Qu’il était monstrueux, ce corbeau ! Juché sur la branche de ce cactus venimeux, ignorant de ses pattes au cuir épais les aiguilles toxiques, il observait l’horizon d’un air royal. Au-dessus du monde de sable dans lequel étaient cachées ses futures proies potentielles, il profitait de l’air de fin de nuit qui caressait ses plumes crasseuses, sans savoir que depuis le sol, non une proie, non ! un prédateur le guettait.
Couvert de terre, le corps de cette menue enfant se camouflait aisément dans le paysage désolé du désert. Elle rampait, avec lenteur et attention. Elle se stoppait ensuite, coupant son souffle, ne lâchant pas de ses yeux bleus l’oiseau qui changeait de branche. Il remua ses ailes avec paresse, comme pour s’aérer, alors que le soleil ne pointait pas encore.
Furtive, elle s’avançait. Elle approchait de l’animal qui s’était posé au sol, à l’affut des insectes qui venaient se planquer sous un caillou. Cherchant comment les en extraire, il fut attrapé par deux bras. Bam ! D’un coup. Il battit des ailes pour s’envoler, croassant sans discrétion, appelant une aide invisible tandis que la gamine riait.
« Je t’ai eu, je t’ai eu ! Héhéhé ! »
Le volatile la frappait de ses plumes, remuant désespérément pour sa fuite. La petite le gardait contre elle, luttant pour conserver sa prise du jour. Elle était épuisée, à avoir rampé et retenu son souffle une heure entière !
« Neila ! », surgit une voix croissante, et non celle de l’oiseau. Ce dernier ralentit son allure, comme s’il avait reconnu un de ses pairs dans la vieille dame en robe de nuit qui venait d’émerger. Par ses bigoudis mal placés et les cernes sous ses yeux, l’on devinait le mécontentement d’avoir été ôtée du lit. La petite Neila fit tomber à demi ses paupières, creusant une lippe, et laissa le volatile reprendre sa liberté. Elle explosa d’un rire sincère en voyant la grincheuse Morganne esquiver l’animal, qui avait plongé sur elle – ou, que la fillette avait libéré en sa direction, de son point de vue.
« Assez ! l’invectiva-t-elle. Tu rentres. »
Avec un soupir disgracieux succédé d’une grimace accablée, Neila se hissa sur ses jambes salies et suivit la directrice, qui la traîna par le bras en direction du miteux bâtiment qui leur faisait face. Et, jusqu’au dortoir lui-même, où dormaient encore tous ceux attendant que l’aube pointe.
L’étage de l’orphelinat, dont le sol grinçait aussi fort que des tôles rouillées, était découpé en deux chambres. Deux petites pièces, séparant filles et garçons pour la nuit, où étaient agencées une vingtaine de couchettes qui cachaient livres chipés aux étagères, jouets ou autres curiosités venant de l’extérieur. Au-dessus dormait en temps normal la directrice, dont l’oreille n’était jamais complètement assoupie, à l’affut du moindre grincement ou chuchotement.
Mais, elle s’était réveillée en avance. Car aujourd’hui, c’était le jour de l’adoption.
Les enfants avaient appris cela au petit matin. Levés plus tôt qu’à leur habitude, ils n’en avaient tenu nulle rigueur à leur chaperon. Car malgré son humeur du jour, il était rare de la voir furibonde, entourée d’une trentaine de ces adorables têtes d’ange de tout âge. La plus petite avait à peine deux ans, et apprenait à marcher aux côtés de ses aînés, dont le plus grand approchait de son quinzième été. Curieux, timides, survoltés, malins, ou encore bagarreurs, la directrice connaissait sur le bout des doigts chacun de ses protégés. Chacun avait ses propres habitudes, son caractère ou ses affinités, mais tous avaient un point en commun.
Ils étaient une seule et grande famille.
Ce matin-là, et comme tous les autres, les bambins scandaient haut et fort la devise de l’orphelinat, main dans la main, accompagnés de leur chaperon. D’abord les filles, puis les garçons. Ce petit chant d’altruisme résonnait dans le dortoir, alors que l’aube venait caresser leur visage immaculé. Ils répétaient ces règles d’or, qui guidaient leur quotidien. Aucun ne se permettait de les transgresser.
Sauf une.
