À peine fut-elle posée au sol qu’elle s’élança à l’assaut de la prairie. Elle se dandina jusqu’à un carré de fleurs, ignorant l’herbe qui lui griffait les paumes et les genoux. Elle attrapa une poignée de liseron et les agita en l’air en riant. Son gazouillis fit grandir le sourire sur le visage d’Asha. Elle s’approcha de sa fille et s’assit à ses côtés.
— Tu es fière de ta prise ?
La petite répondit par un babillage sibyllin, avant de donner ses fleurs à sa mère.
— Merci, souffla-t-elle.
Eryn se roula dans la prairie, maculant sa robe de vert. L’herbe avait été gorgée d’eau par les pluies de ces dernières semaines. La saison froide serait bientôt là à en juger par la fraicheur ambiante.
— Regarde-moi ça, tu t’es mise des boules dans les cheveux.
Asha saisit sa fille sous les aisselles pour la poser sur ses genoux. Elle pesait lourd, plus que ce à quoi elle s’attendait. Elle grandissait si vite.
— Laisse-moi t’enlever ça.
Elle enfouit ses doigts dans les larges boucles noires du bambin qui se tordit en riant.
— Mais non, c’est pas des chatouilles !
Eryn continua de gigoter, malicieuse. Elle capta les prunelles de sa mère et les noya dans son regard bleu sombre. Asha soupira et caressa la joue de la petite. Cette dernière attrapa alors une mèche de ses cheveux hirsutes et la tira.
— Aïe !
La jeune femme fut propulsée dans son Sanctuaire.
Elle cligna des yeux, surprise. Ce n’était pas elle qui avait déclenché cette plongée.
Sa fille gazouilla, à quelques pas d’elle. Elle s’était pris de contemplation pour la fleur bleue qui s’épanouissait au centre de la clairière nocturne. Lorsqu’elle la toucha, les pétales s’illuminèrent. Autour, l’herbe ondula et ronronna, dessinant une longue et sinueuse spirale.
— Eryn…
La jeune mère s’approcha et faillit trébucher. Elle réalisa qu’elle portait une longue robe jaune. En s’examinant, elle remarqua aussi que sa chevelure avait changé. À la place de son amas de boucles noires ondulaient désormais une chevelure lisse aux reflets roux. Elle sentit son pouls s’accélérer. C’était comme si elle était dans la peau de celle qui l’avait élevée.
— Eryn, c’est toi qui fait ça ?
Le bambin tourna son visage poupon vers elle et sourit.
— Mosha, dit-elle.
La jeune femme sursauta et s’approcha, fébrile.
— Tu as parlé ?
Eryn pointa son petit doigt boudiné vers elle.
— Mosha, répéta-t-elle.
— « M… moçha », « mère », tu veux dire ?
Sa fille secoua la tête. Elle se leva, légère comme un souffle d’air, et marcha jusqu’à son interlocutrice. Elle l’étreignit avec une force que son apparence enfantine ne laissait pas supposer.
— Mosha.
La jeune femme s’accroupit et lui rendit son étreinte. Elle s’était mise à pleurer.
*
Un trou de lumière, bosselé et dentelé, déchira l’obscurité du tunnel. Lohan accéléra le pas au rythme de son cœur qui bondissait. Il émergea dans l’air frais de l’extérieur, le soleil lui brûla les yeux. Le jour s’était levé depuis leur fuite d’Hekkora. Derrière lui, Fiona, Bachir et Azad sortaient tour à tour de l’entrée béante de la grotte. Le prince Sethy et sa sœur se firent attendre, ils étaient portés par les suivants de l’Impératrice. La veille, l’héritier du trône d’Hek-Rê s’était tant énervé que Lohan avait fini par l’assommer. Le jeune garçon semblait dormir, les joues fripées de larmes, dans les bras de son garde du corps, Shaffra.
— Où sommes-nous ? demanda l’Ombre à ce dernier.
