Chapitre 1 : Jubilée (2/2)

Une myriade d’odeurs imprégna mon nez. Les plantes aromatiques et les fleurs ouvraient grands leurs pétales en dispersant leurs fragrances. Il y avait des plantes partout. Sur des étagères, des présentoirs et même au plafond où Jubilée avait fait construire un lustre enroulé de rosier. Au fond, près du comptoir, un mur entier de potions, de poudres et de décoctions décorait la boutique. C’était là les produits que vendait Jubilée, des préparations pour soigner les douleurs, les rhumatismes et autres maux du corps. Je ne pouvais que valider l’efficacité des talents de la femme de ma vie, utilisant moi-même ces produits quand une douleur sourde pulsait au niveau de ma jambe amputée.

            Le magasin n’était pas très rempli aujourd’hui. Un groupe de vieilles femmes piaffaient en observant les plantes. Je fis également le tour de la boutique et aperçu Jubilée, me tournant le dos, les mains dans la terre en rempotant de la belladone.

            — Excusez-moi, dis-je en plaisantant. Je viens vous voir pour un sérieux mal qui me ronge.

            — Bien sûr, me répondit Jubilée sans se retourner. Dites-moi ce qui vous tracasse et je vous donnerai ce qu’il vous faut.

            Elle avait reconnu ma voix et faisait mine de ne pas me connaître.

            — Et bien… hésitai-je. Il y a une fille voyez-vous… Et elle me plaît beaucoup. Je n’arrive pas à la sortir de ma tête. Depuis, mon sommeil est agité.

            — Un somnifère alors, dit-elle toujours sans me regarder. Je ne vois pas ce que je peux faire d’autre. À vrai dire, les plantes ont de nombreux pouvoirs. Pas celui de guérir de l’amour, néanmoins.

            — Quelle maladie destructrice

            — Lorsqu’on en est pris, il n’y a plus moyen de lutter. Même le plus fort des hommes finit terrassé par ce mal fatal.

            Elle se releva enfin et me regarda, amoureuse. Elle n’avait que dix-sept ans, comme moi, et avait le charme des plantes millénaires qui ne se fanent jamais, comme dans les contes qu’on nous racontait enfants. Son teint pâle m’avait séduit dès le premier jour. En se relevant pour m’observer, ses cheveux noirs et lisses glissèrent sur les côtés de ses joues creuses. Ses yeux d’un vert ardent me fixèrent, fronçant des sourcils fins et arqués. Il se dégageait d’elle une stature de femme fragile en apparence et d’une force solide en son sein.

Mon cœur tambourina dans ma poitrine. 

            — Ne vous inquiétez pas, assura-t-elle. Je suis moi-même prise de ce mal. Vous n’en mourrez pas.

            Elle éclata d’un rire franc.

            — Tu verrais ta tête. On dirait que tu as eu une révélation.

            — On peut dire ça comme ça, balbutiai-je.

            Jubilée s’approcha de moi, plaça ses bras autour de mon cou en prenant soin de ne pas tapisser ma veste de terre et me déposa un baiser sur la bouche. Les clientes au fond du magasin s’esclaffèrent. Les commères ne perdaient pas une miette de la scène. Je tournai la tête pour les regarder. Des paires d’yeux nous observaient derrière des pots de fleurs et des feuilles.

            — Ne fait pas attention à elles, me lança Jubilée à voix basse. À leur âge, elles ne vivent plus qu'à travers le bonheur des autres. Ça doit leur rappeler les bons souvenirs de leur jeunesse.   Je retins un rire que je sentais poindre. Les yeux de la femme de mes rêves brillaient d’une lueur malicieuse. Elle quitta notre étreinte pour aller se laver les mains.

            — J’aimerais que tu m'accompagnes quelque part ce soir, expliquai-je. Je ne te dis rien, c’est une surprise. Je veux juste savoir si tu as ici quelque chose à te mettre. 

            — Une surprise ? s’étonna-t-elle en retournant derrière le comptoir afin de ranger les pots qui n’avaient pas encore trouvé leur place sur les étagères. J’ai bien une ou deux robes ici. J’aurais de quoi faire, ne t’inquiète pas. Une femme a toujours le nécessaire pour s’apprêter.

            — Tu pourrais y rencontrer l’homme de ta vie, plaisantai-je.

