Chapitre 1 : Le serpent

 

Il fixait l’horizon boisé sans mot dire. Asha serra Eryn contre elle et s’approcha.

— Lohan ?

Le jeune homme se tourna vers elle. Son regard était dur. Dur et déchiré.

Elle baissa la tête.

— Tu dois partir, c’est ça ?

Il eut un mouvement de recul, comme s’il recevait un coup.

— Je…

Il soupira.

— J’ai une mission à accomplir.

— Vas-y, alors.

— Non !

Il sembla se surprendre lui-même et se pinça les lèvres.

— Je ne peux pas te laisser, pas avec ces meurtriers tout près de toi.

Elle haussa les épaules comme si ce n’était pas grave. Elle refoula l’angoisse qui montait et lui sourit.

— Je crois que tu les a dissuadés de revenir…

— Ce ne sera pas suffisant, tu le sais comme moi.

— Maintenant que j’ai les pouvoirs d’une Arsalaï, je peux dresser une barrière autour de mon territoire. Quiconque y pénètre est désorienté et revient inexorablement vers l’extérieur.

Il secoua la tête.

— C’est trop dangereux, Asha. Je ne peux pas t’abandonner. Pas encore une fois.

La jeune mère s’humecta les lèvres, cherchant ses mots. Il fallait qu’elle le rassure lui, à défaut d’elle-même.

— Ça ne se reproduira pas.

— Tu n’en sais rien.

Il fit quelques pas, nerveux.

— Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? lança-t-elle. Abandonner la Faction Étoilée ?

Il se figea et serra les poings.

— Je ne peux pas faire ça.

— Alors, pars.

— Asha.

Il se tourna brusquement vers elle. Ses yeux noirs se plantèrent dans les siens.

— Et toi, que vas-tu faire ? Tu vas élever seule ton enfant ?

— Oui.

— Tu es inconsciente ! Rejoins ta tribu, plutôt !

— Je… non…

— Pourquoi ?

— Parce qu’Eryn porte ton sang autant que le mien… si on se rend compte qu’elle est une Sang-Mêlée…

Asha déglutit et serra encore plus son bébé contre elle. Le nouveau-né dormait profondément, diffusant une chaleur caressante dans ses bras.

— Je ne veux pas qu’elle ait à subir ça.

— Mais qu’est-ce que tu es butée !

Il se passa une main fébrile sur le front.

— Je reste encore un peu, siffla-t-il. Je réfléchis.

— Je vais tisser l’enchantement, alors. Tiens-la moi s’il te plaît.

Le visage du jeune homme perdit toute sa dureté quand elle lui mit le nourrisson dans les bras.

— Mais… attends…

Elle l’ignora et se détourna. C’était puérile, elle le savait, mais elle voulait que Lohan aime cet enfant autant qu’elle.

La jeune femme prépara un cercle d’enchantement en chantonnant. Il lui manquait de nombreux talismans, mais elle savait qu’elle pourrait procéder sans. Elle avait plus que jamais conscience du Silh qui courait sur sa peau.

Lorsqu’elle eut fini de dessiner des signes alambiqués autour du cercle, elle se plaça au milieu et inspira. Elle s’immergea avec délice dans les sensations de la dimension spirituelle. Ici, elle avait l’impression de pouvoir étreindre le monde. Elle percevait deux flammes près d’elle. Lohan s’était assis non loin du cercle pour l’observer, sa fille dans les bras. À eux deux, ils étaient plus lumineux que toute la forêt. Elle sourit devant la beauté de ces deux étoiles.

Asha élargit encore ses sens qui englobèrent tout son territoire. La vie y fourmillait, bruissante, chaleureuse. Et parfois cruelle. Elle délimita précisément ce qu’elle voulait protéger. Puis, elle commença à danser.

Elle n’était pas certaine de reproduire les mouvements exacts du rituel, mais elle savait néanmoins qu’ils feraient leur effet. Son corps ondulant créait des vagues dans le Silh, un flux qu’elle parvenait à sculpter selon ses envies. Elle ajouta quelques paroles qui formèrent des ondes dans le courant spirituel.

Elle accéléra ses mouvements. C’était si facile. Elle fut prise d’une fièvre. Elle dessina l’enchantement d’une voix frémissante, son corps lancé toujours plus vite. La barrière prit consistance dans le Silh. Il n’y avait plus qu’à y ajouter quelques formules.

