Chapitre Deux : Les bonnes grâces du patron
« Il n'y a que toi et moi, deux oiseaux mouillés qui n'osent plus bouger »
- Oula mes mignons, entrez vite vous réchauffer ! Quel temps de chien ! Mais vous êtes trempés jusqu'aux os ?! Entrez, entrez !
Joël posa ses mains sur les reins de Camille, et la poussa vers la gérante du café. Celle-ci les avait pris visiblement en pitié. Les deux lycéens, victimes de la météo parisienne, ruisselaient d'eau de pluie.
- Excusez-nous, bredouilla Camille, voyant la grande flaque qui se formait sous leurs pieds.
- Ce n'est rien, assura la gérante, qui déboutonnait déjà la veste de la jeune fille. Allez, donnez-moi vos manteaux, je vais les faire sécher sur le radiateur. D'où venez-vous comme ça ?
- D'en face, du lycée, ironisa Joël. On a juste traversé la rue.
- Mes pauvres petits...
Elle disparut dans l'arrière-boutique à la recherche d'une serviette. Pendant ce temps, un serveur les conduisit jusqu'à une table contre la fenêtre. Sur le chemin, Camille en profita pour s'essorer les cheveux. Ces derniers avaient bruni sous l'effet de l'eau, et ne restait du roux foncé que des reflets rouge sombre.
- Aaaah ! s'exclama Joël, frissonnant, dès qu'il fut assis. J'ai de l'eau qui coule dans le dos !
Pour toute réponse, Camille claqua des dents, tendue comme un arc. La gérante arriva à temps pour la réchauffer, une serviette et deux couvertures en mains.
- Qu'est-ce que vous prendrez, mes petits ?
- Deux chocolats très chauds, répondit Joël. Cam', c'est moi qui t'invite.
- Si tu veux, marmonna l'intéressée, qui frottait énergiquement sa masse de cheveux avec la serviette.
La patronne s'exécuta, tandis que la rouquine pestait contre le début du mois de novembre. Dès qu'elle eut fini de se sécher, elle tendit le linge épais à Joël et se pelotonna dans sa couverture.
- J'appréhende de rentrer chez moi, lança la rouquine. Tu crois que ça va se calmer d'ici là ?
- Je ne pense pas. T'as vu comme les nuages sont noirs ?
Camille soupira et colla son front contre la vitre, le regard perdu sur la rue. Elle n'entendit pas la serveuse poser deux tasses sur la table. Elle venait d'apercevoir deux silhouettes dans la brume. Deux silhouettes que Joël et elle ne connaissaient que trop bien.
- Attention, Ajacier... On a de la visite, ironisa-t-elle, sourcils froncés.
Joël se pencha vers la fenêtre, et reconnut à son tour les deux intrigants qui montaient sur le trottoir.
- Merde. Encore eux ?!
La cloche suspendue en haut de la porte résonna dans le café. La gérante se retourna pour adresser un sourire chaleureux aux deux clients.
- Bonjour ! s'exclama-t-elle. Vous avez vu ce temps qui...
- On a vu, merci, coupa sèchement l'un d'entre eux.
Camille plissa les yeux lorsque celui qui avait parlé ôta sa capuche. Une tête blonde en jaillit, et la patronne du café perdit son sourire. Le jeune homme était aussi blanc que Camille, mais ses yeux noirs étaient durs comme un caillou.
Le second se découvrit à son tour, et le contraste avec le blond frappa tous les clients. Brun et le teint hâlé, son regard vert pur parcourut rapidement la pièce et croisa celui de Joël. Les deux jeunes hommes froncèrent simultanément les sourcils, alors que le grand blond s'était décidé à avancer vers le fond du café.
Ils passèrent lentement devant la table de Joël et Camille et s'y arrêtèrent. Un léger sourire moqueur étira les lèvres fines du jeune homme blond. La rouquine se redressa, prête à intervenir.
- Regarde un peu qui voilà, Eddy, lança-t-il avec un plaisir non dissimulé, alors qu'il posait ses mains sur la table. Laurier et Ajacier, devant un bon chocolat chaud.
L'hostilité qui régnait autour de la table était si puissante que le silence retomba d'un coup dans le petit bar.
- Bien le bonjour Nathan, lâcha Camille, froide comme un iceberg. Que nous vaut l'honneur de ta visite ? Tu désires prendre le thé avec nous ? Un sucre ou bien deux ?
Nathan ne goûta pas à la plaisanterie. Son sourire disparut et il toisa Camille de toute sa hauteur. La jeune fille soutint son regard et ne cilla pas une fois. Une minute s'écoula, longue, très longue, et Nathan finit par battre en retraite. Il s'éloigna, Eddy sur les talons, non sans avoir adressé un dernier regard assassin à la rouquine.
Alors qu'ils prenaient place au fond du café, derrière eux, le visage de Joël se dérida et Camille posa sa main sur son poing pour essayer de le détendre.
- Tu m'étonnes, Ajacier. Tu sais admirablement bien garder ton sang-froid, fit-elle en caressant du pouce sa main nouée.
- J'ai l'habitude.
- Tu les connais depuis longtemps ?
- Ils m'emmerdent depuis trois ans. On tombe chaque fois dans la même classe. On n'a jamais pu se blairer.
- Ce n'est pas plus mal. Ces types ne sont pas fréquentables. Il vaudrait mieux pour toi que tu les évites.
Après réflexion, Camille se dit qu'éviter Nathan et Eddy ne servait absolument à rien. Joël lut dans ses pensées et sembla d'accord avec elle.
- Eux ne m'évitent pas, au contraire, observa le lycéen avec un sourire désolé. Ce qui m'embête, c'est qu'en restant avec moi, tu sois mêlée à tout ça.
- C'est rien, Ajacier. Je crois savoir bien des choses sur Nathan et Eddy, qui suffiraient à leur fermer le clapet.
- Des choses ? répéta Joël, ahuri. Tu connais ces deux minables ?!
- Pas personnellement, assura Camille. J'ai juste quelques infos. Mais te connaissant, tu ne me croiras pas.
- Dis-moi, je ferai un effort.
- Non, non et non.
- Allez !
- Laisse tomber, Ajacier.
- Dis-moi, Camille. Tu ne perds rien, de toute façon.
- Hmph...
La rouquine réfléchit quelques instants, puis se décida à lâcher le pot aux roses.
- J'ai de bonnes raisons de penser que Nathan et Eddy sont des Espions.
Ce qui devait arriver arriva : Joël explosa de rire. Camille, blasée, attendit quelques minutes qu'il se remît de ses émotions.
- Bon, Camille, tu sais ce que je pense des Espions, fit-il en essuyant une larme au bord de son œil droit. C'est des conneries.
