Chapitre 1 — Mauvais présage.

La foudre tomba d'un ciel sombre. Un seul éclair frappa la cathédrale et fit pleuvoir des pierres, alors qu'une aura inquiétante enveloppait le village, accroissant le chaos de cette nuit d'orage.

Une puissante bourrasque intensifia les flammes embrasant les habitations et les fit s'élever jusqu'au ciel. Un devin fou parcourait les rues annonçant la fin imminente du monde, tandis que les habitants abandonnaient leurs foyers en hurlant.

Un homme enflammé sortit d'une maison en courant. Il agitait les bras et suppliait qu'on lui vienne en aide. Il continua sa course jusqu'à trébucher sur une caisse abandonnée au milieu du chemin et tomba dans le fond d'un puits.

Au milieu des bousculades, un petit garçon en pleurs criait après sa mère. Le clocher menaçait de s'écrouler. Une femme se rua vers l'enfant et quand elle le prit dans ses bras, la tour s'écrasa sur eux dans un vacarme assourdissant.

Le tonnerre roulait tel le rugissement de mille dragons furieux. Certains villageois terrorisés se dirigèrent vers les rives et se recroquevillèrent sous de petits abris.

L'orage continuait de gronder. De violentes bourrasques arrachèrent les toits des maisons, les envoyant au loin sur d'autres structures qui s'effondrèrent. Des habitants étaient ensevelis sous les décombres, mais personne ne s'arrêtait pour leur venir en aide.

Un puissant craquement déchira les cieux, la foudre frappa à nouveau et un torrent de flammes déferla, noyant le village dans un insondable océan rouge. Il débordait, mais le flot continuait.

Puis d'un seul coup, le brasier disparut, ne laissant que vide et désolation.

* * * * * * *

L'atmosphère était brumeuse et d'épaisses fumées sombres s'échappaient des ruines. Chassés des lieux par deux individus en armure noire, des dizaines de corbeaux prirent leur envol et décrivirent des cercles autour du village.

Les deux paladins marchaient péniblement dans les rues désertes à la recherche de survivants. Le temps était doux, mais le crachin se chargeait de rendre les pavés glissants.

Ils arrivèrent sur une petite place où une forte odeur de brûlé flottait dans les airs. Le feu avait noirci le sol ainsi que les façades des maisons, tandis que les restes du clocher formaient un monticule de gravats, bloquant l'accès à plusieurs habitations.

Remak s'en approcha. Il souleva une planche calcinée et retira quelques débris de son chemin, puis il trouva le cadavre d'une femme serrant contre sa poitrine le corps sans vie d'un enfant.

Il se mordit les lèvres. Le goût du sang salé coulant dans sa bouche lui donnait un haut-le-cœur. Un sentiment de colère et de tristesse l'envahissait. « Quelle tragédie », pensa-t-il. « Ils ne méritaient pas un tel sort, ce n'étaient que des gens sans histoire qui vivaient humblement. »

Le paladin prit le grimoire retenu par une chaîne à sa ceinture et l'ouvrit à la recherche d'un sortilège. Une croix forgée en forme de trident bercé par un demi-soleil était posée sur l'épaisse couverture en cuir. Ce symbole antique représentait l'emblème de leur royaume : le Sanctum.

Lorsqu'il trouva le sort, il prononça à haute voix des mots sacrés. Ses yeux argentés luisèrent, puis une lumière blanche et pure baigna les deux corps sans vie qui disparurent dans des faisceaux lumineux.

— Puisse la Lumière vous guider, murmura-t-il.

Il chercha du regard sa sœur d'arme. Il la vit sortir d'une maison en ruine lui faisant un signe négatif de la tête.

Démétria portait un long manteau noir en cuir par-dessus son armure, sa capuche cachait son visage ne laissant apercevoir que ses longs cheveux platine, et son regard rayonnant d'une lueur argentée.

Remak exprima sa frustration par un grognement. C'était la troisième fois en deux semaines qu'ils découvraient un village en cendres sans survivants. La Matriarche serait furieuse s'ils revenaient sans explications sur l'origine de ces mystérieux incendies. D'autres villages pouvaient subir le même sort s'ils ne se dépêchaient pas, et Sa Sainteté n'était pas reconnue pour sa patience. Ils devaient se hâter de trouver une piste, quelque chose ou n'importe quoi pouvant les aider à résoudre cette énigme.

En continuant leur investigation dans les rues, les vestiges de la cathédrale se dressaient devant eux. Jadis, un culte de la Lumière y pratiquait des prières, c'était un lieu sacré ainsi qu'un sanctuaire pour les gens qui recherchaient du réconfort. Les paladins se demandaient si un jour ce temple serait reconstruit, et si de nouveaux fidèles viendraient adorer leur déesse.

