Chapitre 1 _ Lauryne : Mauvais Souvenirs

Par Adelys
Notes de l’auteur : Protagoniste n°1 entre en scène :), prenez le temps de la connaître.

Ps : Il y a des passages en créole dans le texte (pas beaucoup, ne vous inquiétez pas). Les traductions se trouveront toutes à la fin.
Bonne lecture =)

Son genou rencontra le mur dans un bruit sinistre. Lauryne poussa un juron. 

Pourquoi son lit se trouvait-il si près du mur tout d'un coup ? Ne s'était-il pas toujours trouvé au centre de sa chambre ? Passées les premières secondes de confusion et de douleur dans le silence de la pièce, les souvenirs de ces derniers mois lui revinrent en mémoire. Le courrier d'acceptation de mutation. Les cartons. Le déménagement. Le voyage. 

Pas n'importe où. Non. La Réunion. 

Cette île natale qu’elle connaissait très peu. 

Et, pour ne rien arranger, aujourd’hui était son premier jour au lycée. Lauryne aurait préféré traverser l’océan Indien à la nage plutôt que d’affronter cette journée. Après quelques minutes de tergiversation dans les méandres de sa couette, la jeune fille décida de se lever. Ses pieds nus tâtonnèrent un moment sur le carrelage froid avant d’atteindre la fenêtre, qu’elle ouvrit d’un geste agacé. Elle ne s’était toujours pas habituée à la poignée métallique, rouillée, qui se montrait capricieuse dès l’instant où elle essayait de la déverrouiller. Après quelques minutes d’acharnement, laissant des marques blanches sur ses doigts, elle accueillit la lumière pâle du matin par un éternuement retentissant. 

L’hiver austral et ses allergies. 

Juste après ça, un coq du voisinage, d'humeur apparemment moqueuse, se mit à chanter. Plus de doutes. Avec ce climat et cette faune typique, elle se trouvait bien sous les tropiques. 

En entrant dans la cuisine, elle tomba sur Iris, installée, seule, à la petite table. Un parfum de café embaumait la pièce. Iris, c’était sa mère. Une femme à l’aube de la quarantaine, célibataire. Leur différence physique choquait beaucoup. Là où sa mère, avec ses taches de rousseur sur sa peau pâle, devait prouver plus d’une fois sa créolité ; la jeune fille, quant à elle, se fondait plus facilement dans la foule. Sa peau mate et le châtain terne de ses cheveux y étaient pour beaucoup. 

— Bien dormi ? 

Son accent yab* caractéristique des créoles blancs faisait lever le doute, cependant. L'adolescente n’avait pas hérité de cet accent. 

— Plus ou moins, marmonna-t-elle en ouvrant les placards à la recherche de son pot de chocolat et son paquet de biscottes. Elle s’installa nonchalamment en face d'Iris dont le regard inquiet ne lui échappa pas. 

— Sûre que ça ira pour aujourd'hui ? Lui demanda celle-ci après avoir bu une gorgée de café. 

Nous y voilà.” 

Lauryne ne répondît pas tout de suite et fit mine de se concentrer sur sa biscotte. Elle n'avait pas envie de faire semblant avec sa mère. Faire semblant d'être enjouée. Que ça ne la dérangeait pas de changer de lycée alors que c'était sa dernière année ; de revenir dans cette ville, alors que ces seuls souvenirs de l'endroit lui donnaient des cauchemars, aujourd'hui encore. Mais elle n'avait pas envie de se mettre en colère non plus. Ce n'était pas son genre. Alors, elle se concentrait sur sa biscotte tartinée au chocolat. 

Même si elle n'avait rien laissé transparaître à sa mère, durant ces derniers mois consacrés au déménagement, elle avait appréhendé ce retour sur l'île. En grandissant, l'adolescente avait toujours rencontré des difficultés à se lier aux autres. Sa timidité était une chose, néanmoins elle ne niait pas la véritable raison de son anxiété. Elle se savait différente depuis l'enfance et cela ne se réduisait pas uniquement à un simple trait de personnalité. On dit que le temps apaise les coeurs. Pas le sien, en tout cas. 

