Chapitre 1 : Le refuge

   Le crépitement d’un feu. Des voix. Des froissements de tissu, des bruits de mastications. 

L’odeur de la fumée, celle de la viande cuite, du cuir tanné et des hommes. 

La chaleur rassurante du foyer. La douceur des draps.

Lentement, la jeune fille s’éveilla. 

Elle plissa un instant les yeux face à la lumière dansante des flammes, et exhala un soupir. Ce son, à peine perceptible, fit pourtant taire les voix.

Au travers de ses cils, elle vit se dessiner les contours d’un visage. Celui d’un homme à la mâchoire large, engloutie dans une barbe brune. Sa face rectangulaire faisait écho à ses yeux gris et fins, à moitié cachés par des sourcils épais. Son regard était dur, la jeune fille se tassa sous ses draps, il avait l’air en colère.

Mais il sourit avec bienveillance. 

- Tu es réveillée, fit-il simplement d’une voix si grave comme une corne de brume.

- C’est vrai, elle est réveillée ? Elle va bien ? Pousse-toi un peu que je la vois.

Une tête ronde cerclée de boucles blondes apparut dans son champ de vision. Le visage de la femme s’éclaira.

-Tu as l’air en bonne santé ! Viens là, assis-toi près du feu, tu dois avoir faim.

Son sourire et ses yeux n’exprimaient que la bonté, la jeune fille se sentit immédiatement en confiance avec elle. Elle se redressa timidement pour se glisser près du feu. L’homme, qui avait la stature d’un géant, lui désigna une place entre deux de ses camarades. Il y en avait sept, tous la regardaient d’un air curieux. Se sentant la proie de l’attention générale, elle rougit. Heureusement, la femme vint se placer près d’elle. 

- Je m’appelle Martha, lui confia-t-elle. Je suis la femme de ce gros monsieur renfrogné, là (elle désigna le grand homme). Et toi, comment tu t’appelles ? 

La jeune fille ouvrit la bouche pour répondre mais s’arrêta, surprise. Aucun nom ne venait à elle.

- Je… je ne sais pas

Martha cligna des yeux, étonnée. 

- Ce nest pas grave ma chérie. Tu es sous le choc, c’est normal après ce que tu as traversé. 

- Ce que j’ai traversé ? 

- Nous t’avons trouvée évanouie en plein milieu d’une tempête de neige, tu étais à deux doigts de mourir de froid. Tu as eu de la chance que nous soyons tombés sur toi à ce moment-là, car nous ne sommes pas ressorti du refuge depuis.

La jeune fille releva la tête vers le plafond de bois, elle n’avait jusqu’à présent pas remarqué qu’ils étaient à l’intérieur. En y prêtant oreille, on pouvait distinguer es hurlements du vent et les grincements du toit.

- C’est fou que tu sois arrivée jusqu’ici, je me demande bien d’où tu viens, commenta l’homme. Tu ne te rappelles vraiment de rien ? 

- Non… désolée…

Elle baissa la tête. 

- Allons Klein, ne la brusque pas, la pauvre.

- Désolé, lâcha-t-il.

Une petite porte dans le fond s’ouvrit.

- D’après Ajaruk , la tempête va encore durer, fit un jeune homme en entrant.

Il avait des yeux gris perçant comme Klein, mais une stature beaucoup plus raisonnable. Il stoppa net en apercevant la jeune fille. 

- Tu es réveillée, souffla-t-il, surpris. 

- Voici mon fils, Wolfheim, déclara Martha d’un air fier. C’est lui qui t’as trouvée.

- Enchanté, dit-il en s’approchant avec un sourire hésitant.

- Enchantée…

Il y eut un bref silence. 

- Heu… comment tu t’appelles ? tenta-t-il. 

Elle baissa encore une fois les yeux.

- Je… je ne me rappelle plus.

Un silence passa de nouveau entre eux.

-Eh bien, fit Wolfheim, entre tes cheveux et ton amnésie, tu es vraiment une fille étrange.

- Mes cheveux ? 

- Oui… ils sont blancs.

Elle saisit une de ses mèches, étonnée. Effectivement, même si la lumière chaude les rendaient blonds, ils étaient d’une pâleur significative. Elle sentit confusément que ce n’était pas normal. Elle releva les yeux vers Wolfheim, consternée, ne sachant que dire, lorsqu’un étrange grognement se fit entendre.

- J’étais sûre que tu avais faim, fit Martha en lui fourrant une lanière de viande séchée dans les mains. 