- Je savais que tu ne me croirais pas.
- Je vais essayer de rentrer dans ton point de vue. Qu'est-ce qui te fait croire qu'un pseudo groupe terroriste ait engagé sous son aile ces deux débiles ?
- Nathan et Eddy ne traînent jamais loin de toi, commença Camille. Ils te regardent. Ils t'ont à l'œil depuis pas mal de temps déjà.
- C'est vrai, admit Joël. Mais de là à dire que c'est des Espions...
- Ton père est sénateur. À ta place, je deviendrais vite parano.
- Mon père est sénateur, peut-être, mais moi, je ne le suis pas, et je n'ai aucun lien avec la politique. Ton hypothèse ne tient pas debout.
- C'est toi qui vois, fit la rouquine, haussant les épaules. Moi, je te dis ce que je sais.
« Et je sais que ce sont des Espions. »
Le mois de novembre n'était pas le plus apprécié des jeunes de Bobigny. Les nez coulaient, les premiers rhumes apparaissaient, les jeunes filles coquettes se désolaient de ne plus pouvoir mettre de mini-jupes, et les plus maigres d'entre elles grelottaient, gelées, dans leur veste dernier cri.
Camille était maigre, elle aussi. Victime du froid, elle n'avait trouvé qu'un seul moyen pour se réchauffer. Courir. Courir et sentir le sang bouillir dans ses veines, son cœur battre à tout rompre, ses joues et ses oreilles qui picotaient, et ses poumons prêts à exploser. Courir, jusqu'à Joël, qui l'attendait devant le lycée Louise Michel.
Il la repéra rapidement et lui fit signe de la main. Elle se fraya un chemin parmi tous les élèves, et brandit un journal dans l'air dès qu'elle ne fut plus qu'à quelques mètres du jeune homme.
- Joël, mate un peu ça ! J'ai réussi à piquer un Métro à un pépé ! s'écria-t-elle, fière mais essoufflée.
Elle stoppa sa course devant lui, inspira un bon coup, et agita le journal sous le nez de Joël, qui s'en ficha royalement.
- Espèce de pickpocket, tu pourrais au moins dire bonjour, marmonna l'intéressé, se baissant vers la rouquine pour coller sa joue contre la sienne.
La bise terminée, Camille haussa les épaules, en signe d'innocence.
- Peuh ! Il avait terminé de le lire ! Ce n'est pas vraiment du vol ! protesta la rouquine, avant de prendre un air professionnel et d'ouvrir sèchement le journal. Hmm, voyons voir les dernières dépêches.
Joël la vit avec horreur s'arrêter à la rubrique « Politique » et lire un article avec grand intérêt. Il ne manquait plus que ça !
- Non... Camille, pas toi, lâcha-t-il d'une voix blanche.
- Je t'en prie, Ajacier, ne commence pas.
- Où est donc passée ta bonne conscience ?
- Trouve-la et reviens me le dire.
Le jeune homme lâcha un soupir résigné, puis se rappela que tout journal avait une page qui l'intéressait. Tandis que Camille était plongée dans les réformes européennes, Joël feuilletait discrètement les coins du quotidien pour y lire le nom des rubriques.
- Qu'est-ce que tu fous ? marmonna Camille, gênée dans sa lecture.
- Ah le voilà ! Horoscope !
La lycéenne releva subitement la tête et ouvrit des yeux horrifiés, devinant sans problème la suite des évènements. Elle était la mieux placée pour savoir qu'il ne valait mieux pas s'interposer entre Joël et son horoscope de la journée.
- Bas les pattes ! s'exclama-t-elle, alors qu'il essayait d'ouvrir le journal sur la page qui l'intéressait.
- Ne bouge pas, je regarde juste ! Juste le signe des Cancers !
- Dégage !
- Donne-moi ce foutu journal !
- Lâche ça Ajacier ! Putain, mais lâche, je te dis ! s'énerva la rouquine, agrippée à son bien comme si sa vie en dépendait.
- Je veux lire mon horoscope ! Ça prend deux secondes ! s'écria Joël, en tirant de toutes ses forces sur le quotidien que Camille refusait de céder.
- Va te faire foutre avec ton horoscope ! C'est qu'un tas de crottes d'abord !
Ils luttèrent encore, tirèrent chacun de leur côté, et le journal émit le bruit d'une déchirure désespérée. Les deux lycéens restèrent d'abord bouche bée, chacun tenant la moitié du Métro dans une main. Puis, blanche de fureur, Camille se jeta sur Joël et ils commencèrent à se bagarrer, non sans s'insulter affectueusement (« fils de... », « sa... », pour ne citer qu'eux).
Deux ricanements parvinrent jusqu'à leurs oreilles. Ils se redressèrent et virent Nathan et Eddy, qui passaient lentement devant eux. Ils défièrent de leur regard perçant et hautain les deux lycéens. Seule Camille fut de taille à rivaliser, ses yeux faisant office de mitraillette à décharge automatique. Sourcils froncés, Joël était resté sur la défensive, dans le cas où un affrontement verbal aurait eu lieu.
Mais Nathan et Eddy s'éloignèrent d'eux sans un mot. De leur côté, Joël et Camille soufflèrent, comme soulagés d'un poids. Ils en oublièrent même le Métro, qu'ils jetèrent d'un accord commun à la poubelle.
- Tu viens, on s'approche du portail ? proposa Camille. Ils ne vont pas tarder à ouvrir.
- Euh... Non, attends, bredouilla Joël, qui rougit aussitôt.
- Quoi ?
- J'ai promis à une copine de l'attendre et... Cam', je t'en prie, ne fais pas cette tête... On dirait que t'as vu Citronnade en train de peloter le concierge !
- Quelle copine ? C'est moi, ta copine ! s'offusqua la rouquine, en cherchant du regard celle qui lui volait son seul ami. Ajacier, c'est quoi cette histoire ?!
Le jeune homme ne lui répondit pas et repéra la fameuse « copine » au milieu de la foule de lycéens. Alors qu'il lui adressait un petit signe pour qu'elle vînt les rejoindre, Camille s'empara d'un pan du polo de Joël qu'elle se jura de ne pas lâcher. Il fallait faire comprendre à cette fille qu'elle était l'unique propriétaire du lot Ajacier.
La fille en question arriva à leur hauteur et Camille se décomposa au fur et à mesure qu'elle la détaillait. Ce n'était pas humain d'être aussi belle et naturelle. Joël la salua (trop) chaleureusement et lui colla deux bises sur ses joues roses.
- Camille, je te présente Mélissa. On se connait depuis la quatrième. Mélissa, c'est Camille, une copine de classe.