Le soldat balaya le paysage du regard. À l’est s’écoulait le fleuve Hougavê, entouré d’une bande de cultures qui cédaient vite place à l’aridité du désert.
— À six lieues au sud d’Hekkora. L’armée des Prêtres Noirs ne nous trouvera pas de sitôt.
— Tant mieux.
Lohan se passa une main fatiguée sur le visage. Ses jambes tremblaient. Ils avaient marché toute la nuit pour échapper à la potentielle découverte du passage secret. Ils auraient mérité quelques heures de repos, mais le temps pressait. Il avait donné rendez-vous à Khalil à l’embouchure du fleuve, encore plus au sud. Si le marin ne le voyait pas arriver, il avait pour mission de ramener Zehara, qui se trouvait à son bord, en sécurité à la Cité des ombres.
— Faisons un pause et repartons, proposa-t-il.
Shaffra soupira.
— Croyez bien que je ne me réjouis pas de vous dire ça, mais je préfère qu’on continue maintenant tant que l’air est encore respirable. Il y a un village un peu loin que nous pourrions atteindre ce matin. Nous leur emprunterons des pirogues pour descendre le fleuve.
— Mais… ainsi les prêtres sauront que nous sommes passés par là.
— Honnêtement, Messire l’Ombre, je pense que ça ne fera pas grande différence. Nous allons mettre un mois à rallier la côte à pieds avec les enfants. Par bateau nous irons beaucoup plus vite, nous serons en mer avant qu’ils n’aient pu remonter notre trace.
Lohan fronça le nez.
— Si vous le dites… c’est vous qui connaissez le terrain.
— Bien, allons-y.
Shaffra descendit précautionneusement la bute où se trouvait la sortie du passage secret, les favoris de l’Impératrice lui emboîtèrent vite le pas. Azad soupira bruyamment mais fit de même.
— Cette aventure, ce n’est pas pour mes vieux os, maugréa Bachir, le maître transcripteur.
— Allez, courage, vous pouvez le faire ! l’encouragea Fiona malgré ses cernes bleuâtres.
Le vieil homme grimaça mais hocha la tête. Il faisait montre d’une ténacité remarquable pour son âge, difficile de penser qu’il était un simple scribe.
Lohan passa en dernier, surveillant les alentours de ses iris durs. Avant de descendre de la bute, il jeta un œil en arrière. Au loin, plantée à l’horizon, un point sombre se démarquait, accoudé au filet brillant qu’était le fleuve. Sans doute s’agissait-il d’Hekkora. La blancheur éclatante de ses murailles n’était plus visible. Les Prêtres Noirs avaient tout dévoré.
*
— Elle n’est pas morte.
Sethy fixait les sillons que laissait sa main dans l’eau du fleuve.
— Elle ne peut pas mourir.
— Nul n’est invincible, Votre Altesse, fit doucement Lohan. Je l’ai appris il y a quelques mois quand une amie — que je pensais immortelle — a été tuée. Malheureusement nous sommes tous des hommes. Et les hommes sont mortels.
— Non !
Sethy frappa la surface de l’eau et se redressa avec fureur. Ce faisant, il fit gîter la pirogue sur laquelle leur petit groupe était entassé. Miane gémit et s’accrocha à Shaffra.
— Votre Altesse, arrêtez de toucher l’eau, il peut y avoir des crocodiles, siffla ce dernier.
— Je m’en fiche !
Le prince se tassa dans le fond de l’embarcation, le plus loin possible de ses tuteurs. Les autres membres du groupe faisaient mine d’ignorer l’énième dispute, absorbés par la contemplation des berges qui défilaient.
— Je vous dis qu’elle peut pas mourir !
— J’espère que l’Impératrice est bien vivante, souffla Lohan, de tout mon cœur. Mais je doute que la Trinité l’ait laissée en vie.
— La Trinité peut rien contre elle, je suis sûr qu’elle a réussi à les repousser !
