Chapitre 1 (Troisième partie)

Par Lutetia
Notes de l’auteur : /!\ J'ai scindé l'ex-premier chapitre (Le départ) en trois parties, il était bien trop long !

Une année et sept mois plus tard, elle naviguait toujours sur le même navire. Lucas y était particulièrement attaché, de même qu’à ses compagnons de fortune. Ce n’était pas les mêmes que durant les premières heures mais cette famille sans cesse renouvelée lui plaisait. Elle lui permettait au moins d’oublier la sienne ou au moins de ne plus y penser aussi souvent. Ses frères lui manquaient, sa nourrice aussi. Même ses parents. Mais chercher à avoir des nouvelles lui porterait préjudice. Elle était pourtant bien attristée de penser qu’ils la croient disparue ou même morte. Au fond de son cœur, elle était persuadée qu’au moins son frère aîné savait qu’elle était toujours bien en vie et qu’elle la vivait pleinement. Mais elle n’en était pas certaine, elle s’accrochait simplement à une espérance. Plus le temps passait, plus elle ressentait le besoin de s’isoler pour réfléchir. Elle était très bien entourée mais quelque part, elle était peut-être frustrée de devoir dissimuler son identité, de devoir mentir quotidiennement, se débrouiller pour cacher sa véritable nature. Personne sur ce bateau ne pourrait plus dire qu’une femme porte malheur et pourtant, elle sentait bien que certains n’étaient pas prêts à l’accepter telle qu’elle était. Alors elle restait Lucas, surnommé L’Aiguille par ses camarades pour ses talents de fine lame.

C’est durant une de ces soirées mélancoliques qu’elle réussit à être totalement seule – ce qui n’était pas une mince affaire – pour respirer un bon coup. Anne-Laure en profita pour ôter son couvre-chef et laisser libre sa chevelure qu’elle se refusait à couper. Elle ne la trahissait pas, l’un des moussaillons – un homme, un vrai – en avait de bien plus longs qu’elle. Elle osa déboutonner légèrement sa chemise crasseuse, ce n’est pas la mer et ses embruns qui la trahirait.

« Mon frère, quand pourrons-nous nous retrouver ? » soupira-t-elle en s’accroupissant et en posant sa tête sur ses bras croisés. Elle ne demandait rien d’autre qu’une entrevue, une rencontre rapide, rien que pour savoir s’il était en vie et bien portant. Autant chercher une épingle dans une botte de foin, comment pouvait-elle espérer retrouver un homme parmi tous les équipages, tous les navires fréquentant la mer ? Impossible, elle avait bien trop d’espoir.

« Ça arrivera bien, le monde peut paraître petit parfois. »

Elle se retourna brusquement pour identifier l’intrus. Elle se mit immédiatement sur ses pieds et sur la défensive en camouflant au maximum ses sentiments, sa faiblesse.

« Qu’est-ce que tu fais là ?

– Je prends l’air, j’ai le droit, non ?

– Mmh .. t’étais pas obligé de t’approcher autant.

– Pourquoi ? Tu pries, t’as besoin de calme ?

– Et si c’était le cas ?

– Je t’aurais quand même dérangé, répond-t-il en haussant les épaules. Il laissa couler un silence avant de reprendre : t’as besoin d’en parler ?

– De quoi ?

– De ton frère, il a l’air de te manquer.

– Il me manque.

– Et ?

– Et c’est tout. Pourquoi ça t’intéresse autant ?

– P’t’être parce que ça me peine de te voir triste. Non, ne dis rien, ça se voit. Y a des jours où ça a pas l’air d’aller et ça fait un moment que je t’observe, c’est de pire en pire.

– Ne dramatise pas.

– Je dramatise pas, je constate.

– Et ? Tu as une solution miracle ? Ça arrive à tout le monde, non ?

