Chapitre 1 : Parler avenir

Offrez nos noms aux méritants pour que leur potentiel puisse éclore. Ainsi, vous formerez des gens. Des familles réunies non pas par le sang mais par quelque chose de plus grand.

Paroles des oiseaux, année inconnue

 

Les hauteurs. C'était sans doute la seule chose que Théo aimait dans ce palais. Chaque fois qu'il se perchait sur les toits du château pour contempler la capitale, il se sentait libre. Ses problèmes étaient trop lourds pour quitter le sol. Alors, à chaque fois que les gens ou les cauchemars rendaient insupportable la perspective de rester une seconde de plus entre ces murs, il se réfugiait là.

D'aussi haut, il pouvait voir jusqu'aux limites de la capitale et même, avec l'aide d'une paire de jumelles, jusqu'au fleuve Niam qui marquait la limite de la Zone Franche. Le soleil se levait à peine et ses premiers rayons baignaient les toits de la ville d'une lueur pourpre.

Théo appréciait le silence qu'il savait éphémère. D'ici quelques heures, peut-être moins, on pourrait entendre d'ici les cris des marchands et les gens se presseraient autour des étals du marché mensuel dans l'espoir de trouver de bonnes affaires. La poussière soulevée par ces milliers de pieds foulant la terre battue des rues était généralement si dense qu'il fallait trois jours aux travailleurs des rues et venelles pour tout nettoyer.

C'est là que le serviteur le trouva.

— Monsieur !

Sans même le voir, le jeune homme pouvait sentir sa peur. Il ne lui en voulait pas. Une personne pouvant se tenir aussi haut sans craindre de chuter était au mieux suicidaire. Théo prit un instant pour savourer la paix des lieux avant de mettre fin à son supplice.

— Rentrez, j'arrive.

L'homme obtempéra avec joie et avant même que Théo se soit levé, il avait déjà regagné la sécurité de l'enceinte du palais. Sans enthousiasme, il l'imita, marchant avec adresse sur les tuiles avant de se laisser glisser jusqu'à la fenêtre ouverte. Sa main crocheta avec adresse l'encadrement et il utilisa l'élan acquis pour sauter l'obstacle, atterrissant sans encombre dans sa chambre sous le regard prudent du serviteur.

— Qu'y avait-il de si important pour que vous rentriez dans ma chambre ?

— Je suis désolé, monsieur. Mais la matriarche désire vous voir au plus vite et cela faisait plusieurs minutes que je frappais à votre porte. »

Les yeux de Théo s'écarquillèrent en entendant cela. La matriarche n'était pas connue pour être une personne d'une grande patience. Même à une heure aussi matinale, il était déconseillé de la faire attendre. Ceux qui s'y étaient risqués de manière un peu trop répétée avaient eu le droit à une visite approfondie des cachots du palais. Pour les plus chanceux.

— Puis-je disposer monsieur ?

Distraitement, le jeune homme hocha la tête. Avant même que la porte ne se soit refermée derrière le serviteur, il fouillait déjà dans sa penderie pour en sortir une tenue propre. Bien vite, il revêtit les bottes de combat, le pantalon renforcé et le haut noir qui composaient la base de son uniforme.

Lorsqu'il enfila par-dessus la veste brodée sur le cœur du symbole de la gens Mesric - trois plumes argentées - et qu'il plaça ses dagues dans les fourreaux dissimulés dans le cuir, il sentit un grand calme s'emparer de lui. Jetant un coup d’œil dans le miroir juste à côté de la porte de sa chambre, il plissa les yeux. Même une tenue propre ne suffirait pas à faire oublier ses yeux cernés et ses cheveux désordonnés.

Verrouillant la porte de sa chambre derrière lui, il prit le chemin du corps central du palais où se trouvait le bureau de la matriarche. Quelques minutes plus tard, il frappait à sa porte, luttant contre une montée de stress.

— Entrez !

La voix de la matriarche, difficilement perceptible à travers l'épais bois sombre richement orné de la porte, ne lui donna aucune indication sur l'humeur de l'occupante du bureau, ce qui n'était pas pour le rassurer. Sans lui laisser la possibilité de songer à faire demi-tour, la porte s'ouvrit devant lui.

L'antre de la matriarche était à son image : froid, épuré, fonctionnel. Des bibliothèques pleines à craquer ornaient deux des murs de la pièce. Théo savait qu'en parcourant les titres, il aurait trouvé les noms des plus grands tacticiens et politiques passés ou présents... Des noms légendaires qui guidaient celle qui menait d'une main de fer la milice la plus puissante de tous les mondes connus.

Au sol, une moquette recouvrait entièrement le parquet en bois. Elle était si épaisse qu'elle étouffait tous les sons. La rumeur qui courait parmi les domestiques voulait que sa couleur carmine ne soit pas seulement due à de la teinture.

