« La sculpture donne de l'âme au marbre. »
- François-René de Chateaubriand
Lěng Eiran
Poste de Police
District de Tongzhou, Pékin
Les premiers mots que prononça Eiran en descendant du taxi furent simples : « Laissez-moi ici. » Sans même accorder une seconde de plus à l'argent qu’il donna au chauffeur, il se hâta vers le hall du poste de police. Son esprit était en ébullition, sa poitrine serrée par l'urgence de la situation.
Mais dès qu'il pénétra dans le hall, il sentit une atmosphère lourde s'abattre sur lui. Il se figea, ses yeux balayant rapidement la pièce. Tous ses anciens collègues étaient présents, leurs regards scrutateurs se posant sur lui avec une curiosité mal dissimulée.
Il pouvait entendre leurs voix, chuchotant à propos de lui, sans même chercher à être discrets. Chaque mot était comme un coup de poignard dans son dos, ravivant des souvenirs douloureux et des sentiments de trahison. Il avait été l'un d'entre eux, mais maintenant, il était un étranger dans sa propre maison. Il était réduit à être celui qui avait couché avec l’ennemi, mais oubliaient-ils tous qu’ils avaient tous apprécié ce dit ennemi ?
Eiran était profondément troublé par cette confrontation soudaine avec son passé. Son cœur battait à toute allure, et son souffle devenait court. Redressant les épaules et levant le regard, il se concentra sur l'importance de sa mission, bien plus cruciale que les opinions des autres.
Eiran accueillit la secrétaire avec un sourire chaleureux, espérant dissimuler son trouble intérieur.
— J'ai rendez-vous avec monsieur Walker. Il a dû vous en informer, n'est-ce pas ?
— Eh bien... Je vais prévenir monsieur de votre arrivée. Veuillez patienter ici, monsieur.
La jeune femme lui fit signe de s'asseoir sur les fauteuils de l'entrée avant de disparaître rapidement à l'étage. Eiran s'installa, tentant de se détendre en se penchant en arrière et en se balançant légèrement sur le fauteuil. Mais la tranquillité fut de courte durée.
Un policier s'approcha de lui, les traits marqués par une expression hautaine et désapprobatrice. Il se planta devant Eiran, les bras croisés.
— Tu n'as donc aucune honte de revenir ici, Lěng ?
Eiran leva les yeux vers lui, un mélange de fatigue et d'exaspération dans le regard.
— En six ans, tu n'as toujours pas changé de discours ?
Le policier ne se laissa pas démonter.
— Que fais-tu ici ?
Eiran soupira, agacé, mais déterminé à rester calme.
— Alistair m'a contacté. Ne crois pas que je suis ici par plaisir. J'aurais préféré rester chez moi seul plutôt que de revoir vos têtes.
Le policier serra les dents, prêt à répliquer, mais fut interrompu par la voix de la secrétaire qui revenait.
— Monsieur Walker vous attend.
Eiran se leva sans un mot, adressant un dernier regard au policier avant de suivre la secrétaire. Ses pensées étaient encore tourmentées, mais il savait qu'il devait rester concentré.Il devait encore comprendre pourquoi ce colis d’Hazel était arrivé maintenant, à ce moment précis.
***
La porte s’ouvrit avec hâte, laissant apparaître Eiran au visage fermés. Il observa le bureau d’Alistair rangé et propre, comme sa personne. D’ailleurs, l’homme blond se retourna et arbora rapidement un visage fermé.
— Tu es enfin là.
Alistair n’hésita pas à le regarder de haut en bas comme s'il cherchait à l’analyser, à voir comment en ses six ans, il avait évolué.
— J’ai fait au plus vite. Où est le… -
Sans même lui laisser le temps de continuer, Alistair désigna d’un mouvement de tête le carton qui reposait sur la table. Eiran s’en approcha à pas de loup craignant de découvrir son contenu. Il fit glisser ses doigts sur l’encre, reconnaissant entre mille l’écriture de Hazel. Il soupira, tentant de calmer le rythme effréné de son cœur tendis qu'il espérait secrètement que Hazel pouvait en être sérieusement l’auteur. Il préférait ignorer les signes de la vérité, les chassant d’un revers de main et ouvrit le carton.
L’intérieur du carton se décomposa en deux parties distinctes : Des cadeaux soigneusement emballés dans un papier de soie rouge rubis nacré, une légère odeur de tamaris* lui rappelant le parfum de son défunt amant, et enfin une carte fermée par un ruban de soie rouge clair brillant. Eiran attrapa délicatement la carte, sous le regard intrigué d’Alistair, humant le papier tout en se marmonnant quelques mots de courage avant de l’ouvrir.