— Votre Altesse…
— Taisez-vous, vous deux ! Vous ne devriez même pas m’adresser la parole !
Sethy leur tourna le dos et s’affala sur le rebord de la barque. Il trempa son doigt dans l’onde ruisselante, se délectant de la fraîcheur qu’elle lui apportait sous le soleil écrasant. Quelques larmes naquirent dans ses yeux. Il les retint, la gorge serrée.
Il faut que tu viennes, Véra, pour qu’ils voient que t’es pas morte. Tu vas venir, hein ?
— Regardez ! Regardez, là-bas ! cria soudain la larbine de Lohan, la fille blonde.
Elle s’était levée sur la frêle embarcation pour pointer la silhouette d’un grand navire. Sethy détailla le bateau, la tête rentrée dans les épaules. Il avait les voiles triangulaires comme ceux de la Trinité.
— C’est l’Alkatris ! s’exclama l’Ombre. Il a un peu remonté le fleuve pour nous trouver.
L’atmosphère se fit plus joyeuse autour du prince esseulé. Ils parvinrent jusqu’au navire rebelle et grimpèrent sur son flanc imbibé de sel. En arrivant sur le pont, ils furent accueillis par un jeune marin dont les cheveux ressemblaient à des algues séchées. Il se mit à parler une langue étrange avec Lohan.
— Où est Zehara ? coupa le prince Azad en bousculant Sethy.
Le visage du marin se figea, avant de se décomposer.
— On… on est arrivé trop tard à son village… bégaya-t-il. Les prêtres l’avaient déjà saccagé.
Sethy vit Lohan pâlir tandis qu’Azad bondissait vers le capitaine pour le secouer.
— COMMENT ?! COMMENT AVEZ-VOUS PU ARRIVER TROP TARD ?!
— Arrêtez !
L’Ombre frappa le prince pour qu’il lâche de pauvre marin. Le Talien se tourna vers lui, furieux, et s’avança comme pour lui rendre son coup. Mais il n’en fit rien. Il se redressa et épousseta ses vêtements dans une tentative vaine de reprendre contenance.
— Elle s’est peut-être enfuie, dit-il d’une voix chevrotante.
Le capitaine aux cheveux d’algues secoua la tête.
— Elle a laissé une lettre.
Il tendit un bout de papier à Azad qui le saisit en tremblant. Il le ne lut pas, ses yeux étaient trop embués. Son visage se tordit et il la jeta.
— Votre Majes… commença Lohan en la rattrapant.
— LAISSEZ-MOI !
Le prince de Naotmöt fit volte-face et alla s’enfermer dans une cabine. Avant de claquer violemment la porte, il se tourna vers les marins.
— Vous paierez pour votre erreur, incapables !
Le battant vibra douloureusement, l’onde se propagea dans toute la coque.
Sethy vit des larmes se faufiler sous les paupières de Lohan. Ce dernier capta son regard et lui fit un pâle sourire.
— Tu vois ? bégaya-t-il. Ce sont les personnes les plus fortes qui sont en fait les plus fragiles.
Sethy voulut retenir ses pleurs, mais n’y parvint pas. Il se jeta dans les bras de l’Ombre en sanglotant. Le jeune homme l’étreignit, l’entoura dans une chaleur qui lui rappela cruellement sa sœur. Le prince laissa ses larmes couler librement.
*
Asha frissonna. Elle leva les yeux vers le ciel grisâtre. Les dernières saisons avaient filé si vite. Elle avait l’impression de ne pas se rappeler de tout, comme si elle était dans un rêve. Tout paraissait flou, lointain. N’était-elle pas en train de rêver, à l’instant même ?
Non loin, Eryn se mit à rire. Elle s’était approchée du ruisseau bordant la maison et avait fait une grande découverte : la boue. Elle la goûta, grimaça, la jeta dans l’herbe. Cela sembla lui donner une idée, elle enfouit ses petits mains dans la glaise et commença à s’en maculer.
— Attends !
