Chapitre 2 : Le prêcheur

La cérémonie est dure mais juste. Elle révèle les méritants, leur offrant un nom, un pouvoir et une nouvelle famille. Elle protège les faibles en leur ôtant le patronyme qu'ils ne sont pas assez forts pour porter.

Discours prononcé lors d'une cérémonie. Date inconnue.

 

Pour Théo, les prêcheurs appartenaient à la catégorie des légendes, comme les goules et les pixies, ces petites fées liées aux éléments primordiaux. Il s'agissait d'un groupe de fanatiques qui vénéraient les oiseaux de manière beaucoup trop appuyée pour que cela soit sain.

Si on les tolérait, personne ne les aimait. Ils étaient trop liés à une des parties les plus sombres de l'histoire du monde pour qu'on puisse leur accorder plus qu'une froide cordialité. Qu'une branche fanatique de cette caste ait tenté de tuer les trois héritiers il y a dix générations en arguant qu'il était impie que des mortels puissent abriter en eux des dieux ne les avaient pas rendu populaires, loin de là.

Depuis, ils se contentaient de sillonner les territoires lointains, échangeant un prêche contre un repas chaud et un endroit où dormir, évitant à tout prix de s'aventurer jusqu'à la capitale.

C'est pour toutes ces raisons que Théo ne réagit pas immédiatement lorsque le prêcheur sortit d'une ruelle. Il faut dire qu'il n'était pas non plus très attentif. Après un an enfermé au palais, il redécouvrait la ville comme au premier jour et avait bien du mal à se frayer un chemin dans la cohue. Tout était plus grand que dans son souvenir. Plus bruyant aussi.

Paradoxalement, ce fut le silence qui l'alerta. Un silence aussi lourd qu'une chape de plomb qui tomba d'un coup sur le carrefour de la rue des bouchers lorsque l'homme s'y installa. Il ne chercha pas à se dissimuler, défiant la foule du regard. Théo remarqua son teint bronzé, sa barbe fournie et sa tenue de cuir poussiéreuse. Visiblement il avait fait un long voyage.

Pourtant, la cape qu'il portrait par-dessus ses vêtements était vierge de toute trace. Les plumes bleues, rouges et jaunes qui ornaient le tissu scintillaient sous le soleil matinal. Mais si son apparence avait capté l'attention des badauds, sa voix la retint avec la force de chaînes d'acier à partir du moment où il ouvrit la bouche.

— Je m'appelle Ewen et si je viens ici aujourd'hui ce n'est pas pour prêcher, mais pour vous parler à vous, peuple de la zone franche.

—Vas-t'en prêcheur, hurla quelqu'un dans la foule ! On n'a pas besoin de fanatiques

Ewen vrilla son regard dans celui de l'homme qui venait de parler. Lorsqu'il reprit la parole, toute la fatigue du monde perça dans sa voix.

— Je connais les erreurs de mes prédécesseurs et la réputation des gens de ma caste. Je n'ai pas la prétention de dire que je pourrais corriger cela. Mais je vous demande juste de me laisser parler. Si vous voulez me lapider après, et bien libre à vous.

A ces mots, une sirène d'alarme retentit dans la tête de Théo. Avec de telles paroles, au moindre faux pas cela allait dégénérer en émeute. Laissant son entraînement prendre le dessus, il vérifia la présence de ses poignards dans les fourreaux de sa veste avant de se déplacer discrètement jusqu'à trouver un meilleur poste d'observation.

Sentant qu'il disposait d'une marge de manœuvre plus que mince, le prêcheur s'était remis à parler.

— Il y a dans les territoires lointains un proverbe. Trois héritiers pour diriger. Trois oiseaux pour régner. Vénérez-les et craignez leur colère, ou la désolation s'abattra sur le monde.

D'un ample geste de la main, il désigna les flèches du palais.

— De tout temps il y a eu trois héritiers au sein du palais et cela depuis les premiers. Trois hôtes d'un pouvoir divin que ni vous ni moi ne mesurons. Trois rois pour diriger une noblesse à qui la magie a accordé un nom et le pouvoir qui va avec. Un, c'est le despotisme. Deux, c'est l'immobilisme. Trois c'est l'équilibre, tant pour notre société que pour le monde dans son ensemble, ce monde sur lequel les oiseaux ont juré de protéger.

Il prit un temps pour laisser à la foule le temps de digérer ses paroles avant de continuer.

— Alors j'ai une question. Une question que je vous adresse à tous. S'il faut trois personnes pour former le triumvirat, où est l'héritier de l'oiseau tonnerre ?

Un frisson parcourut l'ensemble des personnes présentes. C'était ce qu'on appelait jeter un pavé dans la mare. Mal à l'aise, Théo ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil en direction du palais s'attendant à voir arriver la milice d'un instant à l'autre. Si évoquer le sujet n'était pas interdit, il restait plutôt tabou. Mais cela ne sembla pas décourager l'homme.