Asha s’immobilisa, son œuvre accomplie. Elle avait réussi à elle seule à reproduire ce que trois Arsalaïs nécessitaient d’ordinaire. Elle n’y croyait pas elle-même.

Lohan était confus, comme à chaque fois qu’il la voyait danser. Elle devait avouer qu’elle ne détestait pas le regard qu’il portait sur elle sans s’en rendre compte.

— Voilà, souffla-t-elle, c’est bon. Aucun humain ne peut plus parvenir jusqu’ici. Sauf si c’est un Porteur.

Le jeune homme fronça les sourcils.

— « Sauf si c’est un Porteur » ?

— Ils sont presque insensibles aux enchantements. Mais je ne pense pas que ceux qui m’ont attaquée aient des Porteurs dans leurs rangs.

Eryn commença à remuer dans les bras de son père. Ce dernier s’empressa de la tendre à Asha.

La jeune femme berça son enfant avec un sourire fatigué.

— C’est dommage, murmura-t-elle, j’aurais bien aimé qu’elle ait ta peau.

L’ombre grandit sous les sourcils de Lohan.

— Pardon ?

— J’aime cette couleur, ce brun clair, c’est si joli.

Il soupira.

— Tu es vraiment bizarre. Il vaut mieux pour elle qu’elle ressemble aux gens d’ici.

— Lohan…

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Tu peux partir, désormais. Je suis protégée par la barrière.

Il ne répondit pas et attrapa un récipient rudimentaire.

— Je vais chercher de l’eau, annonça-t-il en se détournant.

Asha le regarda s’éloigner, un sourire désolé flottait sur ses lèvres.

 

*

 

Kurtis se réveilla entre ses deux sœurs. Il ne put s’empêcher de sourire, rien n’était plus agréable au monde. La douleur dans son bras se réveilla sans attendre, il grimaça mais prit garde à ne pas faire de bruit pour ne pas gêner le sommeil d’Ealys et Keira. Il étira le cou pour voir que son père n’était pas dans son lit. Il devait être occupé à préparer le Sabbah. Kurtis sentit une pointe de douleur dans son abdomen. Il ne pourrait pas accompagner ses sœurs dans ce voyage merveilleux.

Une main se posa sur son épaule et la serra doucement. Keira, un œil ouvert, lui sourit. Elle approcha son visage et l’embrassa sur le front. Le jeune garçon sentit des larmes lui piquer les yeux.  Ça lui avait manqué.

— Non, pas ici le péyé ! s’écria Ealys en se redressant.

Ses yeux bouffis papillonnèrent et promenèrent un regard médusé aux alentours.

— Ah… c’était un rêve…

Keira se mit à rire, vite accompagnée par le reste de la fratrie.

Aedan apparut alors à l’embrasure de la porte.

— Keira, Ealys, venez aux préparations, lança-t-il de sa voix de chef.

Les deux jeunes femmes hochèrent la tête et s’extirpèrent des draps pour s’habiller avec empressement. Kurtis les regarda faire sans mot dire. Il n’avait pas pu maintenir le sourire sur son visage. Son père le fixa un instant, muet.

— Ça fait encore mal ? demanda-t-il d’une voix étrangement tenue.

— Un peu, mais ça guérit bien…

— C’est… une bonne nouvelle.

Son ton hésitant rasséréna Kurtis. Il lui donna le courage de se lever et d’étreindre Aedan qui ne put cacher sa surprise.

— Tu m’as manqué, Papa, souffla-t-il.

Une large main un peu tremblante vint lui caresser la tête. Il eut l’impression d’être retourné en enfance. Quand Asha et Séla étaient encore vivantes.

— On y va ! lança Keira en suivant sa sœur.

Aedan se dégagea doucement.

— Moïa veut te parler, dit-il. Elle t’attend dans la hutte des Arsalaïs.

Kurtis hocha la tête et s’habilla avec regrets. Il sortit dans l’air frais de la saison des fleurs, saisi par le parfum doucereux du pollen. Il traversa le village comme il l’avait fait tous les jours de sa vie. Mais cette fois-ci, les sourires qu’on lui adressait étaient crispés, les regards pesants et les saluts  trop protocolaires. La plaie sur son bras se mit à le démanger.