« Je ne sais pas quand tu vas lire cette lettre, mais joyeux anniversaire Eiran. J’espère que tout se passe comme tu veux, et que tu es heureux. J’imagine que ça doit être compliqué depuis que je suis absent, enfin, j’espère, ne serait-ce qu’un peu… Je voudrais tant que tu ne m’oublies pas si vite Eiran. Je suis désolé, c’est égoïste. Je suis désolé de ne t’avoir rien dit, de t’avoir trahi, et surtout de ne plus être là. Cependant, je dois quand même te dire que jamais je ne regretterai mon choix d’être décédé pour la cause que sers. Elle est si grande et juste… Mais je doute que tu puisses la comprendre un jour.
Comme dernier cadeau d’anniversaire, je t’offre quelque chose que tu as toujours voulu. Même si le temps m’en a empêché. Je te laisse avec la liste que je t’ai soigneusement préparée. Lis là bien.
1 - Alors que le soleil se couche
2 - Cherche bien et trouve moi
3 - Hâtes toi, lentement
4 - Il te faut sourire
5 - La loi du plus fort
6 - Le péché originel est la foi
7 - Et nous sombrons tous
8 - Seulement, nous serons libres
9 - Alors que nous sauvons le pays
10 - Ou bien serons-nous mort avant ?
11 - Ultime espoir de la nation,
12 - Est espoir !
13 - Sérieusement…
14 - Tout va bien aller. »
Eiran termina de lire la lettre à voix haute, reposant la lettre sur le bureau avant d’attraper le premier cadeau et de le déballer avec délicatesse. Mais cette délicatesse disparut aussi vite dès l’instant où son regard se posa sur l’objet. Eiran lâcha brutalement la pochette, reculant de plusieurs pas comme pour calmer son choc.
— Eiran ! Qu’est-ce qui se passe ?
Alistair se précipita à ses côtés, ramassant la pochette.
— Ne… Ne touche pas ça !
Mais avant même qu'Eiran pût arrêter Alistair, il avait déjà regardé le contenant. Son teint pâlit, sa pomme d’adam bougea avant qu’il ne daigne enfin poser son regard sur lui. Le policier resta silencieux, regardant Eiran dans les yeux comme si ce dernier pouvait lui apporter une quelconque explication rationnelle sur la présence de cet annuaire coiffé d’une bague de fiançailles.
— C’est…
— Oui, c’est sa bague Alistair. Sa putain de bague ! Comment c’est possible ?! Il a été jeté dans une fosse commune ! Comment… Comment a-t-on simplement pu ?
— Alors c’est aussi son doigt…?
— J’en sais rien ! Tu penses vraiment que je serais capable de reconnaître le doigt de mon fiancé en six ans ?! Il ne doit rester que ses os aujourd’hui !
Les deux hommes commencèrent à s'énerver mutuellement, mais trois coups distincts sur la porte les arrêtèrent. Eiran s’empressa de tout ranger dans la boîte, se disant qu’il continuerait plus tard et seul, sans les questions étranges d’Alistair pour le distraire.
— Monsieur… On a reçu un bouquet.
À cette nouvelle, les deux hommes se regardèrent. Dans un accord mutuel, ils ouvrirent la porte et Alistair récupéra le bouquet pour le déposer sur le bureau, et l’observa de longues minutes dans le silence.
— Des saxifrages* et des seringas*…
— Charon pour un meurtre artistique. Compléta immédiatement Eiran.
Alistair soupira de frustration, récupérant rapidement sa veste.
— Viens avec moi. Tu vas nous aider.
— Je ne suis plus policier Alistair !
— J’en ai rien à foutre Eiran ! C’est une urgence !
***
District de Fengtai, Pékin
En arrivant sur la scène de crime, la statue se dressait là, imposante et majestueuse. C'était une femme sculptée dans le marbre le plus pur, sa peau de pierre lisse et froide sous le toucher. Son visage exprimait une sérénité profonde, les traits délicats et apaisés, comme figés dans un moment de repos éternel. Ses yeux fermés, ses lèvres légèrement courbées en un sourire énigmatique, laissaient transparaître une paix intérieure.
Ses membres gracieux étaient ornés de fleurs de saxifrages, chaque tige servait à relier ses bras et ses jambes, formant une guirlande naturelle qui contrastait avec la rigidité du marbre. Les fleurs semblaient presque vivantes, leurs pétales finement détaillés ajoutant une touche de douceur à l'ensemble.
Les deux hommes observaient la situation sans réellement comprendre comment on avait pu associer cette sculpture à un meurtre cruel d’Adonis*. Pourtant, la présence des saxifrages leur suffisait à tous à confirmer l’action du groupe.
— Qu’est-ce que nous avons là Wang ? Où est donc le corps ?
— Ici monsieur. Le technicien de la police technique et scientifique pointa la statue avec un air à la fois dégoûté et admiratif de la situation.
— Je te demande pardon ? Tu es en train de me dire que ces taré, on mit un corps à l'intérieur ?
— C’est exact monsieur.
Eiran n’avait pas attendu Alistair pour s’approcher de l'œuvre d’art, frôlant le marbre du bout de ses doigts. La fraîcheur du matériau le fit frémir, se mordant alors la lèvre. Cette femme semblait si apaisée, si calme. Eiran était admiratif du travail de cet artiste. Ça avait été réalisé par un homme passionné qui avait réussi à rendre le corps de cette femme sublime.