            — Qui sait ? interrogea-t-elle dans un clin d’œil plein de malice.

            Ce genre de phrase avait le don de me faire bouillonner, elle le savait. Je l’avais bien cherché. Avant que je puisse répliquer, Jubilée s’empara de son livre de compte, d’un stylo à plume et d’un encrier et leva le doigt en me faisant signe d’attendre. La pointe de la plume gratta le papier un moment et je restai silencieux, me délectant de cet instant pour observer ma future fiancée. J’imaginai déjà cette soirée. Le repas dans le plus cher restaurant de la ville. Une calèche pour nous emmener près de la plage où j’avais loué une petite maison pour la nuit, bien plus chatoyante et accueillante que notre propre logis. Une maison d’hôtes aux poutres apparentes, à la cheminée gigantesque et un balcon avec vue sur la mer. Et pendant que nous trinquerions à notre relation, je la demanderais en mariage.

            — C’est bon, j’ai fini, s’écria-t-elle en me tirant de ma torpeur.

            — Le travail s’est bien passé aujourd’hui ? dis-je d'un air bête pour tenter de cacher ma surprise.

            Le visage de Jubilée s’assombrit et elle me répondit d’une manière qui m’étonna.

            — Oui, ça peut aller, répondit-elle d’un ton méfiant. Rien de spécial.

            Son visage s’était refermé d’un seul coup. J’identifiai que quelque chose n’allait pas. Elle me mentait, je le devinai clairement. Il s’était passé quelque chose qu’elle voulait me cacher, je ne la connaissais que trop bien. Elle sourit, comme pour effacer cette seconde où le masque s’était fissuré.

            — Qu'est-ce qu'il y a ? hésitai-je, inquiet.

            — Tout va bien…

            — Tu sais que s’il y a un souci, tu peux m’en parler.

            — Je me demande simplement ce que tu as prévu pour nous ce soir, dit-elle pour changer de sujet. C’est tout de même notre anniversaire. Et je suis toujours autant éprise de toi, rassure-toi.

            Elle ne voulait pas parler de ce qui la tracassait. Je décidai de mettre ça de côté pour l’instant afin de me focaliser sur la soirée. Si elle était soucieuse, c’était à moi de lui rendre le sourire et lui permettre d’oublier ses tracas. Je verrai demain si je pouvais lui extirper quelques informations. Rien ne devait venir gâcher cette soirée.

            — Tu verras, la narguai-je. Si je te le dis, ce n’est plus une surprise. Je viendrais te chercher après ton travail et nous partirons juste après.

            — Où ça ? essaya-t-elle une nouvelle fois en se collant à moi.

            Je tournai la tête pour lui signifier que je resterais muet à ce sujet.

            — Bon, et bien si cette surprise doit en être une, je te prie de quitter ces lieux, j’ai du travail moi. Et je dois me faire belle. Aller file, et que je ne te revois plus avant ce soir.

            Je l’embrassai avec tendresse, provoquant une nouvelle série de gloussements des grands-mères cachées derrière les pots de fleurs et quittai le magasin. 

            — Tu me manques déjà, lui lançai-je en passant la porte.

            — Toi aussi, me répondit-elle en écho tandis que je retournai dans le froid.