La jeune fille était devenue écarlate en se rendant comte que le bruit venait de son estomac. Wolfheim pouffa discrètement, heureusement les autres hommes avaient repris leur conversation et n’avaient pas entendu.

- Tu fais une tête…

Sur son visage fin aux traits épurés, un simple sourire faisait l’effet d’un grand éclat de rire. La jeune fille s’empressa de mordre dans le bout de viande qui avait la consistance d’une semelle. Mais elle avait le plus grand mal à le déchirer et à l’avaler.

- Heu… il n’y aurait pas autre chose ? finit-elle par demander piteusement.

- Mais t’es une vraie princesse ! s’exclama Wolfheim, amusé.

- Malheureusement c’est tout ce qu’il nous reste, ma chérie, répondit Martha après un regard foudroyant vers son fils. Je suis désolée, mais avec cette tempête qui dure, nous n’avons presque plus de vivres. 

- La faute à qui ? siffla son fils, soudain amer.

Klein pivota son visage anguleux vers lui, une menace muette planait dans son regard. Wolfheim supporta la pression de son père sans ciller. Ils s’affrontèrent ainsi silencieusement jusqu’à ce que Martha, embarrassée, intervienne.

- Allons, mon chéri, tu sais très bien que ton père n’y est pour rien pour cette tempête.

- Peut-être, mais si nous avions rejoint le bateau au lieu de s’obstiner, nous n’en serions pas là.

Il avait détourné le regard, rompant le combat muet, mais ses yeux brillaient d’amertume et de rancoeur.

Un silence plein de tension s’installa. La jeune fille, mal à l’aise, tenta de rompre cette atmosphère négative.

- Où sommes-nous exactement ? Et que faites-vous ici ?  

- Nous nous trouvons dans le grand nord canadien, au nord de la baie d’Hudson, répondit Martha soulagée. Le premier hameau inuit se trouve à plusieurs centaines de kilomètres. Et pour répondre à ta deuxième question, nous sommes des explorateurs en expédition. 

La jeune fille avait du mal à se représenter où était la baie d’Hudson, mais cela lui disait quelque chose.

-Vous êtes explorateurs ? Et que cherchez-vous ? 

Martha perdit un peu de son sourire. 

- Nous cherchons la Maät.

- La M… Maät ? Qu’est-ce que c’est ? 

Martha jeta un regard nerveux à son mari, qui les observait en silence.

- C’est… c’est une femme possédant de grands pouvoirs. Une espèce de sorcière inuit, si tu préfères. Selon les locaux, elle habite près d’ici.

Wolfheim ricana.

- Nous cherchons une légende, dit-il. 

Son père vrilla immédiatement son regard sur lui, il se détourna.

- Elle existe, fit Klein. Je le sais. Et nous allons la trouver. Cette découverte nous rendra célèbre.

Ses yeux exerçaient une pression titanesque sur son fils, qui ne broncha pas. Il se contenta d’hausser les épaules.

- Un peu d’eau ma chérie ? proposa Martha, mal à l’aise au milieu de cette tension.

- Oui, merci.

Alors qu’elle buvait une gorgée rafraîchissante, elle sentit les regards des explorateurs sur elle. En particulier celui de Wolfheim, qui la dévisageait avec insistance.

- Il te faut un nom, déclara-t-il soudain la faisan sursauter. 

Ses camardes opinèrent.

- En attendant que tu retrouves la mémoire, tu veux bien qu’on t’en donne un ? proposa le jeune homme.

Surprise, elle hocha timidement la tête.

- Voyons voir…

Tout le monde prit un air pensif, ils semblaient faire un concours silencieux pour meilleur nom. Seul Klein ne semblait pas se prêter au jeu. Il paraissait toujours fâché de l’altercation qu’il avait eu avec son fils.

- Que dis-tu de « Lucy » ? fit Wolfheim. Ça te va bien.

- Oh oui, c’est joli tout plein, Lucy, opina Martha.

Les autres hochèrent la tête.

- Et en nom de famille… que dis-tu de « White », rapport à ta couleur de cheveux ? 

- Ça… ça me va. Merci. 

- De rien, dit-il un brin fier. Bienvenue parmi nous, White Lucy.

« White Lucy » La jeune fille répéta plusieurs fois le nom dans sa tête pour s’en imprégner. Wolfheim avait raison, cela lui allait à merveille. Heureuse d’avoir un nom, elle sourit.

Elle serait White Lucy