– Pas à toi. Pas depuis que je te connais, tu brûles d’habitude, on ne peut plus t’arrêter. La dernière fois qu’on a dû se battre, t’avais clairement la tête ailleurs. T’as failli te faire embrocher.

– Et tu m’as encore sauvé, merci.

– C’est pas là que je voulais en venir, bêta. Je m’inquiète. Est-ce que c’est à cause de …

– De quoi ? Là, elle devenait curieuse, que pouvait-il bien savoir de plus.

– De ta différence.

– De ma quoi ? Ma différence ? Son ton s’alarma en prononçant cette phrase.

– Bah oui, t’as pas grandi depuis qu’on se connaît. Même si t’as pris des muscles, t’es pas encore bien trapu. Vigoureux, oui, mais un peu chétif quoi.

– Et ça c’est une raison d’être triste pour toi ?

– J’en sais rien, peut-être.

– Non, je me plais très bien tel que je suis.

– Excuse-moi si je t’ai vexé.

– J’suis pas vexé, marmonna-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. T’as finis d’être indiscret, j’essaye d’être tranquille.

– Arrête de prendre la mouche, je te veux aucun mal, commença-t-il. Tu m’enquiquines à la fin. À la base, je m’inquiète vraiment. Au prochain assaut, je suis persuadé que tu vas te faire trucider.

– Et ça te ferait quelque chose ?

– Oui, parce que je tiens à toi. T’es un des premiers compagnons que j’ai eu sur ce navire. Malgré ton caractère bien trempé. Je me souviens, t’avais l’air de vouloir défendre ta place dès le départ.

– Tout le monde l’a fait, même toi. Qui aurait voulu être la risée du reste de l’équipage, à peine à bord ? Pas moi.

– C’est parce que tu avais autre chose à prouver, je me trompe ?

– Comme quoi ?

– Ta valeur, répond-t-il sans hésitation et continua plus bas. Et .. le fait qu’on t’aurait probablement tous rejetée si on avait su que tu nous bernais depuis le début. Je suis pas aveugle, encore moins maintenant …

– Pa.. pardon ?

– T’as jamais voulu faire trempette avec nous pour une bonne raison et tu te tiens toujours à l’écart pendant les soirées bien arrosées. Et quand tu t’es fait blessée la dernière fois, j’ai pas fait exprès mais j’ai vu ». Il rougit en finissant. « Je n’ai rien dit à personne, j’ai beaucoup d’estime pour toi et d’ailleurs tu m’étriperais si jamais je répétais ça à quelqu’un.

– C’est vrai, même si tu es un très bon ami. Je suppose que tu préfères éviter de dire tout haut ce que tu penses tout bas.

– Oui, autant que possible, affirma-t-il avec un léger sourire.

– Je veux que cela reste un secret, c’est compris ?

– Tout ce qu’il s’est passé cette nuit restera dans ma mémoire seulement.

– Merci.

– Mais je l’sentais depuis longtemps.

– C’est ça, prends-moi pour un idiot.

– Même quand on te met à jour, tu gardes tes bonnes habitudes.

– Lesquelles ?

– T’as pas dit ‘idiote’. »

Elle sourit et éclata même de rire. Alors comme ça, elle n’avait pas été aussi discrète qu’elle l’avait pensé.

« Je préfère t’entendre rire.

– Et moi je préférerais ne plus t’entendre ! »

Il rit aux éclats à son tour. Malgré les tensions qu’il y avait pu avoir lors de la conversation, elles avaient disparues. Rien n’avait changé entre eux, mis à part, le regard que le Merle lui portait. Mais impossible d’en être certaine au clair de lune.

Cette discussion avait ouvert les yeux de la jeune femme. Si un des membres de l’équipage avait pu connaître son secret, peut-être était-il temps de regagner la terre. Ou alors elle pouvait toujours jouer avec le feu ? Après tout, un homme connaissait sa véritable nature et ne l’avait pas trahie. C’est qu’elle avait sa place sur ce bateau !

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