La petite releva une tête inquiète vers sa mère, elle sentait sa désapprobation.
— Regarde-moi ça, tu es toute tachée.
Asha s’agenouilla et stoppa le tartinage appliqué qu’opérait le bambin.
— Je peux pas te laisser comme ça.
Eryn grimaça sous son visage barbouillé. Elle tenta de libérer ses bras, contrariée.
— Tatata.
Une main retenant toujours sa fille, elle mouilla l’autre dans le ruisseau. L’eau était glacée, mais tant pis. Elle ne voulait pas que la boue rentre dans ses yeux. Elle caressa la joue de sa fille qui sursauta.
— Oui, je sais, c’est froid. Mais tu n’avais qu’à être sage.
Eryn gémit, tourna la tête, en vain.
— Là, là, j’ai presque fini.
La petite grimaça plus fort. Une vibration sembla se propager dans l’air. Asha releva la tête pour examiner le décor. Rien en vue, rien non plus dans le Silh. Pensant qu’elle avait dû rêver, elle replongea sa main dans le ruisseau. Elle l’en sortit immédiatement.
L’eau était chaude.
— Eryn…
Elle détailla les grandes prunelles bleues de sa fille qui la fixait en retour.
— C’est toi qui fait ça ?
La fillette ne l’écoutait plus, elle avait repris une poignée de boue qu’elle présenta fièrement à sa mère. Asha soupira.
— Il faudra que je cerne ton pouvoir, un jour. Je…
Elle s’interrompit. Elle venait de sentir quelqu’un tenter de pénétrer la Frontière. Et elle savait qui.
La Sylvienne attrapa sa fille et se leva. Elle appela Flaé qui arriva en courant, accompagné de Nuit. Elle monta sans selle et talonna le cheval.
Pourquoi tu y vas ? siffla une voix dans sa tête. C’est stupide. Laisse-la se perdre dans tes enchantements.
— Non.
Mais pourquoi ? Elle va te dénoncer, tu sais que ça va mal finir.
— Je ne sais pas. Mais je ne peux pas la laisser.
Asha eut bien le temps de débattre avec elle-même. Après tout, c’était effectivement stupide de se précipiter ainsi vers le danger, son enfant sous le bras. Mais elle avait besoin d’aller la voir. Elle avait besoin de parler à quelqu’un. Quelqu’un qui n’était pas sa propre conscience.
Elle parvint aux abords de son territoire. La petite âme errait sans réussir à démêler les enchantements qui la repoussaient toujours à l’extérieur. Elle aurait dû abandonner depuis longtemps. Mais elle s’obstinait.
Asha surgit des broussailles devant la jeune femme épuisée. Cette dernière sursauta, la peur se peignit sur son visage, mais aussi le soulagement.
— Bon… bonjour… bégaya-t-elle.
— Bonjour. Que venez-vous faire ici ?
La Sylvienne eut envie de se mordre la joue. Elle voulait parler, et voilà qu’elle se montrait sèche.
— Je…
La femme du village sembla hésiter, elle gratta le sol de sa chaussure. Son ventre proéminent laissait penser qu’elle arrivait au terme. Elle n’était pas prudente de s’aventurer ici. Mais ça, Asha l’avait déjà remarqué la première fois qu’elle était venue.
— J’avais envie de vous revoir. Je n’ai pas arrêté d’y penser, depuis notre rencontre. Je ne voulais pas vous déranger… mais je n’y tenais plus. Je sais que, bientôt, je n’aurais plus le temps.
Asha descendit pesamment au sol, accompagnée par les babillages de sa fille.
— Elle est adorable, fit la femme enceinte. Comment s’appelle-t-elle ?
— Eryn.
— C’est un joli nom, je ne le connaissais pas. Il vient d’où ?
— Du monde des fées.
La nouvelle venue eut un léger mouvement de recul.
— Je suis désolée… bafouilla-t-elle. Je ne voulais vraiment pas vous déranger…
Elle se mordit les lèvres, tordant la longue cicatrice qui le barrait le visage, passant sur son œil droit.