Sur le mur en face de la porte, une carte du monde était ornée d'une centaine de punaises de toutes les couleurs. Enfin, au centre de la pièce, derrière un bureau marqueté dont le bois pouvait arrêter une flèche, se tenait la matriarche Mesric, Myriam de son prénom, la grand-mère de Théo.

— Salute Matriarche, articula le jeune homme.

D'un mouvement fluide, il inclina la tête, portant sa main droite à son front puis à son cœur, le salut protocolaire qu'on réservait aux personnes de haut rang. Étrangement, cette marque de respect sembla agacer la vieille femme.

— Pas de ça Théo Mesric. Pour l'instant tu es encore un membre de ma gens si je ne m'abuse.Tu sais donc ce que je pense de ce genre de rond-de-jambes en privé.

— Oui Matriarche. Mes excuses Matriarche.

Ce faisant, il croisa ses bras derrière son dos, écartant légèrement les jambes. Malgré tout, il n'avait pu manquer de noter l'emploi du « pour l'instant ». Il avait beau savoir que sa grand-mère avait raison, cela faisait mal.

— Que puis-je pour vous Matriarche ?

Théo prit bien garde à conserver un ton poli. On lui avait imprimé au fer rouge dans la cervelle depuis qu'il était en âge de marcher qu'il ne devait pas se comporter de la même manière avec sa grand-mère et avec la matriarche. Malgré tout, il fut surpris de percevoir une légère hésitation dans la voix de la vieille femme lorsqu'elle reprit la parole.

— Que sont les Mesric Théo ?

Des protecteurs Matriarche, répondit-il sans hésitation.

— Exact mais incomplet. Nous sommes des protecteurs, des soldats mais également le visage du pouvoir. Nous sommes ceux qui appliquons les ordres du triumvirat. En tant que dirigeante de la gens, je ne peux pas me permettre que quelque chose vienne tacher cette image. Un ancien Mesric devenant mendiant serait une marque difficile à effacer. Alors je voulais savoir si tu avais réfléchi à ce que tu allais faire après la cérémonie du nom.

Théo dût faire appel à tout le contrôle acquis depuis des années pour ne pas montrer qu'il prenait comme une gifle ces paroles. S'entendre dire comme ça qu'il ne serait bientôt plus rien était dur.

— Non Matriarche, parvint-il à répondre.

Il espéra de tout son cœur qu'elle s'en tiendrait là. Le jeune homme ne dormait déjà plus à la perspective de la cérémonie. S'entendre dire par une personne de son sang qu'il n'avait aucune chance et qu'il serait bientôt à la rue, sans argent ni statut, le rendait malade. Malheureusement pour lui, son souhait fut loin d'être exaucé.

— Je t'encourage à le faire. Le palais donne une bourse à ceux qui perdent leur nom lors de la cérémonie mais cela ne pourra pas durer éternellement.

— Oui Matriarche.

Satisfaite par sa réponse et sans prendre garde au manque d'émotion dans sa réponse, elle claqua dans ses mains.

— Parfait. Dans ce cas tu peux disposer.

Mécaniquement, le jeune homme s'inclina une nouvelle fois et se dirigea vers la porte.

— Théo ?

S'étonnant d'être rappelé, le jeune homme se retourna juste à temps pour attraper au vol un parchemin. Fronçant les sourcils, il examina l'objet, qui était scellé avec le sceau personnel de la matriarche.

— On m'a fait remarquer que tu n'étais pas sorti du palais depuis un moment.

Depuis bientôt un an faillit-il répondre. Depuis que la matriarche et sa seconde avaient décidé qu'il n'était pas bon que le responsable du plus grand échec de la gens se promène librement en ville.

— Je t'offre un jour de permission. Présente ça aux gardes, ils te laisseront passer. Tu peux y aller.

Choqué, le jeune homme s'inclina une dernière fois et quitta la pièce sans demander son reste.

 

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AudreyLys
Posté le 06/08/2021
Re !
Comme avant, très bien écrit et plutôt intrigant, ! J'ai repéré quelques coquilles :
Sa main crocheta avec adresse l'encadrement -> répétition d' "avec adresse"
Satisfaite par sa réponse et sans prendre garde au manque d'émotion dans sa réponse -> répétition de "réponse"
Depuis bientôt un an faillit-il répondre -> il manque une virgule après "an"
Je rejoins un peu la remarque d'Arno, moi aussi j'aime quand je découvre les choses petit à petit.
Rienthal
Posté le 07/08/2021
Merci pour les coquilles.

Et je te fais la même réponses. C'est du lore dont j'ai besoin et que j'ai pas réussi à placer ailleurs. mais j'y réfléchis toujours. En tout cas merci pour ton commentaire.
Prométhée.Cl
Posté le 07/06/2021
Ahaha, je sens que son jour de permission ne sera pas de tout repos !
En tout cas, ton histoire me paraît toujours aussi mystérieuse, j'ai hâte de voir où l'intrigue va nous mener :)
Rienthal
Posté le 12/06/2021
Merci c'est très gentil. je poste la suite très vite.
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