— Il y a encore du jus de fruits ? dit-elle en allant ouvrir la porte du frigo. 

Piètre diversion, elle le savait. 

— Si tu veux, je peux faire un détour pour te déposer aujourd’hui. Proposa Iris, nullement dupe. 

Certainement pas.” 

Lauryne revint s’asseoir avec sa brique, un sourire forcé sur les lèvres. 

— Je pense que je peux m’en sortir seule. Affirma-t-elle en remplissant son verre. Merci quand même. 

— N'oublie pas de prendre tes cachets, dans ce cas. 

Lauryne prit toute la peine du monde pour conserver une expression enjouée. Des cachets contre l’anxiété. Elle en prenait depuis ses dix ans. C’était la seule solution trouvée par un vieux psychiatre pour contrecarrer l’apparition de ses… crises. Comme si elle avait prévu son coup, sa mère glissa doucement la plaquette de comprimés vers elle. 

— D’accord. 

Sur ces paroles, et sans appétit, Lauryne finit son petit-déjeuner. 

Plus tard, dans la salle de bains exiguë, la jeune fille se vit hésiter. Le reflet du miroir la désolait à chaque fois. Les mains agrippant nerveusement chaque côté du lavabo, elle scruta les moindres recoins de son visage trop blême à son goût malgré sa peau naturellement hâlée. L'espace d'une seconde elle crut voir la fillette qu'elle était encore, il n'y a pas si longtemps. Vivement, elle se redressa, dénoua son élastique qui fit retomber ses cheveux fins sur ses épaules puis elle se frappa les joues chassant à nouveau cette image du passé. 

« Ça va aller. » 

Le temps était ensoleillé. Une légère brise fraîche créée par les alizés provenant de l'est ébouriffait les feuilles des palmiers jonchant le chemin. Lauryne sortit du hall d'entrée de la résidence et marcha jusqu'à l'arrêt de bus en contre bas de son allée, les écouteurs vissés dans ses oreilles. Une petite dame coiffée d’une capeline attendait déjà, son petit chariot de courses à ses côtés. Lauryne la salua timidement. Par ici, les gens avaient le sourire facile, elle n'y était pas habituée. Dans le bus, elle observa d'un air triste le paysage texturé et si coloré qui défilait sous ses yeux. Le contraste entre ses émotions intérieures et l'atmosphère environnante lui paraissait risible. Proche de la mer et loin du désordre du centre-ville, Terre-Sainte, petit quartier au climat doux mais venteux, était un endroit où il faisait bon vivre. Et pourtant...  

Pourquoi avait-elle l'impression de fouler les sillages d'un vieux cauchemar ? 

Jouant des épaules pour descendre du véhicule, Lauryne constata avec morosité qu'elle était en avance. Quoi de pire que de patienter dans un endroit comble où elle ne connaissait personne ? L'imposant établissement gris se tenait plus en hauteur, dominant les parkings et la cour. Elle s'empressa de se diriger vers le couloir d'accueil où s'amoncelaient déjà une masse impressionnante d'adolescents bruyants. Sentant, malgré elle, ses entrailles se contracter, elle monta le volume de sa musique pour se donner du courage. Elle se fraya un chemin dans la foule d'élèves essayant d'atteindre le bâtiment principal où se trouvait la vie scolaire. C'était le milieu de semestre et elle ne savait toujours pas le nom de sa nouvelle classe. Tous les visages lui étaient inconnus, bien sûr. Cependant, instinctivement, Lauryne disposa ses cheveux de manière à dissimuler son profil et s'obstina à regarder le sol. 

