Rachel contempla le paysage avec attention. Sous le soleil couchant s'étendaient des prairies verdoyantes. Aucun visiteur ne s'était montré depuis plusieurs jours ce qui était peu surprenant — Bourg-d'Argent se trouvait loin de la civilisation.
Installée à une table à l'extérieur de l'auberge, Rachel se tenait là, assise les jambes croisées, laissant la brise jouer avec ses cheveux noirs. Le chant des oiseaux saluait le coucher du soleil, tandis que les moutons bêlaient de l'autre côté de la clôture en bois.
Elle ferma les yeux et inspira profondément. L'odeur parfumée des fleurs et des plantes flottait dans l'atmosphère chargée d'humidité. Cette fragrance lui rappelait des souvenirs de son enfance, quand elle s'amusait avec les autres gamins du village et que sa mère la grondait lorsqu'elle revenait avec des bleus. « Tu as encore été jouer avec ta bande près de la carrière! Pour l'amour de Rhamée (1), combien de fois devrais-je te répéter de ne pas aller là-bas ? » Aussi loin qu'elle s'en souvenait, elle préférait jouer au soldat, s'habillait comme un garçon et avait de l'intérêt pour les armes.
À défaut d'avoir un fils, son père lui avait transmis tout son savoir de guerrier espérant qu'un jour, elle puisse à son tour servir la Matriarche. « Il n'y a pas plus grand honneur que de servir Sa Sainteté. » lui répétait-il avec orgueil. Ses parents étaient fiers de la voir douée à l'épée.
Ces années semblaient si lointaines...
La maladie lui enleva sa mère lorsqu'elle était encore une jeune enfant, et peu de temps après, son père fut gravement blessé à la jambe lors d'une chasse. Contrainte de renoncer à sa carrière de soldat, elle choisit de rester pour pouvoir s'occuper de sa famille. Quelques années plus tard, Rachel s'engagea dans la milice du village et en fut nommée cheffe, après avoir prouvé à plusieurs reprises ses talents au combat et de leader.
Même si elle n'était pas devenue un soldat de la Matriarche, son rôle de capitaine lui tenait à cœur, et savoir que les habitants lui faisaient confiance l'emplissait de fierté.
Soudain, une voix familière la sortit de ses pensées.
— As-tu réfléchi à notre discussion ?
Rachel ouvrit les yeux. Hadvar se trouvait à côté d'elle. Il se servit une petite anguille à l'ail baignant dans de l'huile et du vinaigre. Les cheveux bruns et courts de l'homme aux reflets pâles étaient soigneusement coiffés en arrière, et la propreté de sa barbe montrait qu'il l'entretenait régulièrement.
— Je ne sais pas si c'est une bonne idée, répondit-elle.
— Penses-y. Imagine toutes les possibilités qui s'offrent à nous. On pourrait aider le village à se développer et faciliter le quotidien des gens. Pourquoi les citadins seraient-ils les seuls à en profiter ?
Elle soupira et but une gorgée dans sa choppe de bière.
— Nous n'étions pas censés découvrir leur existence.
— Ils sont abandonnés, pourquoi on ne s'en servirait pas ?
— Je ne veux pas attirer les foudres de la Matriarche.
— Je suis sûr qu'elle a oublié qu'ils y étaient stockés. Si elle en avait eu besoin, ne penses-tu pas qu'elle serait venue les chercher ? Tu sais aussi bien que moi, que toutes les mines regorgeant des cristaux de psynergie (2) sont sous le contrôle de l'armée. C'est une carrière abandonnée où nos grands-parents ont extrait le charbon.
Rachel regarda du coin de l’œil le petit diamant blanc déposé sur la table. La magie que renfermaient ces cristaux pourrait être d'une grande utilité. Les récoltes seraient meilleures, la chasse deviendrait plus facile ainsi que la pêche, et ils pourraient construire des golems qui les aideraient dans les tâches laborieuses.
Rachel saisit une écrevisse et la fit craquer avec sa mâchoire pour en sucer la chair blanche. Elle cligna des yeux en regardant Hadvar. Malgré les quelques rides qui formaient un réseau près du regard de l'homme, les feux du soleil couchant faisaient ressortir la symétrie parfaite de son visage.
— De toute manière, continua-t-il, elle verra bien que nous les avons utilisé pour améliorer notre confort de vie. Bourg-d'Argent pourrait se développer en augmentant les productions agricoles, ainsi nous pourrions commercer avec d'autres villages, voire des cités !
Il fut interrompu par de joyeux braillements. Un groupe de gamins jouait avec une balle, qui roula jusqu'aux pieds de Rachel.
