Chapitre Un : Le matin de toutes les histoires
« Est-ce que tu t'es déjà demandé où l'histoire finit, et comment elle commence ? Moi, si »
Les vacances de Joël Ajacier touchaient désormais à leur fin. Finies les grasses matinées, les nuits blanches, les promenades dans Bobigny, les heures passées devant la console de jeux vidéos ou avec une fille dans son lit. Finies les vacances, bonjour la rentrée scolaire ! Bonjour les profs lourds, les dissertations, les interros, les devoirs maison, le Bac, le carnet de correspondance, les maths, l'économie, le sport, l'anglais, l'espagnol et la philo ! Et tout cela, dans la joie et la bonne humeur s'il vous plait !
- Joël, il est moins dix passé ! lança la mère d'une marmotte en déboulant dans la chambre de l'intéressé.
- Mmh... Maaan...
La femme au visage pâle et rond, âgée d'une quarantaine d'années, traversa à grands pas la pièce bleutée, tira sèchement les rideaux gris et ouvrit les volets. Timides, les rayons du soleil s'immiscèrent dans la chambre de l'adolescent, prenant soin d'éclairer un immense aquarium dans lequel 37 poissons nageaient paresseusement. Pleins feux sur un jeune homme de 17 ans qui gigotait, embêté, dans son lit.
- Hmpf... C'était vraiment nécessaire ? grogna-t-il dans son sommeil qui lui échappait.
Il tira mollement son oreiller sur son visage, pour éviter la lumière aveuglante et se rendormir en paix.
- Absolument, déclara sa mère, les mains sur les hanches. Tu ne tiens pas à ce que je signe ton premier mot d'absence le jour de la ren... Tiens, qu'est-ce que c'est ?
Elle s'agenouilla sur le sol pour attraper un bout de tissu rouge qui avait attiré son attention. C'est quand elle l'eut en main qu'elle put définir le bout de tissu comme étant le string d'une jeune fille - probablement déjà remerciée par son fils unique. Elle grimaça, dégoûtée, et le jeta sur Joël, qui aurait mieux fait d'écouter son réveil ce matin-là. Cela lui aurait évité une humiliation cuisante devant sa mère.
- Je n'ai rien vu, fit-elle en arrachant le drap qui recouvrait son fils. Et je... Oh !
- Maman ! rugit l'adolescent, qui s'était redressé comme un ressort pour essayer de cacher ses parties intimes avec son oreiller.
Elle avait complètement oublié qu'il dormait nu. Au moins, il était bien réveillé maintenant.
- Désolée mon cœur, je ne voulais pas...
- Sors !
Elle s'exécuta à grands pas, sans cesser de se répandre en excuse auprès du jeune homme. Quand la porte se referma, Joël essuya son front en sueur, bâilla aux corneilles, et retomba sur son lit, soulagé. Il s'accordait encore cinq minutes de farniente et, après, promis-juré-craché-sur-la-tête-à-sa-mère, il se lèverait et se préparerait pour aller au lycée.
- Putain ! Je suis à la bourre !
Ce n'était pas parce que leur fils unique déboulait au sein de leur cuisine dans un grand vacarme, que Pierre et Flavie Ajacier allaient s'arracher à leur occupation. Ce tintamarre matinal plus qu'agaçant ne les étonnait plus. Sa mère lavait les bols à café tout en chantant sur un petit air de Charles Aznavour. Ses cheveux châtain clair, dont elle essayait vainement d'en camoufler les mèches blanches, étaient retenus par une barrette. Ses yeux bruns et brillants suffisaient à redonner plus d'éclat à son visage qui commençait à être marqué par l'âge. Les jours passaient, elle savait rester fraîche. Flavie afficha d'ailleurs un sourire ironique lorsque Joël rata la dernière marche de l'escalier et faillit s'étaler sur le carrelage.
- Bordel, mais quelle journée de merde ! pesta-t-il encore plus, en remerciant mentalement ses bons réflexes de lui avoir évité une foulure à la cheville.
- J'apprécie tant de bonne humeur le matin, railla son père, assis à la petite table, plongé dans les grands titres du journal.
- Il faudrait que tu penses à changer un peu tes entrées d'artiste, Joël. On commence à s'ennuyer avec ton petit spectacle qui dure depuis quelques années déjà.
Vexé, l'adolescent ne répondit pas et s'assit face à son père pour entamer le petit-déjeuner que sa mère lui avait préparé. Entre deux bouchées de céréales au chocolat, il regardait parfois Pierre Ajacier absorbé par l'actualité.
- Ça, je m'en fous... Ça, pareil, marmonna-t-il en tournant à la vitesse V les pages grises du quotidien.
Joël voyait les yeux verts de son père bouger à tous azimuts : de haut en bas, de gauche à droite, et en diagonale. C'était presque effrayant.
- Ah. Les socialistes ont encore dérapé ? Ça ne m'étonne pas. Tu me diras, le ministre de l'Intérieur a déconné lui aussi, et bien !
- C'est des cons, les socialistes, fit Joël pour répondre à son père qui parlait seul. Et le ministre de l'Intérieur aussi, c'est un con. En fait, tous les politiciens sont des...
Piqué sur le vif, Pierre releva la tête et le toisa du regard. Joël s'arrêta aussitôt, toussa nerveusement et se dépêcha de rectifier.
- Non, pas tous, mais voilà quoi. Votre politique, c'est du nioniotage qui ne sert à rien.
De tous les hommes politiques que Joël avait déjà rencontrés à son insu, son père était de loin le plus impressionnant, tant le personnage que son curriculum vitae. Grand et bien taillé, il portait bien le costume, contrairement à quelques autres de ses collègues. Sous ses épais sourcils gris et broussailleux, ses yeux verts déstabilisaient ceux et celles qui cherchaient à lui nuire. Joël ne l'avait jamais vu dans l'exercice de ses fonctions, et il préférait ne pas en être spectateur. Son père devait être un sénateur terrifiant, il en était certain. Pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Excepté par son fils qui, élevé dans le milieu, était sur le point de faire une overdose de politique, et piétinait tout ce qui sentait gouvernement, pouvoir et économie dans leur pavillon de Bobigny.