Devant le bureau du CPE, elle hésita, l'air perdu. Deux garçons la bousculèrent sans la voir, lui bloquant l’accès. Elle pouvait leur faire comprendre qu'elle était arrivée avant eux ou simplement qu'elle était là. Mais elle n'osa rien et les observa s'entretenir avec une personne à l'intérieur. L'échange fut court. La conseillère, une expression réprobatrice sur son visage ridée, renvoya sèchement hors de son antre, les deux garçons ricaneurs sous l'effet d'une blague qu'eux seuls pouvaient visiblement comprendre. Lauryne croisa son regard et son expression changea quasi-instantanément. 

— Ne serais-tu pas la jeune nouvelle ? Lauryne, c'est ça ? Entre vite que je te donne ton emploi du temps et tout le reste. 

Quelques minutes plus tard, les pieds de Lauryne la menèrent vers la salle dont elle avait mémorisé le numéro et à sa surprise, la trouva déjà comble. Elle marqua une pause à l'entrée et parcourut la pièce du regard. La sonnerie ne s'étant pas manifestée, tout le monde s'autorisait à s'interpeller les uns les autres. Certains discutaient debout, d'autres entouraient une table et rigolaient à gorge déployée. Lauryne se sentit mal à l'aise : toutes les places semblaient prises et les groupes étaient déjà formés. 

Elle resta là un moment, indécise lorsqu'une voix d'homme l’interpella, la faisant sursauter : 

— Serais-tu Lauryne ? 

Elle se détourna, les yeux ronds et découvrit un homme d'une trentaine d'années la dévisageant le regard curieux et le sourire poli. Il était forcément le professeur principal de cette classe. Déjà installé derrière son bureau face au tableau, une craie à la main, le fait que tout autour de lui n'était que brouhaha ne semblait pas le gêner. Elle ouvrit la bouche pour lui répondre, mais avant même d'émettre un son, la sonnerie s'imposa, stridente. Elle dura une bonne minute avant de s'arrêter laissant le temps aux élèves de la salle de s'installer à leur table sans pour autant se départir de leur enthousiasme. Lauryne n'avait pas bougé, pétrifiée à l'idée de ce qu'il allait suivre. Maintenant assis, certains commençaient à remarquer sa présence. Qui était donc cette fille, encore debout à côté du prof, l'air guindé ? Le professeur, quant à lui, toujours souriant, s'était retourné face à sa classe et leva les mains dans un appel au calme.   

— Avant de reprendre la suite de notre cours, entama-t-il sans perdre son flegme. Nous allons prendre quelques minutes pour faire la connaissance d'une nouvelle élève, ici présente.  

Devant les yeux horrifiés de Lauryne, il tendit une main vers elle l'invitant à s'avancer. Voyant son pire cauchemar se réaliser, l'adolescente resserra sa poignée sur la bandoulière de son sac et se vit faire un pas vers le visage prévenant du prof. Elle hésita un moment avant de se tourner vers la classe. Autant en finir le plus vite, s'encouragea-t-elle intérieurement. Elle se résolut à fixer un point invisible au-dessus des visages qui la fixaient intensément.  

— Bonjour tout le monde, je suis Lauryne. Ravie de faire votre connaissance. 

Voilà, c'était fait, plié. Elle n'avait pas bégayé de manière stupide. Maintenant, le prof lui dira d'aller s'asseoir et- 

— T'es de quel coin ?  

Interdite, Lauryne regarda l'élève qui venait de parler. C'était une fille du premier rang, l'expression sincèrement curieuse. Déroutée, l'adolescente jeta alors un coup d'œil au prof espérant qu'il allait mettre fin à son calvaire. Au vu du sourire insistant de ce dernier, elle comprit que ça n'allait pas être aussi simple. Pourquoi avait-il fallu qu'elle tombe sur un jeune prof plein d'entrain ? Serrant plus fort la bandoulière de son sac, Lauryne puisa en elle la force nécessaire pour répondre. Mais, à la surprise générale, quelqu'un débarqua en trombe dans la salle, la libérant de toute l'attention. 