            Revigoré par cette visite, je m’attelai à utiliser le temps qu’il me restait pour peaufiner les derniers éléments de ce soir. Je passai chez le fleuriste pour acheter un énorme bouquet de roses, d’arum et de camélias, entre autres. Les fleurs étant plus le domaine de Jubilée, je me fiai au marchand pour qu’il me fasse le plus beau bouquet afin de déclarer ma flamme. Je passai ensuite à la maison d’hôte afin de confirmer la réservation de ce soir. Je laissai au gérant le bouquet en lui demandant de prendre le soin de le déposer dans la chambre pour le mettre en valeur. Enfin, je me rendis à l’herbier sauvage, le restaurant le plus fameux de la ville pour y confirmer ma réservation auprès du maître d’hôte. Je demandai au chef de nous préparer son meilleur plat. Une fois mon petit parcours terminé, je pris un peu de temps pour moi. L’air s’était encore rafraîchi. Néanmoins, il me restait une chose importante à faire avant le saut final avec Jubilée. Je quittai le centre du village et me dirigeai vers le temple pyrréen. Ses murs de briques rouges se découpaient sur l’herbe fraîche et le beffroi s’élevait en une tour ronde en direction du ciel. En son sommet, un brasier contenant la flamme éternelle brûlait en bougeant de manière vive, comme elle l’avait fait depuis les débuts de l’humanité. La vue de ce feu me revigora et je soupirai. Je ne poussai pas la porte menant au temple, mais celle située à côté, qui permettait de descendre en profondeur, au Mausolée des âmes. La porte de fer se referma en laissant le vent gémir avant de s’éteindre. Une odeur de suie et d’encens enveloppa mes narines tandis que je descendais les marches. Dans les patères accrochées au mur, des flammes dansaient en éclairant le chemin. J’achevai de parcourir les escaliers et arrivai bientôt dans la salle des défunts où mes yeux se laissèrent porter par le feu sacré qui crépitait au fond de la salle. De là où j’étais, il m’apparaissait comme un point au milieu de la nuit. Les murs étaient gravés et ciselés des noms des défunts, si bien que le feu en sous-sol les éclairait en les faisant scintiller d’une lueur rougeoyante. Au loin, j’entendis le doux ronflement du système d’aération permettant d’évacuer la chaleur et la fumée du feu éternel qui brûlait sous nos pieds. Il faisait bon à l’intérieur du mausolée des âmes, ni trop chaud, ni trop froid. Les noms lumineux éclairaient la salle en repoussant les ombres et projetaient dans la pièce une couleur chaude et apaisante. Quelques personnes se recueillaient devant l’un des murs et seul le bruit de ma jambe de bois claquant contre le sol leur fit tourner la tête avant qu’ils ne retournent à leurs prières. Je m’avançai d’un pas rapide vers l’autel des souvenirs, au fond de la pièce. Un feu vif rougeoyait derrière deux grandes portes de verre. Je m’agenouillai devant lui en priant Pyrrée, la déesse des flammes et me retournai pour longer l’un des murs. Les noms des morts s’illuminaient au gré du feu orangé derrière eux. Lorsque je trouvai enfin le nom que je recherchai, je m’arrêtai pour m’agenouiller devant les tapis rouges qui parcouraient l’étendue du caveau. Je jetai un regard sur les lettres scintillantes : Lénore Stride, ma grand-mère. Comme les quelques personnes agenouillées, je fermai les yeux et me recueillis.

            — Bonjour grand-mère, murmurai-je en gardant à l’esprit les lettres qui brillaient d’un feu vif. Ça fait longtemps que je ne suis pas venu te voir, n’est-ce pas ? Trop longtemps, je sais. Même si… même si tu n’es plus là pour me donner ta bénédiction, je voulais que tu sois au courant. Je vais demander Jubilée en mariage. Nous allons nous fiancer. Enfin, je vais faire ma proposition ce soir. Je n’ai pas eu l’occasion de t’annoncer de « vraies » bonnes nouvelles depuis que tu es partie. En revanche, celle-ci, je me devais de te l'annoncer. Tu m'as élevé, alors je pense que tu dois te demander ce que je fais de ma vie. Voilà, j’espère me marier avec la fille que j’aime. Je me souviens que tu me disais souvent de prendre mon temps. Je pense que le temps est venu avec Jubilée. Tu sais, elle s’est vraiment bien occupée de moi depuis l’accident. J’aurais aimé que tu sois là, que tu me dises que tu es contente. Je vais devoir partir. Je reviendrai demain pour te donner la réponse de Jubilée. Je t’aime Grand-mère…

            Je déposai un baiser sur le dos de ma main et me relevai. Le craquement du feu sacré au fond de la salle me laissa deviner que mes pensées avaient bien atteint mamie Lénore. Un sourire silencieux s’afficha sur mes lèvres tandis que je remontai les marches du caveau sans un bruit. J’ouvris la porte, laissant le vent s’engouffrer sous mon manteau et quittai le temple afin de me retourner chez moi. Le ciel s’était couvert, masquant à nouveau le soleil. Heureusement, bien au chaud dans notre maison d’un soir, nous serions protégés du vent et des intempéries s’il devait y en avoir ce soir. En arrivant enfin à la maison, je profitai du temps qu’il me restait pour me faire le plus beau possible. Je mis sur moi mon plus beau costume et m’apprêtai tout en regardant le soleil se coucher. La lune, éternelle suiveuse, prit la suite de l’astre en s’illuminant. Tout en observant l’heure sur ma montre à gousset, je fis une caresse à Égrégore qui dormait plus profondément qu’un homme ivre et quittai la maison. D’un pas assuré, je me mis en marche à destination de la boutique pour chercher Jubilée. Je soufflai un grand coup, de manière à évacuer le stress et me concentrai pour que cette soirée se passe du mieux possible.