En effet, Pierre Ajacier tolérait les critiques non argumentées de son fils. Ceci relevait déjà du miracle. Cependant, il acceptait moins ses remarques déplacées à son égard et les allusions fausses et imméritées concernant son mandat. Pour pousser la provocation jusqu'au bout, Joël Ajacier avait refusé de suivre au lycée l'option préparatoire au concours de « Sciences Po » que son père aurait aimé qu'il intégrât. À défaut d'études politiques, l'adolescent avait dû se rabattre, forcé, sur le second choix d'orientation de son père : une faculté de droit renommée, située à Paris.
- Merde, lâcha Pierre Ajacier.
Surpris, Joël et Flavie sursautèrent. Et pour cause ! L'homme de la famille prononçait autant de jurons que Joël ne lisait le journal.
- Encore un attentat à Paris, justifia le politicien. Une explosion en face du Sénat. Une boutique.
- Des morts ? s'inquiéta sa femme.
- Non. Les Espions ne font jamais de morts dans les attentats. Du moins, en général.
- Ah non Papa ! Ne recommence pas avec tes petits copains terroristes s'il te plait ! Je suis allergique ! T'entends ? Allergique !
- Joël...
- D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi ils s'emmerdent à faire péter une boutique qui ne sert à rien, au lieu de faire exploser le Sénat tout court. Ils ont un haricot dans la tronche, franchement.
- Joël, arrête, tu ne sais pas de quoi tu parles.
- Et toi, tu le sais ? Non. Moi, je vous dis, c'est des conneries, vos trucs. Les Espions, c'est des petits gars des quartiers Nord de Paris qui n'ont rien d'autre à foutre que de mettre le bordel. Ils font le fric de la presse, c'est leur seule utilité. Et c'est des mauviettes, parce que franchement... Franchement, voilà quoi.
Pierre et Flavie Ajacier supposèrent que leur fils venait de clore la conversion avec, pour ne pas changer, une argumentation de grande qualité.
Les Espions étaient bien le cadet des soucis de Joël Ajacier. Pourquoi donc s'inquiéterait-il d'une organisation de terroristes alors qu'il n'avait que 18 ans et fuyait la politique comme la peste ? Et puis, le supposé danger, qui encourageait son père à le supplier de faire attention à lui, ne se trouvait qu'à Paris. Même si Bobigny se situait au nord-est de la capitale, l'adolescent imaginait mal une bande d'Espions prendre le RER pour venir faire peur aux grands-mères sur les trottoirs de la banlieue. Tout ceci était ridicule.
- Fais voir ce journal, lança Joël, qui lâcha sa cuillère de céréales pour tendre la main à son père.
- Page 8, indiqua le chef de la famille, lui offrant le quotidien avec une certaine mauvaise foi.
- Comment ça, page 8 ? s'étonna le fils.
- L'article de l'attentat, c'est à la page 8.
- Ah mais ça, je m'en fous. Je veux juste lire mon horoscope.
Dans cette banlieue parisienne, à quelques kilomètres du pavillon de Joël, cauchemardait une jeune fille. Ce mauvais rêve n'en finissait plus ; il durait depuis bien trop longtemps déjà. Elle transpirait à grosses gouttes, sa respiration se saccadait. Un enfer nocturne dont elle attendait la fin avec impatience.
- Michaël ! Viens ! Aide-moi !
Voilà qu'elle se bagarrait contre un agresseur invisible, au fond de son lit. Elle se débattait, ruait de coups le vide, et involontairement, son coude se cogna contre le mur en crépi. Elle ouvrit la bouche pour rugir de douleur, mais le hurlement ne parvint pas à passer le barrage de ses cordes vocales. Comme vaincue, elle resta donc immobile, les lèvres immobiles formant un O, la main sur son coude endolori.
- Camille ! Camille, ça va ?!
Son père cognait à la porte de sa chambre. Camille la fermait toujours à double tour. Question de sécurité.
- Camille, ouvre cette porte ! persista le père, sans s'arrêter de tambouriner contre le vieux bois.
Quelques secondes passèrent, se confondirent en longues minutes. Quelques bruits. Quelques coups. Quelques gémissements. Enfin, la serrure se déverrouilla et Camille apparut à l'entrebâillement de la porte.
Son combat avec l'ennemi de son sommeil était terminé, mais avait laissé quelques traces. Ses cheveux roux sang étaient très emmêlés, ses jambes nues étaient recouvertes d'hématomes, de lourds cernes soulignaient ses yeux noisette en forme d'amande, et elle tenait à peine sur ses pieds. D'autre part, sa bouche pamplemousse était toute gercée et sa peau paraissait aussi blanche que celle d'un cadavre. À seulement 17 ans, Camille Laurier n'était pas belle. Juste fatiguée. Et abîmée.
- Je sais, Papa, interrompit fermement la rouquine, avant que son père n'ouvrît la bouche. Ne dis rien.
- Mais Camille, comment tu t'es fait ça ? demanda-t-il toutefois, sans quitter des yeux les jambes bleutées de sa fille unique.
- T'inquiète pas, je dors mal, c'est tout.
- Mais...
- Papa.
Elle prononça ce dernier mot avec tant de fermeté et d'insistance qu'il suffit à persuader son vieux père de retourner à son activité : tartiner ses biscottes de beurre. Il s'éloigna en silence, sans protester, laissant l'adolescente soupirer sur le palier de sa chambre, à se masser doucement le coude. Dès que la douleur se dissipa légèrement, elle suivit les pas de son père et traversa l'appartement.
À peine fit-elle irruption dans la cuisine qu'un labrador blanc comme la neige bondit sur elle. Tous les matins, Douceur fêtait comme il se devait le réveil de sa maîtresse. La chienne tournait autour de Camille, sur deux ou quatre pattes, alternant parfois les deux, lui léchait la main, la poussait du museau, réclamait des caresses, et aboyait de joie. Quand Camille s'asseyait à table pour prendre son petit-déjeuner, Douceur l'imitait sagement, levait la tête vers la jeune fille et se lançait dans une subtile tentative d'amadouement. Le regard de cocker était désormais dépassé. Ne restait plus que le regard du labrador (tête oblique, yeux humides, langue pendante, gémissement contrarié), qui faisait si pitié, surtout lorsque la chienne levait fébrilement la patte pour caresser la cuisse de sa maîtresse, que Camille cédait toujours.