— Voilà bientôt seize ans qu'il n'a plus paru, depuis la grande disparition. Si la glace et les flammes nous sont revenus, cela fait seize annéess que la foudre n'est plus tombée.

Cela datait d'avant la naissance de Théo. Les trois héritiers avaient disparu au même moment sans que personne ne sache pourquoi. Mais il se souvenait de l'agitation qui avait secoué le palais lorsqu'il avait cinq ans et qu'on avait découvert l'héritier de l'oiseau des glaces, un Isaz par une des branches secondaires dont la famille vivait à la lisière de la zone franche. Cela avait fait parler pendant plusieurs années, jusqu'à ce qu'une simple roturière, sans aucun doute une fille naturelle d'un Sowilo ne se révèle être la nouvelle héritière du phénix. Comme partout, un scandale en chassait un autre.

Se forçant à revenir à la réalité, il remarqua que la foule n'avait cessé de se densifier autour du prêcheur, le mettant mal à l'aise. Il suffirait d'une parole maladroite pour que cela dégénère en émeute.

— Chaque oiseau a donné son nom à une personne pour fonder les trois gens originelles. Seul un membre d'une gens originelle, par le sang ou la cérémonie du nom, peut accueillir en elle l'âme d'un oiseau. Doit-on en conclure qu'il n'y a plus aucun Algiz qui soit digne de recevoir en lui l'âme de l'Oiseau-Tonnerre ? Plus grave encore, on pourrait également penser que quelqu’un le retient prisonnier.

Les spectateurs commencèrent à s'agiter. Théo regarda furtivement autour de lui et put voir certains porter la main à leur ceintures, endroit le plus favorable pour dissimuler des armes. La limite entre le prêche et le trouble à l'ordre public était franchi. Cela allait mal tourner.

— Je crois encore en ce monde qu'a construit la magie, et j'ai foi en ces gardiens à qui elle à donné naissance. Je ne renierai pas ma foi. Mais comme tout un chacun, j'ai besoin de réponses. J'ai besoin d'avoir la preuve que mes dieux sont forts, suffisamment puissants pour tenir bon face aux tempêtes qui s'annoncent.

Son regard parcourut la foule, transperçant chacune des personnes présentes. C'était comme s'il s'insinuait au plus profond de chaque personne, à la recherche de quelque chose. Soudain, ses yeux se posèrent sur Théo. Le jeune homme sut qu'il était repéré. Même sans voir le symbole brodé sur sa veste, relativement discret de toute façon, son allégeance était inscrite dans ses traits.

— Mais toi jeune homme ces réponses tu pourrais peut-être me les offrir. Des cheveux de jais et des yeux gris acier. Que je sois pendu si tu n'es pas un Mesric de sang.

Comme si ces paroles avaient éveillé quelque chose, les voisins de Théo se hâtèrent de s'écarter de lui. Le jeune homme eut envie de prendre la parole, pour dire à cet homme qu'il se trompait, qu'il n'était qu'un garçon ordinaire qui se promenait un jour de marché en attendant que ses amis veuillent bien le rejoindre. Mais il n'avait rien d'ordinaire, et surtout il n'avait pas d'amis. Alors il aida le prêcheur planter le dernier clou dans le cercueil de sa discrétion.

— Vous avez raison.

Au moment où il prononça ses mots, son dos irradia de douleur, comme un rappel de ce qui lui avait coûté ce genre d'imprudence. Trop tard. Plus moyen de disparaître, il allait falloir assumer son rang.

 

 

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AudreyLys
Posté le 07/08/2021
Hey ! Toujours aussi intrigant cette histoire, plusieurs intrigues se mêlent. Ce début est très bien rythmé en tout cas. Nivea pinaillage, je me suis dit que le paragraphe d'explication des précheurs et de leur relation avec la population n'est pas forcément nécessaire puisqu'on voit très bien l'animosité dans la scène.
Au niveau de l'écriture je dirais que parfois il manque des virgule, et parfois la ponctuation est étrange. Je t'ai mis un exemple ci-dessous :
—Vas-t'en prêcheur, hurla quelqu'un dans la foule ! On n'a pas besoin de fanatiques -> le point d'exclamation doit être après "prêcheur" et il faut un point après fanatiques.
— Mais toi jeune homme ces réponses tu pourrais peut-être me les offrir.-> des virgules devraient encadrer le "ces réponses"
Rienthal
Posté le 07/08/2021
Oh je prend note pour le paragraphe sur les prêcheurs. Après encore une fois c'est une piste que j'ouvre pour bien plus tard mais si ça alourdit la scène c'est à modifier.

A la ponctuation est ma bête noire... Je verrai pour modifier ça.

Merci pour ton commentaire en tout cas.
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