Occupée à regarder le petit village depuis sa fenêtre, Neila essayait d’oublier le chant cristallin des enfants qui sonnait derrière elle. Sur la pointe des pieds, le menton posé sur ses deux avant-bras, elle braquait ses deux yeux sur une route vide. Une route dont le sable n’était foulé que par quelques maraudeurs à l’occasion. Une route qui ne menait à rien, si ce n’était un long et interminable désert. Une route qui inspirait le voyage et la mort.
Les lueurs de l’aurore peinaient à éclairer ce portrait d’une morosité qui ne lui seyait guère. Deux yeux de saphir, dont les lourdes paupières tentaient de se les garder. Des cheveux d’argent, semblant déchirés et éparpillés tels de la paille. Un sourire absent – une simple lippe de profond apitoiement. Un visage de onze ans pourtant habitaient ces deux joyaux et cette touffe de foin blanchie. Un âge dont les rêves primaient peu de choses. Un âge où le rêve s’étendait à un oreiller et un lit brodé, un dessin sur un mur, un caillou brillant trouvé dans la boue, une branche qui servait d’épée, un papier plié en avion, ou encore un balai faisant office de monture. Un songe qui s’éteignait au lever du soleil, et laissait sa place à un nouveau quotidien.
Ces yeux bleus observaient pourtant les mêmes choses, chaque matin. Tournant le dos à l’altruisme et au devoir, ils fixaient une toile de bicoques miteuses. Un hameau d’une dizaine de baraques, entourant une énorme construction de métal. Une machine qui remuait et grinçait furieusement à longueur de journée, générant suffisamment de fraîcheur et d’humidité pour survivre à la chaleur torride du désert, qui venait s’infiltrer dans la petite chambre.
À l’inverse des occupants de celle-ci, le regard de Neila ne s’attardait pas sur les futurs parents qui faisaient leur entrée dans l’établissement en de rares occasions. Il parcourait toujours le même tableau, à l’aurore, drapé de l’orange matinal. Un paysage parfaitement immobile, derrière cette fenêtre fissurée. D’un soupir de cette petite fille isolée, les frêles constructions du hameau auraient pu être terrassées. Elles restaient pourtant en état, à l’image du générateur, de l’orphelinat, du désert lui-même. Un fragile, mais éternel tableau, dont s’échappaient l’ennui et l’espoir.
Un espoir que vint dissoudre le rideau de fer qui s’abaissait lentement contre la vitre, ramenant Neila dans cet assommant dortoir où la fraîcheur devait régner. Son regard épousa celui de la directrice, qui actionnait la manivelle des volets avec peine. Ses yeux, acérés par leur grand âge, ne quittaient pas ceux de la vilaine chose qui se tenait devant elle. Qu’ils eussent voulu dérober l’éclat de jeunesse de ceux-ci par jalousie, ou simplement la toiser de toute leur sévérité, Neila s’en moquait bien. Elle tourna les talons et fuit la terrifiante obscurité qui emplissait la pièce, pourtant illuminée depuis peu.
Le couloir était encore mouvementé par la fugacité des orphelins en pyjama, qui se racontaient leurs rêves bientôt oubliés. Au milieu d’eux se fraya un chemin une jeune fille aux cheveux d’argent. Non pas de paille, coupés et déchirés, mais une longue crinière luisante, brillant tel un phare dans la pénombre de la cage d’escalier. Cette chevelure fonça jusqu’en bas des marches, et se plaça devant toutes ces petites têtes endormies. Tous s’étaient tus, sourire aux lèvres, admirant la robe repassée qui couvrait un corps athlétique et parfaitement droit, une peau blanche comme la nacre et deux yeux bleus grand ouverts. D’un air affable et affirmé, elle darda sa tirade quotidienne :
« Allez, on a fini de ronfler ! Direction le petit déjeuner, avant le début de la classe ! »
D’un unanime « Ouaaiis ! », les enfants foncèrent jusqu’au réfectoire, saluant la princesse qui les guidait d’une main, s’assurant qu’aucun ne soit tenté de se faufiler dans la chambrée. La retardataire, un visage parfaitement identique au sien (la radiance en moins), la loua d’un simple regard endormi.
« Bonjour Neila ! la salua la fille en robe, toute fatigue l’ayant quittée.
— ‘lut Shelly, bâilla sa jumelle.