- Prends ça et fous-moi la paix, marmonna-t-elle en jetant un bout de pain à l'autre bout de la cuisine.
Le morceau de pain n'eut pas le temps de survoler la pièce. Douceur l'avait intercepté au début de son voyage, et dans un claquement de mâchoire, il se trouvait déjà emprisonné dans sa gueule. Blasée, Camille n'ajouta rien de plus. Douceur portait parfois mal son nom.
- C'est ton premier jour dans ton nouveau lycée, lança inutilement son père, avec un sourire gêné.
L'adolescente dévisagea son père, qui s'asseyait devant elle pour boire son café. Pas grand, les cheveux grisonnants, c'était un homme banal, usé par la vie. Même la lueur malicieuse de ses yeux bleus myosotis avait fini par s'éteindre au fil des années, et ne se manifestait que rarement.
Tous deux se parlaient peu. Camille était plutôt asociale, malgré ses nombreuses opinions qu'elle pourrait partager avec les jeunes de son âge, et son père n'était pas ce qu'on appelait couramment un bavard. Depuis la disparition de son épouse, il s'était renfermé avec sa fille dans le silence.
- Ouais, dit alors Camille pour répondre à son père.
Elle mordit à pleine dent dans sa tartine de Nutella. Ouais, la rentrée. Ouais, son premier jour. Ouais, son nouveau lycée. Ouais, encore un.
- Je meurs d'envie d'y aller, ironisa-t-elle.
- Camille...
Elle ne jugea pas utile de répondre un « quoi ? » frustré, pourtant très répandu dans le langage des adolescents.
- S'il te plait, fais des efforts... Adapte-toi.
- Je m'adapte. Toujours. Je m'adapte de supporter trente guignols huit heures par jour. Je m'adapte de rester seule à une table, Papa. Je m'adapte d'avoir six profs sur le dos. Je m'adapte de bosser jusqu'à neuf heures du soir. Je m'adapte, Papa. Je m'adapte, et je ne fais que ça parce que je n'ai pas le choix !
Le ton de sa voix avait haussé sans qu'elle ne s'en rendît compte. Elle n'avait pas voulu s'emporter de la sorte. Lentement, elle posa ce qu'il restait de sa tartine sur la table, et saisit son verre de jus d'orange pour le boire d'une traite. Dès qu'elle eut fini, elle le reposa fermement, et fit sursauter son père par sa brutalité.
- Désolée, murmura-t-elle, avant de se murer dans un nouveau silence.
- Je sais que Bobigny n'est pas exactement ce à quoi tu t'attendais, surtout après avoir habité à Paris. Et je sais aussi que Saint-Rémy te manque.
- Rien ne remplacera Saint-Rémy. Depuis qu'on est partis de là, je meurs à petits feux Papa.
La chaise de Camille grinça sur le sol, faisant crisper au passage Douceur, allongée sous la table. Délaissant son petit-déjeuner non terminé, la rouquine se leva promptement de table, non sans consulter la pendule de la cuisine.
- Je suis en retard, répondit-elle à son père avant qu'il ne lui pose la question à laquelle elle s'attendait.
Un quart d'heure plus tard, elle réapparut dans la cuisine habillée, à peine coiffée, son sac de cours sur l'épaule. Douceur gémit à l'idée que sa maîtresse quittât le foyer, et commença à sauter partout dans la pièce en aboyant. La rouquine ne lui accorda aucun regard et fonça jusqu'à la porte de l'appartement.
- Camille ! appela son père qui, avec Douceur, poursuivait sa fille.
Une fois de plus, elle se retint de répondre avec mauvaise foi, et resta plantée dans le hall d'entrée, attendant la suite. C'était la première fois qu'ils conversaient aussi longtemps.
- Fais-moi plaisir, Camille. Essaye de te mêler aux autres, pour une fois. Je suis sûr que tu te ferais beaucoup d'amis si tu t'en donnais la peine.
- Je ne pense pas, rétorqua la rouquine avec un sourire moqueur.
- Qu'est-ce que t'en sais ? Tu n'es jamais allée vers les autres !
- Si. Mais les autres, je leur fais peur.
- Cam', c'était à la maternelle, ça...
- Ouais. En école élémentaire aussi. Puis au collège, maintenant que j'y pense. Et dans les deux lycées où je suis allée, tout compte fait.
Le père de Camille ne put s'empêcher d'éclater de rire. Il était vrai que longtemps, la chevelure acajou de sa fille en avait effrayé plus d'un à l'école maternelle. Au fil des années, l'enfant qu'elle fut s'était renfermée sur elle-même, restant constamment sur ses gardes et fusillant du regard quiconque osant l'approcher.
- Tu m'étonnes que tu tardes à ramener un chéri à la maison, taquina-t-il en lui ébouriffant les cheveux.
- Évite ce sujet avec moi, Papa, réagit aussitôt Camille, piquée sur le vif. Je ne suis pas d'humeur, et tu sais très bien ce que j'en pense.
- Hors de ma vue, fille indigne.
Elle ne se fit pas prier. Elle s'élança vers la porte, avant de s'arrêter et de faire marche arrière jusqu'à son père. Un baiser rapide sur sa joue, qu'il n'eut pas le temps de sentir... et Camille Laurier avait déjà pris la fuite.
Le destin avait poussé Joël Ajacier et Camille Laurier à se rencontrer alors qu'ils étaient affreusement en retard pour le jour de la rentrée. Leur histoire commençait avec un trottoir de l'avenue Jean Jaurès. Au numéro 70, s'établissait le lycée Louise Michel de Bobigny et, accessoirement, le lieu de leur première rencontre.
Camille arrivait de l'Est, Joël de l'Ouest. Tous deux cavalaient comme si chacun de leur pas pouvait réduire leur retard irrattrapable. Ils se rejoignirent devant l'entrée du lycée et entrèrent ensemble dans la cour de récréation. Les bâtiments délavés en crépi rose arrachèrent une grimace à la jeune fille. Seule la cour, avec ses saules pleureurs, ses murets et ses bancs en pierre, lui faisait bonne impression. Voilà donc l'endroit où elle allait passer dix mois assise sur une chaise à écouter des érudits. Charmant.