L'atmosphère, qui, jusqu'alors, respirait la camaraderie, changea radicalement à la vue de la nouvelle venue qui s'était arrêtée à la porte pour reprendre son souffle. Elle était grande. Sa peau marronne aux reflets cuivrés se mariait joliment à l'acajou de sa chevelure frisée. Mais c'étaient surtout ses yeux que Lauryne remarqua. Des pupilles d'un vert irisé tels deux gemmes de péridot qui parcourait la classe d'un regard désinvolte. 

Perplexe, Lauryne s'aperçut que les autres élèves avaient étrangement perdu leur sourire et s'étaient mis à murmurer entre eux observant l’intruse avec hostilité. Le professeur choisit ce moment pour taper dans ses mains faisant taire les messes basses. Il s'adressa par la suite à l'inconnue d'un ton qui lui parut peu naturel : 

— Samira ! Je ne t'attendais plus ! Nous étions tous en train de faire la connaissance de Lauryne. 

Lauryne sentit les yeux de Samira s'abattre automatiquement sur elle. D'instinct, elle lui fit un sourire crispé que cette dernière ne rendit pas. L'espace d'une seconde, il lui sembla voir une ombre passer sur son visage alors qu'elle la scrutait de ses yeux verts troublants. Pourtant, Lauryne l'entendit clairement déclarer une pointe de sarcasme dans la voix : 

— Veuillez m'excuser de mon retard, Monsieur. Je peux aller m'asseoir ?  

Tous les visages restèrent fixés sur Samira alors qu'elle traversait la salle dans un silence de plomb, l'expression imperturbable. Elle s'assit nonchalamment à une place du fond proche de la fenêtre et se mit à fixer l'horizon nullement soucieuse des regards insistants. Le silence dura encore quelques minutes frôlant l'impolitesse. Ne supportant plus le malaise ambiant, Lauryne se racla la gorge rappelant sa présence aux autres. Le jeune prof, manifestement troublé, invita Lauryne à aller s'asseoir, sans cérémonie, oubliant complètement la présentation pompeuse qu'il lui avait arbitrairement assignée, face à toute la classe. La jeune fille prit soin de remercier Samira intérieurement. Grâce à elle, son supplice avait pris fin et ce n'était pas rien. 

Le reste de la matinée se déroula sans heurts pour le grand soulagement de Lauryne. Néanmoins, la jeune fille ne put s'empêcher, comme le reste de la classe, de jeter quelques coups d'œil timides vers sa voisine dont l'impopularité l'intriguait. Cette dernière ne semblait aucunement intéressée par le cours et resta la plupart du temps à tapoter sur son smartphone ce qui accru d'autant plus sa curiosité. Si le professeur avait remarqué le manque d'attention de Samira, il ne sembla pas décider à réagir. Sa jeune carrière ne lui avait pas encore donné les ressources pour gérer des élèves de son calibre. Seule la sonnerie annonçant la pause déjeuner mit fin à son pianotage. Alors que Lauryne rangeait encore ses affaires, elle vit Samira atteindre la sortie en deux enjambées. "Je la plains.", soupira Lauryne pour elle-même. Elle se leva à son tour mais fut immédiatement stoppée par deux filles. Lauryne reconnut celle qui l'avait questionnée lors de sa présentation. Leurs yeux brillaient d'une excitation qui instinctivement l'alerta. Être nouvelle signifiait être la source de divertissements au détriment de son introversion. 

— Ça te dit de manger avec nous ? 

Lauryne jura intérieurement. La pause déjeuner était pour elle, le moment de la journée où elle pouvait souffler, sans avoir à tenir de conversations.   

— C'est très gentil de proposer mais- 

— Allez viens, ça nous fait plaisir. Moi c'est Mélissa et elle, c'est Inès. Insista la fille aux cheveux bouclés en évinçant sans effort l'excuse de Lauryne.  

Elle désigna son amie aux longs cheveux qui portait un bindi noir entre les sourcils. Lauryne les regarda tour à tour en les souriant de plus en plus gênée. 

— Enchantée... mais je crois que- 

— À ce qu'il parait, tu viens de la métropole. Alors c'est vrai t'es une zorey** ? lui demanda Inès. 