— Tu as encore fait nuit blanche dehors toi… Les siestes, ce n’est plus de notre âge, tu ne pourras pas récupérer !
— M’en fiche, lâche-moi », râla la veilleuse avant de s’installer au bout d’une table, laissant un espace entre elle et les petits qui se disputaient leurs places. Son regard s’attarda quelques secondes sur chacun d’eux, qui se racontaient les songes étoilés qui les avaient bordés cette courte nuit. Un shérif, une médecin, une enseignante, un maréchal-ferrant, voire un bûcheron, tant de rêves si vite oubliés par l’arrivée des œufs, du bacon et du pain. Des désirs qui avaient besoin d’être exprimés, pour s’illuminer et mieux disparaître. Des flammes, chaleureuses, mais éphémères.
Neila aussi avait des rêves. Une petite fille de onze ans en avait forcément. Mais un trônait parmi les autres. Noyant sa soif d’aventure, une obsession plus forte encore. Telle une pensée taboue, elle restait coincée au fond de sa poitrine, à l’image d’un point de côté. Aussi fidèle qu’une ombre, qui refusait de disparaître à l’aurore.
« Allons, allons, un peu de calme », tonna la directrice avec un ton néanmoins mielleux, sortant la jeune fillette de sa torpeur. Tous suivirent son ordre, qui attira les yeux remplis d’éclat des petites têtes rassemblées autour des tables du réfectoire. Une simple parole de sa part suffisait à les faire taire. « Aujourd’hui est un grand jour ! Le saloon en face de l’orphelinat va reprendre vie, par un couple venu tout droit des cités de l’Ouest. Et, sur leur demande, l’un de vous se verra attribué à une merveilleuse famille.
— Madame ? Ça veut dire quoi attibuwer ? s’enquit une petite haute de trois pommes sans timidité aucune.
— Cathy, attribuer. At-tri-bu-er. Cela veut dire que tu seras peut-être adoptée par un papa et une maman aujourd’hui.
— C’est vrai ?! », tonnèrent ensemble les enfants d’une même voix. Shelly serra avec joie les épaules de la petite Cathy, puis de Sarah, de Thomas, de Barry, et de plein d’autres qui espéraient de tout cœur intégrer une famille. Alors que tous chahutaient sans laisser à Madame Morganne le temps de continuer, la sœur de Neila rejoint celle-ci pour l’enlacer à son tour, qui ne répondit que mollement à son enthousiasme.
« Silence, enfin ! Vous devez être de sages enfants si vous voulez avoir la chance d’être le fils ou la fille de ces jeunes parents.
— Comment qu’ils s’appellent ? brailla l’un.
— Ils sont gentils ? demanda l’autre.
— Ce sont des aventuriers ?
— Ils conduisent des dirigeables ? »
Sous le tonnerre de questions qui l’assaillaient, la directrice frappa des mains, trois faibles fois, ce qui suffit à ramener l’ordre dans ce petit monde. Elle s’en satisfit d’un simple rictus et continua sa tirade.
« J’attends donc de vous que vous vous comportiez de façon exemplaire aujourd’hui. Une tenue parfaitement repassée, lavée, des dents bien brossées, des cheveux peignés et nattés. » Neila sentit un regard se poser sur elle, l’empêchant de contenir une risette railleuse. « Il n’en va pas que de votre avenir, mais également de la réputation de cet établissement, ainsi que du devoir qui vous incombe envers l’orphelinat et l’heureux élu. »
Un silence de plomb coiffa la scène, coupée uniquement par la vieille comtoise déréglée. Madame Morganne sourit alors :
« Mais avant toute chose, à table ! »
Un « Ouaaaiis ! » général résonna dans la pièce, suivi des bruits de couverts et d’assiettes posées sur les tablées. Neila fut la dernière à être servie, comme à l’accoutumée, échangeant un regard noir avec la directrice. L’odeur des œufs lui donnait la nausée, d’autant plus que cette dernière se répétait chaque matin. Elle détourna les yeux, non plus par dégoût que par habitude : son minois plongea de nouveau dans l’horizon désormais proche de la fenêtre du rez-de-chaussée, entre les lattes cassées des volets. Cependant, il ne s’arrêta pas sur une vieille baraque en bois usé, ou sur une infinie étendue de sable et de roche, mais sur un animal odieux.