Joël et Camille stoppèrent leur course devant le bureau de la Vie Scolaire, où l'équipe pédagogique avait installé un immense panneau d'affichage. Les listes des élèves et leur classe attribuée y avaient été épinglées. Les deux élèves s'intéressèrent à la même liste et, après s'être consultés du regard, conclurent qu'ils étaient dans la même classe.
Salle D8. Même si c'était la première fois que Camille mettait le pied dans cet endroit, elle sut par expérience où se trouvait la salle qui leur avait été attribuée. Comme la majorité des lycées, une salle telle que la D8 se situait au rez-de-chaussée du bâtiment D. Un coup d'œil autour d'elle pour repérer l'édifice, et elle s'élança telle une flèche fendant les airs. Joël, d'une mollesse exemplaire, mit dix secondes avant de la suivre et, aussi surprenant que cela pût paraître, il ne tarda pas à la rattraper.
Les couloirs leur semblaient interminables. Et effroyablement vides. Leurs pas se faisaient lourds sur le sol. Ils étaient bruyants, et ne parlaient pourtant pas. Seuls leurs essoufflements se cognaient contre les murs délavés.
Camille passa en coup de vent devant la porte ouverte d'une salle de classe, et s'arrêta aussitôt pour faire marche arrière. Elle attrapa au passage un pan du t-shirt de Joël pour l'empêcher de continuer sa course. Sous la force de l'élan, le jeune homme faillit basculer en arrière lorsqu'elle le tira vers elle. Il aurait poursuivi son chemin, lui. Il aurait suivi la rouquine jusqu'en Polynésie, s'il l'avait fallu.
Sans le lâcher, elle passa la tête à travers l'encadrement de la porte, et comme le professeur et les élèves les toisaient bêtement à cause du tintamarre qu'ils avaient fait, elle conclut que le terminus de leur course se trouvait bien ici.
- Oui ? fit la voix aigrie de la vieille femme, que Joël se mit aussitôt à détester.
- Excusez-nous.
La voix de la jeune fille était basse, très basse, et même un peu cassée. Presque un murmure. Il sentit son cœur s'emballer aussitôt.
- Prenez place.
L'acidité qui sortait de la gorge de la prof fit tomber Joël de son nuage, dont l'ouïe s'était faite quelque peu rêveuse.
- Voici l'exemple même de ce que je vous disais tout à l'heure. Je n'accepterai aucun retard durant l'année. Vous deux, vous avez utilisé votre Joker. La prochaine fois, ce sera deux heures de colle. Et bien alors ! Asseyez-vous ! Qu'est-ce que vous attendez ?!
La jeune fille s'exécuta, tirant Joël derrière elle qui, terrifié, avait essayé de prendre la fuite. Ils tentèrent une approche discrète vers les tables du fond de la salle, mais la vieille peau ne leur laissa pas le loisir de s'y asseoir.
- Puisque vous êtes en retard, venez vous asseoir devant.
- Devant ?! répétèrent les deux lycéens, choqués.
La prof hocha la tête, leur pointant d'un air machiavélique la table qui leur était destinée. Effrayés, Camille et Joël perdirent toutes leurs couleurs, même si Camille n'en possédait pas la moindre.
Devant, c'était trop près du prof. Devant, c'était la prison. Devant, c'était la honte. L'humiliation la plus totale. Et pire que tout, c'était la place collée au bureau professoral. La place maudite en somme.
C'est avec un malin plaisir que Citronnade, rebaptisée ainsi par Joël, les observa s'avancer à contrecœur vers la table. Boudeurs, ils lâchèrent leur sac sur le sol, et s'affalèrent sur leur chaise avec l'entrain d'un dépressif.
- Je vais relever vos noms, continua Citronnade avec un plaisir non dissimulé.
- Camille.
- Camille comment ? Vous croyez peut-être que vous êtes la seule Camille de la classe ?!
- Laurier, répliqua la rouquine, glaciale.
- Hmm, lâcha la prof, en traçant une croix sur sa liste, suivi d'un petit commentaire que la lycéenne ne put voir.
Elle releva ensuite la tête et toisa le voisin de Camille, dont le visage exprimait l'ennui le plus total.
- Et vous, vous devez être Joël Ajacier... Vous faites parler beaucoup de vous dans la salle des profs depuis deux ans ! Je vous préviens tout de suite qu'avec moi, ça ne se passera pas comme avec mes collègues. Bien. Cette petite interruption indésirable terminée, nous pouvons reprendre là où nous en étions.
Joël et Camille échangèrent un regard consterné. L'année s'annonçait mouvementée avec une prof pareille. Et qu'enseignait-elle, apparemment ? Les maths. Ah. Bien. Belle année en perspective.
La journée de la rentrée étant excessivement courte (trois heures à écouter les lois de Citronnade), Joël n'eut pas le plaisir de faire mieux connaissance avec Camille. En plus d'être silencieuse, elle ne lui accordait pas la moindre attention, et il n'y avait pas plus décourageant que d'être ignoré.
La roue sembla tourner le lundi suivant, alors que les cours débutaient réellement avec deux heures de mathématiques. Dès que Citronnade avait ouvert sa porte, la classe tout entière s'était bousculée pour entrer au plus vite dans la salle, et atteindre les tables du fond avant les autres. Le coin des glandeurs, comme l'appelait couramment Joël.
Camille était restée en retrait dans le couloir, préférant faire son entrée en dernière. Une fois son pied ayant passé la porte, elle se dirigea sans hésiter vers la table collée au bureau professoral. Finalement, cette place n'était pas si mal.
- Ça te dérange si je reste à côté de toi ? demanda Joël, en s'approchant timidement d'elle.
En guise de réponse, Camille secoua la tête. Le jeune homme considéra qu'elle était d'accord et tira la chaise vers lui pour s'y asseoir. Les autres élèves de la classe ne lui donnaient pas très envie de passer l'année à leur côté ; aussi, il appréciait déjà l'adolescente pour son calme et son indifférence. Elle n'était pas du genre à exaspérer les gens à longueur de journée, et c'était parfait comme ça.
Les deux heures de mathématiques s'écoulèrent lentement, dans une ambiance de travail morne et soporifique, où seule Citronnade gaspillait son énergie à les traiter d'incompétents. Dès que la sonnerie annonça la fin du cours, les élèves se réveillèrent brusquement pour ranger leurs affaires et sortirent en trombe de la salle de classe. Joël, qui était sorti le dernier, perdit Camille de vue, et se retrouva bientôt seul dans la cour de récréation.