Il parvint à la hutte des Arsalaïs, les jambes un peu tremblantes. L’atmosphère y était moite et dense comme à l’ordinaire. Ce lieu familier lui fit oublier un instant l’animosité du village.

— Bonjour, enfant, souffla la voix de Moïa dans la pénombre.

Une unique torche brûlait dans le bâtiment, bien insuffisante pour chasser l’obscurité caressante qui s’y épanouissait.

— Bonjour Ma, lança-t-il.

Lorsqu’elle leva une main à peine discernable pour attraper une écuelle pendue au plafond, il fut saisi d’un frisson. C’était cette même main qui avait tracé sur sa peau la marque sanguinolente de sa faute.

— J’ai fait un rêve étrange, dit la vieille femme sans se départir de son sourire chaleureux. Un rêve qui t’impliquait, Kurtis.

Il s’assit en tailleur en face d’elle, incapable de retenir son inquiétude.

— Et que… que disait ce rêve ?

— C’était vraiment particulier…

Elle broya une fleur d’agmiopée dans l’écuelle.

— Mais je crois en avoir compris le sens.

Il se passa une main nerveuse dans les cheveux.

— Tu n’auras pas ton totem, Kurtis.

Il eut l’impression qu’un gouffre se creusait soudain dans son cœur. Ses mains furent agitées de tremblement.

— Du moins tant que tu restes ici.

Elle prit une grande inspiration.

— Il faut que tu te joignes au convoi qui se rend au Sabbah.

— Mais… je ne peux pas… je n’ai pas mon totem.

— Je tâcherai de convaincre Saoirse et ton père.

Un sourire encore plus grand étira les rides de Moïa.

— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu puisses y aller, Kurtis.

Il fut pris d’une bouffée de gratitude.

— M… merci Ma.

— Ton totem sera puissant, je le sens… Qui sait ? Peut-être pourras-tu embrasser la forme de ton Esprit totem, comme le faisant les Anciens.

— Ça fait des siècles que plus personne n’a réussi à se métamorphoser… pourquoi moi, j’y arriverais ?

— Je ne sais pas. Ce que je voulais te dire, c’est que tu dois avoir confiance, en toi et envers les Esprits. Ton totem répondra présent.

— Merci..

— Assez de politesse comme ça. Maintenant, récite-moi les plantes que l’on peut utiliser contre les infections. J’espère que tu n’as pas tout oublié pendant ta retraite.

Il eut un sourire incertain.

— Je vais essayer de m’en souvenir…

 

*

 

L’air était imbibé de la mort. Depuis l’avant-veille et le retour de l’expédition punitive, les gémissements des blessés se mêlaient à la toux des malades. Clervie allait et venait, chargée de plantes médicinales. Un sourire bienveillant flottait sur son visage et sa patience s’étendait à l’infini.

Elle savait que sans elle, ils n’auraient pas survécu à ce nouveau coup.

Elle s’activait, soignait. Mais elle ne parvenait pas à masquer les tremblements de ses mains ni le pli à la commissure de ses lèvres. À chaque geste qu’elle faisait, à chaque sourire qu’elle offrait, elle se demandait s’ils le méritaient. Ainsi, ses mouvements devenaient chaque heure plus mécaniques, plus tendus. La rage enflait sous sa peau, silencieuse, elle s’étendait.

Heureusement, ces villageois étaient trop obnubilés par leurs problèmes pour remarquer les fissures de son visage.

— Clervie… appela la voix faible d’Amaya.

La jeune femme se rendit au chevet de la prêtresse. Cette dernière avait été touchée au visage. Une balafre en cours de cicatrisation naissait sur sa tempe droite pour mourir sur les coins de ses lèvres, passant sur un œil qui ne verrait plus.

— Qu’est-ce qu’il y a, tu as mal quelque part ?

— Non…

Le regard fiévreux, elle dut faire une pause pour reprendre son souffle.

— Angelus… comment va-t-il ?

La guérisseuse observa sa patiente, touchée malgré elle.

— Il ne donne pas signe de vie depuis qu’il s’est enfermé dans le confessionnel. Je crois qu’il ne se porte pas mieux que toi.

— Ah…

La voix d’Amaya s’évanouit dans l’air. La tristesse baignait son œil survivant.

— Je… je voudrais lui parler…

— Je vais l’appeler, mais il n’écoute personne. Il ne mange même plus.