            Un froid mordant s’était emparé du village recouvert du sombre manteau de la nuit. Les volets clos des habitations laissaient filtrer un peu de lumière et les rues s’étaient vidées. Des réverbères alimentés à l’huile de chanvre avaient été allumés pour éclairer les rues. Je ne croisai personne à part quelques chats qu’Égrégore se serait fait un plaisir de chasser. Je frissonnai et continuai ma route, emmitouflé dans mon manteau. Je longeai le bureau de change du village et passai devant la boutique de mercerie avant de déboucher à nouveau sur la place centrale. Au contraire de cet après-midi, un silence angoissant régnait sur les lieux. Lorsqu’elle n’était pas entourée des différents étals du marché, la fontaine était bien visible. Constituée de trois lions grossièrement sculptés, l’eau avait cessé de couler pour économiser les réserves et éviter qu’elle ne gèle à l’approche des jours froids. Une forte odeur de suie imprégnait la rue que j’empruntai pour monter jusqu’à la boutique d’herboristerie. Les cheminées brûlaient dans chacune des maisons et les toits d’argiles s’étaient mis à cracher une fumée épaisse et grisâtre que le vent avait cette fois bien du mal à dissiper.

            J’arrivai bientôt au magasin de Jubilée. Les lumières étaient éteintes. J’entendis un bruit de porte et reconnus ma petite-amie en train de fermer la boutique à clé. Même dans la nuit noire, son ombre paraissait rassurante. Grande et longiligne, Jubilée avait une grâce presque surnaturelle. Habillée d’une chemise de coton, d’un jupon et d’une capeline, elle avait du mal à fermer la porte. La lumière d’un réverbère éclairait une partie de son visage. Elle semblait inquiète, les sourcils noirs et fins froncés aux dessus de ses yeux, ses lèvres délicates pincées en signe de contestation. Je voulus la surprendre et me cachai dans un recoin de la ruelle. J’avais de l’avance sur mon horaire et remarquai qu’étrangement, elle aussi. Une silhouette arriva de l’autre côté de la rue, derrière Jubilée. Un homme, à n’en pas douter. Il se dirigea vers elle d'un pas agile et mon cœur tambourina dans ma poitrine. Jubilée lui tournait le dos et l'observa dans un mouvement de tête. J’eus à peine le temps de me relever. En une seconde, Jubilée fut attaquée. Elle poussa un hurlement strident. Je vis la lame du couteau que tenait l’homme dans sa main. Mon cœur venait de s’arrêter. L’agresseur abattit la lame. Une fois, deux fois, trois fois. En une seconde, le sang se répandit sur le jupon de Jubilée. Je sautai par-dessus le tonneau derrière lequel je m’étais caché et me ruai aussi vite que ma jambe de bois me le permit en direction de l’agresseur. Celui-ci relâcha Jubilée avant de disparaître au fond de la rue. Je m’agenouillai aux côtés de Jubilée qui, morte de peur, les yeux écarquillés, tentait de respirer. 

            — Jubilée, murmurai-je. Non… Non… Non !

            Déjà les fenêtres de la rue s’ouvraient, cherchant à déceler la provenance du cri. Je retirai mon manteau et l’appliquai sur les plaies pour tenter de contenir le sang. Mes mains furent bientôt teintées de rouge et les larmes me montèrent aux yeux.

            — À l’aide ! À l’aide !

            Mon hurlement déchirant traversa la nuit et se répercuta aux portes des maisons. Déjà les larmes ruisselaient le long de mon visage.

            — Ézékiel…

            Elle murmura mon nom comme si elle savait que c’était la dernière fois qu’elle aurait l’occasion de le faire. Ses yeux verts étaient plongés dans les miens. Dans un effort désespéré, elle leva le bras et effleura ma joue de sa main en y déposant une trace de sang. 

