Lorsque Lara ouvrit les yeux, le soleil éclairait déjà la forêt de ses rayons clairs et chauds.
En apercevant le ciel à travers la cime des arbres, tous les évènements de la veille lui revinrent à l’esprit. Elle se sentait un peu courbaturée par la nuit qu’elle venait de passer sur le sol terreux de la forêt. Elle passa ses mains dans le doux pelage de Nao, qui remua la queue frénétiquement. Son compagnon avait le mérite de lui avoir tenu chaud. Elle se redressa et chercha Alkaia du regard.
La femme se tenait assise près des restes du feu, elle sourit à Lara et lui demanda :
— Comment te sens-tu ce matin ? Es-tu prête à me suivre ? J’ai pour mission de te conduire dans notre cité, mais nous devons partir maintenant si nous voulons arriver avant que le soleil soit au zénith !
— Partir ? Mais pourquoi auriez-vous besoin de moi ? Si tout ce que vous m’avez dit hier est exact, je ne pourrai jamais vous aider ! Je ne connais rien à cette vie, je suis une femme ordinaire et ça me convient !
Elle soupira et reposa sa tête contre l’arbre qui se tenait derrière elle. Décidément, cette femme devait avoir un grain. Ou pire ; c’était peut-être une âme perturbée échappée d’un asile. Cette explication était plus que probable au vu de son récit.
Alkaia s’installa près d’elle.
— Tu n’es pas obligée de rejoindre notre cause si tu ne le désires pas. Je te demande juste de venir rencontrer notre reine. Tu sais, ta mère et elle étaient très proches, cela te permettrait d’en savoir plus à son sujet. Elle a sacrifié sa vie pour te protéger. Après t’avoir déposée en ville, elle a attiré ces monstres sur une fausse piste et a donné sa vie pour toute nous protégées.
Lara savait que la guerrière avait raison et que seule cette femme pourrait l’éclairer sur ses véritables parents, après tout elle avait le droit de savoir. Mais était-ce vraiment raisonnable ? Elle n’avait toujours pas eu de preuve de l’existence de cette soi-disant reine.
— C’en ait trop je ne suis pas aussi stupide que ce que vous pensez, je rentre chez moi il est hors de question que je quitte tout pour suivre une inconnue complètement dingue en plein cœur de la forêt tropicale.
Elle se leva et rattacha Nao avec la laisse avant de s’éloigner. Elle sentit le regard de l’amazone lui brûler le dos durant plusieurs mètres puis se s’arrêta. Ou comptait-elle aller ? Ici son GPS ne fonctionnait pas, elle était perdue au milieu de cette végétation dense. Mais oui, perdue. En voilà une super nouvelle. Elle lâcha un long soupir résigné. Après une petite minute de réflexion elle finit par accepter. Finalement même si cette femme n’était rien de plus qu’une folle, elle aurait fait une belle balade.
— Je dois appeler mes parents avant. Je ne peux pas les laisser sans nouvelles et mon fils risque de s’inquiéter.
Alkaia se sentit plus détendue. Jouer la carte des origines de la jeune femme était le meilleur moyen de la convaincre sans l’effaroucher. Cela avait fonctionné et elle s’en félicitait. Après avoir prétexté une mission sauvetage dans un zoo pour les trois jours à venir, Lara confirma à Alkaia son désir de la suivre pour en savoir plus.
Cette dernière siffla dans une sorte d’appeau et, dans les deux minutes qui suivirent une jument alezane surgit d’un bosquet. Alkaia invita la jeune femme à monter en selle derrière elle puis dirigea sa monture vers le cœur de la forêt.
