Chapitre 1 : Incision

Notes de l’auteur : Version reprise et corrigée d'après les premiers commentaires reçus : merci :)

Débuter une narration sans presque aucun dialogue, je sais, c'est risqué.
À celles et ceux qui ont l'intention de lire ce chapitre : déjà, merci d'être là, c'est encourageant !

N’hésitez pas à (continuer de) me dire dans les commentaires ce qui peut être amélioré selon vous. Merci :)

Elle se sentait alerte, légère, et elle marcha.

Le contact de ses pieds sur le sol lui indiqua qu’elle était dans une forêt avant même de distinguer les arbres autour d’elle. Elle ne ressentit cependant aucune surprise, comme si la situation était ordinaire.

Malgré la nuit, elle parvenait à deviner son chemin, et ce n’était pourtant pas grâce à la lune Aya — et encore moins à l’autre, la Verte —, car elles étaient masquées par des nuages.

C’était les troncs des grands arbres de la forêt qui produisaient une sorte de rayonnement lumineux. Si les jeunes troncs luisaient d’un faible halo, les arbres les plus âgés émettaient une lueur plus affirmée.

Yana continua sa découverte sans ralentir, marchant toujours du même pas, une question finit pourtant par heurter son esprit :

— Mais, qu’est-ce que je fais là ? Où suis-je ?

C’est alors qu’enfin elle s’arrêta.

— Ce n’est pas la forêt.

Non, elle n’était pas dans « sa » forêt, elle ne la reconnaissait pas complètement, bien qu’elle l’ait sillonnée de part en part plus souvent qu’aucun autre Jorsel ne l’avait fait depuis leur installation. Elle n’avait rien remarqué de tel concernant les arbres. Elle décida un peu vite qu’elle était dans un rêve suscité par la Lune Verte, même si elle ne la voyait pas. Le sol et ses stries verdâtres en étaient pour elle un indice criant.

C’était bien une forêt, peut-être pas celle à côté de laquelle les Jorsel s’étaient installés, ou peut-être que si, mais différente. Déjà parce qu’elle était luminescente, ensuite, plus étrange encore, parce que les arbres avaient une voix. Yana se disait cela sans trop s’expliquer ce que cela signifiait. Elle avait entendu la Mère des Coutumes, comme tous les Jorsel, dire qu’on pouvait entendre les végétaux, du moins autrefois, lorsque les Jorsel étaient tissés de magie. Elle n’en avait jamais fait l’expérience, bien qu’elle eut tenté maintes fois, au secret d’une course en forêt, de parler aux arbres. La première fois, elle avait six étés et avait plissé avec insistance son front nu où les dagues, à peine sorties, ne formaient que deux petites bosses. Mais elle n’avait reçu les paroles de personne, animal ou végétal.

Et puis ces arbres étaient très grands, comme ceux des origines décrits à la veillée par les quelques anciens qui avaient survécu au Cataclysme. Eux-mêmes ne les avaient jamais vus, mais les grands-parents d’alors leur en avaient fait la description. Qui savait à quelle génération de Jorsel remontait l’expérience originelle ?

 

Sa déambulation dura longtemps. Yana voulait tout observer dans cette forêt étonnante. Les végétaux lui parurent particulièrement inspirants, cela lui fit provisoirement oublier sa fatigue, sa soif et bientôt sa faim qui se rappelèrent pourtant à son souvenir.

Lors de ses promenades explorations, Yana avait toujours sur elle quelques outils qui lui venaient de son père, une panse d’Omphale remplie d’eau désaltérante, ainsi qu’une besace où elle pouvait remiser ses cueillettes. Mais dans un rêve, point de confort, aucun de nos objets ne nous suit.

La question ne s’était jamais posée franchement, car Yana n’avait jamais encore été happée par la Lune au-delà de quelques heures.

Sa gorge desséchée et son estomac en torsion lui firent bien comprendre que ce délai était dépassé. La faim et la soif l’affaiblissaient, littéralement. Elle se demanda un instant ce que cela ferait de se trouver inconsciente dans un rêve. Allait-elle revenir à la réalité ou allait-elle accéder à un autre rêve ?

Elle savait qu’il y avait forcément de l’eau quelque part dans cette forêt très épanouie, mais elle n’avait pas envie de marcher en vain en quête d’une éventualité de cours d’eau. Elle chercha donc autour d’elle quelque chose de comestible immédiatement, et de désaltérant si possible.