La jeune prêtresse fronça les sourcils. Elle leva une main enserrée dans un bandage.

— Essayez… s’il vous plaît…

— C’est d’accord.

Clervie serra brièvement la main d’Amaya avant de se relever. Ce regard si doux, elle ne pouvait pas le haïr. Elle traversa le temple en slalomant entre les couches gémissantes. Plusieurs volontaires l’aidaient à gérer la crise et s’affairaient entre les victimes. Elle laissa la dureté de son cœur imbiber ses prunelles une fois hors de portée des regards, face au confessionnel. Cette pièce circulaire était grillagée, aussi put-elle distinguer la toge blanche d’Angelus recroquevillé dans le fond.

— Maître trion, votre femme veut vous voir, lança-t-elle d’une voix qui se teintait de sévérité.

Le corps en face d’elle eut un soubresaut, mais aucune réponse ne parvint à la soigneuse.

— Amaya vous demande !

Des boucles blondes sales s’agitèrent dans la pénombre. Un pied émergea de la toge pour s’avancer. Clervie fut prise d’un espoir mais Angelus finit par se tasser de nouveau. La jeune femme tenta de pénétrer son esprit. Un flot de pensées visqueuses l’envahit, elle sut qu’elle ne parviendrait pas à le vaincre. Elle serra les poings mais n’insista pas. Elle brûlait pourtant de voir le prêtre sur pieds, et pas pour son bonheur. Elle avait des comptes à régler avec celui qui avait vraisemblablement tué Asha.

 

*

 

L’agitation régnait sur la place centrale depuis plusieurs jours. Keira voyait défiler sous ses yeux les plus belles pièces d’artisanat, des empilements d’ustensiles et de tissus ainsi que des colliers colorés qu’elle aurait bien aimé porter. Les Teacs s’étaient surpassés ces sept dernières années, tout ce qu’ils avaient produit permettrait à la tribu de troquer des denrées qu’elle ne trouvait pas sur ses terres. La jeune fille aidait à empaqueter des rouleaux de soie avec Oèn pendant que son père supervisait le tout.

Baignée dans cette atmosphère fébrile, elle avait du mal à réfréner son enthousiasme. Le Sabbah ne se déroulait que tous les sept ans, c’était peut-être sa seule chance d’y participer puisque chaque nouvel adulte avait droit au voyage.

Lors du précédent départ, elle avait suivi le convoi en cachette tant elle voulait le rejoindre. Ce jour-là, elle était accompagnée d’Asha, Kurtis, Ealys, Oèn et Artis. La petite bande avait réussi à passer inaperçue jusqu’à la Frontière avant de se faire repérer par un aigle patrouilleur. Aedan les avait sévèrement grondés, Asha lui avait alors dit qu’elle était triste qu’ils doivent se quitter pendant plusieurs lunes. Cela avait eu pour effet d’écourter le sermon et ils s’étaient fait gentiment raccompagnés jusqu’au camp.

— C’est notre saison, lui souffla Oèn alors qu’ils s’étaient arrêtés pour observer un pilier savamment gravé passer devant eux.

Keira hocha la tête. Mais ce souvenir ravivé lui laissait un goût amer sur la bouche. Artis aurait dû y aller, aussi. Elle avait toujours rêvé de découvrir les autres tribus. Elle aurait dû être là, à cette heure, à rigoler en travaillant.

Et Asha aussi.

— Ça ne va pas ? s’enquit Oèn.

Elle haussa les épaules.

— Je me suis laissée distraire. Passe-moi ce sac, s’il te plaît.

Elle remarqua du coin de l’œil que son père avait quitté la place centrale pour se diriger vers la hutte des Arsalaïs. Elle se demanda ce qui avait bien pu se passer pour qu’il y soit convoqué.

— Oupf, c’est lourd, râla son compagnon en transportant un panier de poteries.

— Attends je vais t’aider…

Une musique joyeuse s’éleva dans l’air. Yonys, le chef des Teacs, avait sans doute ordonné qu’on teste les instruments de musique avant de les charger. Cet essai mélodieux sonna la pause de tous les travailleurs qui se mirent à danser, profitant de l’absence d’Aedan. Oèn entraina Keira près des instrumentistes amusés par l’effet qu’ils produisaient. L’agitation alentours se para de joie, un sentiment peu présent ces dernières lunes.