— Vous pouvez nous renvoyer le ballon m'dame Rachel ? s'exclama un petit garçon grassouillet.
Elle se leva de sa chaise ajustant sa chemise en lin, puis elle le lui lança.
— Merci !
Rachel lui sourit, tendant les lèvres comme pour un baiser et fit un clin d’œil. L'enfant devint rouge pivoine, puis il partit en ricanant accompagné des rires de ses camarades.
Hadvar raclait le tonnelet de bière avec la louche.
— On pourrait leur offrir un meilleur avenir ainsi qu'à leur descendance. N'es-tu pas de mon avis ?
Rachel saisit ses hanches, songeuse.
Elle avait à portée de mains le moyen de faire profiter les villageois de leur héritage. Son père lui avait raconté quand elle était enfant l'histoire de leur royaume.
Il y avait bien longtemps, un dieu fut à l'origine de grands chamboulements et de catastrophes. Cette divinité massacrait et asservissait des civilisations entières. C'était durant cette période qu'une femme aux pouvoirs incommensurables apparut. Elle leur montra l'existence d'une nouvelle forme de magie tirée de cristaux surnaturels. Leur potentiel était illimité et l'espoir revint. Une révolution technologique leur permit de se développer rapidement et de créer les premiers guerriers saints.
Elle réunifia le royaume sous une autre bannière, le Sanctum, et ensemble ils réussirent à vaincre leurs ennemis. Depuis leur victoire, l'avenir de l'humanité était devenu plus radieux que jamais.
Ces cristaux appartenaient à son peuple, pourquoi ne pourraient-ils pas les utiliser ? Hadvar avait un bon jugement, la Matriarche les avait probablement oubliés ou peut-être les avait-elle laissés ici pour qu'ils en fassent usage.
Rachel hocha la tête.
— Tu as raison. Si les citadins en profitent, alors pourquoi pas nous ?
— Voilà ! C'est ça que je voulais entendre ! s'écria Hadvar, content de voir les doutes s'effacer du visage de son amie.
— Il reste à savoir comment les extraire de la mine. N'y a-t-il pas eu un éboulement qui bloque l'accès aux galeries souterraines ?
— Si, mais ce n'est pas un problème.
Il rota bruyamment.
— Je connais quelqu'un qui pourrait nous aider à dégager le passage.
Rachel s'assit sur sa chaise, croisant les jambes.
— Qui ça ?
— Moji.
La jeune femme fronça les sourcils et grimaça. La plupart des inventions de cet homme étaient douteuses et... explosaient souvent.
— Ne fais pas cette tête.
Hadvar but une gorgée de bière.
— Il est un peu bizarre, mais il n'en reste pas moins un expert artificier. En plus, il a quelques connaissances en ingénierie qui pourraient nous être utiles. Ça évitera d'envoyer trop d'hommes dans les mines.
— Justement, nous devrions trouver un autre moyen de...
— Ne t'inquiète pas, je gère, l'interrompit-il en levant la main. Je n'irais pas le voir si je n'étais pas sûr de mon coup. Fais moi un peu confiance. Tu me connais non ?
Rachel suçait une écrevisse en lui jetant des regards entendus. Sa chemise était largement déboutonnée, à la limite du possible. Hadvar était sûr que son attitude mettait à l'épreuve sa résistance à la consommation d'alcool.
Ils restèrent ainsi à s'observer jusqu'à ce que le soleil ait disparu de l'autre côté de la colline, et avant qu'ils ne s'adressent de nouveau la parole, le chant des oiseaux s'était tu.
— Quand commençons-nous ? se résolut-il à demander.
Elle se gratta la tête avant de se lever. Il la suivait du regard.
— Demain.
— Tu m'accompagneras chez Moji ?
— Non. J'irai voir le bourgmestre, je dois obtenir son accord avant que nous débutions l'extraction.
— Et s'il refuse ?
— Il ne refusera pas, répondit-elle fermement. Pendant ce temps, tu te rendras chez l'autre timbré chercher le matériel nécessaire.
— C'est toi la cheffe.
Elle lui sourit en découvrant une rangée de dents blanches.
— Il se fait tard, et il est de ton devoir d'offrir à ton supérieur le gîte... et le plaisir de ta compagnie, répondit-elle, et tandis qu'elle passait à côté de lui, elle effleura du bout des doigts son épaule.
Hadvar déposa sa choppe sur la table, essuyant ses doigts à sa serviette et rangea la pierre blanche dans sa poche. Puis à son tour, il se leva et ses pas se mirent à suivre ceux de Rachel sur le chemin qui menait à sa maison.