— Non, je suis née ici et ma mère est yab..., répondit Lauryne d'une voix patiente. 

— Ah, mavé di a ou sa***, Mèl ! s'exclama Inès en tapant vigoureusement l'épaule de Mélissa. 

— Oui mais elle n'a pas d'accent créole quand elle parle aussi ! T'as vécu combien de temps en France ? 

Quand même étonnée d'avoir compris leur échange, alors qu'elle n'avait jamais parlé un mot créole même avec sa propre mère, Lauryne inspira longuement avant de répondre à contre-cœur : 

— Sept ans. 

— Disons un zorey même ! 

Et elles éclatèrent de rire attirant les regards des élèves restants de la classe. Puis, comme un commun accord, elles attrapèrent Lauryne par le bras et l'emmenèrent sans aménagement dans le couloir. Bien qu'embarrassée, Lauryne ne put s'empêcher d'être quelque peu touchée par leur élan amical. Peu habituée à ses comportements chaleureux, elle se vit s'adoucir et se laissa entraîner jusqu'à la cafétéria. 

Arrivées dans la cour, elle aperçut la grande silhouette de Samira qui semblait faire la queue au stand de sandwich sous le préau. À ses côtés, se tenait une fille, aux long cheveux bruns, lui arrivant à peine aux épaules. Lauryne sentit Inès resserrait son empoigne. 

— Sam la Furie et son acolyte... marmonna-t-elle avec un dégoût manifeste. 

Lauryne fut surprise de voir une expression aussi hostile sur son visage lui rappelant d'emblée l'atmosphère de la classe, un peu plus tôt. Inès nota le regard de Lauryne posé sur elle et relâcha prestement son bras, rougissante de gêne. Mélissa ne remarqua pas le malaise apparent. Elles entrèrent dans le réfectoire où une odeur de carry embaumait l'air. Durant une bonne partie du déjeuner, Mélissa ne s'intéressa qu'à Lauryne et son passé métropolitain en la questionnant sur son mode de vie (modeste) et son cercle d'amis (inexistant). Lauryne appréciait l'entrain de Mélissa bien qu'elle restait sensible à la récente timidité de sa camarade. Soudain, son interlocutrice fronça les sourcils et tchipa, ses iris noires fixant un point à travers la fenêtre de la cafèt' donnant sur la cour. Lauryne pivota de sa chaise et regarda dans la même direction essayant de comprendre son brusque changement d'humeur. Elle découvrit Samira, assise sur un banc extérieur, dévorant un sandwich au côté de la brune de tout à l'heure. 

— Lauryne, appela Mélissa sur un ton brusque la faisant sursauter. "Vu que t'es nouvelle ici, écoute bien." 

Ses yeux se vrillèrent aux siens d'une intensité désarmante : "Samira n'est pas une fille bien." 

L'espace d'une seconde, Lauryne crut à une mauvaise plaisanterie. Comment pouvait-on affirmer un fait aussi catégorique sur une personne ? L'expression grave de Mélissa lui fit craindre le pire. 

— Pourquoi ? Elle vous a fait quelque chose personnellement ? 

— Non pas personnellement, mais- 

— Elle a fait de la prison !  

Inès avait quasi-crié. Lauryne et Mélissa l'observèrent choquées. 

— Chut ! Ou lé**** folle ou quoi ? Les gens vont t’entendre ! 

— Il faut bien que Lauryne sache ! Et, il ne s’agit pas que de Samira. Sa drôle de copine aussi. Elle est super bizarre. La dernière fois, je l’ai vue- 

Ses oreilles avaient atteint leur quota de ragots pour la journée. N'en pouvant plus, Lauryne décida que c'était le moment pour elle de reprendre le contrôle de sa pause déjeuner : 

— Écoutez les filles, je dois aller aux toilettes. On se retrouve après, okay ?  

Elle s'empara de son sac et s'éloigna du duo, qui trop surpris par son retournement d'état d'esprit, n'eut le temps de désapprouver. L'adolescente se trouva un banc à l'ombre d'un manguier loin de la foule de la cafétéria et sortit son téléphone de la poche arrière de son sac. 

