"Le temps embellit l'esprit, abîme le corps et sauvegarde les souvenirs"
- Mazouz Hacène
Lěng Eiran
District de Tongzhou, Pékin
Maison de Eiran
Six ans s'étaient écoulés depuis que Hazel s'était éteint, plongeant Adonis dans une obscurité croissante alors que le régime oppressif se renforçait. La traque implacable des membres restants d'Adonis s'intensifiait, le groupe ayant réussi à échapper temporairement aux radars après l'exécution publique de Hazel.
Eiran se souvenait de cette journée comme si elle s'était déroulée hier. Ironiquement, c'était la journée la plus chaude et la plus belle du sixième mois du calendrier dictatorial. Un ciel d'un bleu intense s'étendait au-dessus de Pékin, tandis que le soleil brûlant ajoutait une dimension cruelle à l'événement qui allait se dérouler.
***
District de Haidian, Pékin
Une estrade en bois avait été érigée en hâte sur la place principale de Pékin, dominant la foule forcée à y assister. Le gouvernement avait voulu marquer un point fort en exécutant publiquement l'un des chefs d'Adonis. Eiran se trouvait parmi les masses, ses yeux fixés sur cette estrade sinistre, une boule serrée au creux de son ventre.
Deux gardes firent monter le détenu sur l'estrade funeste. Il portait une tenue bleue, témoin de travaux forcés et de jours passés dans les geôles du régime tyrannique. Cependant, ce qui frappait le plus, c'était cette étiquette jaune, affichant neuf chiffres : 09.45.25.0.31, le numéro de prisonnier de Hazel. C'était une déshumanisation brutale, réduisant l'homme qui avait été un symbole de rébellion à une simple statistique dans le système implacable de l'État.
Hazel, autrefois magnifique, était maintenant une ombre de lui-même. Ses cheveux, autrefois soyeux, étaient réduits à une coupe courte. Son visage était défiguré par la maigreur et les bleus, témoignage de la cruauté subie en prison.
On le mit brutalement à genoux, maintenant ses bras en arrière avant de placer sa tête dans la guillotine. Eiran regarda sa montre, plus que dix minutes. Le régime attendait midi pour l’exécuter pour une soi-disant raison de grâce à Dieu. Mais depuis que les exécutions étaient devenues monnaie courante, les gens avaient perdu leur foi.
La scène macabre était comme figée dans le temps, chaque minute qui s'écoulait semblait s'étirer dans une agonie interminable. Hazel, agenouillé et soumis, incarnait la tragédie d'une société écrasée par le joug de l'oppression. Ses bras maintenus en arrière, impuissants, symbolisaient la privation de liberté et la déshumanisation orchestrée par le régime tyrannique.
La foule silencieuse, témoin impuissant de l'injustice, avait perdu toute confiance dans les justifications du régime. La soi-disant clémence divine était devenue une excuse vide, une façade derrière laquelle se cachait la véritable nature optant le poids de la résignation collective.
Hazel, condamné à devenir une autre victime du régime, attendait son destin avec une dignité résignée. La guillotine, représentait la brutalité sans pitié d'un système qui écrasait les espoirs et les aspirations de ceux qui osaient rêver de liberté.
— Des dernières volontées, 09.45.25.0.31 ?
Hazel, laissé à genoux et exposé à la froideur de l'acier tranchant, garda un silence résolu. Ses yeux, autrefois porteurs d'une flamme de rébellion, reflétaient maintenant la résignation et la fatigue. Pendant un bref instant, le murmure du vent sembla être la seule réponse.
Puis, d'une voix faible mais ferme, Hazel prononça ses dernières volontés, adressant des paroles qui résonnaient dans les esprits de ceux qui écoutaient, ceux qui voudraient changer les choses, malgré l'ombre oppressante de la guillotine et de la mort qui les attendaient tous.
— Que les âmes opprimées de ce pays trouvent le courage de résister à l'obscurité. Que l'esprit de liberté persiste même dans la nuit la plus sombre. Mon sang versé ne sera pas vain, car la véritable révolution réside dans le cœur de ceux qui refusent de plier face à l'oppression. Que l'on se souvienne de l'amour et de la liberté, même lorsque la lame tombera.
***
Eiran se réveilla brusquement, les yeux écarquillés, plongé dans le souvenir obsédant de cette journée, six ans plus tôt. La lourdeur du passé continuait de le hanter, imprégnant chaque instant de sa vie. Haletant, il se leva et se dirigea vers le miroir, confronté à sa propre image épuisée.
Le reflet dans le miroir lui renvoya un visage amaigri, marqué par les stigmates du temps et de la fatigue. Un rire amer s'échappa de ses lèvres. "Ridicule", pensa-t-il, se moquant de la fragilité de son propre état.