Quatre pattes à sabots, une grande crinière sale, un long museau surmonté de deux globes vides, qui n’attirèrent pas son attention plus d’une seconde. Sur son dos se tenait un homme au visage reconnaissable entre mille. Un gros visage joufflu, rougeaud, entouré de deux tresses noires décorées d’une plume chacune. Le tout était couronné d’un chapeau orné d’une étoile à huit branches, aussi brillante qu’un astre. Neila courut en dehors de l’orphelinat avant même que la directrice ne pût inspirer pour hurler son nom : les bras de la jeune fille se trouvaient déjà autour de la bedaine de l’homme au teint rouge.
« Ha ! Ha ! Ha ! Neila ! se bidonna le cavalier, pied à terre. Je n’ai même pas eu le temps de boire un verre que tu es dans mes pattes !
— Shérif McQueen, on ne vous attendait pas. »
La directrice venait de les rejoindre à l’extérieur, suivie de toute la forêt d’enfants sous ses jupons. Les plus jeunes fixaient avec une crainte non dissimulée l’imposant bonhomme, qui soulevait Neila en riant, tandis que les plus âgés regardaient avec admiration l’ancien shérif du hameau. Il portait un uniforme atypique, composé de peaux tannées et serties de petites tresses de fourrure ou de plumes. Ses bottes à éperons, sa ceinture à revolver ou encore son chapeau étoilé contrastaient avec le reste sauvage de cet accoutrement.
« Je viens voir comment ça se passe ici, depuis l’temps. Y paraît qu’une adoption va avoir lieu. Cette horrible machine est toujours debout, à c’que j’vois. Un mal pour un bien, j’ai envie d’dire…
— Maquine !! s’égosilla la petite Neila, écorchant le nom du grand homme. Tu as vu les aigles que tu cherchais ? Tu as découvert des trésors ? Des secrets ? Des pays ??
— Neila ! gronda la directrice. Cesse donc d’importuner monsieur le shérif !
— Ah ! Ah ! Vous inquiétez pas M’dame Morganne, j’ai connu bien pire d’où j’viens. Par contre, j’ai fort à faire… Vos invités devraient pas tarder à arriver, ainsi que d’aut’ voyageurs. La rumeur d’un nouveau saloon à Little Coin semble avoir fait l’tour des environs. Il vaut mieux qu’je reste un moment, et mon ancien bureau m’attend.
— Maquiiiine ! Tu avais dit que tu me montrerais ce que tu rapporterais !
— Oui, mais plus tard petit coyote ! ricana McQueen en la déposant à terre. Et toi aussi, tu dois te préparer pour tout à l’heure. Allez, file ! »
Elle afficha une lippe boudeuse et croisa les bras en signe de protestation. Tandis que Shelly et Madame Morganne traînaient Neila jusqu’à l’intérieur, McQueen attacha sa monture à l’abreuvoir du futur saloon, fixant avec appréhension la miteuse baraque qui lui avait servi de bureau deux ans auparavant.
——
« Voilà, tu es parfaite comme ça ! »
Shelly avait l’impression de se regarder dans un miroir. Un miroir un peu sale, cassé, déformé, mais elle en était satisfaite. Son reflet avait cependant une humeur bien différente, à la vue de sa somptueuse robe repassée, de ses cheveux brossés et nattés, et de son coquet collier à perle.
« Je suis censée te ressembler, c’est ça ? souffla Neila.
— Non, tes cheveux sont trop courts, mais c’est déjà bien !
— Dans tes rêves, j’arrive même pas à courir avec cette robe.
— Qui te demande de courir ? Enfin, Neila, il faut qu’on soit toutes les deux présentables, on nous prendra sûrement en même temps. Tourne-toi. »
La garce râla en montrant son dos à sa jumelle, qui réarrangeait les lacets de sa robe violette ainsi que ses deux nattes.
« Toutes les deux ? Tu as beaucoup d’espoir…
— Comment pourraient-ils nous séparer ? On est ensemble et on le restera, pour toujours.
— Si tu le dis…
— Oui, je te le dis. Mon dieu cette robe te va si bien !
— Je peux l’enlever maintenant ?
— Mais enfin, non ! Qu’est-ce qui ne te plait pas, elle est trop serrée ?
— Elle fait trop robe, je présume.