Le visage de Mélissa était imprégné de bonté. Elle ramena délicatement sa masse de cheveux dorés à l'arrière de sa nuque et adressa un sourire gentil à Camille. La rouquine plissa les yeux, et esquissa un rictus qui intrigua l'amie de Joël.
- Tu sais ce qu'elle te dit, la copine de classe, Ajacier ? marmonna la lycéenne, sans lâcher le polo du jeune homme. Elle te dit qu'elle se caille et qu'elle veut rentrer à l'intérieur !
Sur ce, elle exécuta quelques pressions sur le bout de tissu qui laissèrent Joël totalement indifférent, puisqu'il préférait demander à Mélissa si ses cours se passaient bien. Camille enrageait en silence.
« Ma fille, toi et moi, on aura deux mots à se dire. »
Mélissa n'y était pourtant pas pour grand-chose. Elle se contentait de sourire à Joël et de répondre à ses questions. Elle aussi grelottait sur place, et se balançait d'un pied sur l'autre.
- T'as froid, Mélissa ? s'inquiéta Joël, alors que Camille voyait rouge. Allez, viens, on rentre se réchauffer.
Il passa un bras autour de ses épaules et ils s'éloignèrent vers l'entrée du lycée, Camille sur les talons, toujours accrochée au polo de Joël.
- Camille, ne fais pas l'enfant ! se moqua le jeune homme.
L'intéressée lui jeta un regard mauvais en guise de réponse. Elle tourna la tête pour savoir si Nathan et Eddy l'observaient se laisser mener par le polo de Joël Ajacier. Non, ils regardaient Citronnade arriver sur sa bicyclette. Tant mieux, ce serait une humiliation de moins à subir.
Le grand portail était fermé. L'administration semblait avoir décidé de laisser congeler les jeunes Balbyniens à l'extérieur. Une foule de lycéens attendait encore devant l'entrée de l'établissement et commençait à se plaindre du froid.
Les joues de Mélissa avaient perdu leur éclat rose. Seuls ses yeux et sa bouche ressortaient sur son visage devenu blanc comme un drap d'hôpital. Camille, elle, était bleue. En jetant un coup d'œil sur la rouquine, Joël eut envie de l'appeler Grand Schtroumpf, à cause de son teint bleuté et ses cheveux rouges. Il se ravisa au dernier moment ; Camille n'était pas d'humeur à rire.
- Putain, ils vont nous ouvrir, oui ou merde ? s'énerva un adolescent, non loin d'eux.
Tous les lycéens se joignirent à lui, et grognèrent de plus belle. Voyant Camille au bord d'une pneumonie, Joël décida de réagir.
- Poussez-vous ! Allez ! Poussez-vous, je m'en occupe !
Il se fraya un chemin parmi la foule, suivi de Mélissa et Camille, qui était toujours accrochée à lui, et se retrouva devant le petit portillon. La moitié des lycéens se trouvait derrière lui, suspicieux. Rageur, Joël écrasa son doigt sur le bouton de l'interphone et ne l'enleva pas jusqu'à obtenir une réponse. Au bout d'un moment, l'employé de garde se lasserait bien d'entendre la sonnerie stridente retentir sans interruption dans le bureau.
- Oui ? répondit la voix quasiment inaudible du concierge, une minute plus tard.
- Ben c'est pour rentrer, pas pour faire la manche ! hurla le jeune homme dans l'interphone.
Il y eut un déclic, et Joël poussa le portillon en marmonnant un « c'est pas trop tôt » dans sa barbe. Pour la première fois, Camille admira Joël. Elle n'était pas la seule. Mélissa lui jeta un regard impressionné qu'il feignit d'ignorer. Les lycéens derrière eux laissèrent exploser leur joie, et tout ce beau monde se poussa et se marcha sur les pieds pour pouvoir entrer plus vite dans l'enceinte du lycée.
- J'ai anglais tout au fond du lycée, annonça Mélissa, alors qu'ils traversaient la cour de récréation. Je vais vous laisser et filer au chaud. À plus tard, Joël.
Elle lui adressa un petit signe de la main et s'éloigna sous le regard perçant de Camille. Très vite, ils décidèrent de l'imiter et s'engouffrèrent dans le bâtiment le plus proche pour fuir le froid. Une vague de chaleur les enveloppa dès que la lourde porte se referma derrière eux, et leurs muscles se décontractèrent aussitôt.
- Aaah ! lâcha Camille, mi-soulagée et mi-triomphante.
La rouquine se décida à lâcher le polo de Joël et bondit sur le premier radiateur. Le jeune homme éclata de rire en l'observant coller son postérieur contre l'appareil et soupirer de délice.
- Très bien, Ajacier. Commençons, fit Camille posément, avant de se mettre à siffler comme une cocotte-minute. Putain mais c'est quoi ce bin's ?! D'où tu me la sors, elle ?!
- Camille... Je t'ai déjà expliqué qu'on se connait depuis longtemps. On a juste repris contact la semaine dernière et...
- Et tu ne m'en as pas parlé ! rugit la lycéenne, sur le point de l'étrangler.
- Jalouse ? ironisa Joël.
La colère de la jeune femme s'évapora aussitôt, et elle croisa les bras pour montrer son détachement.
- Même pas en rêve, Ajacier. C'est juste que c'est moi, ta seule amie, donc... Donc, j'exige des explications. Je n'aime pas quand tu me mets au pied du mur comme ça !
- Je me suis toujours très bien entendu avec Mélissa, et elle me plait, expliqua Joël de but en blanc. Satisfaite ?
- Tu vas sortir avec ? demanda Camille d'une voix blanche.
Devant l'air quasi malheureux de son amie, il haussa les épaules et choisit l'honnêteté.
- J'espère.
- Mais tu l'aimes ?
- Non.
- Alors, pourquoi tu veux sortir avec elle si tu ne l'aimes pas ?
Légèrement embarrassé, Joël réfléchit aux mots qui expliqueraient le mieux ses états d'âme. Camille l'observait avec beaucoup de curiosité et il ne voulait pas la décevoir.
- Je ne manque pas de compagnie, puisque tu es là. Mais tu sais, les bras d'une fille, c'est la meilleure chose du monde. Et ça, parfois, ça me manque. C'est pour ça que je sors avec des filles, même si je ne les aime pas. Je ne suis pas amoureux de Mélissa, mais elle est douce et très gentille, et c'est bien suffisant.
- Je vois, fit Camille, sceptique. Mais comment tu sais que tu ne l'aimes pas ?
- Il manque le Truc, confia Joël avec un demi-sourire.
- Le Truc ? C'est quoi, ton Truc ?
- J'en sais rien. C'est justement le problème. Mais ce Truc, je ne l'ai pas avec Mélissa.
- Hmm... Bizarre, marmonna la rouquine, pensive.