            — Qui a fait ça ? hurlai-je en serrant les dents afin de contenir un sanglot. Dis-moi qui !

            — Zek… répéta Jubilée dans un murmure. Prends soin de la boutique.                  Elle ferma les yeux.

            — Non, m’écriai-je. Ne t’endors pas. Jubilée ! Écoute-moi ! Reste avec moi.

            Elle ne répondit plus. Je la secouai pour tenter de lui faire reprendre connaissance. Jubilée ne réagit pas. 

            — Non ! Jubilée ! JUBILÉE !

            Elle resta muette. Son visage impassible. Elle semblait plongée dans un sommeil sans rêves. Je blottis le corps inerte de ma fiancée contre le mien, poussai un cri déchirant et m'effondrai. Le temps se figea. Je ne remarquai même pas les habitants qui sortaient les uns après les autres de leurs habitations et s’amassaient autour de la scène du drame. Certaines femmes placèrent les mains devant leur bouche pour étouffer un cri. Quelqu'un m’empoigna l’épaule et me tira en arrière.

            — Aller, viens par là mon garçon…

            Je me débattis comme un diable. L’homme tenta de me faire quitter les bras de Jubilée, mais je fis preuve d’une force extraordinaire. Trois de ses hommes durent venir l’aider afin de me maîtriser.

            — Emportez-le derrière, ordonna-t-il à ses hommes.

            Malgré la force dont je fis preuve, je n’étais pas de taille. Les hommes me maintinrent éloigné de la scène du crime. En levant la tête, je reconnus le commissaire Gravesend qui s’agenouillait aux côtés de Jubilée. Le pendentif de la femme de ma vie, en forme de muguet, réfléchissait les lumières des fenêtres. Le commissaire ne tarda pas à se relever. Sans un mot pour les badauds qui commençaient à affluer et à poser des questions, il se dirigea vers ses officiers. 

            — Elle est morte, dit-il simplement, le regard triste.

            Je sentis mon sang ne faire qu’un tour.

            — NON ! hurlai-je à pleins poumons.

            Me débattant plus fort encore, je tentai de me libérer pour rejoindre Jubilée. Les hommes de Gravesend me maintenaient fermement.

            — Quant à lui, reprit-t-il en me désignant d’un coup de tête, embarquez-le.

            — Il est intenable, répondit l’un des officiers.                    

            — Alors agissez en conséquence.

            L’officier tira la matraque et l’abattit sur mon crâne. Je m’écroulai à mon tour.

 

***

 

            — Zek ? Zek tu m’entends ?

            J’ouvris les yeux. Un mal de crâne tambourinait à l’intérieur de ma tête. Je reconnus avec difficulté les barreaux d’une cellule. Derrière eux, un officier de police me parlait. Je mis quelques secondes pour reconnaître mon meilleur ami.

            — Matthew ?

            — Tu vas bien ?

            Je me redressai d’un bond en me rappelant ce qu’il venait de se passer.

            — Comment va-t-elle ? demandai-je affolé.

            Matthew semblait embarrassé. Il passa une main dans ses cheveux bruns et se mordit la langue.

            — Je suis désolé, Zek…dit-il d’une voix chevrotante.

            — Non, non, non ! 

            — Calme-toi... Il faut que je te fasse sortir de là.

            Je ne l’écoutai même plus. Déjà les larmes commençaient à affluer aux bords de mes yeux.

            — Ressaisis-toi, m’intima Matthew en se faisant plus dur. Je te jure que ce n’est vraiment pas le moment.

            Je le regardai, hagard.

            — Tu te souviens que le commissaire t’a fait enfermer ici ?

            Je hochai la tête. Comment oublier le visage carré et les yeux noisette qui m’avaient fixé sous l’uniforme ? Le visage rasé du commissaire Gravesend s’était durci lorsqu’il avait demandé à ses hommes de m’emmener.

            — Ézékiel, tu risques gros, murmura mon ami.

            Je ne compris pas tout de suite. Matthew étant entré dans les forces de police, il était au fait des affaires et des délibérations. Il savait quelque chose que j’ignorais moi-même.

            — Il n’y aura un procès. La mort de Jubilée va faire grand bruit. Tu étais le seul sur place, le seul témoin…et le seul suspect. 