— Bon, bon, j’ai compris ! Retire-la, mais promets-moi de la remettre pour ce soir ! »
Son irascible jumelle poussa un soupir de soulagement en sentant les lacets se dénouer, se jetant sans attendre sur le pantalon troué et le t-shirt mal repassé qui reposaient sur le chevalet. Les mêmes vêtements qui prenaient le sable et la poussière quand elle s’amusait à jouer au cowboy derrière l’orphelinat, ne les lavant que lorsque la directrice le lui obligeait, règle à la main.
« Comment je défais mes nattes ? râla la rebelle aux vêtements sales.
— Garde-les, tu es vraiment belle avec ! S’il te plaît, pour me faire plaisir ! »
Les yeux et le sourire de Shelly parvenaient à faire craquer le plus solide des cœurs de pierre, et Neila n’y faisait pas exception. Elle abdiqua, se persuadant que ces nattes ressemblaient vaguement à celles du shérif. Cette robe ne servirait après tout qu’une seule soirée, après quoi elle retournerait dans le gros coffre destiné aux vêtements des grands jours. Elle prit sur elle, et décida de faire plaisir à sa sœur : pas de jeu dans le sable aujourd’hui, afin de ne pas salir ses cheveux, et aucun faux pas auprès de la directrice.
Mais Neila ne pouvait s’empêcher de repenser au retour de McQueen. Elle y avait pensé toute la matinée, ignorant les plaintes de Madame Morganne ou les remontrances de sa jumelle pendant qu’elle lui tressait les cheveux. Elle imaginait jusqu’où son horrible canasson avait bien pu l’emmener. Il était parti vers l’est, à l’opposé de tous les départs depuis Little Coin. Au lieu des grandes cités de l’Ouest, l’ancien shérif avait un profond désir d’explorer les terres sauvages de l’extrême est, qui selon lui regorgeaient d’encore plus de trésors.
« Non, j’ai rien déniché », déclara-t-il néanmoins, avalant cul sec son verre de whisky devant les yeux éberlués de l’orpheline. Elle était passée discrètement à son bureau, sous le radar de la gérante, bien trop impatiente d’attendre le lendemain pour écouter les aventures du shérif.
« Mais… Comment ça, rien ? Tu n’as pas trouvé les aigles ? Ou des trésors ?
— Nan, rien d’tout ça. L’est est devenu aussi désertique qu’ici : tout le monde part pour l’Ouest. Et y semble que tous les trésors y ont été emportés… Quant aux aigles, mon peuple, eh ben… »
Il remplit un nouveau verre et l’avala sans attendre, sans continuer sa phrase. La petite exhibait un air terriblement déçu. La voyant fixer ses chaussures déjà pleines de terre, il afficha un sourire attendri et lui releva le menton.
« Mais j’ai trouvé au moins un p’tit truc.
— OH, c’est quoi ? C’EST QUOI ?! » s’excita soudain Neila, toute tristesse l’ayant quittée. Le bras de McQueen fouilla sa grosse sacoche, de laquelle il sortit un paquet de la taille d’une main. D’une main d’enfant.
« Ceci, dit-il tout bas, est l’un des derniers trésors de l’est. »
Il la laissa le déballer, s’amusant de son impatience. D’habitude peu soigneuse, elle tirait les lacets du petit paquet avec attention, la langue pincée entre ses lèvres. Ouvrant les peaux pliées du cadeau, elle découvrit un petit objet, minuscule. Une clé.
« Une clé ?
— Une clé. »
Ce qui semblait être une clé d’argent se tenait entre les doigts de la fillette. Une clé plate, telle qu’on pouvait en trouver dans les cités et qu’on retrouvait parfois ici, dans le désert de l’Aurora, à la place des anciennes à panneton qui avaient encore cours dans l’orphelinat.
« C’est… une clé ? répéta la jeune fille, un sourcil levé en direction du shérif, qui se retenait de s’égosiller.
— En tout cas, ça y ressemble.
— Mais, c’est quoi ? À quoi ça sert ??
— Eh bien, à quoi servent-elles, jeune fille ? »
Bah, à ouvrir des coffres, ou des portes… Ou activer des automates ? Ou encore, fermer une trappe pour planquer un trésor ! Ou plein d’autres trucs…
Toute à ses pensées, Neila afficha un grand sourire face au mystère que cachait ce petit objet. Ce qu’il pouvait ouvrir ou fermer, c’était là la chose la plus passionnante et de loin. Cela rattrapait l’intense déception qu’elle avait ressentie alors : ses rêves reprenaient en virulence, avec cette clé en main.