Néanmoins, il repéra et essaya de rejoindre Martin, un vieil ami, mais celui-ci lui fit comprendre sans prendre de détours que leur amitié n'était plus possible. Autant dire que la discussion avait été écourtée.
- Les temps sont durs, Joël. C'est pas contre toi, hein, mais je préfère t'éviter... Après tout ce qu'on dit sur toi et les Espions, il vaut mieux que je prenne mes distances, désolé. On ne sait jamais, mais ils pourraient très bien s'en prendre à tes proches à cause de ton père, et moi, je ne suis pas très chaud...
- Mais de quoi tu parles ? C'est quoi cette excuse de merde ?! répliqua Joël, sonné par une telle claque. Et qu'est-ce que les Espions viennent faire là, d'abord ? T'y crois depuis quand à ces conneries ?! Putain Martin, pas toi !
Martin lui adressa un sourire désolé, et le laissa là, au milieu de la cour. Dépité, Joël se traîna alors jusqu'au premier banc de pierre venu et s'y affala pour ruminer à son aise.
- C'est triste, constata une voix derrière lui. Ton pote t'a lâché. Bah, t'en fais pas... Un de perdu, dix de retrouvés.
Joël sursauta, surpris, et se retourna sur lui-même pour se retrouver nez à nez avec Camille Laurier, sa camarade de table. Elle planta son regard perçant dans le sien, et sans décocher le moindre sourire, elle sauta par-dessus le banc pour s'asseoir à côté de lui.
- Moi non plus, je n'ai pas d'amis, raconta la rouquine, alors qu'il n'avait posé aucune question. Je suis nouvelle ici, mais les gens ne m'intéressent pas.
- Je m'appelle Joël, tenta son interlocuteur avec maladresse, pour combler la conversation.
- Je sais, je ne suis pas sourde. Moi, c'est Camille, mais tu le sais aussi, non ?
Joël piqua un fard, se sentant soudainement idiot. Il aurait dû se douter qu'elle connaissait son nom, puisqu'étant dans la même classe, mais elle paraissait si indifférente à tout, enfermée dans son monde, que le doute l'avait emporté.
- Tu t'appelles Joël Ajacier, tu as 18 ans, ton père est sénateur, ta mère ne fout rien de ses journées, et tu es fils unique.
Une étonnante lueur apparut dans les yeux de Camille. Ironie ? Provocation ? Lui lançait-elle un défi ou se moquait-elle tout simplement de lui ? Joël n'aurait su le dire.
- Comment tu sais ça ?! s'exclama-t-il, horrifié, les yeux ronds comme des soucoupes.
- Tout le monde le sait, répondit-elle, mystérieuse à souhait.
Devant la stupéfaction de l'adolescent, elle ajouta avec un rictus :
- Je suis peut-être nouvelle ici, mais je sais écouter les gens parler.
La sonnerie marqua la fin de la récréation et empêcha Joël de s'étonner davantage. Camille se leva sans attendre et commença à s'éloigner avant de se retourner vers son camarade.
- Tu viens ? nargua-t-elle du haut de son mètre 57, sans lâcher son sourire moqueur.
Joël ne se fit pas prier une deuxième fois et s'empressa de la rattraper. Une fois à sa hauteur, il lui adressa un sourire de reconnaissance, mais la rouquine ne le regardait déjà plus. L'adolescent, au lieu d'être piqué sur le vif, se sentit encore plus attiré par elle. Une attirance qui ne cesserait d'accroître tant que Camille serait aussi secrète. C'était donc bien parti pour durer, car si Joël Ajacier était borné, sa nouvelle amie l'était tout autant que lui.
Voire plus.
Au fil des jours, ils prirent l'habitude de s'asseoir en classe à la même table, celle la plus rapprochée du tableau. Les profs s'étonnaient de les voir si silencieux et devaient bien se résoudre à l'idée qu'ils faisaient partie des élèves les plus calmes.
Calme, Joël n'aurait pas pu l'être plus. Ses heures de cours se limitaient à la contemplation de sa mystérieuse voisine. Il ne cessait de la détailler, de mémoriser chacun de ses faits et gestes, d'apprendre son corps, ses expressions, et de se familiariser avec sa voix et ses soupirs. Plus les heures passaient, plus elle l'envoutait.
Camille lui semblait être l'une des merveilles du monde. Ses longs doigts fins et pâles étaient abîmés, ses ongles rongés jusqu'au sang, les peaux arrachées. Elle les cachait dans les manches trop longues de son gilet difforme. Sa bouche, couleur pamplemousse, était très gercée, et ses cheveux acajou tombaient sur son visage et voilaient son profond regard. Poitrine inexistante à part, jamais une fille n'avait été aussi intéressante et captivante aux yeux de Joël.
Il ne savait pas pourquoi elle lui faisait l'effet d'un aimant. Peut-être à cause de son silence mystérieux. Ou sa façon de faire glisser très lentement son écharpe en cachemire autour de son cou, entraînant avec elle sa masse de cheveux raides qui s'enroulaient autour de sa gorge blanche. Ou alors, l'hématome qu'il avait déjà entraperçu sur son avant-bras.
Tout était prétexte à l'observer à la dérobade. Et il s'en régalait.
Même si Camille ne lui adressait que très peu la parole, il apprit à deviner son caractère et ses traits de personnalité. Elle était une bonne élève, sérieuse et appliquée, mais l'attitude glaciale qu'elle prenait parfois incitait les autres lycéens à ne pas s'approcher d'elle. Elle était inaccessible, sauf pour lui. Chercher à renouer avec Martin et ses autres amis l'importait peu désormais : seule Camille aiguisait sa curiosité et constituait son seul et unique intérêt.
- Pourquoi tu ne dis rien ? demanda le jeune homme alors qu'ils sortaient de classe, un mois après la rentrée, pour se rendre à la récréation.
- Que veux-tu que je dise ?
- Ben, j'sais pas moi... Ce que disent les filles en général.
- Blush, bébés, Chanel, Kate Moss, mecs, ragots, Pipole, patin et couffin ? s'étonna Camille en s'arrêtant devant lui. Excuse-moi Joël, mais tout ça ne fait pas partie de mes sujets de conversation. Ça me dépasse.