Aucune notification. Évidemment.  

Elle décida au bout d'un moment d'envoyer un court message à Iris, s'imaginant déjà le visage inquisiteur de sa mère, résumant rapidement sa matinée tout en taisant les moments embarrassants. Après une longue inspiration, elle soupira se sentant soudain vidée de son énergie. Tout autour d'elle n'était que brouhaha et tintements de couverts. Sans se préoccuper de son ventre qui se mettait à manifester son mécontentement de ne pas avoir pas avaler grand-chose, elle songea à l'avertissement qu'elle venait de recevoir. Qu'avait bien pu faire Samira pour être surnommée aussi péjorativement ? Repensant à son attitude pendant le cours, Samira lui paraissait plus calme que les autres élèves. Certes, elle avait affiché un certain désinvolte mais rien qui insinuait une telle réputation. Peut-être cachait-elle bien son jeu ? Lasse, Lauryne ferma les yeux et essaya de se détendre en se concentrant sur la douceur tiède du soleil sur ses paupières. 

"Comment ai-je pu revenir vivre sur cette île et dans cette ville ?" 

Cette question, refoulée au fond d’elle, lui sauta à la gorge, impitoyable. Cette ville. C’était pire que tout. À quoi avait pensé sa mère ? Pourquoi se réinstaller ici après ces sept années à … fuir ? Tout ceci était insensé. 

Le brouhaha ambiant se mêla à ses pensées. Une image commença à prendre forme dans son esprit. Les contours d'une cour d'école primaire. Familière. Puis, plus alertant, des visages d'enfants apeurés. La sonnerie sortit Lauryne de sa torpeur. Elle réalisa avec effroi que la pause déjeuner était arrivée à son terme. Combien de temps s'était passé depuis qu'elle s'était assise sur ce banc ? S'était-elle assoupie sans s'en rendre compte ? La honte ! Elle se releva précipitamment se rassurant quand même des alentours déserts. Son ventre cria famine mais il était trop tard pour répondre à son appel. Les cours de l’après-midi allaient commencer. Décidément, cette journée s’annonçait plus éprouvante qu’elle se l'était imaginé. La jeune fille se dirigea vers le centre de la cour en soupirant. 

Un flash bref aveugla ses yeux au moment où elle s'éloignait. Elle détourna la tête et vit, posée sur le banc d'en face, une feuille de papier, dont la couleur blanche semblait briller sous le soleil du midi. Elle s'approcha, une lueur curieuse animant son regard. Bizarre. N'était-ce pas le banc où étaient assises Samira et son amie ? Sa main atteignit la feuille avant même d’y penser. Elle regarda à nouveau les alentours avant de la déplier.  

Relâchant le papier comme s'il l'avait soudainement brûlé, Lauryne avala son cri qu'elle sentait naître dans sa gorge. La feuille retomba légère sur la pelouse dévoilant un dessin fait au crayon. Comme paralysés, les yeux de l'adolescente restèrent scellés sur la note. Un portrait. Voilà ce qui y était dessiné. Mais, pas n'importe lequel. Le sien. Enfant. 

Prise de vertiges, le cœur cognant dans ses oreilles, elle se surprit à frissonner. Dans sa tête, des milliers de questions se mirent à tourbillonner. Était-ce vraiment son portrait ? Quelqu'un l'avait posé là exprès pendant qu'elle somnolait ?  

Non !”  

Tremblante, elle ouvrit son sac et chercha anxieusement sa boîte de comprimés. Elle en avala deux sans eau. La gorge tiraillée, elle attendit les effets... En vain. Elle reconnaissait que trop bien les symptômes. Les spasmes et sa respiration saccadée n'avaient pas l'air de s'atténuer. Hors de question de se rendre à l’infirmerie dans cet état, elle devait sortir de l’établissement à tout prix. 

Sans un regard en arrière, elle quitta le lycée en courant. 