Démétria se figea devant l'entrée. Elle plissa les yeux en balayant du regard l'intérieur. Une énergie irrégulière flottait dans les airs. Elle la sentait.

Elle fit signe à son compagnon de la suivre, puis elle passa le pas de la porte avec prudence. Peut-être qu'ils n'étaient pas seuls. Et tant mieux. Ainsi, ils obtiendraient des réponses à leurs questions.

De l'extérieur, la cathédrale semblait beaucoup plus petite que ce qu'elle paraissait. Ce sanctuaire avait été une merveille. Il y avait une centaine de mètres de perspective de pierre, d'immenses vitraux, des colonnes qui semblaient se perdre et disparaître sous les coupoles... Les architectes et les gens de foi avaient mis tout leur art, et tout leur cœur au service de cet édifice majestueux de ce petit village.

Une telle beauté saccagée... Quelle gâchis.

À première vue, les causes de l'incendie étaient d'origine naturelle, mais les paladins n'en étaient pas convaincus. Il n'y en avait jamais eu à répétitions dans cette région. Quelque chose devait les provoquer.

Le bruit de leurs pas et les cliquetis de leurs armures résonnèrent. Les flammes avaient tout réduit en cendre. Il ne restait que l'autel des célébrations d'intact. Même le cristal sculpté en un soleil qui lévitait au-dessus, avait perdu de son éclat. La Lumière avait quitté ces lieux à présent désolés.

— Quelle est cette injure envers la Lumière ? gronda Remak furieux. Par tout ce qui est saint ! Qui a osé profaner ce lieu consacré ?

— Patience mon ami, lui répondit Démétria d'une voix calme, nous le découvrirons bien assez tôt. Cet endroit est rempli d'une énergie anormale et... familière.

— Familière ? s'étonna-t-il.

— Moi-même, je ne comprends pas très bien.

Alors qu'elle inspectait minutieusement l'autel à la recherche de cette force qui la hantait, elle trouva un mécanisme caché dans une sculpture. Elle l'enclencha et un son assourdissant retentit. Des pierres bougèrent, dévoilant un passage sous leurs pieds vers un sous-sol. De l'air chaud et humide leur cingla le visage. Surpris par la chaleur, ils firent un pas en arrière et regardèrent depuis leur hauteur s'il n'y avait aucun danger.

Rien.

Ils s'échangèrent un regard interloqué. Ce n'était pas normal.

Remak descendit les escaliers avec vigilance, suivi de Démétria. Des cristaux artificiels en forme de losange accrochés aux murs de pierres éclairaient le couloir, menant à un embranchement un peu plus loin.

Démétria guidait son compagnon à travers les souterrains. Cette énergie présente dans l'air devenait de plus en plus intense et une brume vaporeuse emplissait les tunnels, alors qu'au fur et à mesure de leur avancée, la chaleur était à peine supportable. C'était une véritable fournaise.

Une roche difforme longeait les parois recouvertes de cendre et de traces noires. Elle était rouge avec un aspect vitreux et cela semblait venir depuis l'autre bout du couloir.

Remak la reconnut avec étonnement.

— De l'obsidienne ici ? Comment est-ce possible ?

— D'autant plus qu'il n'y a pas de volcans dans cette région, lui répondit Démétria d'une voix impassible.

En observant de plus près, quelque chose attira leur attention. De fines particules rougeâtres à peine perceptibles voltigeaient autour de la roche. Cela n'avait rien de naturel. On aurait dit des résidus magiques, mais ils n'arrivaient pas à en déterminer l'origine.

Ils continuèrent d'avancer jusqu'au bout du tunnel pour aboutir dans une grande pièce circulaire. Il y flottait une odeur de brûlé qui s'intensifiait et ils distinguaient autour d'eux des reflets rouges.

Il faisait sombre, alors Démétria chuchota une incantation et fit apparaître dans le creux de sa main une boule de lumière pour éclairer l'endroit.

De l'obsidienne avait jailli mystérieusement du centre de la pièce et recouvrait presque la totalité des murs ainsi que du plafond. La roche s'était étendue jusque dans les couloirs, même le sol possédait un aspect vitreux. Tout avait été détruit et cette puissante énergie émanait encore plus dans les airs.

Un mauvais pressentiment fit frissonner Démétria.

L'obsidienne formait de grandes et longues pointes acérées. Certaines d'entre elles frôlaient le plafond, tandis que d'autres obliquaient dangereusement. Rempli de cette mystérieuse force, un nuage poussiéreux tournoyait lentement au-dessus de leur tête.

Les paladins n'avaient aucune idée de ce qui s'était passé ici. C'était la première fois qu'ils voyaient ça.

