Chapitre 1

Par Alkaia

Anoki écoutait attentivement l’ancien lui conter une énième fois cette légende qui relatait la création de leur monde. Le jeune garçon âgé de quatorze ans était d’allure plutôt athlétique, ses cheveux noirs, poussaient lisses sur ses épaules. Bientôt il deviendrait un homme. Il pourrait enfin devenir un guerrier et vouer sa vie à servir les dieux et les esprits.

Il commençait à décrocher un peu, quand les paroles de l’ancien gagnèrent à nouveau son intérêt.

 

— On raconte aussi qu’une partie du trésor d’Atahualpa gît au fond du lac. L’homme blanc espagnol Francisco Pizarro a capturé l’empereur et a exigé une rançon colossale pour le libérer. L’or a afflué des quatre coins de l’empire, mais l’empereur fut finalement exécuté. Les lieutenants incas acheminant la dernière fraction de la rançon par bateau sur le lac décident alors de la jeter par-dessus bord. Le trésor y serait toujours enfoui. Attendant d’être découvert.

 

Il marqua une pause et toussota avant de reprendre :

— On dit aussi que seul un homme au cœur pur et à l’âme guerrière peut le trouver, le trésor est protégé par les esprits de la forêt. Il paraitrait aussi que les anciens rois de Vilcamamba ont laissé des indices que seul cet homme pourrait déchiffrer.

 

         Anoki se redressa, éprouvant un regain d’attention. Le trésor d’Atahualpa devait être fabuleux !

Dans cinq lunes il serait célébré. Il allait quitter l’enfance et devenir un homme.

Le rite de passage était appelé « warachikuy ». Ce rituel comportait un jeûne et une série d’épreuves physiques. À cette occasion, on lui percerait les oreilles pour y insérer les boucles propres à son peuple, on lui remettrait un pagne et on lui donnera un nouveau nom. Un nom d’homme ! Rien qui ne l’effrayait. De solide constitution, Anoki était robuste et agile depuis sa plus tendre enfance.

Quoi de mieux comme première action en tant qu’homme, que de restaurer l’honneur de son peuple en retrouvant le trésor perdu ? Bien sûr, d’autres avant lui avaient eu cette ambition.

Beaucoup s’était retrouvé dans un état de folie, désorientée par les esprits malins des forêts.

Tous savaient que le Jurupari rôdait à l’affut de victimes qu’ils trompaient avant de les tuer.

Il était un esprit mauvais, prenant l’apparence d’un serpent pour mieux se dissimuler.

 

— Crois-tu que le trésor existe encore ? questionna-t-il.

— Bien sûr, assura l’ancien, il est protégé par les dieux et seul un homme de notre peuple sera en mesure de le trouver. Ne doute jamais de la sagesse divine, tu leur dois fidélité, confiance et dévouement. Tu vis pour les servir.

— Et crois-tu que je pourrais être cet homme ? Que je peux ramener le trésor ? 

— Tu es jeune Anoki, et à mon sens, bien naïf. Nombreux sont les hommes aguerris qui ont péri ou n’ont jamais trouvé son emplacement. Pourtant il est dit, que lorsque l’homme serra arriver à la Roca Sagrada, sur isla del sol, alors elle lui fournira les instructions à suivre pour rejoindre Chinkana l'ancien palais. Là se trouverait un très ancien quipu. Le seul détenant le secret de l’emplacement du trésor jeter par les hommes de l’empereur. Tu es bien trop inexpérimenté pour y arriver.

 

            Anoki fronça légèrement le nez, contrarier. Oui il était jeune, mais dans cinq lunes tout allait changer. Il aurait les oreilles percées et le pagne. Peut-être qu’alors l’ancien le prendrait enfin au sérieux. Cette histoire relatait des faits qui semblaient venir d’un autre temps, mais en réalité, la naissance du vieil homme n’était pas survenue bien longtemps après.

Alors qu’il venait au monde, leur ville Vilcabamba était dirigée par le dernier des rois. Tupac Amaru. L’ancien était né trente-huit ans après la mort de l’empereur Atahualpa.

Du haut de ses quatre-vingts printemps, il en avait vu des choses, il avait entendu des histoires, rencontrer nombre d’hommes importants. Anoki était certain qu’il avait une idée sur l’emplacement exact du trésor et qu’il en était une sorte de gardien. Un des derniers à posséder les secrets des anciens rois de Vilcabamba.

 

            Le jeune garçon salua respectueusement son ainé et rejoignit son ayllu, la zone du village qui regroupait sa famille de sang. Son père en était le kuraka, le chef.

Chaque foyer y possédait une cour bordée d'un muret. Les murs étaient faits de pierre non taillée ou d'adobe, et les toits de chaume. Bientôt lui aussi deviendrait kuraka, il en était certain. Vers vingt ou vingt-cinq ans il allait être marié, il aurait des terres et travaillerait dur aux champs pour nourrir sa famille. Oui, un jour il remplacerait son père, mais pas encore.

Anoki avait soif de découverte et les nombreux récits de l’ancien avaient éveillé en lui un besoin d’aventure et de voyages.