Keira aperçut à ce moment son frère courir vers elle, un grand sourire aux lèvres.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle lorsqu’il arriva à sa hauteur.

Il prit une seconde pour reprendre son souffle, les yeux brillants.

— Je viens avec vous au Sabbah, annonça-t-il fièrement.

— Vraiment ? Mais tu n’as pas de totem !

— Moïa a reçu un signe des Esprits, elle a intercédé en ma faveur. J’ai exceptionnellement le droit de m’y rendre.

Une bouffée de bonheur s’empara de Keira. Elle prit son frère dans ses bras. Ce dernier paraissait heureux, bien plus qu’il l’avait été ces dernières lunes. Elle dansa avec lui jusqu’au retour d’Aedan. Il balaya l’assemblée joyeuse d’un regard sans équivoque. Chacun retourna à son poste et la jeune fille salua son frère qui était attendu à la hutte des Arsalaïs.

— C’est super, commenta Oèn alors qu’ils reprenaient leur travail. On aurait pas été au complet sans lui !

Keira songea qu’ils n’étaient de toute manière pas au complet, mais elle refoula cette pensée perverse et sourit à son compagnon.

— Ce soir, j’aimerais qu’on passe un peu de temps seuls à la cascade, qu’est-ce que tu en dis ? lui dit-il d’une voix étrangement nerveuse.

— Avec plaisir, répondit-elle, intriguée.

 

*

 

Ils furent libérés de leur labeur après le coucher du soleil. Ils mangèrent rapidement et enfourchèrent leur monture pour se rendre à la cascade. L’écume éthérée éclatait de blancheur sous la lumière sereine d’une lune presque pleine. Malgré l’incessant grondement de l’eau, l’endroit était calme et reposant. C’était la première fois qu’ils y retournaient ensemble depuis le début de la saison froide.

Ils libérèrent leurs chevaux et grimpèrent au-dessus de la cascade. Keira inspira l’air frais avec délice, éclaboussée par quelques gouttes vivifiantes. Elle sentit des bras l’enlacer et se perdit dans la chaleur de son compagnon. Il l’attira sous un saule, et promenant des mains caressantes sur son corps, l’embrassa. Elle rendit son baiser et répondit à ses caresses avec autant d’ardeur.

Le clair de lune accueillit leurs soupirs dans le murmure de la nuit. Keira s’assoupit doucement sous les étoiles, lovée contre Oèn qui réchauffait son corps comme son cœur. Il la réveilla néanmoins quelques heures plus tard. Il semblait plus nerveux que jamais.

— On est plein de terre et d’herbe, dit-il, ça te dirait une petite baignade ?

L’obscurité l’empêchait de bien distinguer son visage, mais elle aurait juré que ses joues étaient cramoisies. Elle hocha la tête, intriguée, et saisit la main qu’il lui tendait.

L’eau était froide, glacée même. Elle y pénétra avec un sourire un peu crispé. À cet endroit, les flots bouillonnants se paraient de nacre. La bruine de la cascade formait un halo scintillant autour de ses épaules. Une fois le froid passé, elle oublia ses membres engourdis et nagea avec Oèn. Tout était singulier sous les étoiles, l’eau couleur de néant, les arabesques formées par les reflets de la lune… quand elle plongeait, un silence ouaté irréel envahissait ses sens.

Elle avait l’impression d’être dans un autre monde.

Alors qu’elle émergeait d’une longue apnée, elle fut aspergée par son compagnon. Elle le poursuivit dans la rivière, répliquant à coup d’éclaboussures, seulement guidée par la pâleur du dos qui la fuyait. Elle finit par arriver à un rocher qui surplombait l’eau. La silhouette d’Oèn se dressait fièrement à son sommet.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle en riant.

Elle distingua alors les contours d’un objet touffu qu’il tenait dans ses mains. Il descendit précautionneusement du rocher et s’approcha d’elle en silence. À cet endroit, l’eau leur arrivait aux hanches. La lumière de la voûte céleste suffisait à Keira pour qu’elle reconnaisse la couronne de fleurs et de lianes tressées qu’il lui présentait.

— Si je dois élever des enfants, ce sera avec toi, déclara-t-il d’une voix tremblante. Je veux m’unir à toi devant les Esprits.