            — Et alors ? m’insurgeai-je.

            — Je ne sais pas quelle direction tout ça va prendre. Je n’ai pas envie de te retrouver sur le gibet avec une corde autour du cou.  

            J’écarquillai les yeux.

            — Ils cherchent un coupable et tous les indices pointent vers toi, continua Matthew.

            — Mais je suis innocent ! Je n’ai rien fait ! Tu crois vraiment que je l’ai tué ?

            — Tu n’aurais jamais pu faire ça.

            Matthew fouilla dans les poches de son uniforme et en tira un trousseau de clés.

            — C’est pourquoi je vais te libérer. Si tu restes ici, je ne pourrais plus t’aider par la suite.   

            — Tu risques de perdre ta place…

            — Je préfère ça plutôt que de te perdre toi. La mort de Jubilée est assez dure comme ça.

            Je fermai les yeux et serrai les dents.

            — Je suis désolé, Zek. Ça doit être dur pour toi, je sais. Raison de plus pour ne pas te laisser croupir ici.

            D’un mouvement rapide, il inséra la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Il m’aida à sortir de ma cellule et m’intima de me dépêcher. Nous quittâmes le commissariat en évitant les forces de l’ordre et nous échappâmes par une porte arrière. Sans nous arrêter, nous nous glissâmes à travers la nuit et parcourûmes la ville, ne marquant une pause qu’aux détours des ruelles où des voix s’élevaient. Certains habitants étaient encore dans les rues, torches à la main, prêts à se mettre en quête de l’assassin. D’autres parlaient de fenêtre en fenêtre à travers les maisons. La mort de Jubilée avait réveillé tout le village et chacun y allait de sa propre interprétation. Mon ami me poussait à me dépêcher, n’hésitant pas à me rappeler que les hommes du commissaire n’allaient pas tarder à s’apercevoir de notre fuite. Déjà, un coup de sifflet retentit dans la nuit. Sans un bruit, nous quittâmes la ville et nous élançâmes à travers champ en direction des marais, là où les forces de police n’oseraient s'aventurer que de jour.

            — On va se perdre à l'intérieur les marais, m’inquiétai-je. On a même pas de quoi s’éclairer. On va s’embourber. Et avec ma jambe…

            — Tu préfères te livrer à la police ?

            Je secouai la tête et me tut. 

            — Alors on court et on survit.

            Comme une ombre dans la nuit, la peur au ventre, nous nous enfonçâmes dans les marais. Nous n’avions pas de plan, mais gardions au fond de nous la détermination de découvrir le véritable assassin de Jubilée. 

 

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Deslunes
Posté le 27/12/2021
Je suis de l'avis d'Isapass, j'adore les descriptions mais parfois il en manque !
Quelques petites erreurs supplémentaires mais malheureusement, il y en a toujours et pour nous tous.
"Ne fais pas attention"
"Allez file"
Isapass
Posté le 31/08/2020
Hello,

Me voici sur la seconde partie du chapitre. Mon impression est positive : ce démarrage n'est pas d'une originalité folle (le héros accusé à tort d'avoir tué son amour), mais on s'en fout parce que c'est toujours efficace. Ton écriture est décidément très agréable à lire.
J'ai juste une petite remarque (à voir si je suis la seule à penser ça) sur les proportions du chapitre : en fait, j'ai trouvé la fin (tout le meurtre, l'arrestation et la fuite) un peu rapide. Tu as plutôt tendance à rentrer dans les détails (par exemple toute la scène du bain, celle de la boutique, celle du mausolée, sont aussi détaillées au niveau des descriptions du lieu que des actions de Zeke). Moi j'adore ça, aucun problème là-dessus. En revanche, tu passes très vite sur la fin, alors que c'est un point hyper structurant pour l'histoire puisque c'est le point de départ. Du coup ça m'a laissée un peu sur ma fin. Les actions sont moins détaillées, on a très peu d'introspection de Zeke (quand Matthew lui dit qu'il est suspecté du meurtre, notamment), beaucoup moins de détails sur les lieux. Zeke ne se pose et ne pose aucune question, il ne proteste pas, il suit Matthew sans même se demander pourquoi il est suspect, ni si la fuite est vraiment la bonne solution. Pourquoi fuit-il si facilement alors que lui sait qu'il est innocent ?
Bref, je pense qu'il faudrait approfondir cette partie, surtout après le meurtre, parce que de mon côté je n'y ai pas cru. Il faudrait expliquer pourquoi Zeke est suspect (ça parait assez peu professionnel de la part de la police alors qu'ils n'ont pas posé une seule question. Or il n'a pas spécialement un passé de délinquant) et surtout, pourquoi il accepte de fuir avec Matthew.
A propos de Matthew d'ailleurs, je trouve toujours son comportement étrange, mais le fait qu'il fuit avec Zeke me laisse croire qu'il n'a peut-être pas de mauvaises intentions (s'il l'avait libéré et laissé fuir seul, là j'aurais trouvé ça vraiment tordu ;) ).
Dispo pour reparler de tout ça si besoin, bien sûr.