 

Prise d’une intuition subite, elle se plaça à une paume de main d’un grand arbre et le fixa des yeux. Ceux-ci s’étaient accoutumés à la pénombre relative depuis des heures qu’elle errait en ces lieux oniriques. En plus d’être luminescente, la surface du tronc était semée de motifs de chevrons qui n’étaient pas naturels. Comme des ornements, ils avaient été incisés dans l’écorce et avaient cicatrisé. Plus étranges encore, ces scarifications se concentraient à hauteur d’humain et ne s’étendaient pas au-dessus. Que pouvaient bien signifier ces symboles ? Elle observa qu’il y en avait presque sur chaque tronc autour d’elle. Quelqu’un, et plus probablement un groupe d’humains, avait fait ces marques sur les troncs.

Elle regarda au sol et vit qu’on avait taillé là des outils de pierre. Elle parcourut la surface sous les arbres à la recherche d’un outil fonctionnel et c’est munie d’un couteau à peine émoussé qu’elle se présenta à nouveau au pied d’un grand arbre.

Du couteau fait d’un éclat blond de pierre tranchante, elle entama l’écorce selon les incisions qu’elle avait pu voir : deux obliques de la taille d’une main de part et d’autre du point formant la pointe d’un triangle. Elle abaissa le sommet, et l’écorce se laissa éplucher, laissant voir la pulpe de bois gorgée de sève juteuse. Yana y posa ses lèvres, front en arrière, et but. Le couteau tenu à l’horizontale, elle frotta minutieusement cette surface d’opale et réduisit la fibre à de tout petits éléments, les plus petits possible, car sans mortier elle ne pouvait pas les écraser davantage. La sève imbibait les fibres de son parfum de résine. Yana consomma sans attendre cette mixture odorante. Le goût et la consistance en étaient réconfortants, délicieux, comme quelque chose qu’elle avait souhaité manger depuis toujours, un besoin impérieux qu’elle pouvait enfin satisfaire.

Elle referma la plaie en y appliquant à nouveau l’écorce, soudant bien les bords, de sorte que rien ne distinguât plus son chevron des autres.

La pulpe de bois l’avait complètement rassasiée. Mieux, elle sentit qu’une nouvelle vigueur se répandait dans tout son corps. Elle voyait bien mieux, comme si le jour s’était finalement levé. Yana observa de nouveau autour d’elle, à la recherche de réponses à sa présence en ces lieux, elle cherchait aussi à préciser le sentiment ténu qui l’animait depuis quelques heures. Il y avait quelque chose d’ancien dans cette forêt, une présence.

 

Elle voyait encore ces lignes verdâtres qui dessinaient différents chemins sur le sol meuble. Les feuilles étaient si bien tassées que ses pas ne faisaient presque aucun bruit quand elle y posait ses pieds. Elle avança selon une ligne qui lui paraissait prometteuse. Les arbres étaient toujours impressionnants de grandeur, ils émettaient une sorte de voix rauque qu’elle entendait désormais et comprenait, des paroles concernant les racines qui étaient chatouillées, Yana se demanda si des créatures avaient pu s’installer sous le sol de la forêt, creusant des terriers sous les arbres. Elle observa mieux, à la recherche d’une entrée de terrier.

Lorsqu’elle finit par en trouver une effectivement, c’était loin de ce à quoi elle s’attendait. L’entrée était immense de plusieurs mètres, elle n’aurait pu ne pas la voir, mais il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’un terrier, quand bien même la bête qu’il abritait devait faire dix fois — au moins — sa propre taille. Une galerie de terre avait été délibérément creusée entre les racines gigantesques d’un arbre au tronc argenté et celles-ci avaient été tressées pour former l’arrondi de l’entrée.

Que faire ? Fallait-il vraiment risquer un éboulement de terrain, un effondrement de la galerie, ou une rencontre avec la créature ?

Yana plaqua ses mains sur le tronc et se mit à l’écoute de ses paroles.

— Qui vit là ?

Une série de craquements lui répondit. Elle était attendue.

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Baladine
Posté le 24/01/2025
Coucou !

Voilà un début de roman qui ne perd pas de temps au démarrage, et ça fonctionne très bien. Le personnage et l'univers sont bien campés et quelques traits. Je trouve ce prologue et ce premier chapitre à la fois dynamiques, contemplatifs et pleins de mystère. Bravo, j'ai hâte de lire la suite !