Joël l'approuva d'un hochement de tête. Au même moment, Camille lâcha un cri étranglé et fit un grand bond, les mains sur son postérieur. Le jeune homme éclata de rire lorsqu'il réalisa qu'elle s'était brûlé les fesses à force d'être restée collée trop longtemps au radiateur. Furieuse, elle lui décocha un regard assassin, qui n'eut aucun effet sur le lycéen.
La cloche sonna et, avec un sourire, Joël glissa un bras autour des épaules de Camille et l'entraîna vers leur salle de classe.
- Hé Camille ?
- Hmm ?
- Même si je sors avec Mélissa, tu resteras toujours ma Camimi chérie d'amour !
- Mais bien sûr, Ajacier, bien sûr... marmonna l'intéressée, plus vexée que rassurée. Une dernière chose, chéri : appelle-moi encore une fois comme ça, et je te jure de te tuer de mes propres mains !
Deux heures plus tard, ils sortaient à peine du cours d'anglais quand Camille vit Mélissa au bout du couloir se diriger vers les sanitaires. Visiblement, Joël ne l'avait pas aperçue et continuait de lui parler de Mohamed qui avait récolté un 15 à l'oral.
- Il m'a franchement épaté, Mo ! Je ne pensais vraiment pas qu'il parlait aussi bien l'anglais, vu qu'il sort d'un bled. Hey, Camille, tu vas où ? s'exclama le jeune homme alors qu'elle s'éloignait.
- Aux toilettes. Va nous réserver le banc dehors, je te rejoins tout de suite.
La jeune fille se dirigea à grands pas vers les sanitaires et s'y engouffra, un étrange rictus au bord des lèvres. Lorsqu'elle ouvrit la porte taguée, elle vit Mélissa. Parfait. Elle était occupée à remaquiller sa frimousse honnête. Après une rapide vérification sous les portes des toilettes - elles devaient rester seules -, la rouquine vint se placer devant le lavabo à côté du sien, et écrasa son poing sur le bouton pour faire couler l'eau. Elle jeta un coup d'œil discret au miroir, pour observer avec envie la jolie bouille de Mélissa - un visage de faon.
- Salut, dit alors Camille, en faisant mine de se laver les mains.
- Salut Camille, lança Mélissa avec un sourire aimable.
Bordel. Cette fille était trop gentille. Pas étonnant qu'elle fût la cible d'un bon garçon comme Joël. Cependant, la rouquine n'était pas du genre à baisser les bras.
- Ça va ?
- Très bien et toi ?
- Ouais.
Mélissa referma son tube de rouge à lèvres dans un claquement sec, sourit une dernière fois à sa camarade, et s'élança gracieusement vers la sortie des toilettes. Camille réagit aussitôt et bloqua l'accès avec trop de précipitation pour paraître naturelle. Surprise, Mélissa fit un bond en arrière.
- Tu sais, Joël Ajacier... commença Camille à voix basse.
- Joël ? répondit la lycéenne en rosissant légèrement.
- Tu lui plais vraiment.
- C'est vrai ?! s'exclama Mélissa, des étoiles dans ses beaux yeux de biche.
- Ouais. Tu comptes sortir avec ?
- Hmm, ça se pourrait bien...
- Tu ne le feras pas, interrompit la rouquine, devenue de glace.
L'intervention sèche de Camille fit frissonner la jeune fille. À cet instant précis où la rouquine la transperça de son regard froid et perçant, elle fut effrayée. Et elle avait tout à fait raison de l'être.
- Écoute Camille, ça fait longtemps qu'on se connait, lui et moi, et...
- Mélissa, je crois que tu ne m'as pas bien comprise... J'ai beaucoup d'estime pour toi, mais si tu t'approchais trop de Joël Ajacier, il se pourrait que je ne te fasse pas de cadeau. Et il serait aussi dommage qu'un aussi beau visage comme le tien soit un peu abîmé...
La rouquine caressa très doucement la nuque parfaitement bien dessinée de Mélissa et la sentit frémir sous ses doigts. Bien. Elle la prenait donc au sérieux.
- Tu n'es pas d'accord avec moi ?
- Si... D'accord, balbutia l'adolescente, la gorge serrée.
- Je savais que je pouvais compter sur toi, Mélissa, confia Camille, doucereuse à souhait. T'es une bonne fille.
Elle lança un dernier sourire fourbe à la jeune fille terrorisée et quitta les sanitaires, le regard sombre. À l'extérieur, Nathan et Eddy attendaient là, adossés contre le mur. Elle passa devant eux sans les voir et ne leur adressa que deux simples mots :
- Vos gueules.
Une semaine plus tard, les deux amis avaient trouvé refuge au C.D.I., espérant profiter de l'absence d'un professeur pour faire leur dissertation de philosophie. Ils avaient choisi une table éloignée des regards suspicieux de la bibliothécaire, installée contre une grande baie vitrée qui donnait sur la cour de récréation.
Les bras croisés devant lui, Joël jetait des coups d'œil désespérés à Camille, qui écrivait à toute vitesse sur sa copie double, alors que lui n'avait pas la moindre inspiration. Sujet de la dissertation : le juste et l'injuste ne sont-ils que des conventions ? La Justice. Nom d'un skate-board ! Comment allait-il pouvoir s'en sortir ?
- Camille, tu peux m'aider ? supplia le lycéen d'une voix meurtrie.
- Hmm... Ben, je ne sais pas moi, répondit l'intéressée sans lever les yeux. Est-ce que tu trouves qu'il y a des choses normales dans notre justice ?
- Des choses normales, répéta Joël, sceptique, comme si Camille parlait chinois.
- Oui, est-ce que certaines choses dépassent, si on veut, les lois ? Enfin, moi, je le vois comme ça.
- J'en sais rien. J'en ai rien à foutre, à vrai dire.
- Tu ne voulais pas devenir avocat ?
- C'est mon père qui veut que je le devienne.
Camille se retint d'émettre un commentaire et releva subitement la tête pour observer quelque chose derrière lui. Elle fronça les sourcils et replongea aussitôt le nez sur sa copie, la joue presque collée à sa feuille.
- Ne te retourne pas, murmura-t-elle assez fort pour qu'il entendît.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? paniqua Joël, devenu raide comme un coton-tige.
- Nathan et Eddy nous regardent.
- Encore ?! Mais ils sont amoureux de moi ou quoi ?!
- Joël, soupira Camille, blasée. Je t'ai déjà dit que...
- Ce sont des Espions, je sais, je sais, se moqua le jeune homme. Je dois faire attention à tout ce que je fais et à tout ce que je dis ! Je suis surveillé de tous les côtés, au lycée, chez moi, dans mon sommeil, sous ma douche, aux chiottes...