L’observant plus en détail, elle comprit qu’elle était plus que singulière. Au lieu des habituelles dents qui ornent les côtés d’une tige plate, ceux-ci étaient parfaitement lisses. C’est sur la lame que se trouvaient ce qui semblaient être des petits trous. Certains de ces creux étaient clairement visibles, d’autres si minuscules qu’il fallait plisser les yeux pour ne serait-ce que les apercevoir. Il y en avait des profonds, et de très légers. Des ronds, ou des ovales. Le plat en était entièrement parcouru, la décorant telles les étoiles du firmament.
Mais le plus intrigant était la chaleur qu’elle dégageait : elle était tiède. Le métal antique dont elle était composée, le serrain, était indestructible et inimitable. Mais avant tout, il était chaud. Et ne changeait jamais de température.
Le shérif la laissa tourner la clé dans ses doigts un moment, attendri, puis reprit l’objet contre ses protestations.
« Tatata, cette clé est à moi. Pour l’instant.
— T’es méchant Maquine, bouda Neila.
— Au contraire, je suis très gentil. Je compte l’offrir à l’enfant qui sera adopté c’soir. Si tu fais un p’tit effort, peut-être qu’elle sera à toi. »
Le clin d’œil de l’apache la fit moyennement sourire, mais elle s’imaginait déjà recevoir ce merveilleux cadeau, une fois elle et Shelly choisies. Elle n’en avait jamais vraiment rêvé : jusqu’ici, elle désirait par-dessus tout la liberté. S’enfuir d’elle-même, au galop et chapeau sur le crâne, parcourant le monde, les cités et des ruines pleines de reliques des temps anciens. Les histoires du shérif et des rares voyageurs lui mettaient chaque fois l’eau à la bouche, et ces dernières années à attendre le grand homme furent douloureuses pour elle. Mais elle avait pris conscience qu’elle ne pourrait partir sans avoir l’âge requis. Si elles étaient adoptées, Neila ne serait pas aussi libre qu’elle l’espérait, mais au moins, elle ne serait plus enfermée à l’orphelinat. Elle rencontrerait tant de gens dans le nouveau saloon, pourrait aller acheter les boissons dans les villages voisins, et peut-être même se rendre aux cités, sa clé en main.
S’apprêtant à partir, joie en poche, elle vit un objet étrange dépasser de la besace de McQueen. Une sorte de cube.
« Et ça, c’est quoi Maquine ?
— Oh, je sais pu trop. Une babiole de l’ancien temps. On en trouve des tas des comme ça, les ingénieurs des cités ne les achètent même plus.
— Je peux l’avoir ?
— Non, celui-ci je le garde. Si tu veux avoir tes propres reliques un jour, alors tu devras te les procurer toi-même. Allez, file, M’dame Morganne doit t’chercher partout ! »
Le reste de la journée fut habituel : école, ménage, rangement. Mais elle fut conclue par une toilette intégrale ! La directrice avait lourdement insisté auprès de Shelly pour que Neila soit décrassée jusqu’aux orteils, ce dont l’obéissante jumelle ne manqua pas de s’assurer. Aux premières lueurs du crépuscule, les enfants étaient tous convenablement habillés et coiffés, portant de jolies chaussures cirées et pour certaines filles de beaux rubans pour les cheveux. Tous étaient alignés avec soin par Madame Morganne, dans le hall principal, face à l’entrée, pour que les futurs invités puissent voir toute la ribambelle d’enfants qui se présenterait à eux. Les plus jeunes en âge de marcher étaient au premier rang, les plus anciens derrière. Les garçons à gauche, les filles à droite. Shelly et Neila, à l’arrière, étaient côte à côte et se tenaient la main. La première était fière de sa sœur qui avait, pour une fois, fourni de remarquables efforts. Efforts qui lui coûtaient beaucoup, arrachant un rire sincère de la part de la plus sage des deux. La directrice était décontenancée à la vue de ses couettes blanches, s’étant habituée à une touffe éparse de cheveux digne d’un cirque. Elle se surprit à lui sourire, ce qui ne lui fut qu’à moitié rendu.