Éprise d’émotions qu’elle ne pouvait retenir, elle oublia le décor évanescent et le gel qui gagnait son corps. D’un sourire teinté de larmes, elle pencha la tête pour qu’il puisse déposer la couronne sur sa tête

— Merci… souffla-t-elle.

— Merci à toi.

Elle l’étreignit jusqu’à ce que leur silhouette se confondent. Papillonnant dans le ciel, leurs ancêtres semblaient les contempler avec bienveillance.

 

*

 

— Lohan…

Le jeune homme ouvrit les yeux. Le visage d’Asha s’offrit à lui.

— Qu’est-ce qu’il y a ? grinça-t-il en émergeant du sommeil.

La jeune mère se mordillait les lèvres.

— Je vais retourner chez moi, souffla-t-elle d’une voix incertaine.

Il se redressa.

— Vraiment ?

— Je… je pense que tu as raison. C’est trop dangereux pour moi de rester ici.

Elle promena son regard hésitant sur le paysage matinal.

— J’ai réfléchi cette nuit. Je vais essayer de ruser. Et même si on découvre qu’Eryn est une Sang-Mêlée… tant qu’elle est bébé, elle ne craint pas grand-chose… à part la haine de mes semblables.

Lohan contempla le doute qui habitait l’expression d’Asha. Les doigts de la jeune femme étaient crispés sur ses genoux.

— Tu as pris la bonne décision, déclara-t-il sans en être sûr lui-même.

Un sourire fade étira les lèvres de la Sylvienne. Elle se leva et se détourna de lui.

— Désolée de t’avoir réveillé, lança-t-elle. Je vais préparer le voyage.

— Moi aussi je vais partir.

Alors qu’ils se changeait, le soulagement l’envahit. Asha serait protégée par sa tribu, il pouvait la laisser l’esprit tranquille.

 

 

— On… on risque de ne pas se revoir de sitôt… murmura-t-elle.

Elle sembla beaucoup plus triste qu’elle n’aurait dû l’être face à son assassin. Mais il ne pouvait que la comprendre, lui non plus ne voulait pas la quitter.

 

*

 

Ils étaient tous deux montés sur leurs chevaux lestés de provisions. Ils avaient longé le ruisseau jusqu’au lac ensemble, mais il était temps de se séparer.

— Préviens-moi… quand tu auras fini ta mission…

Lohan l’avait rarement vue si hésitante.

— Comment ?

— À l’aide du Sanctuaire… nous sommes liés, alors si tu envoies une pensée en direction du soleil, je la recevrai.

— J’essaierai.

— Bon… alors au revoir…

Elle descendit de selle, Eryn dans les bras. Il fit de même et se pencha sur le nourrisson endormi. Il caressa du doigt sa peau si douce, surpris lui-même de la tendresse qui le prenait. Il leva ensuite la tête vers sa mère.

— Asha…

— Oui ?

Il fut pris d’un élan qu’il contint. Il n’avait pas le droit de la toucher, pas après ce qu’il lui avait fait. Sur son cou, la cicatrice en forme de croix était encore bien trop visible.

— Au revoir, déclara-t-il solennellement.

Elle hocha la tête et enfourcha sa monture sans mot dire. Il vit que ses mains tremblaient légèrement quand elle fit faire un quart de tour à son cheval.

— Asha, attends !

Il serra les dents, ça lui avait échappé. Elle se tourna vers lui, ses grands yeux bleus mouchetés d’or l’aspiraient.

— Cette mission… je ne peux pas te garantir que j’en reviendrai vivant.

Les lèvres d’Asha se tordirent.

— Si, souffla-t-elle. Tu en reviendras vivant.

Il secoua la tête.

— On ne peut pas être sûrs malheureusement…

— Moi j’en suis sûre. Parce que je l’ai décidé.

Il se fendit d’un sourire amer.

— C’est peut-être ça le secret…

— Au revoir, dit-elle d’une voix plus ferme. Et non pas adieu.

— Au revoir.

Le cœur étrangement apaisé, il remonta en selle et talonna Nuit. Il ne put cependant s’empêcher de se retourner après quelques minutes. La petite silhouette d’Asha avait disparu dans la forêt. Un mélange d’angoisse et de soulagement dansa dans son esprit. Hésitant, il se tourna vers le nord-est.

Direction Rivola.