(1) Déesse de la Lumière.
(2) Cristaux magiques
Bref, un début que j'apprécie et le personnage de Rachel m'intrigue déjà ! ;)
Pour les annotation, je ne sais pas quoi en penser, au départ il n'y en avait pas mais certaines personnes m'avaient conseillé d'en mettre. Du coup, je ne sais pas dire si elles sont réellement utiles ou non.
Et c'est super que tu apprécies l'héroïne de l'histoire ! J'espère qu'elle saura te surprendre, car je lui ai pas réservé une vie facile, mais plutôt un destin capricieux. ^^
Merci pour ta lecture et de ton enthousiasme, c'est une grande source de motivation pour moi !
Mais oui, pour ma part, je ne pense pas que les annotations soient utiles. On comprend vite de quoi il s'agit :)
"Malgré les quelques rides qui formaient un réseau près du regard de l'homme" le mot réseau me perturbe.
Je trouve tes descriptions très belles et très bien faites. Par contre peut être devrais-tu insister un peu plus sur la description physique de Rachel. Je suppose que c'est un personnage important.
Le physique de Rachel n'est pas décrit car cela n'apporte pas grand chose à la scène. Si c'est pour te faire une image d'elle, tu auras plus d'éléments la concernant dans les prochains chapitres où elle sera plus mise en valeur. En attendant, je te laisse l'imaginer comme bon te semble! Je n'aime pas donner une image fixe d'un personnage, je trouve ça plus intéressant de laisser le lecteur avoir sa propre vision. ^^
Et merci pour ta lecture !
Donc, d'après ce que j'ai compris, on va suivre Rachel, une jeune femme juste et honnête avec un peu de responsabilités mais pas trop, qui a eu une enfance un peu particulière par rapport à ses congénères féminines. Elle est déjà intégrée dans la société, et va découvrir /provoquer quelque chose de nouveau (dans les mines).
La société est dirigée par une femme, il existe des femmes dans les institutions mais on éduque les enfants différemment, donc culture misogyne mais moi égalitaire (c'est un point de détail, mais pour ma part je trouve ça très intéressant ^^), et on ne sait rien des autres minorités
Voilà, c'est l'impression que ça donne
En revanche, s'il y a une chose que je pointera du doigt, c'est l'explication des termes inventés. Honnêtement, ce n'est pas utile, on comprend très bien sans, et ça casse un peu la continuité du texte, ça nous sort de l'histoire. Donc à moins d'apporter plus de détails (genre un ou deux paragraphes d'explications, d'histoire ou d'anecdotes) c'est plutôt dommage. D'autant plus qu'on ne peut pas facilement mettre des chiffres en exposant sur ce site 😅
Par contre, je sais pas si c'est le téléphone qui fait ça mais tout ton texte est aligné à gauche, alors que sur le site on peut le justifier. Autant sur petit écran ça change pas grand chose, autant ça donne un air vachement plus propre sur ordi, et c'est nettement plus agréable à lire ^^
Concernant les noms inventés, j'explique en partie l'origine des cristaux, par contre c'est vrai que je ne dis rien dans ce chapitre, concernant Rhamée car ça aurait été du remplissage et la narration aurait été ralentie. Après c'est subjectif, je n'aime pas quand on se perd dans les détails si ça ne fait pas avancer l'histoire sur le moment.
Après, pour les chiffres en exposants, je n'ai jamais cherché à savoir comment on les fait. Est-ce que ça t'as dérangé durant la lecture les chiffres entre parenthèses ?
Et pour le texte aligné à gauche, ça doit peut-être venir du fait que je copie/colle depuis openoffice sur le site ? De toute manière, sur mes fichiers textes j'écris toujours avec l'alignement à gauche, alors... Quoi qu'il en soit, content que la mise en page te rend la lecture plus agréable !
Je continuerai la publication demain avec le troisième chapitre, puis j'en mettrai un chaque vendredi jusqu'à où j'en suis arrivé.
Je te remercie pour ton retour et ton impression, c'est intéressant d'avoir des avis extérieurs, ça me permet d'avoir le recul nécessaire sur mon texte. ^^
Quand à la mise en page, au contraire c'est le justifié qui est plus agréable à lire. Peut-être que ça vient du copié-collé, mais si tu dis que tu travailles toujours comme ça, ça doit plutôt venir de là. Après si toi ça t'arrange pour écrire, garde comme ça (et sur les petits paragraphes c'est pas forcément très visible)^^