——
À l’extérieur, face au soleil tout juste couché, arriva une automobile. Le chauffeur la stoppa avec difficulté, l’antiquité agissant avec récalcitrance aux mouvements de manivelles de ce drôle de bonhomme. Perché sur son siège, il portait un haut-de-forme qui lui seyait fort peu, trop petit pour sa carrure de taureau, ainsi qu’une moustache tordue et un monocle sans verre. Ouvrant la portière, il laissa sortir du véhicule une femme richement habillée, sa grande robe bouffante et son large couvre-chef à fleurs attestant d’une fortune non dissimulée. Derrière elle surgit un jeune homme, tout juste adulte, plus simplement vêtu, à savoir d’une redingote rouge à rayures brunes et d’un chapeau discret. Sur celui-ci, une plume de hiboux. Dans sa main droite, il tenait une canne dont la poignée était une horloge à trois aiguilles, idéale pour les gens pressés – que ne semblaient pas être ces trois intrus, en témoignait leur entrée tardive.
Cette vue inspira à McQueen, posté patiemment devant l’orphelinat, un mécontentement visible. Il s’approcha, d’un pas très lent, et surtout décontenancé.
« Bien le bonsoir, le salua le garçon en retirant son chapeau avant d’incliner légèrement la tête. Nous avions prévenu de notre arrivée. Victor Owlho. Sincèrement navré pour ce retard indigne de ma personne, mais notre chauffeur a rencontré quelques… déconvenues. »
Le ton de sa voix s’assombrit quelque peu en prononçant ce dernier mot, alors que le ciblé remettait son haut-de-forme effilé en place et essayait d’éteindre le moteur du véhicule. La jeune femme agitait de manière exagérée son éventail, toc que stoppa son époux d’un mouvement de main.
« Vous arrivez bien tard, ‘ffectivement, répondit McQueen sans politesse. Elle sert à quoi cette canne, hein ?
— L’orphelinat se trouve donc ici ! l’ignora l’inconnu. Pouvons-nous entrer ? Je ne souhaite pas faire attendre ces petits enfants plus longtemps.
— Vous ne voulez pas voir votre saloon avant ? C’est avant tout pour ça que vous venez. » Cette phrase semblait tenir plus d’une affirmation que d’une supposition.
« Oh ! s’exclama soudain Owlho, le gant exagérément posé sur le front. Oui, le saloon, suis-je bête ! Non, nous avons résolu de ne point le prendre. Vous savez, ma femme a le mal du pays – voyez comme elle tente désespérément de se ventiler (il agita de nouveau sa main pour lui intimer d’arrêter). Décidément, ce choix était probablement bien trop rapide et irréfléchi pour les humbles citadins que nous sommes. J’avais dit à Albert de vous envoyer une missive sur le champ à l’instant où nous avons pris cette décision.
— Peut-être la lettre n’a-t-elle pas été réceptionnée, Monsieur, argua le chauffeur.
— Cela étant, navrés pour ce dérangement, marshal.
— Shérif, répondit celui-ci.
— Shérif ! Tous ces termes, je ne m’y retrouve plus. Le mal de pays, je vous le garantis, mon ami ! Mais, de ce pays ma femme et moi comptons bien ramener une jolie petite tête d’ange. Nous nous sentons seuls à la maison, depuis le décès de notre chère Rosie. Son accident nous a… terriblement bouleversés. Nous ne supportons plus de vivre isolés dans une si grande demeure, une présence enfantine est indispensable à l’égaiement de nos chambres ! N’êtes-vous point d’accord ?
— M’en cogne.
— À la bonne heure ! Eh bien alors, pouvons-nous entrer, shérif ? »
Ce dernier stoppa la marche du citadin, alors qu’il posait son premier pied sur l’estrade du bâtiment. Son agacement était certain, mais pas assez pour perdre ses jolis mots.
« Qu’y a-t-il donc, ssshérif ?
— Éteignez cette foutue charrette. La fumée pourrait empoisonner les enfants. Vous le savez bien, non ? »
McQueen darda de ses yeux noirs le sourire malavisé du jeune noble, qui se contenta de claquer des doigts, le chauffeur relevant la tête.
« Albert, coupez le contact.