- Parle de ce que tu veux alors. Je ne sais pas moi, qu'est-ce qui t'intéresse ?
- Et si je n'ai pas envie de...
- Tu as bien des centres d'intérêt, non ?
- Joël...
- Et des questions ? J'ai le droit de te poser des questions ?
- Mais...
Chaque fois qu'elle essayait de lui faire abandonner l'affaire, Joël s'empressait de lui couper la parole, si bien qu'ils n'arrivaient pas à parler chacun leur tour. La situation de communication devint tant catastrophique que Camille sortit de ses gongs.
- Arrête de parler en même temps que moi ! s'énerva-t-elle, en se retenant pour ne pas l'étrangler.
- C'est toi qui t'obstines à me tourner le dos !
- Pardon ?! Je m'obstine ?! Putain, mais c'est toi le plus borné de nous deux, Joël !
- Non, le plus sympathique ! Y'a du mal à essayer devenir ton ami ?! répliqua le jeune homme, alors que la dispute prenait de plus en plus de volume.
- Raaaah ! Qu'est-ce que t'es chiant !
- Et toi, pire qu'un glaçon !
Les joues rouges de fureur, Camille finit par hurler, non sans secouer Joël comme un prunier. Ce dernier ne lâcha pas prise, et s'agrippa à ses épaules pour la remuer en même temps.
Les élèves qui passaient devant eux se demandaient si ces deux animaux s'étaient échappés du zoo. À moins que ce ne fût deux enfants de cinq ans s'étant échappés de l'école maternelle. Ce sont tous ces regards qui firent pencher la balance en faveur de Joël. Camille, détestant être remarquée de la sorte, abandonna la lutte avec une mauvaise foi évidente.
- T'as gagné, Ajacier. Mais tu me le paieras.
Joël éclata de rire, mais la chaleur qui s'en dégagea ne suffit qu'à dérider le visage de Camille. Son visage était redevenu calme, impassible et blanc.
- Je t'autorise à me poser certaines questions, Ajacier. Mais ne me lance pas sur Paris Hilton et le dernier rouge à lèvres de L'Oréal, sinon je te tue.
- Promis ! s'exclama joyeusement le jeune homme, en reprenant sa promenade avec la rouquine. Par contre, qu'est-ce que je peux te poser comme question ? Hmm... T'as des animaux ?
- Question totalement ringarde, souligna Camille d'un ton indifférent. Mais autant l'avouer, oui, j'ai une chienne. Molle comme la Patafix, mais dans la catégorie « Meilleure andouille de l'année », elle gagne la Palme d'Or ! Et toi ? Pas de chien, pas de chat ?
- Non. Des poissons.
- Des poissons, répéta la jeune fille, incrédule.
- Ouais. Je les collectionne, en quelque sorte.
- Tu les collectionnes ?! Ça se collectionne les poissons ? T'en as combien ?
- 37.
- 37 ?!
- Tu vas arrêter de répéter tout ce que je dis ?! Oui, j'en ai 37 ! Et qu'est-ce que ça peut faire hein ?
- Putain, mais t'es... Comment on appelle ça déjà ?
- Aquariophile ? Non, j'irais pas jusque-là... Je ne suis pas un gros dingue de poissons, mais ce sont les seuls animaux que mes parents m'ont autorisé à avoir... Et je suis fils unique, donc je me sens parfois seul. Du coup, j'ai 37 copains.
- Populaire, nota Camille, ironique.
- Et ouais, t'as vu ça un peu ! N'est pas Joël Ajacier qui veut !
Camille et Joël se fixèrent dans les yeux, et de cette conversation naquit leur premier sourire complice. Dès ce moment-là, ils devinrent inséparables. Ils supportaient la présence de l'autre sans se chamailler, et partageaient ensemble tout de leur quotidien. Camille connaissait par cœur Joël. Joël, en revanche, ne pouvait pas en dire autant.
Chaque petite chose qu'ils vivaient suffisait à construire leur amitié. Au bout de deux semaines de « cohabitation scolaire », Joël pouvait désormais dresser un grimoire rempli d'anecdotes sur sa relation avec Camille. Par exemple, il y avait ce jour où ils avaient déjeuné à la cantine. C'était dégueulasse, bien sûr, ils s'en étaient doutés et avaient même parié sur le menu. Toutefois, le clafoutis aux cerises, qui tenait lieu de dessert, avait suscité un grand débat entre les deux lycéens.
- Elles ont un drôle de couleur pour des cerises, avait remarqué Joël, en tâtant avec prudence le clafoutis avec sa cuillère.
- C'est pas des cerises, avait alors déclaré Camille, qui n'avait pas touché à son dessert.
- Bah... Si c'est pas des cerises, qu'est-ce que ça peut être ? Des kiwis ?!
- Franchement, Ajacier, t'as déjà vu des cerises roses ?! On dirait qu'elles ont été trempées dans du mercurochrome !
- Non mais...
- Et puis, on n'a jamais vu de cerises à Bobigny en cette saison. Et c'est pas le lycée qui dépenserait des ronds pour exporter de vraies cerises. Cherche pas, Joël, ces cerises sont artificielles. Tu devrais en toucher deux mots à ton père d'ailleurs. On devrait interdire l'exploitation de l'ignorance des ados. C'est honteux.
Elle avait dit tout cela avec son air calme habituel. Cependant, déterminé à connaître la vérité sur les cerises de la cantine, Joël avait sauté le grand pas et avalé une grosse bouchée de clafoutis. Camille s'était retenue pour ne pas rire, tâche assez difficile, puisque la joue droite du jeune homme ne cessait de remuer comme le tambour d'une machine à laver. Une minute s'était écoulée, et Joël n'avait toujours pas avalé, la masse de gâteau toujours dans sa bouche.
- Tu t'en sors ? s'était moqué la rouquine.
- Mmmph... Non, avait-il répondu malgré lui, la bouche pleine. Ces cerises... c'est du chewing-gum. Elles ont le goût des produits chimiques.
