difficile serait de convaincre la jeune femme de laisser son fils chez sa famille adoptive. Quant au chien, elle ne voyait pas d’objection à ce qu’il vienne, il serait même un atout dans la protection de la jeune femme le temps que celle-ci apprenne à se défendre.
Alkaia se vida l’esprit. Elle songerait à tout cela le lendemain matin.