Leur escapade dura près de trois heures. Elles débouchèrent sur une petite plaine au centre de laquelle se trouvait un temple pyramidal. Ses bases formaient un carré de cinquante-cinq mètres de large et il atteignait les trente mètres de haut. Lara en resta stupéfaite. Cet édifice était la copie conforme d’un des temples mayas d’Amérique latine. Elles gravirent les marches, quatre-vingt-onze en tout, et une fois arrivées à l’intérieur, Alkaia mit pied à terre. Elle prit le médaillon qu’elle portait autour du cou et l’encastra dans un orifice situé dans le mur. L’instant d’après une ouverture apparut au sol, une des épaisses dalles qui le recouvrai se mit en mouvement, laissant voir un autre escalier qui semblait descendre au cœur du temple.
Elles entreprirent de descendre à pied, Alkaia maintenant sa jument par la bride, puis elles traversèrent un long couloir où l’obscurité régnait. Ce dernier était éclairé par des torches fixées au mur de pierre. La traversée dura une dizaine de minutes avant que les deux femmes n’aperçoivent enfin de la lumière. Une fois sorties du temple, elles remontèrent en selle et Alkaia lança sa monture au galop. Enfin, au bout d’un nouveau quart d’heure, elles arrivèrent à destination.
Lara pouvait maintenant apercevoir une cité, constituée de maisons en pierres. Au centre, un autre temple encore plus imposant que le premier était présent. Arrivées devant celui-ci, les deux femmes descendirent de nouveau de la jument. Alkaia s’agenouilla, et bientôt toutes les femmes qui peuplaient la cité l’imitèrent.
Une femme vêtue d’une grande tunique blanche sortit du temple. Elle avait une coiffe d’environ un mètre de haut faite en plumes caudales de quetzal, ce magnifique oiseau vert émeraude, dont la queue à elle seul mesurais près de soixante centimètres, Avec au centre un petit anneau d’or. Elle semblait âgée d’une quarantaine d’années et inspirait le respect. Alkaia prit la parole après s’être redressée.
— Majesté voici Lara comme vous avez demandé.
— Merci, tu peux te retirer
Celle-ci fit une nouvelle révérence et s’éloigna.
— Merci à toi Lara d’être venu, repris la reine, je suis Hippolyte, souveraine du peuple des amazone. Alkaia a dû déjà t’expliquer les grandes lignes. Je sais que cela doit être dur pour toi, cela fait beaucoup d’informations à encaisser. Tu dois savoir que tu es ici chez toi et que même si tu ne désires pas te joindre à nous, en tant que fille de l’une d’entre nous tu seras toujours la bienvenue ici.
— Je vous remercie pour votre accueil ! En effet, Alkaia m’a expliqué en partie d’où je venais, mais j’aurais tellement de questions à vous poser.
— Je m’en doute, nous aurons le temps de voir cela un peu plus tard. Je dois m’entretenir avec le conseil cet après-midi. Nous nous verrons demain. En attendant, Alkaia va te montrer tes appartements.
Sur ces mots, Hippolyte se retira. La jeune femme se sentit un peu frustrée ; on lui avait promis des réponses et elle devrait encore attendre.
Alkaia lui montra sa chambre, située dans l’aile droite du temple. La pièce était assez spacieuse, bien que dénuée de meubles, elle ne comportait que le strict nécessaire. Les murs étaient en pierres brutes et froides. La jeune femme la remercia et partit s’allonger sur son lit. Ce dernier était fait en bois, fixé par de la fibre tressée et recouvert d’une paillasse sur lequel on avait mis un drapé. Le tout était recouvert de fourrure et de peau de bête pour tenir chaud. Sur un rondin, qui s’emblait être une table de chevet, Lara découvrit un plan de la cité, dessiné sur une peau plus fine, pour lui permettre de se repérer facilement. Elle étudia le document avec attention, essayant de mémoriser certains trajets afin d’éviter d’avoir une allure de touriste perdue lorsqu’elle sortirait. Elle laissa son doigt glisser en suivant les lignes tracées et après quelques minutes de mémorisations visuelle, reposa la carte.
Elle finit par sortir pour se joindre aux guerrières, attirée par l’odeurs alléchante de poisson grillé qui émanait d’une grande tablée à extérieure.