Sur ces mots, il avait pris une grande respiration et avalé sa part de clafoutis. La descente avait été apparemment difficile, et il s'était empressé de boire une gorgée d'eau pour enlever le mauvais goût que les cerises avaient laissé derrière elles. Joël s'était ensuite dépêché de jeter le reste du dessert dans son assiette et promit à la jeune fille de parler dès le soir même de ce scandale à son père. Camille ne l'avait pas écouté : elle était plongée dans l'hilarité la plus totale, cognant du poing la table comme si cela avait pu l'aider à respirer. C'était la première fois qu'il la voyait rire. Elle se balançait de droite à gauche sur sa chaise, le visage plongé dans ses mains blanches. Elle essuyait discrètement ses larmes, mais dès que ses yeux étaient secs, elle riait de plus belle, rien qu'en se remémorant la minute où Joël avait désespérément mâché ses cerises artificielles.
Cette scène leur avait permis de se rapprocher, et il leur arrivait encore d'en reparler avec le sourire aux lèvres. Néanmoins, leur relation restait floue, tant pour l'un que l'autre. À leurs yeux, ils étaient moins que de vrais amis, mais plus que de bons copains. Leur amitié était encore très instable, et ils continuaient à s'étudier en silence.
Camille pensait que Joël Ajacier n'était pas intuitif, et qu'il était un garçon débordant de naïveté. Il n'en restait pas moins attachant, et même s'il aimait se faire passer pour un je-m'en-foutiste, il conservait sur son visage l'air d'un petit garçon honnête, bon, et soucieux de bien faire.
Physiquement, Camille ne trouvait pas Joël Ajacier exceptionnellement beau, pas plus qu'exceptionnellement laid. Il se rangeait dans une banalité commune. Il avait toutefois un bon teint, ainsi qu'un visage fin et régulier. La jeune fille n'aimait pas ses yeux. Ils étaient marrons, banals, eux aussi. Et puis, Joël Ajacier n'était pas négligé, mais il serait bien plus attirant s'il portait autre chose que ces immondes t-shirts trop larges qu'elle détestait tant.
Mais Joël Ajacier était gentil, et il était bien le seul à l'être avec elle. Alors, ce critère suffisait à rattraper le reste.
Le soir était tombé depuis longtemps sur Bobigny. Alors que Joël fuyait désespérément un repas à fins politiques, la famille Laurier passait une petite soirée tranquille. Le père de Camille regardait un match de foot à la télévision, sachant que sa fille travaillait dans sa chambre. Un mensonge, bien entendu, car la rouquine n'avait pas trouvé d'autres moyens pour éviter un tête-à-tête avec son père et des sportifs transpirants.
Étendue en travers sur son lit, Camille préférait penser à Joël. Bon garçon, se répétait-elle inlassablement dans sa tête. Douceur, qui avait eu l'autorisation exceptionnelle de monter sur le lit et de s'étendre aux côtés de sa maîtresse, éternua et aspergea la main de la jeune fille.
- Hey ma fille ! T'es allergique à Joël Ajacier ? se moqua la rouquine, en essuyant le dos de sa main contre son bas de pyjama.
Douceur ne répondit évidemment rien, et reposa sa lourde tête sur le ventre de Camille. Au même moment, alors qu'elle observait la langue de sa chienne balayer son museau déjà humide, son téléphone portable sonna. Alertée, Douceur releva aussitôt la truffe, flairant les ennuis. Camille caressa de ses longs doigts pâles le haut de son crâne pour la rassurer, et consulta sur l'appareil le nom de l'appelant.
Michaël.
« J'ai l'horizon dans mes bagages, des aventures à t'inventer »
Déjà, j'adore ta façon d'écrire. C'est maîtrisé, fluide, on sent que tu as un peu de bouteille en la matière. J'aime bien ta mise en situation, le caractère des deux personnages principaux est bien mis en lumière par la façon dont il interagit avec son entourage et dans son environnement familial.
Je sens que je vais aimer Joël et Camille. D'ailleurs cette entrée en matière me rappelle un peu l'animé "Entre elle et lui", je ne sais pas si tu connais. Les péripéties de deux lycéens qui vont tomber amoureux l'un de l'autre... Par contre pour le moment ces "Espions" me semblent bien mystérieux. J'imagine que par la suite, du coup, il va y avoir plus d'action et d'aventure.
Je n'ai plus qu'à découvrir ça par moi-même... ;)
Bon, moi, je n'ai pas l'impression que c'est tout le temps maîtrisé (^^''), mais je me donne à fond, et du mieux que je peux, pour cette histoire qui me tient à coeur. :) Donc je suis évidemment très contente que le début de cette histoire te plaise. Pour le moment, c'est calme, mais ça va devenir un p'tit peu plus mouvementé. ^^"
Par contre, je n'ai jamais entendu parler de l'anime dont tu parles... Bon, en même, je suis une grosse inculte sur les animes et séries diverses, donc bon... *rougit* =D
Bref, encore merci pour ton passage et bien des bisoudoux à toi ! ;)
Je suis bien contente que ce premier chapitre t'ait intéressé. C'était un défi pour moi de développer tout ce que je ne développais pas avant (c'est-à-dire, beaucoup de choses). Je me suis beaucoup donné dans cette réécriture, parce que j'avais envie de changer au fond, même si apparement, je suis toujours la même... Enfin, je ne sais pas pourquoi je dérive, je pense que c'est la fatigue et le recul. Bref, excuse-moi. :)
J'aimerais beaucoup en rajouter sur Camille, mais il ne faudrait pas spoiler, donc tout ce que je peux te dire, c'est qu'elle n'a pas fini de t'étonner (si j'ai bien fait mon job, bien sûr ;)) Quant au pote de Joël, Martin... je pense qu'ils sont à un âge où ils essaient de fuir tous les problèmes qui peuvent leur tomber dessus, en tout cas, c'est ce qui attend Joël, et c'est que Martin, par conséquent, aurait subi lui aussi s'il restait son ami.
En tout cas, merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire qui m'a fait très plaisir. :)
Le passage où ils se rencontrent et où ils sont en retard est réussi. Il a fait mouche, j'ai adoré ta manière de le raconter, rendant intéressant quelque chose, qui aurait pu être anodin. D'ailleurs, rien n'est anodin dans cette histoire, tout est animé d'un étincelle, qui fait qu'on ne peut rester indifférent. J'aime, non j'adore ces petites touches d'humour, ces mots incisifs que peuvent avoir ces personnages, les descriptions faites...