— C’est un chef d’œuvre. Un vrai.
L'autre technicien présent regarda Eiran avec un mélange de chocs et d'incrédulité. Il ne s'attendait clairement pas à ce qu'un policier affirme haut et fort ce que tout le monde pensait tout bas. Leur travail était d'arrêter ces révolutionnaires, mais toute l'équipe de la police scientifique s'accordait à dire que ce qu'Adonis réalisait lors des meurtres artistiques était splendide. Des génies du mal certes, mais des génies artistiques.
Dans le regard de son collègue, Eiran discerna un mélange de surprise et de trouble. Ils étaient tous les deux confrontés à une réalité étrange : comment condamner quelqu'un, dont les actes, bien que monstrueux, étaient imprégnés d'une créativité aussi saisissante ? Cette dualité rendait leur tâche encore plus complexe, car elle les confrontait à une forme d'admiration mêlée à l'horreur.
— Eiran ! Je pensais que tu ne voulais pas te replonger là-dedans.
La voix d'Alistair perça le silence lourd, tirant Eiran de ses pensées. Eiran se tourna brutalement vers lui, son regard intense et perçant. La tension entre eux était palpable, un mélange d'inquiétude et de défi.
— Alistair, répondit Eiran, sa voix teintée d'une émotion contenue.
— Oui ? Alistair répondit, légèrement sur la défensive, prêt à une confrontation verbale.
— Rembauche-moi, dit Eiran, ses mots lourds de détermination.
Un silence s'installa entre eux, lourd de sous-entendus et de ressentiments passés. Alistair savait ce que signifiait la demande d'Eiran. Il savait que cela impliquait de rouvrir des blessures qu'il aurait préféré voir cicatrisées, mais il avait besoin du génie du garçon.
— D'accord, répondit Alistair finalement, avec un soupir résigné. Mais si tu te retrouves trop impliqué, je t’enlève immédiatement de l’affaire.
Petite explication concernant le langage floral. C'est un jeu du chat et de la souris entre Adonis et la police. Depuis toujours, Adonis prévient toujours la police de ce qu'ils vont faire et qui de chez eux va le faire à travers un bouquet qu'ils envoient. Au fur et à mesure de l'enquête, les policiers ont commencé à associer les fleurs aux membres et à leurs actions pour comprendre ce qu'ils allaient découvrir. J'espère que c'est clair !
*Tamaris : Fleur qui signifie la protection.
*Saxifrage : Fleur qui signifie l’affection et/ou le désespoir. Associé au membre Charon.
*Seringas : Fleur qui signifie la mémoire. Associé, pour la police, au meutre artistique.
J'aime bien la tension qu'il y a entre Eiran et ses anciens collègues, ça ajoute un peu de piment 😆
Juste en ce qui concerne la note que tu as laissé en bas du chapitre (au sujet des fleurs et du rôle qu'elles jouent), je trouve que ça serait plus intéressant de l'intégrer directement dans la narration qu'en notes. 😊
"Cependant, je dois quand même te dire que jamais je ne regretterai mon choix d’être décédé pour la cause que sers." : je crois qu'il manque un mot à la fin. Surement "que je sers" ?
Alors, c’est un peu lourd, peu être trop de verbes qui se répètent ? En gros, tu dis la même chose en deux phrases : il faut en supprimer une ! « Troublé par cette confrontation soudaine avec le passé, Eiran, le souffle court, sentait son cœur battre à toute allure ». C’est un exemple, mais c’est plus fluide ainsi.
« visiblement non-heureux de le voir même si c’était lui qu’il l’avait invité à venir. » : Il a le visage fermé, on devine donc la suite, qui est superflue. Je pense que c’est une redite que tu dois enlever.
« Son ton était jugeur. » : je pense que tu peux aussi l’enlever, on comprend déjà ce qui se passe.
« Eiran s’en approcha à pas de loup comme une crainte de découvrir son contenu » : comme craignant de... ? Comme redoutant son contenu ?
« comme s'il espérait secrètement que Hazel » : répétition de comme !
« Elle est si grande est juste » : et juste
« Mais cette délicatesse disparue » : disparut
« Son teint pâli » : pâlit
« Tu penses vraiment que je serai » : serais
« Dans le regard de son collègue, Eiran discerna un mélange de surprise et de trouble. Ils étaient tous les deux confrontés à une réalité troublante » : on a trouble et troublante répétés, peut-être changer un mot ? « Etrange, curieuse... » ?
« Défi » est aussi répété deux paragraphes après.
« . La tension entre eux était palpable, un mélange d'inquiétude et de défi. »
« ses mots lourds de détermination et de défi. »
Laisse juste « détermination », peut-être ?
Tu es vraiment dans le détail, c’est très intéressant. Mais parfois trop ! Il faut que tu laisses la place au lecteur d’imaginer les choses… à mon humble avis, sois plus direct, concis.
Sinon, ton texte est toujours très bon !