Elle s’y dirigea tout en admirant la beauté du lieu. Les arbres étaient partout autour des habitations et culminaient à des hauteurs impressionnantes. Elle n’avait jamais vu autant de vert de sa vie. Une véritable palette de couleur allant du pastel au vert bouteille. Des oiseaux étaient visibles sur les branches basses des arbres. Des perroquets pour la plupart. Colorés de bleu, de jaune et de rouge. Des Aras, Lara les reconnues et la cacophonie qu’ils lui offraient ne la trompais pas. Elle arriva près de la table et s’y installa afin de profiter des diverses victuailles.
Après un repas assez copieux en compagnie d’Alkaia, elle passa l’après-midi à faire le tour de la cité et à en explorer les moindres recoins. Cet endroit était incroyable, une véritable cohabitation entre les habitations et la nature. La journée s’écoula donc doucement et, au coucher du soleil, la jeune femme rentra dormir dans sa chambre.
Au matin, Lara sortit rejoindre Alkaia. La guerrière était en compagnie de deux autres femmes. Celles-ci la saluèrent et elle les imita.
— Je te présente Okyalé et Euryléia, elles font partie de nos meilleures guerrières, elles vont t’initier aux bases du combat afin que tu puisses découvrir pleinement notre culture et nos coutumes. Mais ne t’en fais pas, il y aura beaucoup de théorie dans un premier temps, cela te permettra d’occuper le temps qu’Hippolyte puisse te recevoir.
La jeune femme parut perplexe de nouveau. Qu’est-ce que ces guerrières n’avaient pas compris quand elle leur avait dit qu’elle ne resterait probablement pas ? Alkaia ne devait surement pas avoir passer le message.
Euryléia s’approcha et lui fit signe de la suivre.
— Ne t’en fais pas, je suis au courant que tue comptes pas rester. Dis-toi que c’est un peu comme un atelier découverte qui te fera passer le temps. Je vais d’abord te montrer le type d’armes que nous possédons, elles sont variées et en général chaque femme à sa préférence. Certaines comme Okyalé, par exemple, sont plus à l’aise au maniement de l’épée, pour moi c’est plutôt le tir à l’arc. Tout dépend de tes capacités.
Elles arrivèrent dans une sorte de petite arène. C’était une surface sablonneuse d’environ cinquante mètre carrés tout de même, dont la limite était marquée par des barrières en rondins. Au fond, ces mêmes rondins étaient assemblés comme un coffre profond où étaient entreposées les armes.
Euryléia sortit six objets du coffre et les déposa devant Lara. Cette dernière reconnut un poignard, un arc et son carquois, une lance, un bâton et une épée.
Une épée magnifique, d’ailleurs, pensa-t-elle.
L’arme possédait une garde dorée avec de jolies courbures et de petites inscriptions gravées sur sa lame parfaite.
— Quel est cet objet ? demanda-t-elle en indiquant ce dernier à la guerrière.
Euryléia le ramassa et lui expliqua
— Ceci est un pêlté, un bouclier. C’est un élément indispensable que tu sois archère ou épéiste !
Ce qui frappait le plus Lara était la forme de celui-ci.
Il ne ressemblait pas aux boucliers de structure ronde ou allongée que l’on voit dessinés dans les livres d’histoire, non, celui-ci était blanc et avait la forme d’une demi-lune.
Elle commença son apprentissage par un cours sur le maniement de l’épée et du pêlté. Contrairement à ses craintes, cela lui semblait très intéressant et elle buvait les paroles d’Euryléia comme s’il y avait un examen noté à la clé.
Soudain les aboiements répétés de Nao interrompirent les deux femmes, et un mouvement commun des Amazones de la cité vers le temple n’inspira rien de bon à la guerrière. Elles se dépêchèrent de rejoindre les autres et Lara tenta de calmer son chien.
Ce dernier avait les poils hérissés et les babines retroussées, aucune réprimande de sa maitresse ne semblait l’atteindre. Il était positionné devant les guerrières en tête du groupe et fixait droit devant lui l’autre rive. Cette dernière était séparée de la leur par une rivière.