C'est juste réussi. Avec ma fatigue, je pensais ne lire que la moitié, au final, je n'ai pas décroché du début à la fin. J'ai dévoré ce chapitre avec plus de facilité que n'en a eu Joël pour avaler ces cerises artificielles.
J'aime la relation qui unit Camille et Joël, cette sincérité qui émane de leur histoire. Ils sont mignons tous les deux, ils sont drôles et attachants. Le moment où il essaie de la faire parler et où ils finissent par se faire remarquer est super. En fait, y a plein de bonnes choses dans ce chapitre, il est bon de bout en bout et je n'ai vu aucun défaut.
Merci pour ce moment passé avec ta plume. J'ai hâte de découvrir la suite. <3
Je suis très contente que ce chapitre t'ait plu. xD Ainsi que Camille (je crois que toutes les filles que nous sommes aimerions avoir ses cheveux... T_T)
Pour "l'étincelle" dont tu parles, c'est l'effet que je recherchais : le trois-quart des chapitres, dialogues compris, ont un sous-entendu direct avec l'intrigue. Il y a même un mot-clef, qui sort de la bouche de Camille, et que je vais essayer de lui faire ressortir à chaque chapitre. ^^
En tout cas, re-re-remerci beaucoup ma ptite Aresya pour ta review, et j'espère ne pas mettre trente ans pour écrire la suite. Bisous-Bisous.
J'étais complètement morte de rire, pour la toute première partie. XD Et pour les cerises, aussi. Ca me rappelle des souvenirs. Ca doit en rappeler à beaucoup de monde, tu me diras.
J'aime beaucoup la chienne. (Patafix powaa :p) Et j'aime bien Camille. ^^' Je veux des cheveux comme les siens, moi. J'veux faire peur aux petits de maternelle... BWAAAAHAHA ! *ne fait décidément pas peur du tout, va se pendre T_T*
(Mouii, apprécie Camille mais pas trop... Je crois que, te connaissant, c'est plutôt Michaël qui va te taper dans l'oeil). En tout cas, je suis contente que ce chapitre t'ait apparemment plu. =) Merciii.
PS : Aaah les cerises de la cantine, je crois que c'est le symbole même du lycée. XD
Tu m'as fait replonger dans les années lycée, non pas par la grande porte des poncifs du genre, mais par la petite porte : la résonnance des couloirs quand on est en retard, la table du devant, le clafoutis dont les cerises n'ont pas l'air vraies,... J'admire cette façon dont tu retranscris avec vie tous ces petits détails fruits de ton observation.
Oh, et que dire de tes personnages ??? Joël est indolent et sympathique à souhait, alors que Camille est silencieuse et mystérieuse à ravir. Ils se complètent bien et j'adore leur complicité flottante. J'aime beaucoup aussi leur famille respective : tu as su donner rapidement un vrai relief aux parents qui ne sont pas que des ombres effacées.
(Par contre, j'ai relevé une erreur : 34 poissons cités au début pour 37 plus bas, dans la bouche de Joël XD)
Et puis, il y a ce petit pan de mystère qui flotte tout autour, en filigranne : les Espions. Qui sont-ils et en quoi vont-ils être mêlés à ton intrigue ? Vont-ils ou ont-ils déjà croisé la route de tes personnages ?
Et qui est Michaël ? Pourquoi Camille est-elle tellement meurtrie ? Pure maladresse ? oO'
Je remarque qu'il y a beaucoup de descriptions dans ce chapitre, toutes très bien menées ! Pour quelqu'un qui n'est pas à l'aise dans ce registre, ça ne se voit pas. Tu as su créer une vraie atmosphère autour de ce premier chapitre qui me colle encore à la peau.
Et quelques clins d'oeil au passage ^^ du Pipole à la Patafix !
Bref, je suis déjà complètement sous le charme particulier de cette histoire :o) Je suis vraiment heureuse que tu aies repris l'écriture : c'est une vraie réussite ! Je comprends que cette histoire te tienne à coeur, elle a une vraie personnalité !
J'ignore combien de lycées je me suis inspirée pour créer l'ambiance de celui-ci (Hmm...le vrai Louise Michel, Craponne, Cocteau...plus une école primaire), mais je pense qu'il s'agit d'un excellent décor : y'a tellement de choses qui se passent dans un lycée : les bagarres, les histoires d'amour, les révoltes, et les petites touches d'humour quotidiennes comme la cantine, la relation avec les profs, et tout...
Je suis contente également que Joël te plaise ! ^^ C'est un phénomène, ce personnage, et je crois que c'est celui qui évoluera le plus dans les deux parties (Camille aussi...mais pas pareil. J'ai envie de rajouter un détail, mais je me retiens).
Cricri a l'oeil à tout XD. Merci pour l'erratum, j'ai corrigé aussitôt que tu me l'as dit (ahah, que ferait-on sans Cricri ? xD)
Tu te poses les bonnes questions Cricri. Mais je-ne-peux-paaas te répondre. Mais si Camille et Joël s'arrachent les premiers rôles, les Espions et Michaël sont tout juste derrière, et tu sauras très vite (enfin, dans quelques mois, quoi), de quoi il est question, et l'identité de ces personnages.
"Vont-ils ou ont-ils déjà croisé la route de tes personnages ?" : ALORS CA, CRISTAL !!! C'EST MACHIAVELIQUE ! LA QUESTION PIEGE ! Alors je n'y répondrai pas, que les Espions aient déjà croisés la route de Camille et Joël...ou pas. (Mais moi, je connais la réponse, nanananère). Une chose est sûre, tout (enfin, pas tout) s'éclaire au second chapitre, et là, tu en verras (en plus...ou pas. Car qui sait, il y a peut-être déjà un ou deux Espions dans le premier chapitre...ou peut-être pas XD)
Je ne peux également pas répondre à ta question sur Camille. Mais ses hématomes ne sont pas là volontairement.
Sinon, merci énormément pour ta reviews. T_T Je HAIIIIIS les DESCRIPTIONS ! C'est barbant, CET que c'est barbant ! Mais comme cette histoire compte beaucoup pour moi, comme tu l'as remarqué, et que je sors d'une remise en question qui a duré 5 mois, j'essaie de faire des efforts. (Mais je souffre !)
Voilà. Je te fais milles bisous, et encore merci de me lire. T_T