Chapitre 1 Le maître et l'apprenti

2.

— Athemar —

 

     Athemar de Cintyre avait une dette. Une dette vieille de plusieurs décennies, mais ce n’était pas pour cela qu’il ne veillait pas à la rembourser. Lors d’une après-midi particulièrement chaude et dans son jeune âge, Athemar s’était introduit dans le château de Coastesburg dans le seul but de dérober l’ouvrage tant chéri des nobles. Il ne put profiter du cadeau offert par l’ouvrage, car l’une des princesses, alors agile et fourbe, l’avait pris la main dans le sac. Bien mécontent de s’être fait prendre, il se résigna à blesser une jeune fille qui entrait à peine dans la puberté. Il avait déjà tué nombre d’humain, de sorcière, de monstre et autres créatures, mais jamais il ne se résoudrait à ôter la vie d’une enfant à l’aube de son existence. Alors, il avait baissé les bras dans l’attente de ses tortionnaires. L’ancien roi, l’oncle de l’actuel, lui rendit sa liberté en échange d’une promesse.
     La suite de l’histoire, il la gardait pour lui, car c’était une nuit entière qu’il avait passé avec le roi, avant de quitter son château et son immonde ville. Et en ce jour, le nouveau souverain, un ancien prince aigri et égoïste qu’il avait vu grandir de loin, lui ordonnait de payer sa dette. En en tant qu’homme de parole, Ahtemar répondait à l’appel.
     Debout dans l’une des plus grandes tours du château, il observait la ville. Il aurait pu détailler des heures durant les allées encore bondées de la bourgeoisie et pourtant, même s’il n’était pas de ce pays, il se sentait nostalgique à fixer la noirceur des quartiers les moins riche. C’était seulement à ses quinze ans qu’il avait découvert le bouillon de vie d’une vraie capitale, quand il avait quitté son village natal pour devenir soldat de son pays. Ce métier qui lui avait tout appris du combat, de la négociation et de quelques larcins auxquels il n’aimait pas se plier.
     — Ce pouvoir en valait-il vraiment la peine ?
     Quelle avait grandi, la jeune princesse avait doublé de taille pour presque rattraper son épaule. L’enfant était devenue femme et chaque fois qu’il venait à Coatesburg, elle trouvait le moyen de venir lui parler.
     — Ce n’est qu’une nuit de ma vie que je passe à veiller sur l’ancien joyaux de votre mère. Aucun temps n’est perdu et une fois ma dette payée, je retournerais là où la Dame de félicité voudra bien de moi.
     Elle s’approcha, amenant avec elle le parfum léger de menthe qu’elle portait. Ses traits n’avaient rien de la douceur des femmes des bas quartiers, son nez trop grossier, ses rondeurs trop marqués, ses yeux tombants, rien n’allait sur le visage de cette femme à marier. Athemar se questionnait parfois sur la nature du physique de ces enfants défigurés. Une malédiction ? La vie allait de mal en pis sur le continent et peu à peu la noirceur se rependait sur ceux encore épargnés. La richesse écrasait la pauvreté sans scrupule, alors qu’un simple regard en arrière leur permettrait de comprendre leurs erreurs. Non, les nobles préféraient se voiler la face et pour tout ça, Athemar les détestaient.
     Ce fut pour cela, qu’il s’éloigna lorsque la femme essaya de poser une main sur son bras. Dégoûté, l’homme fit mine de changer de point de vue pour se poster sur le balcon où les sons de l’avenue lui parvinrent avec le vent frais.
     — Brigitta, pensez-vous vous marier un jour ?
     La meilleure solution pour la voir décamper était de la vexer. Cela fit mouche, car une flamme enragée naquit dans les yeux de la princesse. Elle s’approcha ses épaisses lèvres pincées, éveillant à nouveau sa répugnance.
     — Vous nous devez bien ça non ? Voleur.
     — Et vous, vous devriez rester à votre place. C’est votre frère que je sers et non votre concupiscence.
     Elle se redressa, attrapa un pan de sa robe et se retourna théâtralement en jetant le tissu. Le gardien d’un soir ne s’autorisa un soupir qu’une fois qu’il fut sûr qu’elle était déjà loin. Cette famille finirait par le rendre fou, autant que chaque autre noble de chaque pays. C’était le malheur de chaque nom connu pour son travail de côtoyer des êtres si peu fréquentables. Mais aussi ceux qui avaient des dettes.