 

*

 

Une douce bruine formait un brouillard pluvieux autour d’Asha. Elle emmitoufla d’autant plus Eryn, ne laissant qu’une partie de son visage émerger. Mais la peau d’auroch, bien qu’épaisse, risquait malgré tout d’être imbibée d’eau. La jeune femme décida de s’arrêter à l’abri d’une cavité rocheuse pour y faire un feu. Avec l’humidité ambiante, il était presque impossible d’en allumer un. Du moins, quand on utilisait une méthode classique.

Asha savoura l’énergie qui caressait sa peau et l’orienta pour faire jaillir une flamme du tas de bois qu’elle avait rassemblé. Elle retira quelques couches qui emmaillotaient sa fille et les posa près du feu. Elle en profita pour donner le sein au bébé qui ne se fit pas prier. Une odeur nauséabonde se répandit alors dans l’air lourd. Asha soupira et, une fois qu’Eryn eut fini de téter, la dévêtit pour la nettoyer. Heureusement, l’eau ne manquait pas autour d’elle, et elle eut à peine à se pencher pour mouiller une peau spécialisée. Alors qu’elle soulevait les petites jambes de sa fille, elle interrompit son geste. Son cœur rata un battement et le souffle se tarit entre ses lèvres.

Ses yeux atterrés étaient agrippés à la vision de la Marque qui s’enroulait autour du nombril d’Eryn.

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Guimauv_royale
Posté le 08/05/2021
Coquilles

- du Silh qui courrait sur sa peau. (Courait)
- elle eut fini de dessiner des signes alambiquées (alambiqués)
1
- mais prit garde à ne par (pas) faire de bruit
- et s’extirpèrent des drap pour s’habiller (draps)
- Elle leva une main enserré d’un bandage. (Enserrée)
- des empilements d’ustensiles et de tissu (tissus)
- ça se (te) dirait une petite baignade ?
- Elle y pénétra avec un sourire un peu crispée. (Crispé)
- À cette (cet) endroit,
- Elle distingua lors (alors) les contours d’un objet
- Je veux m’unir à toi devant les Esprit. (Esprits)


Remarque

1- Elle avait réussi à elle seule à reproduire ce que trois Arsalaïs nécessitaient. (J’aurais rajouter un “d’ordinaire” ou quelque chose comme ça à la fin)
AudreyLys
Posté le 08/05/2021
merchi !
_HP_
Posté le 28/03/2021
Hey !