 

           Il prit place sur le sol, sur la terre fraiche et tassée qui recouvrait l’intérieur de l’habitation.

Cinq jours à tenir. Cela lui paraissait une éternité. L’idée de partir avant la cérémonie lui était déjà venue à l’esprit. Mais cela était-il vraiment raisonnable ? ne risquait-il pas d’offensé les dieux en transgressant la règle selon laquelle seul un adulte peut quitter le village ?

Peut-être qu’il serait pardonné s’il revenait avec le trésor. Il serait alors reconnu pour sa bravoure. Mais réussirait-il à le trouver ce butin ? Anoki était certain qu’il se trouvait encore au fond du lac. Encore fallait-il y accéder. Il soupira doucement, trop de questions se bousculaient dans sa tête.

 

          Il fut tiré de ses pensées par l’arrivée de sa mère qui s’attela à préparer le repas du soir.

Il la regarda confectionner le pain de maïs qui accompagnerait les légumes bouillis dans la marmite sur le feu au centre de la pièce.

La bâtisse était circulaire et mesurait un peu plus de six mètres de diamètre. En argile et en pierre, elle était constituée d’un plancher de terre, un feu de cuisson, des cochons d’Inde élevés dans un coin, des lits en bois à l’autre bout de la pièce, et un autel avec des offrandes.

L’enfant observa les rongeurs. Les petits animaux étaient très appréciés pour leur chair, sa mère s’occupait de les dépiaute et de les faire frire jusqu’à ce qu’ils soient dorés et croustillants.

Mais aujourd’hui ils n’étaient pas au menu, en général ils étaient servis le week-end.

Il les écouta couiner puis glissa son regard vers la marmite où l’eau bouillonnante dégageait une odeur de végétal cuit, relevé de notes pimentées.

 

— Anoki ! tu es la ?

La voix de son ami tira le jeune garçon de ses pensées. C’était celle Tayel, les deux garçons étaient presque toujours ensemble. Quand l’un était recherché alors c’était les deux enfants qui étaient ciblés. Tayel avait un an de moins que son compère. Il était un peu plus rond de visage et ses cheveux étaient relevés et attachés sur le haut de sa tête.

Tout aussi aventureux que son ami, il était néanmoins plus sage et moins téméraire.

 

— Tu as préparé ton offrande pour la cérémonie ? questionna-t-il.

— Pas encore, avoua Anoki, je pense d’abord en parler à père. Il sera de bons conseils.

Son camarade de jeu lui tendit une lance de bois taillé par ses soins, dont le bout avait été solidement aiguisé.

— En attendant, tu n’as qu’à venir avec moi pêcher ! lança Tayel.

Anoki empoigna le bâton et lui sourit.

— Le dernier au fleuve Uchima est un Cocha Rimac ! *

Les deux garçons partirent en courant chacun essayant de distancier le second pour atteindre le fleuve tant convoité. Ils y mirent toute leur énergie comme si l’enjeu était de grande importance. Ils arrivèrent presque simultanément et Anoki le poussa à l’eau sans crier gare.

 

— Ahah ! Te voilà perdant Tayel ! fanfaronna-t-il.

— Eh ! ce n’est pas loyal ! se plaignit se dernier tout en se redressant trempé.

— C’est la loi du plus fort. Renchérit son camarade de jeu.

Le jeune garçon gonfla ses joues rondelettes comme signe de protestation puis sortit de l’eau.

— Tu es juste jaloux parce que tu sais que c’est moi qui attraperai le plus gros poisson, assura-t-il.

— N’en sois pas si sûr, l’avertit Anoki avant de commencer à scruter l’eau.

 

             Cette dernière était froide et limpide, le temps était ensoleillé et clair, et la pêche était donc facilitée par une bonne vision du fond ou les poissons aimaient se cacher. Les deux enfants marchèrent lentement, faisant attention à ne pas créer de remous, leurs lances prêtent à aller se planter dans la chair fraiche des poissons qui passeraient à leur portée.

Ces derniers ne se firent pas attendre bien longtemps, Tayel plongea la pointe aiguisée dans l’eau à de multiples reprises, de manière vis et efficace. Il fut bien vite imité par son ami, décidé à avoir la plus belle prise. Après de longues minutes à brasser l’eau Anoki brandit sa perche de bois où était empalé un beau poisson d’une trentaine de centimètres.

— Je l’ai ! je l’ai attrapé avant toi ! lança-t-il victorieux.

Tayel étira ses lèvres en un sourire narquois.

— Oh ! tu as attrapé un bébé, il est mignon, attend je vais te montrer ce qu’est un vrai poisson !

Il plongea tête la première ayant harponnée peu avant un poisson bien plus gros, et se débâtie avec de longues secondes avant de remonter sa prise, fatiguer d’avoir perdu du sang et d’avoir été ainsi éprouvé par le jeune inca.

Anoki plissa les yeux puis mi sa prise dans un des paniers tresser disposer près des embarcations de pêche des hommes. Après quoi il regagna le village avec son ami sous les provocations taquines de celui-ci.

 

 

 

* Cocha Rimac - « fou », bouffon, qui avait fonction auprès de l’empereur et de certaines hautes familles.

 

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