— Tu es toujours là, hein ?
La voix familière de Hazel résonna derrière lui. Eiran tourna lentement la tête et un sourire doux se dessina sur son visage épuisé en découvrant Hazel dans le reflet du miroir. Il ferma les yeux, aspirant son parfum qui avait toujours eu l'effet apaisant de calmer son esprit tourmenté, même s'il savait que c'était simplement une illusion.
— Tu me manques, Hazel...
— Moi aussi, Eiran. Moi aussi...
Les mots suspendus dans l'air semblaient charger l'atmosphère d'une mélancolie partagée. Eiran pouvait presque sentir la présence de Hazel, bien qu'elle ne soit qu'une projection de son esprit.
— Comment puis-je avancer sans toi ? Pourquoi a-t-il fallu que…
— C’est ainsi c'est tout Eiran. Tu dois avancer, oublie moi… Ça sera moins douloureux.
Eiran secoua négativement la tête à sa demande, resserrant sa prise sur ses bras. Il ne voulait pas le laisser partir, les larmes coulant le long de ses joues.
— Aujourd'hui c’est…
— Je sais. Ça fait six ans aujourd'hui.
— Je devrais aller déposer des fleurs.. mais je n’ai pas la force Hazel..
— Ce n’est rien. Ne culpabilise pas.. Quelqu'un comme moi ne mérite pas tes sentiments, ton temps et des fleurs… Je culpabilise déjà assez à l’idée que tu aies dû arrêter…
Eiran leva les yeux, rencontrant le regard triste de Hazel dans le miroir. Leurs yeux se croisèrent, et une communication silencieuse sembla s'établir entre eux. Les paroles non dites résonnaient plus fort que celles prononcées à voix haute.
— Hazel, tu mérites tout, même après tout ce temps. Mais je ne sais pas comment faire face à cette douleur…
Puis soudainement le téléphone d’Eiran sonna. Il ne fallut finalement qu’un simple coup d’œil pour comprendre qu’Hazel avait disparu, encore. Il n’était que le fruit de sa culpabilité.
Eiran hésitait un instant avant de décrocher, le regard fixé sur l'écran lumineux. Le numéro était familier, mais il savait que répondre signifierait se confronter à la réalité, à une série de questions et de souvenirs qu'il préférait souvent laisser dans l'ombre. Mais cette curiosité, qui le définissait par le passé et qu’il pensait avoir oublié, fit surface et l’obligea à décrocher comme par automatisme.
— Allô ? dit-il d'une voix qui tentait en vain de cacher l'émotion.
Une voix familière résonna de l'autre côté de la ligne. Les mots qui suivirent étaient des échos d'un passé qui continuait de hanter Eiran comme si, en ce jour spécial, ses démons refaisaient surface et Alistair en faisait partie.
— Eiran, ça fait longtemps. Comment tu vas ?
Le ton d’Alistair, empreint d'une douceur mélancolique, lui donnait une nausée. Il avait tout fait pour oublier les affaires et ce désir de tout comprendre et Alistair osait lui demander comment il allait ?
— Alistair... Je ne pensais pas que tu me recontacterais.
— Je sais que tu as pris ta retraite depuis ce jour... Mais j’ai besoin que tu reviennes au poste.
Cette nouvelle figea Eiran. Pourquoi est-ce que Alistair avait-il besoin de lui ? Il avait pourtant décroché avec la police, culpabilisant d’avoir enquêter sur Adonis tout en ayant le doute que Hazel en faisait bien parti. Puis quand son identité avait été découverte, la police avait fait en sorte de le faire culpabiliser dû au fait qu’il n’avait jamais remarqué le double jeu de son fiancé. Il ne voulait pas y croire. Alistair avait été le seul à le soutenir, mais Eiran l’avait finalement repoussé jusqu’à perdre contact. Alors pourquoi le voulait-il ? Il n’était pas censé être la risée du poste ?
— Pourquoi ? Pourquoi maintenant Alistair ?
— Nous avons reçu un colis à ton nom au poste.
— Tu te fous de moi ?! Tu m’appelles après six ans, pour me dire de retourner au poste pour un putain de co-
— Il a été envoyé par Hazel.
Le temps s’arrêta une seconde fois aujourd’hui. Comment est-ce qu’un colis pouvait être envoyé par Hazel ? Pourquoi est-ce que tout ce qu’il avait espéré il y a six ans arrivait aujourd’hui ? Pourquoi ? L’angoisse commença à le ronger, le forçant à s’asseoir sur son canapé alors que tout dans sa tête allait vite. Très vite.
— ...Ran ! Lěng Eiran !