Le claquement sec du livre de philo l'interrompit. Visiblement, Camille avait très mal pris la plaisanterie. Elle jeta son sac sur la table et y rassembla toutes ses affaires.
- Très bien, Ajacier, très bien, marmonna la rouquine entre ses dents.
- Camille, où tu vas ?
- Je me casse. J'en ai ras les fesses de t'entendre dire des âneries à longueur de journée. T'es le gars le plus fermé que je connaisse ! En plus, t'es con et tu ne comprends rien ! Alors, je te laisse tout seul avec nos deux amis. Et ne viens pas te plaindre si tu te sens à peine persécuté par la suite !
Nathan et Eddy n'étaient plus les seuls à les observer avec attention. Tous les lycéens présents dans la salle s'étonnaient de la réaction surprenante de Camille Laurier devant un Joël hébété. La bibliothécaire perdait patience et foudroyait les deux adolescents du regard.
Une fois son sac rempli à ras bord, la rouquine ne trouva aucun intérêt à rester plus longtemps et prit la fuite sans attendre Joël. Elle s'éloigna donc, non sans jeter un regard meurtrier à Nathan et Eddy, qui le lui rendirent aussitôt.
- Cam', s'il te plait, attends ! s'écria Joël, qui rangeait à son tour ses affaires à la va-vite. Camille !
La porte du C.D.I. claqua sourdement en guise de réponse. Trente secondes plus tard, elle se referma derrière le lycéen, qui courait à la suite de son amie.
- Camille, attends-moi s'il te plait !
- Va au diable !
- Mais...
- Fous-moi la paix ! Les Espions n'existent pas, hein ? Mais qu'est-ce que tu en sais, Joël ? hurla Camille sans le regarder. Mais putain, réalise au moins que ton sénateur de père a les deux pieds dans la merde, si son fils va au même lycée que deux d'entre eux !
Elle traversa la cour, poussée par la rage de ne jamais être prise au sérieux, Joël sur les talons. Il semblait abattu. Si Camille le laissait tomber, sur qui pourrait-il compter désormais ? Si elle marchait vite, il arriva toutefois à sa hauteur du fait de ses grandes jambes et lui attrapa le poignet pour l'empêcher d'avancer encore.
- Lâche-moi, Ajacier ! Je ne veux plus te voir !
- S'il te plait, Camille...
- Quoi ?! Tu passes ton temps à te foutre de moi, Joël, et tu voudrais que je te pardonne ?! Désolée, je ne rentre pas dans ton p'tit jeu, moi !
- Écoute, ça fait trois ans que vous me foutez tous les jetons avec vos Espions à la con ! Comprends-moi, merde ! Personne n'a jamais pris de gants pour m'en parler : les Espions par-ci, les Espions par-là ! Ça fait trois ans qu'ils me pourrissent la vie, vos Espions ! Et moins j'y crois, plus ils me font chier !
Elle n'eut le temps d'esquisser le moindre geste que Joël la happait déjà dans ses bras. Il la serrait beaucoup trop fort et la berçait avec exagération.
- Joël... grogna-t-elle, à moitié étouffée.
- Camille, je suis vraiment désolé ! s'écria l'adolescent dans sa nuque.
- Mmph !
- J'ai pas envie qu'on se fâche.
Camille préféra ne pas répondre et tourna la tête. Elle leva les yeux jusqu'à la grande vitre de la bibliothèque. Bien entendu, les deux Espions s'y étaient postés pour assister à la scène.
- Et si je décide de te croire, Camille, tu me pardonneras ? continua Joël, plein d'espoirs.
- Hmm, fit pensivement la rouquine, l'esprit ailleurs.
- Il n'y a qu'avec toi avec qui je m'entends bien, Camille. J'ai pas envie de te perdre à cause d'une connerie... Alors ?
Camille, qui n'écoutait que d'une oreille, reporta son attention sur Joël. Il avait pris un air de chien battu et lui tenait les mains pour qu'elle ne prît pas la fuite.
- Soit, déclara la jeune fille. Je te pardonne. T'es un bon garçon, Ajacier. Et tu sais ce qu'on dit ? « Trop bon, trop con » ! Mais je t'aime bien quand même. Et tu sais quoi encore ? Ne parlons plus d'Espions. Tu as tes opinions et j'ai les miennes. Peu importe, je t'ai assez averti, alors pensons à autre chose, tu veux ?
Il hocha la tête et la serra plus contre lui. Elle grimaça mais se laissa faire jusqu'à ce que la cloche retentît et les fît sursauter. Ils se détachèrent à contrecœur et Joël jeta un œil sur sa montre. L'heure de la récréation était venue ; il ne leur restait plus qu'un quart d'heure avant de reprendre les cours.
- Il faut que j'aille voir Mélissa.
- Qui ? marmonna la rouquine, distraite.
- Mélissa.
- Ah.
- Tu réserves le banc ? J'en ai pour cinq minutes, tu n'as qu'à m'attendre.
Camille le regarda s'éloigner dans la cour de récréation et croisa les bras, mécontente. Puis elle décida de se traîner jusqu'au banc où elle avait ses petites habitudes avec Joël. Manque de chance, trois jeunes filles s'y étaient assises, mais la rouquine n'entendait pas se laisser faire.
- Dégagez.
- Hey, toi, tu te crois où ? intervint une adolescente aux allures orientales. Y'a écrit ton nom peut-être ?!
- Absolument, connasse. Y'a écrit mon nom et celui de mon pote.
Camille pointa du doigt le dossier du banc, où elle avait bien fait attention à graver son nom et celui de Joël en début d'année. Ils n'étaient pas nés de la dernière pluie. Ils avaient vite réalisé que ce banc mi-ombragé, placé à côté d'un bel arbre, était l'un des endroits les plus convoités du lycée Louise Michel. Par conséquent, ils avaient pris leurs précautions en y gravant leur prénom. Les trois jeunes filles restèrent abasourdies devant les « Camille » et « Joël » écrits grossièrement sur le bois abîmé.
- Alors, j'le redirai pas. Dégagez ou je vous fous mon poing à la figure. Ça vous fera tout drôle, mes biquettes.
Les lycéennes ne se firent pas prier une seconde fois. Elles décampèrent en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, et Camille s'assit précautionneusement sur le banc qui lui revenait de droit. Ses yeux curieux balayèrent la cour et s'arrêtèrent sur son ami, qui revenait vers elle, la mine dépitée. La rouquine pensa immédiatement que Mélissa tenait plus à son beau visage qu'à Joël Ajacier. Tant mieux.
- Je suis paumé, Camille, soupira-t-il en se laissant tomber à ses côtés. Franchement, je ne comprends plus. J'ai l'impression qu'elle m'évite.