 

     Athemar resta longtemps assis dans le noir. Bien qu’il entendît beaucoup de bruit dans les couloirs, il ne se leva jamais et peu à peu la nuit gagnait son calme apaisant. Il s’offrit une prière pour la déesse de Félicité qui veillait sur lui depuis sa naissance. Cette mission n’avait rien à voir avec les champs de batailles, les complots politique ou la chasse au monstre. Les yeux fermés, toujours à l’écouter du moindre mouvement, il se permit une petite escapade dans les jours à venir, imaginant sans mal sa prochaine quête et la pinte qu’il s’offrirait dans une taverne pour se récompenser de sa réussite tout en gardant la tête rivée vers le sud.
     Conscient qu’il lui faudrait encore affronter la nuit et un déjeuner avec le roi avant son plaisir, il se redressa fourrant machinalement du tabac dans sa pipe. Décidemment, cette nuit n’en finissait pas. Les postes de garde étaient beaucoup plus palpitants quand un vrai risque grondé. Cette machination autour du bijou de feu la reine, n’était qu’une démonstration de pouvoir de la part du roi. Démonstration qu’Athemar jugeait médiocre soit dit en passant. Néanmoins, à force de se corrompre dans l’opulence, il était à croire que les nobles de ce pays en perdaient leur intelligence. À ne plus craindre quoique ce fut, ils ne devraient pas s’étonner si un incident inopportun se produisait. Et son oreille tendue lui signalait que cela se produisait.
     Curieux, il pivota sur ses pieds pour observer le rai de lumière qui venait de surgir sous la porte. Ce n’était pas l’éclairage vivace et habituel des lampes. Il savait très bien ce qu’il se trouvait là-derrière et cet évènement était passionnant. Il alluma sa pipe, dont le rougeoiement des premières bouffés éclaira ses moustaches. D’un geste machinal, il caressa sa barbe, puis croisa son bras sur son torse, avant d’allumer une bougie.
     Son halo n’illumina qu’une infime partie de la pièce. Athemar décida de tourner résolument le dos à la porte et de ne se retourner qu’une fois certain que l’intrus serait parti. Toutefois, il ne s’attendit pas à l’entendre surgir derrière lui.
     Une jeune fille à peine entrée dans l’adolescence se faufila sans le voir. En un seul coup d’œil il sut que son tablier n’était qu’un leurre et qu’elle ne pouvait être une domestique de ce château. À son visage salit et à ses cheveux mal coiffés, il devina son origine. Il n’interviendrait pas, ce n’était pas con combat ni ceux pourquoi on l’avait embauché. Ainsi, face au visage apeuré de la voleuse, il se contenta de sourire en hochant la tête, puis de se remettre aux fenêtres. C’était sa manière de dire, « je n’ai rien vu, je n’ai rien entendu ».
     Il remarqua son adresse en entendant à peine la clenche de la porte et se surprit à sourire. Cette jeune fille n’avait rien d’une voleuse, elle se montrait peut-être agile et capable de se faufiler, mais sa force mentale manquait de caractère. Il se questionna sur ce qu’un maître pourrait lui apprendre, car, même si les nobles étaient aveuglés par leur pouvoir, elle risquait la décapitation et celle de toute sa famille en place publique pour avoir osé regarder une relique de la salle des expositions. Ses questions se braquèrent alors sur l’objets de son vol.
     — Le livre des dons ! hurla-t-on depuis l’autre pièce.
     — Où est-il ?
     La panique gagnait les personnes qui avait fait fuir la voleuse. Athemar se surprit une nouvelle fois à sourire, ce qui devait arriver, arriva. Néanmoins, il aurait espéré que le peuple s’emparerait de quelque chose de moins dangereux, car entre de mauvaise main cet ouvrage pouvait être dangereux. Jouer avec le chaos apportait son lot de désolation.
     Il observa le ciel sans lune, s’attendant à voir débarquer un noble, voir même le roi, sous peu. Pour sûr qu’ils lui poseraient tout un tas de questions qui l’ennuyaient d’avance, mais Athemar jouerait les ignorants. Il devait retrouver cette enfant et déterminer si sa soif de pouvoir était louable ou non. Après, il déciderait de la façon d’agir, mais un élément restait certain, le livre ne retournerait jamais entre les mains du roi de Coastesburg.

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