A bientôt !
Grande_Roberte
Posté le 25/01/2025
Merci beaucoup pour ton retour sur le début de l’histoire 💜, si je pose assez vite les éléments, cela vient sans doute du fait que j’écris (par addition de détails et non par soustraction 🙈) à partir d’une trame-résumé établie au préalable. J’espère que la suite te plaira.
Baladine
Posté le 25/01/2025
Eh bien pour l’instant la technique fonctionne 🙂
ylangblou
Posté le 16/01/2025
Après le prologue, nous voilà plongés dans une ambiance mystérieuse faite de descriptions très oniriques. nous transportant dans un univers lointain qui nous ravit, au sens propre.
Ces descriptions poétiques de la forêt n'appellent nullement un dialogue et sont même essentielles pour nourrir la magie.
Grande_Roberte
Posté le 16/01/2025
Merci beaucoup pour ton gentil commentaire, il me confirme mon choix de laisser une narration sur cette partie qu'on a l'air de trouver suffisamment intéressante et onirique :)
MarieZM
Posté le 14/01/2025
Coucou Grande Roberte,

Je commente enfin ! L'idée de forcément commencer une narration par un dialogue ne me semble pas indispensable. Débuter in medias res par sa première vision me semble plus pertinent dans ton cas ! :)

Niveau rythme c'était bon pour moi, sans temps morts.

Cette phrase "La première fois, elle avait six étés et avait plissé avec insistance son front nu où les dagues, à peine sorties, ne formaient que deux petites bosses." j'ai compris mais j'ai dû la relire 3 fois avant de percuter qu'elle avait 6 ans et qu'elle n'avait pas encore des bois très grands. C'est compréhensible mais j'ai buté dessus, le reste était fluide pour moi.

J'ai rien de plus à ajouter, ça se sent que le récit a été travaillé et retravaillé... :)
Grande_Roberte
Posté le 14/01/2025
Merci beaucoup MarieZM pour ton gentil commentaire. J'ai beaucoup relu ce chapitre, c'est vrai 😁 et pour l'instant, il reste en l'état. Il s'articulera avec le prologue remanié, qui sera peut-être sous la forme d'un dialogue, finalement. Je garde cependant ta remarque sur la phrase à propos des petites bosses dans un coin de la tête pour un prochain remaniement 👌😉
MarieZM
Posté le 14/01/2025
T'inquiète, je ne suis toujours pas très familière des cervidés alors le temps que je percute de quoi il s'agit.. mais si je ne suis pas la seule à être lente ça te vaudra peut-être la peine de trouver une solution :P
Em Sharm
Posté le 04/01/2025
Coucou Grande Roberte,

A mon tour de te lire :)

J'ai passé un bon moment à la lecture de ton prologue et de ce premier chapitre. Ton univers est fascinant, on sent que tu as beaucoup travaillé sur le worldbuilding et on en a envie d'en découvrir plus. Je l'ajoute à ma PAL !

Ce chapitre nous permet de découvrir ton monde à travers les yeux innocents de Yana que j'ai tout de suite trouvée adorable. J'aime les prénoms en "a" et elle n'échappe pas à la règle haha. De plus, étant moi-même dans la partie "forêt" de mon roman en ce moment, j'ai apprécié ta description de ces bois mystiques et enchanteurs.

Toi qui t'inquiétais en note d'auteur de commencer avec un chapitre sans dialogues, je trouve que c'est très réussi et que ça sert l'ambiance que tu veux donner.

Un plaisir de de te découvrir, je lirai la suite bientôt !

Quelques remarques et suggestions :

- Malgré l’obscurité nocturne, elle parvenait à voir son chemin, et ce n’était pourtant pas grâce à la lune Aya — et encore moins à l’autre, la Verte — qu’elle le pouvait, → supprimer "qu'elle le pouvait," c'est sous-entendu par le début de la phrase :)
- C’est que les troncs des grands arbres de la forêt produisaient une sorte de lumière. → C'était les troncs des grands arbres qui produisaient une sorte de lumière.
- La première fois[,] elle avait six étés et avait plissé avec insistance son front nu où les dagues[,] à peine sorties[,] ne formaiENt que deux petites bosses. → joli !
- Allait-elle revenir à la réalité ou allait-elle accéder à un autre rêve ? → très bien tourné, j'aime !
- Qui vit là ? → Est-ce que c'est une question formulée à haute voix ? Sinon j'aurais mis "Qui vivait là ?" pour respecter la concordance des temps.