— Hein... ? Excuse-moi...Je-
— Je sais. Tu n’as pas besoin de te justifier avec moi, sincèrement. Je n’ai pas osé ouvrir le colis, je me dis qu’il vaut mieux que tu le fasses.
— C’est vraiment lui qui l’a envoyé ?... Tu ne te joues pas de moi pas vrai Alistair ?
Eiran entendit l’homme se lever de sa chaise, marcher avant d’attraper vraisemblablement quelque chose et de se mettre à lui lire :
— “ Pour Eiran. La lumière du soleil était si belle ce jour-là, pas vrai ?”
Le sang de Eiran se figea dès l’instant où Alistair avait terminé de parler. Il marqua une longue pause, le temps de remettre de l’ordre dans ses pensées et ses mots. Son esprit était comme un tourbillon, tentant de faire sens de ce qu'il venait d'entendre. Il se souvenait parfaitement de quand Hazel avait prononcé ces mots, il y avait si longtemps de cela. Mais jamais il n’aurait pensé les entendre à nouveau, surtout pas de la bouche d'Alistair.
— Ça te dit quelque chose n’est-ce pas ? demanda Alistair d'une voix incertaine, brisant le silence pesant qui s'était installé.
Eiran sentit une pression monter dans sa poitrine, ses mains devinrent moites. Il déglutit difficilement, luttant pour trouver les mots appropriés, pour trouver une réponse à cette question qui semblait ébranler les fondements mêmes de sa réalité.
— J’arrive. Ne touche même pas à ce colis, Alistair, ordonna-t-il d'une voix tendue, presque menaçante.
Le ton qu’il avait employé s’était révélé sec, tranchant dans l'atmosphère déjà chargée de tension. Il savait que ce colis contenait bien plus que ce qu'Alistair pouvait imaginer, bien plus que ce qu'il était prêt à révéler. Et Eiran était prêt à tout pour en protéger le contenu, même s'il devait se confronter à son propre passé pour y parvenir.
"Ça te dis quelque chose n’est-ce pas ?" = dit
C'est toujours très bon. Je trouve parfois les descriptions un peu forcées, mais c'est un goût personnel. Exemple : "La guillotine, telle une lame suspendue au-dessus de sa vie, représentait la brutalité sans pitié d'un système qui écrasait les espoirs et les aspirations de ceux qui osaient rêver de liberté." Pourquoi pas, mais le récit est un peu alourdi, je trouve. Essaie d'être plus concis ? Mais je chipote. L'ensemble est bien.
Et comme le prologue, il se termine par un cliffhanger qui fait qu'on en redemande encore.
J'ai adoré aussi la description de l'exécution, que ce soit sur le plan physique ou émotionnel.
D'ailleurs, cette exécution m'a fait penser à celle de Gol Roger dans One Piece 😁
Justement, j'ai tellement aimé ce passage que j'aurais voulu aussi lire l'émotion ressenti par Eiran au moment où Hazel vient de se faire exécuter ainsi que celle de la foule qui assistent à l'exécution. Ce n'est qu'une simple proposition bien entendu et je dirais pas que c'est capital mais à titre perso, ça me plairait beaucoup 😁
Je me demandais aussi, je ne me souviens pas si c'était le cas dans le prologue mais y'a-t-il une indication de l'âge d'Eiran dans le prologue ?
Car je ne sais pas pourquoi, dans ma tête je le pensais plutôt très jeune (genre dans la vingtaine) mais comme ici il est mentionné qu'il a quitté la police depuis longtemps, ça me fait conclure qu'il est sûrement bien plus âgé (genre 35 ou 40 ans).
Je me trompe peut-être. Mais je trouve que ça serait bien d'avoir une indication sur son âge dans les premiers chapitres 😊
I
Pour te répondre, je suis contente déjà de voir que la référence de l'execution soit "visible". Je trouve celle de Gol Roger tellement iconique, que je me "devais" de faire une référence. Je comprends parfaitement ce que tu veux dire, et si cela peut te rassurer il est prévu que dans les autres chapitres il y est à nouveau des flashbacks, notemment sur l'execution. Elle marque, après tout, un tournant fort aussi bien dans la vie de Eiran que dans celle de Adonis ! 😊
Concernant l'âge de Eiran, tu n'as pas tort. Il faudrait en effet que je le précise, même si je ne vois pas exactement comment le mettre pour que ce soit naturel. Je peux cependant te confirmer que ta première impression n'était pas fausse, Eiran est dans la vingtaine enfin... Plus proche de la trentaine x) Il a 28 ans xD
Merci encore de tes commentaires. J'adore lire tes avis, je les trouve très constructif et ça me fait énormément plaisir de voir que je ne suis pas la seule à adorer Eiran (même si ce n'est pas mon personnage favori chuuut... 🤫🤫)