Démétria vit des marques dessinées au centre de la pièce. Un sigil avait été gravé sur le sol. Les signes ressemblaient étrangement à ceux de la Lumière, à la différence que les formes étaient plus rustres.

Son regard tomba sur une pierre cristallisée coincée dans l'une des gravures. En la ramassant, elle découvrit un diamant ovale reluisant d'une lueur orange, tandis qu'un faisceau jaunâtre à l'intérieur du joyau le parcourait de haut en bas.

— Qu'est-ce que c'est ? murmura-t-elle.

Elle approcha la sphère de lumière pour mieux l'étudier. Elle la fixa cherchant à comprendre sa nature.

— Démétria...

Une magie à la fois familière et inconnue en émanait, alors qu'une désagréable sensation d'être observée l'envahissait.

— Démétria.

Le diamant commençait à luire. Il dévoila une beauté inouïe, brillant d'un rouge rubis dont son regard ne pouvait s'en détacher.

— Démétria ! hurla Remak. Ressaisissez-vous bon sang !

Elle reprit ses esprits aussitôt, la sphère de lumière avait disparu de sa main. Trop absorbée par ses pensées, elle n'avait pas remarqué que la pierre se nourrissait de sa magie, la vidant de ses forces.

Elle sentit son gantelet la brûler et lâcha le diamant en poussant un gémissement. Une aura rouge intense l'enveloppait et il lévitait devant eux.

Soudain, il éclata en mille morceaux et une brèche jaunâtre s'ouvrit à travers la réalité où un puissant souffle de vapeur en sortit. Les paladins lancèrent in-extremis un sort de protection. Un bouclier translucide se forma autour d'eux. Une chaleur venue tout droit des enfers arrivait de l'autre côté de la faille. De la roche en fusion en coulait et se mélangeait à l'obsidienne pour prendre la forme d'une main titanesque aux doigts noirs et pointus.

— Par la Lumière, quelle est donc cette chose ? s'écria Remak abasourdi.

— Oh non... Un élémentaire de feu !

La brèche continuait de s'agrandir, ils furent obligés d'intensifier leur défense lorsque la lave se répandit dans la salle.

Une créature tentait de pénétrer dans leur réalité. De l'autre côté de la brèche se trouvait un monde différent : un ciel rougeoyant s'étendait jusqu'à l'horizon, alors que le bruit prolongé du tonnerre retentissait.

Les murs et le plafond se fissuraient pendant que d'immenses lambeaux d'obsidienne s'arrachaient du sol pour former un bras. Un regard jaune effroyable apparut de l'autre côté de la faille, celui d'une créature titanesque !

Pour la première fois de sa vie, Remak se sentait impuissant face à un ennemi. Que pouvaient-ils faire contre cet être gigantesque fait de lave et de roches ? Il faudrait une armée pour espérer vaincre un tel monstre !

Figé, il ne vit pas l'énorme main lui arriver dessus et fut projeté violemment sur les pointes d'obsidiennes. Il en eut le souffle coupé et son bouclier magique se dissipa, avant de tomber lourdement à terre.

L'élémentaire poussa un cri terrifiant faisant trembler la salle entière. Il continuait à chercher un moyen pour traverser la brèche.

Démétria courut vers son compagnon pour lui venir en aide. Quand elle passa devant le regard de la créature, elle récita des mots sacrés et l'aveugla à l'aide d'un puissant flash. Le terrible rugissement de l'élémentaire la fit frissonner.

Quand elle fut proche de Remak, elle cria son nom plusieurs fois mais il ne répondait pas à ses appels. La panique commençait à l'envahir.

— Ne me faites pas ça Remak, vous avez survécu à pire ! s'écria-t-elle.

Elle posa son oreille près du visage de l'homme. Il respirait. Soulagée, elle le prit sans attendre sur son épaule et le transporta avec difficulté vers la sortie.

L'élémentaire commençait à retrouver la vue et un second bras s'était formé. Il ne comptait pas les laisser fuir, et faillit les attraper lorsqu'ils quittèrent la salle. Son rugissement de colère fit trembler l'air et Démétria manqua de trébucher alors qu'elle montait les escaliers pour atteindre la surface.

Des blocs de pierres tombèrent, l'église menaçait de s'effondrer à tout moment. Elle peinait à porter Remak, l'épaisse armure en plaque du paladin la gênait. Elle se demandait comment il pouvait bouger si facilement avec autant de poids sur lui.

Un grondement retentit depuis les sous-sols, les dalles se soulevèrent libérant de la vapeur, tandis que de longs pieux d'obsidienne en émergeaient. Un bruit de tonnerre vint des profondeurs. Démétria eut à peine le temps d'apercevoir une lumière orange, qu'une terrible déflagration éclata emportant tout sur son passage.

L'église s'écroula dans un lourd retentissement, alors que le torrent de flammes se dissipait.