Lara comprit alors l’agitation soudaine qui avait envahi la cité.
Une silhouette se dessinait sur l’autre rive. Elle était grande, fine, mais légèrement imposante à la fois. Ce n’était pas un homme, on pouvait distinguer des yeux jaunes, un nez quasiment inexistant, une peau rugueuse et des excroissances dorsales d’environ cinq centimètres.
Si la jeune femme avait eu à décrire cette créature, elle aurait surement mentionné qu’il avait un regard de reptile, des dents de fauve, une peau de dragon. Tout cela pour une hauteur de près de deux mètres. La créature fixa Lara avec un intérêt assez particulier, ce qui la mit mal à l’aise.
Il se décida enfin à prendre la parole avec un hideux sourire machiavélique :
— Je savais bien que tu finirais par être appelée à rejoindre les tiens. Ta mère m’avait mis en garde juste avant que je ne l’achève…
Lara sentit son corps se pétrifier. Alors c’était ce monstre qui avait contraint sa mère à se sacrifier, à l’abandonner !? Et c’était également lui qui l’avait tué de sang-froid ?
Elle ressentit une sorte de dégoût. Non, elle n’avait jamais connu sa mère et aurait été incapable de reconnaitre cette femme en photo. Elle n’éprouvait pas de tristesse. Seulement de la haine d’avoir ainsi été privée. Bien qu’elle ait bénéficié de l’amour de ses parents adoptifs.
La créature reprit :
— Cette misérable m'a donné du fil à retordre. Elle a anéanti des dizaines de mes hommes à elle seule, mais maintenant que j’ai retrouvé ta trace je vais pouvoir terminer ma tâche et tuer l’héritière. Je vais pouvoir te tuer... Oh, mais ne t’en fais pas. Ne m’ayant causé aucun tord tu n’auras pas la fin longue et agonisante de ta chère mère ! Non, je me contenterai de te tuer rapidement !
Lara resta muette et stupéfaite par les paroles de ce monstre, mais avant qu’elle ne reprenne ses esprits, Hippolyte s’approcha et se mit devant la jeune femme.
— Ni toi ni tes hommes ne la toucherez Zargon ! Nous avons mis des années à retrouver sa trace, nous ne tolérerons aucune tentative de meurtre ou d’enlèvement de ta part et la moindre approche hostile sera considérée comme une déclaration de guerre !
Zargon prit un timbre triomphal :
— Une guerre sans leaders est inutile ! Comment comptes-tu mener tes troupes ? Tu seras au fond du trou qui te servira bientôt de demeure ! D’après mes sources, la maladie en à bientôt fini avec toi ! Pauvre chose fragile !
Il fut pris d’un rire incontrôlé, un rire mauvais.
Toutes les guerrières se tournèrent vers leur reine qui ne sut que faire d’autre que de garder le silence. Lara reporta à nouveau son attention sur l’autre rive, mais Zargon avait disparu.
La jeune femme s’accroupit et serra son chien contre elle comme pour se rassurer. Cette chose semblait sortir tout droit d’un cauchemar. Il aurait fait un tabac dans un box-office d’épouvante américain. Elle comprit à cet instant que ses paroles n’étaient pas vaines et que sa vie était réellement en danger. Mais à quoi bon essayer de se battre ? Cette chose semblait être l’incarnation du diable. Un démon sur terre. Comment pourrait-elle en réchapper ? Elle finit par se redresser. Hippolyte était retournée dans le temple. Lara regarda son chien. Au final, pourquoi rester ? Tant qu’elle était en ville, elle ne risquait rien.
Cette créature l’avait laissée en paix toutes ces années, pourquoi cela changerait. Et puis elle n’avait rien à voir avec ces femmes. Non finalement, elle allait écouter la reine, en apprendre plus sur sa mère puis rentrer rejoindre son fils chez elle à Trinidad.
Elle fit signe à son chien de la suivre et se rendit au quartier que lui avait laissé Alkaia un peu plus tôt.