Mes petits pinaillages (très peu, t'inquiète) :
"Je viendrais te chercher après ton travail et nous partirons juste après." : je viendrai
"Tu m'as élevé, alors je pense que tu dois te demander ce que je fais de ma vie." : je trouve cette syntaxe un peu étrange. Est-ce qu'il veut lui demander ce qu'il doit faire de sa vie ? Il espère une réponse ? Ou est-ce qu'il veut l'informer, simplement ?
"J’ouvris la porte, laissant le vent s’engouffrer sous mon manteau et quittai le temple afin de me retourner chez moi." : "afin de retourner chez moi" ou "afin de m'en retourner chez moi"
"Constituée de trois lions grossièrement sculptés, l’eau avait cessé de couler pour économiser les réserves" : ce n'est pas l'eau qui est constituée de trois lions, c'est la fontaine. Donc la première partie de la phrase serait mieux dans la phrase précédente.
"Je m’agenouillai aux côtés de Jubilée qui, morte de peur, les yeux écarquillés, tentait de respirer. " : c'est peut-être seulement moi, mais cette phrase me donne une impression de lenteur, alors que je l'imagine plutôt se ruer à côté d'elle. Je pense que c'est "Je m'agenouillai". Peut-être que "Je me précipitais aux côtés de Jubilée" ou "Je me laissai tomber" ou quelque chose comme ça ? Ou "Je m'agenouillai précipitemment" ?
"— Il n’y aura un procès. " : je pense que la négation est en trop

A+
Isapass
Posté le 31/08/2020
Ah je viens de jeter un oeil aux commentaires ci-dessous et manifestement, je ne suis pas la seule à avoir eu cette sensation que les choses allaient un peu trop vite ;) Ça n'empêche qu'on peut approfondir si besoin
Clemy
Posté le 22/08/2020
j'ai découvert ton profil sur le forum (celui où tu te présentais) et ta façon de te présenter m'avait bien plu, du coup, je m'étais dit que j'allais lire ce que tu avais écrit.
c'est une belle découverte, j'aime beaucoup le début de ton histoire :)

j'aime déjà le personnage principal qui assez bien développé je trouve. de même que la situation initiale a été bien amené.

juste j'ai un tout petit bémol pour la fin du chapitre un. Je la trouve un peu brutal et je t'avoue que je n'ai pas compris pourquoi le commissaire Gravesend accusait Zek du meutre....
après je n'ai lu que le premier chapitre et peut-être que c'est expliqué plus loin.
MatthiasRouage
Posté le 23/08/2020
Tu n'es pas la première personne non plus à me faire cette remarque là. C'est donc qu'en effet, quelque chose cloche là-dessus et que je dois retravailler ça. Merci de ton retour, ça confirme des choses ;)
Pandasama
Posté le 24/07/2020
Bonjour,

Je trouve la fin du chapitre peut être un peu trop expédiée, disons que je m'interroge un peu sur le fait que l'on considère Ézékiel coupable aussi facilement...
Il est dit que tout les indices pointent vers lui... Quels indices ? Aucun ne sont présentés...

En fait, la seule explication qui rendent le tout plus crédible est que Matthew soit dans le coup... Enfin, vois et lis, comme on dit dans le milieu.

Sinon, la qualité est toujours présente ! Et j'espère que tu ne prendra pas mal ce que je t'ai dis !
MatthiasRouage
Posté le 25/07/2020
Hum, en effet, le point que tu soulèves est intéressant. Je vais voir si je ne peux pas amener la chose autrement.