— Vous ne me dérangez pas, reprit Asha.
Elle oublia la crainte devant la douceur de son interlocutrice. Elle la détailla, ses cheveux bruns, sa toge de lin. Son ventre rond.
— C’est votre première grossesse ?
L’autre se redressa un peu.
— Je… oui et non. J’ai déjà fait des fausses couches. Mais je n’étais jamais arrivée jusque là.
— Je suis désolée.
— Ce n’est pas votre faute. Et puis… je me dis que… pour ce qu’on vous a fait… ce n’est pas grand chose.
Asha demeura un instant muette.
— Comment vous vous appelez ? demanda-t-elle d’une voix plus douce.
— Amaya. Amaya Angela Pusilla. Et vous ?
— Asha.
— Asha ?
— Juste Asha.
— Ah bon… heu… eh bien, enchantée, Asha.
Le sourire d’Amaya était éclatant, il raviva celui de la Sylvienne.
— Enchantée.
*
Jildaza fixait la mer de Totzün, le visage crispé. Ses iris rêches creusaient le paysage, ses dents grinçaient sous ses lèvres, ses mains s’accrochaient au bastingage. Une bourrasque souleva ses cheveux raidis par le sel sans la faire frémir. Soudain, les muscles se bousculèrent sur sa peau. Elle fronça le nez et attrapa le bras de Keira postée à côté d’elle.
— Il est là, je le vois.
Le cœur battant, la Sylvienne suivit son regard. Elle perçut d’abord un filet d’écume irréelle. Une ligne qui se traçait entre les vagues. À cet endroit, l’eau semblait buter sur quelque chose. Elle finissait par franchir la barrière invisible, mais y laissait un tourbillon blanchâtre. Au-dessus l’air paraissait soumis aux mêmes problèmes. Il vibrait, ondulait, comme si une chaleur démentielle s’élançait vers le ciel.
— C’est le Voile ? s’enquit Rhun.
La Galate hocha la tête.
— Vous tous ! cria-t-elle à l’attention de ses compagnons. Ça y est, on est arrivé ! Le Voile est en vue !
Les Sylviens s’approchèrent, anxieux.
— Je préfère vous prévenir, même si je sais que ça va pas rendre les choses moins douloureuses. Quand on passe le Voile, et tant qu’on reste dans ses limites, tous nos sens spirituels sont coupés. Vous n’allez plus rien ressentir, même vos Liens. Ça fait peur, mais les sensations reviendront au retour, quand on aura repassé le Voile, peu à peu. Là, ça va être assez direct, par contre.
— On a pas moyen de le contourner ? tenta Rhun.
— Non, il fait le tour de l’île. Il protège toute la Terre morte.
— De quoi ?
Jildaza eu un rictus.
— De nous.
Elle jeta un regard vers la mer.
— Il s’approche, préparez-vous.
Keira hésita, avant de sentir la main chaude de Rhun dans la sienne. Elle enfonça ses yeux dans les siens, savourant leur Lien avant qu’il ne disparaisse.
— On y est, souffla Jildaza en grimaçant.
Une vibration se propagea dans la coque du bateau. Un lointain grondement sembla retentir.
Un puissant frisson traversa Keira.
Elle eut le souffle coupé. Elle se tendit, se courba.
Elle se tenait au bord du vide.
Il n’y avait rien, plus rien. Elle se trouvait dans le néant. Elle vacillait au bord d’un gouffre, sans rien pour se raccrocher.
Les Liens. Tous les Liens avaient été tranché.
Kurtis, Ealys, Aedan, Baharn, Rhun, Oèn…
Ils n’étaient plus là. Ils avaient disparu. C’était comme si…
Elle sentit les larmes monter. Elle respirait pas à-coups. La main de Rhun broyait la sienne, sans doute en faisait elle autant. Elle croisa son regard affolé. Il se passa une main sur le visage.