Bonne année et à très vite,
Em
Grande_Roberte
Posté le 04/01/2025
Bonsoir Em,
sacré commentaire :D ! Merci énormément pour avoir pris la peine de me lire avec attention, c’est très précieux pour moi.
Je te suis particulièrement reconnaissante pour avoir déniché les erreurs et coquilles (on lit et relit, mais ça nous échappe ˆˆ).
Et tes autres suggestions sont directement adoptées, plus élégantes.
Oui, la question finale est au discours direct, mais je pense modifier la mise en page pour le faire ressortir sans ambiguïté ;)
Quand à tes autres remarques, je ne te cache pas que ça me fait très plaisir, exactement ce que je souhaite que les lecteurs-lectrices ressentent en lisant, un très joli compliment, donc.

À bientôt, ici ou sous un chapitre de Keya :)
Grande_Roberte
Posté le 04/01/2025
*quant à
Em Sharm
Posté le 04/01/2025
Le plaisir est partagé ! Je suis contente que mes retours aient pu servir !
C'était sincère, ton univers est très intrguant ♥

Tout à fait, à tout bientôt !
Em
Em Sharm
Posté le 04/01/2025
intriguant*
Banditarken
Posté le 31/12/2024
Hello à toi
Ce premier chapitre n'est pas moins énigmatique que le prologue et le rêve que tu décris est très prenant. Ton style est assez fluide tout en nous fournissant de belles descriptions qui nous font voir au travers des yeux de ton personnage.
Si je puis juste me permettre une petite remarque : parfois il y a des adjectifs "de trop" et qui induisent un peu en erreur ou sont contradictoires avec ce qui est raconté. Je pense par exemple à "l'obscurité nocturne", qui nous laisse croire à une nuit ordinaire, alors que juste après, on apprend qu'une lueur, plutôt vive, se diffuse des arbres. D'ailleurs ensuite on nous dit que la vue de l'héroïne s'est adaptée à la nuit mais du coup, on se demande si "ça brille ou ça brille pas ?"
Mais c'est rien de bien méchant et ça n'empêche pas du tout d'apprécier la lecture, du moins à mon humble avis ^^
À bientôt !
Grande_Roberte
Posté le 31/12/2024
Hello,
ça me fait très plaisir que cette lecture t'ait été agréable :) En ce qui concerne ta remarque sur la luminosité approx : c'est une excellente remarque, car justement je me posais la question de la pertinence de cette expression "obscurité nocturne"... ça me fait voir que c'est un aspect que je n'avais pas tout à fait mis au clair (avec ou sans jeu de motˆˆ) --> bref, en te remerciant chaleureusement pour ta vigilance, je file régler mes histoires d'éclairage et te souhaite un bon réveillon :)
à bientôt, quand j'aurai pu commencer à lire ton histoire (dans ma PAL) !
Arnica
Posté le 30/12/2024
J'aime beaucoup ce premier chapitre ! Ton style est fluide et efficace, on est rapidement entraîné dans l'action ! Effectivement, il n'y a aucun dialogue, mais tu réussis à ne pas rendre les descriptions et les actions lourdes ou plombantes, au contraire, elles sont vivantes !
Bravo !!!
Grande_Roberte
Posté le 30/12/2024
Merci ;) c'est super gentil et ça me rassure, je craignais que les longs chapitres descriptifs soient un peu dissuasifs :D Heureusement, les personnages parlent dans le(s) chapitre(s) suivant(s)...
Plume_jasmin
Posté le 30/12/2024
Salut Grande_Roberte !

Pour commencer, j'aime beaucoup ton style d'écriture ! Ta plume est fluide et imagine bien le décor de ton histoire.
Je sais à quel point c'est difficile d'écrire une fantaisie. De trouvé des noms imaginaires, des endroits, etc..., et de poser nos idées sur papier ou sur écran. Donc bravo !
Voilà, j'espère que tu continueras à nous emporter dans ton univers !
À bientôt !
Grande_Roberte
Posté le 30/12/2024
Chère Plume_Jasmin, sœur en plume,

tu m’adresses le premier commentaire sur cette plateforme et je t’en remercie du fond de ma solitude* d’écriture où j’ai élaboré mon histoire. Je l’avoue, j’avais un peu sous-estimé le pouvoir d’un commentaire : incroyable comme de simples mots peuvent motiver et récompenser tout à la fois. On se sent considéré et reconnu. Il ne s’agit même plus de compliments ou de critiques : on a été lu. C’est comme une écoute attentive, la plus précieuse des attentions.
J’en comprends toute l’importance et vais m’atteler à commenter, autant que le temps me sera accordé, chaque fois que j’aurais ressenti quelque chose dans une lecture.

En toute amitié,
Aleksandra

*quand je dis « solitude », c’est juste dire que c’est une activité solitaire ;)
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