Ne t'inquiètes pas, je préfère qu'on me fasse des remarques pertinentes qui font évoluer mon texte. Je ne suis pas du genre à prendre la mouche dès qu'on pointe un élément bizarre.

Surtout que celui-ci est... important en effet.
Lohiel
Posté le 24/07/2020
Je reprends ici la discussion de la page précédente, sur les paragraphes.
C'est drôle, tu as un talent natif, reconnu... et encore plein de questions :-).

Alors, si, dans un roman il peut y avoir des retours à la ligne réguliers, beaucoup de paragraphes (ce sont les lignes blanches systématiques qu'on évite). Tout dépend de l'auteur, de ses choix. Il n'y a aucune règle en la matière.

On en fait généralement quand on change d'unité de sens, qu'on va parler d'autre chose, ou quand on veut expliciter en détail la dernière phrase du paragraphe précédent. Et il y a le procédé qui consiste à mettre en valeur une phrase particulière par coupure. Ici, par exemple, la scène du meurtre pourrait être disposée différemment, pour la dramatiser, bon ce n'est pas une proposition, juste un exemple :

En une seconde, Jubilée fut attaquée. Elle poussa un hurlement strident. /
Je vis la lame du couteau que tenait l’homme dans sa main. /
Mon cœur venait de s’arrêter. L’agresseur abattit la lame. Une fois, deux fois, trois fois. En une seconde, le sang se répandit sur le jupon de Jubilée. /
(tiens, d'ailleurs, deux fois : "En une seconde")

Sinon, à la fin, Matthew fait un truc particulièrement grave. Par amitié, il devient un hors-la-loi, il entre dans la clandestinité et bousille sa carrière sans hésiter, en une minute. J'aurais aimé qu'Ézékiel s'en rende compte, par une pensée, par exemple, ou une réflexion ahurie... laquelle permet au lecteur de sentir que *toi* l'auteur, tu sais ce que tu fais. Sinon, c'est presque un peu trop simple (de mon point de vue, qui veut toujours que tout soit ultra-cohérent, OK, mais je suis une enquiquineuse ^^).

Remarqué au passage :

-- répétitions sensibles :
J’identifiai que /quelque chose* n’allait pas. Elle me mentait, je le devinai clairement. Il s’était passé /quelque chose* qu’elle voulait me cacher.
dans notre maison d’un soir*, nous serions protégés du vent et des intempéries s’il devait y en avoir ce soir*

-- la flamme éternelle brûlait en bougeant de manière vive (un peu pauvre, bouger, pour une flamme... laquelle peut danser, osciller, palpiter, etc, mais tu as aussi le simple lexique du feu qui permettrait d'affiner cette phrase, flamber, crépiter, flamboyer, pétiller, etc )

-- et quittai le temple afin de me* retourner chez moi

-- "J’entendis un bruit de porte* et reconnus ma petite-amie en train de fermer* la boutique à clé. Même dans la nuit noire, son ombre paraissait rassurante. Grande et longiligne, Jubilée avait une grâce presque surnaturelle. Habillée d’une chemise de coton, d’un jupon et d’une capeline, elle avait du mal à fermer* la porte*."
- en principe, "petite amie" ne prend pas de trait d'union
- répétitions : pourquoi pas boucler, verrouiller... la serrure ; assujettir, caler... le battant, l'huis..?
MatthiasRouage
Posté le 25/07/2020
Oh merci pour ce commentaire encore très constructif !

Alors alors, par où commencer pour répondre ;).
Sans rien dévoiler, ce n'est pas non plus un hasard si Matthew accepte d'aider Ezekiel. Mais tu as parfaitement raison, Zek devrait au moins avoir une réaction envers son ami qui fout en l'air sa vie pour le sauver. Sinon, il passe un peu pour un ingrat.

Pour les paragraphes, je faisais comme tu l'indique en fait. C'est à dire que dès qu'on changeait de sujet, ou de scène, je sautais un paragraphe. Je le faisais un peu à l'insctinct.
Maintenant, je ne fais plus que des retours à la ligne. Pour le moment, je ne sais pas si j'aurais le courage de tout revoir pour remettre d'aplomb -_-'

Et enfin, merci pour les remarques sur les repetitions. Je vais aller changer ça.
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