— T’es vivante, se convainquit-il d’une voix blanche.
Il se tourna vers son père, aussi immobile qu’une statue et terriblement livide.
— Keira…
La voix était faible, chevrotante. Oèn s’était laissé choir contre le bastingage, le visage barbouillé de larmes.
— Keira… reste avec moi… supplia-t-il.
Elle sentit ses pleurs redoubler. Elle tendit sa main libre vers lui. Il l’attrapa comme s’il se trouvait sur le rebord d’une falaise. Il la serra, la ramena à lui.
— Je suis désolé… sanglota-t-il. J’arrive pas à…
— Tu n’en as pas besoin.
Elle pressa sa main dans ses doigts tremblants. Elle inspira profondément. Elle avait toujours le vertige, mais la terreur était passée. Elle se calma, doucement. Ils étaient là, ils étaient vivants. Même ceux qui étaient loin d’elle.
Elle balaya le paysage du regard. Au loin, une bande sombre était apparue. Téta, la Terre morte. Siège de l’ancien Empire de Tetza. Cette île maudite la défiait. Keira se redressa. Elle jugula son angoisse. Elle verrouilla fermement ses iris sur son objectif, imitée par ses camarades.
Elle l’affronterait.
*
Des rires gras résonnaient sous les murailles crasseuses de Rivola. Les rues sombres piquées des lumières des tavernes formaient de curieux dessins dans la nuit sans lune. Feolan ralentit le pas en passant devant une échoppe qui exsudait de puissantes effluves d’alcool. L’étal était renversé, homme avait échoué au sol au milieu d’une pyramide de bouteilles. Plus aucune n’était pleine. Il esquissa un sourire moqueur. Était-ce le patron qui avait voulu accompagner ses clients avec un peu trop d’enthousiasme ? Ou des vandales avaient-ils pillé et assommé le pauvre homme ? Il le saurait le lendemain. Pour le moment, en l’absence de traces de lutte, il penchait plutôt pour la première option. Pas très professionnel, tout ça.
Il continua son chemin, enjambant un autre ivrogne assoupi au milieu de la rue. Il se délecta des fragrances grasses charriées par la bise hivernale. Cette odeur en aurait rebuté plus d’un, mais lui se plaisait à la disséquer pour en deviner toutes les origines. Aquila allait sans doute le gronder quand il rentrerait, mais tant pis. Traîner dans les ruelles mal famées de Rivola, c’était son petit plaisir coupable. On y trouvait toujours quelque chose qui valait le coup d’œil. Un objet, une effluve, une situation singulière. Et cette nuit-là ne fit pas exception.
Il entendit d’abord des échos, qu’il devina être des cris. Des hurlements, pour être précis, qui ricochait jusqu’au sommet des remparts. De nombreux hurlements. Feolan se dirigea nonchalamment vers la source du bruit, dans un pâté de maison tassé sous les murailles. Une bagarre qui avait mal tournée, sans doute.
Mais la teneur des exclamations, brûlantes d’horreur, le fit vite changer d’avis. Le pouls alerte, il se glissa le long d’un mur. Des bruits de lutte et des cris de douleur résonnaient à quelques pas. Puis des supplications. Qui se turent rapidement.
Encore des bruits de lutte, il se rapprocha. Un rugissement le fit frissonner. Le rugissement contenait un mot déformé, déchiré, mais qu’il crut reconnaître. Un mot qui ne devrait pas être prononcé ici.
Ce n’était pas une bagarre habituelle. L’odeur lourde du sang vint confirmer sa pensée. Feolan arriva à l’angle de la ruelle noyée dans la pénombre, il jeta un œil sur la scène.
Il fut surpris de distinguer autant de rouge sur les pavés invisibles de la ville. L’écarlate s’agrippaient à ses yeux, dessinant les contours déchiquetés de quatre hommes. Le carnage avait répandu des entrailles sur le sol, un autre avait les membres arrachés. Trois étaient totalement immobile. Le dernier respirait encore.