— C’est que j’essaie de faire, Monsieur, mais… »
McQueen s’impatienta, et bouscula le moustachu penaud pour calmer lui-même la voiture, d’un coup de levier ferme. L’agaçant bourdonnement du moteur cessa enfin, ne laissant place qu’à celui du générateur du village.
« Grand merci ! Que ferions-nous sans nos hommes de loi, n’est-ce pas ma charmante femme ? Eh bien, entrons donc ! »
Chapitre fluide, et la coupure est très bien, juste avant la rencontre entre ce mystérieux noble et des enfants de l'orphelinat, ce qui en fait un bon cliffhanger.
Le caractère de Neila est bien dessiné, idem pour celui de Shelly. J'apprécie McQueen, son côté bourru, méfiant avec les étrangers mais doux avec Neila, ce qui lui donne une figure plutôt paternelle.
Tu attires l'œil, sans trop d'insistance, sur cette clé et ce cube étrange qu'il a rapporté du désert, c'est top. On sent que le sujet va revenir.
Je te fais mes petites remarques sur la forme, en vrac :
- "à l'affut" -> affût
- "leur visage immaculé" -> leurs visages immaculés? (les visages?)
- "qui se racontaient les songes étoilés qui les avaient bordés cette courte nuit." -> j'aime bien, mais tu fais déjà allusion, quelques paragraphes plus tôt, aux rêves de la nuit, et j'ai eu un sentiment de déjà lu.
- "Ha ! Ha ! Ha ! Neila !" puis "Ah ! Ah !" -> pour l'harmonie, je dirai que c'est mieux de choisir une seule et même forme de rire.
- "j’arrive même pas" -> j'arriverais ? Parce qu'elle ne fait pas la démonstration de courir dans la robe.
- "des grandes cités de l’Ouest, (...) les terres sauvages de l’extrême est" -> si tu mets la majuscule à Ouest, je te conseillerais aussi de le faire à Est. Surtout qu'Est, c'est plus difficile à lire, ça peut aussi donner l'impression que la phrase n'est pas finie.
- "de beaux rubans pour les cheveux" -> dans les cheveux ?
- "La jeune femme agitait de manière exagérée" -> un détail ; elle était plus âgée à l'origine, non ?
- "C’est que j’essaie de faire" -> C'est ce que j'essaie de faire?
À bientôt! :)
Merci pour ce retour !
Concernant la fluidité, j'ai essayé de réécrire un peu le chapitre - par contre, j'ai passé des heures à retirer toutes les répétitions, ce qui peut jouer dans le côté fluide ! Ceci-dit, je me suis arrêté à ce chapitre, car c'est trèèèèès long, donc à voir si la suite est du même acabit ou si ça vaut vraiment le coup de se tuer à la tâche :)
Merci pour les corrections de forme (car visiblement Antidote ne fait pas son travail grrrr), quelques remarques :
"-> j'aime bien, mais tu fais déjà allusion, quelques paragraphes plus tôt, aux rêves de la nuit" -> Assez vrai, mais la scène se situe dans l'instant. Tous se racontent leurs rêves, alors que Neila est seule, et ne parle à personne. C'est sur ça que je voulais appuyer.
"pour l'harmonie, je dirai que c'est mieux de choisir une seule et même forme de rire" -> C'est un oubli ! Je chasse ce genre d'erreur grrrr !
"-> si tu mets la majuscule à Ouest, je te conseillerais aussi de le faire à Est" -> Nope. Car l'Ouest est un territoire nommé ainsi. L'extrême est, non, c'est une direction. J'ai conscience que c'est flou car moi-même je suis assez peu satisfait de cette manière de dire, mais j'ai pas trouvé mieux qui ne fasse pas trop lourdingue en début de roman !
"un détail ; elle était plus âgée à l'origine, non ?" -> HAHAHAHA tout juste, en plus ça revient en blague dans le chapitre suivant ! Tu as tout à fait raison xD
Rien à redire sur le reste.
Merci ta lecture retour, et j'espère que tu vas apprécier découvrir cette histoire ! (*tousse*)
Plus sérieusement, je sais que revenir sur quelque-chose qu'on a déjà lu, même si modifié, c'est prendre du temps qu'on pourrait allouer à une toute nouvelle œuvre, donc vraiment MERCI pour ça !
Des bisous <3
Et tqt :) Je n'avais lu qu'une dizaine de chapitres en soi (puis j'aime lire) donc je reviens avec plaisir !