- Hmm... répondit la rouquine, peu intéressée, les yeux rivés sur ses ongles rongés.
- Cam', je t'en prie. C'est si difficile de faire semblant de compatir ?
- Excuse-moi, Ajacier. J'étais en train de me demander ce que tu avais bien pu lui faire...
- Mais rien, justement ! protesta Joël, tapant contre ses genoux. Rien de chez rien du tout ! Je suis allé la voir, parce qu'on avait prévu de sortir ensemble, et tout, et...
- Et ?
- Et elle m'a dit qu'elle était désolée, mais qu'elle n'était plus intéressée.
- Oh ! Elle t'a dit ça ?!
- Ouais. En plus délicat, bien sûr.
- Oh, la salope, commenta la rouquine, choquée.
Le jeune homme haussa les épaules. Camille se sentait inutile. Son devoir était de réconforter Joël, mais elle ne comprenait rien aux hommes. Elle ne savait même pas pourquoi il était si déçu de ne pas sortir avec une fille qu'il n'aimait pas. Cependant, elle fit de son mieux. Elle glissa un bras autour de ses épaules et se pencha sur lui avec un discours motivant en tête. Après tout, les garçons devaient bien faire ça entre eux. Ça ne changeait rien si elle était une fille.
- Laisse tomber, Jo, elle te mérite pas.
- Mais...
- Tu connais le proverbe, « une de perdue, dix de retrouvées », continua Camille, avec beaucoup d'entrain, persuadée qu'elle ferait un formidable garçon.
- Oui mais...
- Puis c'est pas comme si t'étais amoureux d'elle. C'est pas une grande perte.
- Ouais... fit pensivement Joël. T'as raison.
- Bien sûr que j'ai raison.
Peu à peu, le visage du jeune homme s'éclaira à nouveau et il sauta au cou de Camille pour lui planter un bisou humide sur la joue. La rouquine le repoussa aussitôt, l'image de Douceur la léchant après avoir mangé ses croquettes douteuses lui revenant en mémoire, et Joël éclata de rire.
- Ma Camimi d'amour chérie, qu'est-ce que je ferais sans toi hein ? s'exclama-t-il, alors qu'elle gesticulait dans tous les sens pour se défaire de son étreinte.
- Va te faire voir, Ajacier ! Et lâche-moi ! Je suis pas un toutou !
- Qui peut me donner un exemple de consommation collective ? clama la prof d'économie, au milieu du brouhaha de ses élèves.
Personne ne l'écoutait. Blasée, elle soupira intérieurement. Comment faire comprendre au Proviseur qu'il avait fait une erreur en plaçant quatre heures successives d'économie-droit un vendredi après-midi ? C'était la pousser au suicide ! Ces jeunes gens, après une semaine de cours épuisante, n'étaient plus aptes à se concentrer sur cette matière déterminante pour le Bac ! Il fallait être frais pour l'économie-droit ! Frais ! Attentif ! Et non pressé de partir en week-end !
- Alors ? Un exemple de consommation collective ? répéta-t-elle, essayant de recouvrir les fous rires de ses élèves.
- Moi, moi, j'sais, M'dame ! Le bus ! Le bus, c'est d'la consommation collective. Le bus, l'avion...
- Le resto ? tenta Naweï, installée au fond de la classe.
- Nawak ! réagit Joël à la place de la prof, en se retournant pour aviser sa camarade. Moi, si je vais au resto, c'est pour manger avec une fille... Pas avec tout le quartier !
La classe entière aboya de rire, à l'exception de Camille, Eddy et Nathan, qui n'avaient pas l'air de trouver cela drôle.
- C'est, hum... un débat intéressant, balbutia la prof, qui se tordait les mains, gênée par la tournure que prenait son cours.
Ils n'écoutaient pas. Mais vraiment pas du tout. Elle décida donc de reprendre du poil de la bête en désirant leur faire circuler un polycopié. Les photocopies avaient ce don fantastique d'intéresser les élèves dans le sens où ils s'occupaient à surligner les titres et oubliaient de se raconter les derniers ragots pour quelques minutes.
Seulement, elle avait beau farfouiller ses affaires éclatées en vrac sur son bureau, elle ne retrouvait plus ces fichues photocopies. Ou alors avait-elle oublié de les faire ? Très possible, puisque le professeur de sport était venu l'interrompre dans sa démarche pour se plaindre des dispenses sportives répétées de Joël Ajacier.
- Bon, je... Je reviens, je vais vous faire quelques photocopies, bredouilla la prof, en s'éloignant à reculons vers la sortie de la salle.
L'unique élève qui releva la tête pour l'écouter fut Camille Laurier. L'enseignante la remercia intérieurement et se sentit moins seule face à cette troupe de lycéens surexcités.
- Camille, vous surveillez la classe ? Je compte sur vous.
La rouquine aurait aimé refuser, mais au moment où la prof lui avait confié la tâche ingrate qui relevait de la surveillance de la classe, le silence était retombé net dans la salle. Contrairement à que l'ensemble du corps enseignant pensait, les élèves étaient bien plus attentifs qu'ils ne le laissaient paraître. Et se faire surveiller par l'une des leurs ne les enchantait guère.
Ravie, la prof s'éclipsa, non sans adresser un sourire d'encouragement à Camille.
- Quelle stressée, cette prof ! marmonna Joël, la regardant partir. Et elle n'a vraiment aucune autorité.
La rouquine hocha la tête, silencieuse, et replongea dans son exercice. Elle pouvait sentir une trentaine de regards lui brûler la nuque. Cependant, très vite, les élèves se désintéressèrent d'elle et se remirent à parler entre eux. Le volume sonore augmenta de seconde en seconde, si bien que la situation ne manqua pas de dégénérer.
- Eh, vos gueules ! lança Nathan au milieu de ce tapage.
Les élèves se turent aussitôt et se jetèrent des regards effarés. Nathan savait se faire craindre. Imitant ses camarades, Joël se tourna pour l'observer d'un air douteux. Camille ne s'était pas donné cette peine et lui tournait le dos, toujours absorbée par son graphique de répartition.
- Si on se la ferme pas, y'en a une qui va nous vendre à la prof !
- Ta gueule Nathan. Ça va sentir dans toute la classe, ironisa Joël.
Cette fois, personne n'osa rire. L'Espion fit glisser sa chaise dans un grincement aigu et se redressa lentement, sans cesser de fixer Joël. Ce dernier ne cilla pas d'un pouce, et alors que Nathan s'approchait de lui, il se leva à son tour.
- T'as un problème, Ajacier ? siffla Nathan, serrant les poings si fort que les jointures blanchirent aussitôt. T'as besoin d'aide ?
- Retourne te faire oublier. Un branquignol comme toi, on n'en a rien à péter.