La scène macabre se trouvait dans une impasse, nul n’avait pu en sortir sans que Feolan le voit. Il braqua ses iris jaunes sur le survivant qui ahanait et tentait de se relever, en vain. Une profonde entaille, indiscernable sous ses guenilles, faisait couler du rouge sur le noir de la ruelle. Il s’agita, grogna, mais ne parvint pas plus à se lever. Au bout d’un temps, il s’effondra pour ne plus remuer.
Feolan émergea de l’angle et se coula jusqu’à lui. Il l’examina, surpris de constater qu’il devait à peine avoir vingt ans. Il tenait dans une main une épée réoroise de belle facture. Lorsque l’observateur écarta sa bure pour chercher sa blessure, le reflet des étoiles le percuta. L’inconnu portait une épaulette d’armure.
— Toi, tu es beaucoup trop intrigant pour que je te laisse ici.
Feolan repéra la blessure, située au niveau du pectoral droit, il attrapa les vêtements des défunts pour compresser l’entaille.
— Je vais bien me faire engueuler, mais ça en vaut la peine.
Il saisit l’inconscient par les aisselles et le traina hors de la ruelle.
"Eryn se roula dans la prairie, maculant sa robe de vert" Elle a une robe ? Pas une tunique ? Je sais pas pourquoi haha j'ai buggé sur ce petit truc
"La veille, l’héritier du trône d’Hek-Rê s’était tant énervé que Lohan avait fini par l’assommer." C'est pas dangereux d'assommer un gosse ? Et les serviteurs ont rien dit ? Pour le coup, je trouve ça bizarrement excessif
"Shaffra soupira." Je sais plus qui c'est : ')
"Il trempa son doigt dans l’onde ruisselante, se délectant de la fraîcheur" Délecter implique du plaisir, jsp si dans son état, c'est le terme le plus judicieux haha
"Sethy vit des larmes se faufiler sous les paupières de Lohan. Ce dernier capta son regard et lui fit un pâle sourire." C'est touchant ce passage, j'ai bien aimé voir ce côté soft chez Lohan, qui le sort un peu de son personnage ténébreux-badasse
"Feolan ralentit le pas " Encore un pdv hahahaha ?
Le passage de la rupture du Lien était vraiment chouette, c'était très intéressant de voir l'effet sur le petit groupe de Keira et ça renforce le côté menaçant de la Terre morte. Je suis d'autant plus curieuse de voir ce qu'ils vont y trouver suite à l'incident du sacrifice. Pour Lohan, pareil, je me demande comment ils vont réussir à retourner la situation haha parce que pour le coup, il est vraiment dans une sacrée sauce. Asha fait nettement plus effacée dans ses parties, je n'ai pas trop compris ce que ça apportait, le moment de son pdv, mais cela sera sans doute éclairé par la suite.
Sus aux Terres Mortes hahaha !
Alors pour répondre dans l'ordre :
>bah disons que ça a la forme d'une tunique, mais comme elle est petite ça lui arrive en bas des genoux ; c'est vrai que ça donne une impression de raffinement un peu trompeuse
>J'avoue x) ça m'a pas trop plu à la relecture je voulais voir si ça faisait réagir, du coup je pense que je vais changer ; c'est totalement super dangereux d'assommer quelqu'un quel que soit son âge
>le garde du corps de l'Impératrice, je peux pas t'en vouloir il n'est pas présent, mais pas non plus important
>mmmh moi j'étais dans l'idée que cette sensation justement est plaisante et qu'il se concentre dessus parce que ça lui fait du bien, jsp si je suis claire
>ouiiii c'est pas fini Dark Lolo va changer
>pour l'instant ça a l'air détaché du reste mais tu vas comprendre en quoi c'est lié au reste
Contente que ça t'aies plu *^^*
Oui je comprends totalement que la scène d'Asha paraisse bizarre mais ça prendra tout son sens plus tard.
Ouiiii
Merci <3