Keira et Oèn 🤩 J'étais sûûûûre qu'il allait la demander en mariage 😋 Ils sont vraiment trop chous, j'ai hâte de voir ça selon leurs coutumes !
Youpi, Asha va retrouver sa tribu (même s'ils seront probablement partis pour leur voyage) ! Et en même temps, c'est pas cool pour sa fille... J'ai juste une question : elle avait peur d'y retourner parce qu'elle avait peur de ce qu'ils pourraient faire à sa fille parce que c'est une Sang-mêlé, ou parce qu'elle porte la Marque ? Parce que si c'est la deuxième réponse, y a une petite incohérence : elle vient de découvrir la Marque mais avait déjà peur d'y aller ^^ Je ne sais pas si tu me comprends 😅
En tout cas j'aime beaucoup le Lohan qu'on découvre avec Asha, il est vraiment adorable ! Je me demande quand, et si, il va dégager Adhara et sa vengeance pour Asha et Eryn 🤔😋😆
Encore un super chapitre, j'adoore <3
AudreyLys
Posté le 28/03/2021
Hey^^
Elle est inquiète car les Sang-Mêlés ne sont pas vraiment bien traités chez les Sylviens, mais c'est à mettre en balance avec le fait d'élever son enfant seule à côté de voisins aux tendances meurtrières. La Marque, c'est une autre histoire...
Haha oui, d'ailleurs ça ne fait pas trop bizarre qu'il soit si chou alors que c'est censé être un tueur ? C'est une vraie question, c'est un perso assez difficile à manier^^
Et moi j'adore tes com' <3
_HP_
Posté le 29/03/2021
Hello !
Ok, je comprends ^^ Merci !
Ah non non, pas du tout ! C'est assez progressif, depuis pas mal de chapitres quand même, et parfois on voit qu'il tend vers son autre caractère... Je sais pas si tu vois ce que je veux dire 😅 Mais en tout cas je ne trouve pas ça brusque, ou choquant du tout ! C'est vrai que c'est un personnage complexe, mais tu t'en sors plutôt bien quand même 😜
AudreyLys
Posté le 29/03/2021
Hey^^
Tu crois que je devrais repréciser dans le texte ? Ce genre d'information doit être clair pour le lecteur
Ok cool^^ Oui je vois ce que tu veux dire, merci <3
_HP_
Posté le 29/03/2021
Non non, c'est juste moi qui n'étais pas sûre ! Je viens de relire et je n'ai pas senti d'ambiguité, je lis parfois un peu trop vite 😅
AudreyLys
Posté le 29/03/2021
Oki merci !
Alice_Lath
Posté le 21/05/2020
Brrr, elle est mal barrée en effet. Mais ils vont faire quoi à Eryn, les Sylviens? La tuer? Jpensais qu'ils étaient moins cons que la moyenne quand même, c'est dommage. Du coup, aussi, jpeux pas m'empêcher de repenser à celui qui est mort, quand même. Je sais pas pourquoi, il continue à me trotter dans la tête, c'est étrange. Et Lohan papa poule, mdr, Adhara serait atterrée de voir ça huhu. Enfin, je suis aussi à moitié contente pour Kurtis, pck qq chose me dit que son voyage va pas nécessairement mega bien se passer
AudreyLys
Posté le 21/05/2020
Les porteurs de la marque, ils les tuent oui. Nan mais ils sont aussi cons que les autres c’est juste qu’ils cachent bien leur jeu.
Celui qui est mort ? Lequel ?
XD elle ferait une syncope c’est sûr
P’têtre bin si’ oui, p’têtre bon qu’non...
El
Posté le 19/04/2020
Flûte flûte flûte, ça sent pas bon du tout cette histoire. Elle peut pas rentrer chez elle du coup, vu que les Sylviens pensent que les marqués ont pour but de les zigouiller ;o; Mais elle peut pas vivre normalement non plus du coup....
Ah, tiens, truc drôle de l'imagination : j'ai toujours imaginé Asha avec une peau brun clair x)
AudreyLys
Posté le 19/04/2020
Et oui...
J'avais cru comprendre avec le fanart que tu m'avais fait <3 Je l'imagine pâle mais c'est plus logique qu'elle soit bronzée vu qu'elle passe son temps dehors (par contre les est blanche, mais tu l'imagines comme tu veux hein)
Merci pour ta lecture et tes com's <3
Sorryf
Posté le 16/04/2020
OUI ! REVIENS DANS TA TRIBU ASHA !! je suis un peu triste que sa tribu tellement bienveillante et solidaire traite mal les sang-mélés. Si le parent est des leurs, le bébé devrais être accepté :-(
Enfin je suis impatiente qu'elle rentre ! j'espère que ça va bien se passer !! pour Lohan aussi, d'ailleurs les passages ou ils sont tous les 3 étaient trop beaux.
Déjà une marque ? Mais c'est un nourrisson ! qu'est-ce que ça veut dire ?
AudreyLys
Posté le 16/04/2020
x)
Les Sylviens sont malheureusement enfermés dans leurs traditions et leur haine/peur du monde extérieur...
Merci <3
Et oui, déjà... JEDISRIEN
Merci pour ta lecture et ton com' !
Pluma Atramenta
Posté le 13/04/2020
Misère... (je parle de la fin, parce que tu as toujours eu le don de composer une fin glaçante)
J'aime toujours autant ton écriture fluide et sérieusement, j'ai comme l'impression que cette histoire va finir avec 511 pages. Ce n'est pas une critique, j'adore les pavés. ;)
Je m'attache de plus en plus à Asha et Lohan. Ils sont très chous (même si Lohan est un dangereux meurtrier qui tue sans état d'âme... ou du moins, avant sa rencontre avec Asha)
J'ai juste une petite remarque : "Je veux m'unir à toi devant les Esprit", il manque un -s à Esprit.
Que l'Imagination te donne des ailes pour voler jusqu'aux étoiles !
AudreyLys
Posté le 13/04/2020
Meri beaucoup^^
Oui, j'en suis déjà à 155k de mots et j'ai pas fini..
^^
merci pour la coquille !
Puisse la lumière sereine du firmament t'insuffler l'inspiration ~
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