La classe entière éclata de rire. Même Eddy, qui essayait pourtant de se retenir, n'avait pas pu s'en empêcher. Joël avait bien remarqué que ses lèvres se tordaient fébrilement et qu'il tentait de rester discret. De son côté, Nathan voyait rouge. C'est au moment où il poussa violemment Joël contre le mur que Camille jugea bon d'intervenir.
- Un petit conseil, Nathan. Laisse-le tranquille, lança-t-elle en s'interposant entre eux.
- Et sinon ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Me foutre une fessée ? Tout rapporter à la prof ? se moqua Nathan. Pfff, je n'ai rien à craindre de toi, Camille.
Un sourire de chat s'étira sur le visage de la rouquine et elle se mit à tourner autour de lui, à la fois lente et gracieuse.
- Voyons, tu oublies quelque chose. Tu sais très bien que je peux me montrer très bavarde quand j'en ai envie... Ce serait tellement dommage que certaines informations tombent dans de mauvaises oreilles, non ?
Joël vit Nathan se raidir, et Eddy, plus loin, devenir blême. Quelque chose leur disait que Camille pouvait tout à fait les mettre en taule, si elle le désirait. Mais irait-elle jusque-là ? Prendrait-elle ce risque ? L'adolescente paraissait plutôt compatir, et tapotait avec indulgence l'épaule de l'Espion, qui enrageait toujours au fond de lui-même.
- Ah mon cher Nathan... Je ne peux pas t'en vouloir. Après tout, les bonnes grâces du patron, tu as toujours rêvé de les avoir.
Ce furent sans doute les paroles de trop. Camille esquiva de justesse Nathan qui s'était jeté sur elle. Il revint à la charge et brandit le poing dans les airs. Elle bloqua adroitement le coup, mais il était réactif et s'empara de son poignet pour le tordre. Effrayé pour la rouquine, Joël fit un mouvement pour lui prêter main-forte, mais elle le renvoya aussitôt.
- Va t'asseoir, Ajacier ! Et toi aussi, Eddy ! aboya Camille, alors que le jeune homme essayait de se lever sans se faire remarquer. C'est entre lui et moi !
Ils se rassirent en marmonnant, vexés d'être mis à l'écart. De leur côté, Camille et Nathan se défiaient toujours du regard, et la rouquine sentait son poignet broyé par la force de son rival. Elle cacha une grimace de douleur. Cela lui ferait trop plaisir de voir qu'elle souffrait.
- Alors, Camille ? Tu fais moins la maligne maintenant.
Elle ne répondit pas. Devant ses yeux brillants de colère, Nathan souriait sournoisement. Joël, de même que ses camarades, observait cet étonnant bras de fer et commençait à s'inquiéter. Puis, sans prévenir, le visage de la rouquine se défit et fit place lui aussi à un charmant sourire.
- C'est vrai, admit-elle enfin, sans le quitter des yeux, les hommes ont la force physique. Mais les femmes en ont bien plus dans le crâne. Ça s'appelle l'intelligence, Nathan. Et quand on sait bien s'en servir...
Sur ces mots, elle lui asséna un violent coup de pied dans le tibia. Nathan lâcha prise et recula en gémissant de douleur.
- Ça peut faire mal, accorda Camille avec nonchalance, ignorant son poignet souffrant.
Il y eut quelques exclamations dans la salle, un cri, une bouche cachée par une main et des yeux choqués. Sans attendre, alors que Nathan regagnait sa place pour se masser la jambe, la rouquine se plaça derrière le bureau professoral les sourcils froncés, et prit appui sur la chaise. Toute la classe s'était tue, redoutant la suite. Son regard perçant balaya chaque mètre carré et s'arrêta sur chaque élève. Tous ne purent réprimer un frisson. Terrifié, Joël se promettait de ne jamais se mettre à dos la jeune fille. Il était peu attiré à l'idée de devenir sénile, manchot ou boiteux.
- Je ne veux plus entendre un mot, lança Camille d'une voix particulièrement glacée. Le premier que j'entends, il aura affaire à moi. Est-ce qu'on s'est bien compris ?
Personne n'osa répondre, mais il semblait évident qu'aucun ne se risquerait à devoir rendre des comptes à Camille. Le visage de la rouquine se dérida et un petit sourire qui ne valait rien de bon s'étira sur ses lèvres.
- Je savais que je pouvais compter sur vous, minauda-t-elle, satisfaite, avant de retourner s'asseoir à sa place.
Comme si de rien n'était, elle replongea dans son étude de statistiques et tous l'imitèrent en silence. Impressionné, Joël se rapprocha d'elle discrètement.
- Waw Camille ! murmura-t-il, encore sous le choc.
- Ferme ton clapet, Ajacier. Je ne suis pas d'humeur.
Il ne prononça plus un mot de toute l'heure. Des pas pressés résonnèrent dans le couloir. Nul doute que la prof était de retour, ses photocopies dans les bras. Quand elle se glissa dans la salle, elle poussa un soupir de soulagement.
- Oh, vous êtes là !
Tous les lycéens levèrent les yeux au plafond, ironiques. Bien sûr qu'ils étaient là ! L'enseignante bafouilla et replaça une mèche folle derrière ses cheveux.
- Sur le moment, j'étais inquiète parce que... Je n'entendais aucun bruit dans le couloir, j'ai cru que vous étiez tous partis...
Rougissante, elle lâcha un petit rire idiot. Les Terminales ne prirent pas la peine d'émettre un commentaire. En bonne élève, Camille affichait un sourire aimable. La prof reporta son attention sur elle. Elle lui devait une fière chandelle.
- Je vous remercie beaucoup, Camille. Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous savez tenir une classe !
- Je vous en prie, Madame, fit poliment la rouquine.
Elle tourna la tête pour considérer narquoisement les deux Espions, puis planta à nouveau son regard perçant dans les yeux de la prof. Et avec le plus charmant sourire hypocrite qui pût exister en ce monde, elle déclara :
- C'était un plaisir.
« Tu voudrais déjà être demain... Mais aujourd'hui n'est pas fini »
Bref, on se coule vite dans l'histoire ! La scène avec Mélissa est effrayante, tout comme celle dans la classe. Bon, ok, Camille est effrayante tout court. Mais je ne peux pas m'empêcher de l'aimer quand même ! ^^
Et puis Joël me semble un peu dépassé par les événements. D'ailleurs, je ne te l'ai pas dit, mais ça me perturbe ce prénom, parce que ma soeur s'appelle Joëlle ! ^^
Bon bon bon, je vais aller lire la suite. On dirait que des choses se préparent ! :)
Bref, tu as découvert Camille sous son vrai visage et je suis contente que tu l'aimes quand même... C'est peut-être un peu une mauvaise fille mais il va falloir se la coltiner pendant longtemps encore. ^^
Ah bon, ta soeur s'appelle Joëlle ? En effet, je comprends que tu puisses être un peu perturbée en lisant Joël... >_<" Ca m'arrive également quand je rencontre des Camille dans mes classes et je flippe toujours un peu avant de les connaître... >_<
En tout cas, merci beaucoup pour ton commentaire Keina ! Câââââlin !