 

Traduction

*yab = créole blanc issu d'un métissage originaire de La Réunion

**zorey = personne originaire de la France métropolitaine

*** mavé di a ou sa = je te l'avais bien dis

**** ou lé = tu es

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Syanelys
Posté le 28/06/2025
Hey Adelys !

Je ne t'ai pas oubliée ! Quel dépaysement ! Cela n'aide pas de te lire pendant la canicule actuelle !

J'ai souvent été habitué aux retours aux sources lorsque le/la protagoniste revient pour un drame ou un aléa impactant sa vie loin de son quotidien reconstruit. Ici, on se doute que Lauryne et son angoisse sont nées sur l'île de la Réunion. Une île que tu sembles tout particulièrement maîtriser : j'aime beaucoup tes descriptions et la culture insulaire que tu distilles ici et là. Cela rapporte une grosse valeur ajoutée !

Ce qui m'a troublé le plus fut évidemment Samira : Lauryne se focalise directement sur elle, ramène ses premières découvertes au lycée sur la marginale qu'elle semble être et... ne réagit pas plus que cela quand on parle de sa vie sous les barreaux. Autant, tu insistes sur la venue de la retardataire pour bien faire comprendre qu'elle aura un lien avec Samira, autant tu nous coupes l'herbe sous le pied quand on évoque son passé. Contraste fort étrange.

Pour le reste, ce retour au lycée ne me fera pas de mal. N'hésite pas à écrire en insuflant du créole et le mode de vie qui existe du côté de l'océan Indien.

A très bientôt !
Adelys
Posté le 08/07/2025
Coucou Syanelys,

Merci d'être passée par ici ^^
haha, j'imagine les températures que vous devez subir par chez toi en ce moment !

Concernant Samira et son développement avorté, je comprends le trouble que ça peut causer. À vrai dire, j'ai écrit ce passage en concevant déjà les chapitres futurs et le timing des révélations. Je voulais saupoudrer, un peu comme le Petit Poucet, des infos ici et là. Mais, j'essaye de réfléchir à une autre manière d'amener cette information pour ce que ça choque moins.

Merci de ton commentaire pertinent et tes compliments :)

Bleiz
Posté le 31/05/2025
Salut Adelys,

Sympa comme premier chapitre ! On retrouve l'atmosphère très 2000s de la nouvelle élève qui débarque dans une nouvelle ville (même si visiblement celle-ci n'est pas si nouvelle que ça, mais au contraire lié à un élément incertain de son passé) qui fait sa rentrée dans un nouvel établissement. Ce qui donne vraiment du charme à ton chapitre à mes yeux, c'est la Réunion et le décor et la langue qui vont avec. Ça dépayse vraiment ! Et j'ai beaucoup aimé le coup du portrait d'enfant : ça fait le lien dans mon esprit avec le deuxième prologue, ça ajoute un véritable élément de fantastique et d'irréel, voire même un peu thriller... J'ai hâte de lire la suite !

Seule petite remarque : je suis étonnée que Lauryne ne soit pas plus surprise par l'annonce que Samira a fait de la prison. Même si c'est faux, même si elle n'aime pas les ragots, on est tous humains et ça déclencherait une certaine curiosité, quitte à être recouverte aussitôt par un refus de se mêler des affaires d'autrui/ne pas s'attirer d'ennuis etc.

À bientôt !
Adelys
Posté le 01/06/2025
Salut Bleiz,

Oui ! L'ambiance 2000's ! Ça fait plaisir que quelqu'un le mentionne, c'est exactement ce que j'avais en tête !
Pour la Réunion, un peu de chauvinisme ne fait pas de mal haha ! Surtout que cette culture est très rarement exploitée en fiction.
Je sème un peu d'éléments surnaturels dans un environnement qui apparaît banal pour préparer pour la suite. Et c'est vrai que la passivité de Lauryne peut sembler incohérente... je vais voir ce que je peux apporter de plus.

En tout cas, merci de ton commentaire toujours si édifiant ! J'apprécie !
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