Chapitre 1 - Annyaëlle

Annyaëlle grelottait. Il faisait encore nuit, mais la capitale s’éveillait lentement à mesure que les premières lueurs du jour s’infiltraient dans la cité. Bientôt, les rues si calmes fourmilleraient de monde même si pour l’instant tout était encore paisible. Le soleil montait doucement dans le ciel, sans toutefois chasser le froid qui enveloppait la jeune fille. Elle resserra la longue écharpe rouge qui ne la quittait presque jamais et ne put retenir un bref sourire en enfouissant le bas de son visage à l’intérieur. L’automne avait bel et bien fini par arriver, et d’ici peu, Liam et Mikhaïl franchiraient à leur tour les portes de la cité.

Penchée au bord du vide, elle serrait ses jambes entre ses bras pour se préserver de l’air glacial de l’aube et contemplait la capitale qui s’étendait en contrebas sur les différentes hauteurs de remparts. Le paysage était magnifique, mais elle attendait le moment où la ville entière s’embraserait de mille feux.

Lentement, les ténèbres firent place à la lumière. Les ombres s’étirèrent, rampantes, presque infinies. Du haut de sa tour, Annyaëlle tourna la tête en direction de l’est, vers la silhouette encore timide d’une épaisse forêt. Les premiers rayons frappèrent la cime des arbres, ravivant en un instant la lueur de leurs feuilles écarlates. Malgré toute la beauté de la cité, pour la jeune fille la vraie merveille se trouvait là, dans cette dense végétation aux couleurs éclatantes et à l’atmosphère mystérieuse.

Annyaëlle regarda les Feuilles Pourpres s’enflammer, songeuse. Elle n’aurait manqué pour rien au monde ce spectacle, surtout si c’était pour la dernière fois. Bientôt, la lumière dévoilerait les troncs d’un blanc laiteux et leurs profondes cicatrices sombres. Un endroit dangereux et proscrit, voilà ce qu’il en était réellement. Personne ne s’aventurait plus en son sein. Certains y voyaient une malédiction vieille de plusieurs siècles, mais la plupart avaient simplement trop peur de ne pas résister à l’envoûtante chanson de la forêt. La jeune fille n’ignorait rien de tout ça, pourtant, les arbres aux feuilles de sang l’attiraient et elle devait lutter contre la tentation d’y pénétrer.

Sous ses yeux, la cité s’illumina enfin, rappelant son attention. Les reflets orangés inondèrent les rues, chassant les derniers vestiges de la nuit. La Cité d’Ambre n’avait pas usurpé son surnom. Elle s’élevait contre l’immense falaise du mont Eless, constitué en grande partie d’un minerai brun orangé qui semblait presque prendre feu sous la lumière du soleil. Annyaëlle observa d’un air amusé ses mains où des lueurs ambrées semblaient danser, réchauffant agréablement sa peau. Même les reflets roux de ses cheveux bruns étaient plus vifs qu’à l’accoutumée.

La tête posée sur ses genoux elle se mit à observer pensivement la vapeur de son souffle qui s’élevait tranquillement dans les airs. Le silence était si reposant. Elle tâchait de profiter au mieux de ces derniers instants de solitudes, de cette étrange sérénité qui ne durerait plus bien longtemps. Bientôt, une multitude de questions et d’hypothèses auxquelles il lui était impossible de répondre reviendraient à la charge, ravivant le mélange de curiosité et d’angoisse qui ne la quittait plus depuis des jours. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était savourer les dernières heures qu’il lui restait dans la cité où elle avait grandi.

Si proche de son départ, la peur avait enfin fini par la quitter. Les heures qu’elle avait passées à arpenter chaque recoin de la cité avec nostalgie, gravant du mieux qu’elle le pouvait les lieux dans sa mémoire, étaient loin derrière elle. Annyaëlle aurait préféré en savoir plus sur les Ombres qu’elle s’apprêtait à rejoindre, mais malgré leur présence dans chaque cité, les membres de la Confrérie de La Lune restaient entourés de mystère. La seule chose dont nul ne doutait était de leur neutralité et de leur volonté à faire régner la paix entre les royaumes.

Annyaëlle replaça distraitement une mèche de cheveux que le vent venait de déranger et soupira tristement. Elle aurait aimé avoir plus de temps avec ses proches avant son départ. Tout lui semblait aller trop vite. Les raisons de sa mère lui échappaient complètement, pensait-elle réellement faire d’elle une guerrière au service des royaumes ? Ça n’avait pas de sens, mais la jeune fille n’avait pas lutté bien longtemps. Sa mère lui offrait la possibilité de quitter Naerys, de découvrir d’autres royaumes, loin de l’observation constante des prêtres. De nouveaux horizons. La curiosité et l’impatience s’étaient finalement mêlées à la peur de quitter tout ce qui lui était familier. Elle était prête, à une chose près. Que pouvait bien faire Liam ?