Camille veut Joël pour elle toute seule, mais ce n'est pas parce qu'elle est attachée à lui, mais pour des raisons que tu découvriras plus tard. En rapport avec les Espions, bien entendu. ;)
Et concernant, le 36, t'as tout à fait raison ! =D Il se trouve que la première version de Polichinelle avait été écrite AVANT le 36 (vers 2005 à peu près). Le 36, venait tout juste après le groupe de rock, qui suivait Popo. ^^ Et bien des années plus tard, donc, l'année dernière en fait, j'ai voulu améliorer l'histoire bidon qu'était Polichinelle (plus au niveau de l'écriture, que de l'intrigue), et j'ai aussi pensé que ça ne collerait pas avec le 36 par rapport aux années. Mais j'avais vraiment envie de reprendre à zéro cette histoire, et après avoir réfléchi, j'ai décidé de commencer l'histoire officiellement en 2009/2010. Je suis bien consciente que ça ne correspond plus du tout au 36, mais si un jour je le réécris, j'en tiendrai compte. =D
D'ailleurs, la Crim' intervient un tout petit peu dans cette première partie de l'histoire, mais Valentin n'est pas encore aux commandes (il est encore à l'école de police, en fait xD). Ce n'est qu'après (cinq-six ans plus tard, euh ça nous du 2015/2016... ouuuuch, c'est dans longtemps) qu'il reprendra une affaire concernant Camille et que donc voilà. *s'essuie le front*
Bref, voilà. J'te poutouille et un grand merci pour tes commentaires, Sej ! :)
Je ne pensais prendre autant de plaisir à retrouver un lycée, mais pourtant c'est bien le cas. Tu as su me prouver que ce cadre pouvait offrir de bonnes histoires, choses que j'avais eu tendance à oublier avec le temps et certaines de mes lectures. Pour cela, je te remercie énormément !
A côté, de ça, Camille... quel charisme ! Je l'adore cette fille, et je crois qu'il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de se frotter à cette jeune fille sous peine de le regretter ! Et puis que dire sur sa relation avec Joel, que je trouve absolument géniale. Sur ce point tu assures, et je n'ai qu'une hâte aller lire la suite de leurs aventures.
Que dire, à part que je suis ravie de retrouver cette histoire, de retrouver ton style et que je n'ai pas vu le temps passer. Merci pour cet instant de lecture Clo', merci beaucoup :)
L'une de mes principales craintes par rapport à cette histoire était bien le retour au lycée. Je sais déjà combien il est très difficile pour les lecteurs de lire du "réalisme", alors si c'est dans un lycée... Il se passe tellement de choses dans un lycée, qu'il n'y a pas meilleur lieu pour écrire une histoire. Enfin, à mon avis, et dans mon cas.
En tout cas, je suis terriblement contente que cette histoire te plaise, et les personnages d'autant plus... On peut dire qu'avec toi, mon pari est gagné (pour le moment) ! x) BIEN DES BISOUS ET ENCORE MERCIII !
Personnellement, je suis complètement emballée par le duo Camille/Joël (leur relation est tout simplement superbement ambigue) sur toile de fond d'un lycée qui m'inspire une délicieuse nostalgie et avec des Espions qui entraînent un véritable climat de psychose.
Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ton intrigue une histoire prenante. Ton sytle se marie bien avec ton sujet : fluide, très drôle par moment, piquant à souhait dans les dialogues. J'aime beaucoup la façon dont tu t'attardes souvent sur l'expression de Camille : son visage, en tout cas ce qu'il reflète, accroche vraiment l'attention. Je la trouve à la fois adorable et diabolique. Quant à Joël, c'est son parfait contrepoint : c'est une crème, il est transparent comme de l'eau de source et d'une sincérité parfois dérouante. Je les aime *o*
Vivement le prochain chapitre !!! Si toi avoir besoin d'une bêta désintéressée et incapable d'opportunisme, tu sais où me trouver ;o)
Je suis on ne peut plus fixée sur tes sentiments concernant ce chapitre. ^^ Je voulais d'ailleurs te faire une réponse plus détaillée aux remarques de ta BL ; je vais donc en profiter ici. ^^
Ahhh le lycée... Que de souvenirs, n'est-ce pas ? XD Je m'inspire de petits trucs de vécu pour ça : les cerises de la cantine, le gars qui s'énervait sur la sonnette pour qu'on nous ouvre et qui a gueulé "ben c'est pour rentrer, pas pour faire la manche !" (ça m'est resté pour Joël), les grèves et blocus... C'est des trucs qu'on a tous connu et qui ont construit la grande "notoriété" du lycée. XD
Quant à mes chers petits Espions, j'ai été vraiment contente de les retrouver eux aussi. Tous ensemble, ils forment le troisième personnage principal...avec un Polichinelle dans le dedans. XD
Donc, oui, je suis vraiment super contente que tu te sentes bien dans cette histoire, qu'elle t'entraîne. C'est mon Big Pari. ('Fin, faut voir les autres aussi XD j'attends justement le rapport de Diabo). Et contente aussi que tu adores Joël et Camille. Bon, Joël, c'est difficile de le détester... C'est de la pâte d'amande ce gars. XD
Par contre, Camille... À chaque commentaire que tu me faisais sur elle, je souriais. Tu te rends compte qu'elle menace, tabasse, et que tu n'arrives pas à la détester ? XD Au fond, t'es comme Joël, ma Cricri. Bon, elle n'est pas vraiment méchante hein... Elle a un bon fond, mais le jour où elle tuera quelqu'un, tu l'adoreras toujours, Cricrounette ? (Je crois que oui...et si je me trompe pas, t'es vraiment comme Joël alors...). Bref. Je peux parler, moi aussi, je l'adore. Puis, je l'aime d'autant plus que c'est la grande héroïne, et qu'elle n'a rien à voir avec toutes les autres... Elle se coltine vraiment les défauts "inhabituels". XD
Bref. Ô beta désintéressée et incapable d'opportunisme, je saurais te trouver si Diabo n'est pas revenue dès que le troisième chapitre est bouclé (d'ailleurs, tu seras fixée sur Camille quand tu liras). XD En attendant, je te dis encore un grooooooos merci pour ta BL, et ton commentaire.
Bien des bisous ! MouwaKâlinMouwak ! XD