Il est onze heures, et les deux amis marchent ensemble jusqu’à la maison de Céline. Lorsqu’ils arrivent devant la porte d'entrée, ils se jettent un regard complice et appuient sur la sonnette. La jeune femme vient leur ouvrir en souriant.
— Salut Léa, tout va bien ? Tu as besoin de quelque chose ?
— Bonjour Céline, je te présente Quentin, un ami. En fait on aurait une question à te poser.
Devant l’air attentif de sa voisine, Léa se lance.
— Est-ce que tu saurais si un jour une personne prénommée Lucie a habité dans cette maison ?
Céline fronce les sourcils en réfléchissant. Après un court moment elle secoue la tête.
— Non, ça ne me dit rien. Je sais qu’une certaine Marie a habité dans cette maison pendant très longtemps, mais pas de Lucie. Désolée.
Après l'avoir remerciée pour cette information décevante, les deux adolescents s’en vont et font la même procédure pour les maisons alentours, en vain. Personne ne semble connaître de Lucie. Ils retournent chez Léa, déçus, et décident pour se consoler d’ouvrir une nouvelle page du « journal de Louise ».
Samedi 20 octobre 1928.
Lucie n’est plus mon amie. Quand je suis arrivée à l’école ce matin, elle discutait avec Joséphine. Je suis allée avec elles, et alors j’ai compris ce qu’il s’était passé. Elles ont joué ensemble samedi, et Lucie est allée voir le couple avec Joséphine. Je me suis mise en colère, j’ai dit à Lucie qu’elle n’aurait pas dû lui montrer notre secret, et puis je suis partie. Quand je suis rentrée à la maison j’ai pleuré. Cela me fait de la peine que Lucie m’ait trahie, alors qu’elle était ma meilleure amie. Hélène dit souvent qu’il ne faut faire confiance à personne. Elle a bien raison. Maman a essayé de me consoler, elle m’a dit que ça allait très vite s’arranger et que j’allais redevenir amie avec Lucie. Moi je n’en ai pas envie. Je ne veux plus lui parler. Le couple était notre secret, elle n’avait pas à le montrer à quelqu’un d’autre. Quand j’y pense ça me rend encore plus triste. Chaque semaine on allait chez le couple, pourquoi cette fois y est-elle allée avec quelqu’un d’autre que moi ?
— Qui est Hélène ? demande Quentin d'un air intrigué.
Léa cherche au plus profond de ses souvenirs.
— La grande soeur de Louise, il me semble.
Quentin hoche la tête lentement.
— C’est bien beau tout ça, mais au final on n’avance pas.
— Oui… On devrait quand même regarder sous la moquette s’il ne reste pas des lettres.
Après avoir approuvé, Quentin se lance dans la recherche. Une dizaine de minutes après, il pousse un cri de satisfaction.
— Je crois que j’en ai une !
En effet, en-dessous du canapé, Léa constate un léger relief sur le sol. Ils décident alors de pousser le fauteuil afin de pouvoir soulever la moquette et récupérer la précieuse lettre.
Louise,
Comment vas-tu ? Je n’ai plus beaucoup de nouvelles en ce moment…
Thérèse se porte à merveille. Elle grandit de jour en jour, et elle a fait ses premiers pas hier. Je la trouve ravissante avec ses cheveux blonds qui deviennent de plus en plus longs. Certaines personnes disent qu’elle me ressemble énormément. Cela me fait plaisir, parfois je me dis que c’est vrai, on dirait qu’elle est vraiment ma fille. J’essaie d’être le plus aimante possible avec elle, pour lui donner tout l’amour dont elle a manqué pendant quelques mois. J’aurais aimé que ses parents soient là aujourd’hui, pour qu’ils voient, pour qu’ils assistent à cette joie. J’ai toujours de la peine en me disant qu’ils sont morts pendant l’horreur, qu’ils sont partis au mauvais moment, que la dernière chose qu’ils auront connue sur ce monde sera la guerre. Mais c’est fini, maintenant. Thérèse aura une enfance paisible, elle grandira dans la paix et j’en suis heureuse. J’attends ta lettre, j’attends de tes nouvelles, de toi et de ta famille. J’espère te revoir bientôt, je t’embrasse.
Lucie.
Léa essaye de cacher la petite larme qui s’est formée au creux de son oeil. Elle n’a aucune idée de qui est cette Thérèse, mais cette petite fille a elle aussi perdu ses parents. Quentin ne dit rien. Ils restent un long moment dans le silence, personne n’osant parler.
Pendant plusieurs jours ils font des recherches pour savoir qui est Thérèse, qui est Lucie. Ils se renseignent également sur l’existence d’un couple qui aurait habité dans la forêt dans les années 20. Ils se rendent même dans ladite forêt pour tenter de retrouver une maison, ou du moins des ruines. Mais trois jours plus tard ils n’ont toujours aucun indice de plus, aucune trace de Lucie. Ils lisent ensuite l’intégralité du journal de Louise, mais se rendent compte que les écrits quotidiens de l’arrière-grand-mère de Léa ne leur fournissent aucune information sur le mystère. Le seul élément intéressant qu’ils trouvent est une photo en noir et blanc collée sur la dernière page du journal. Elle représente deux petites filles qui se tiennent la main, et une légende au-dessous de l’image indique « Thérèse et Félicie ».
Léa commence à y voir un peu plus clair.
— Alors cette Thérèse était donc une amie de ma grand-mère…
Quentin hoche la tête.
— Ce qui paraît logique puisque Lucie était une amie de ton arrière-grand-mère.
Léa affiche un grand sourire.
— Oui, mais ça veut surtout dire que ma grand-mère devrait pouvoir nous dire qui est Thérèse. Je vais l’appeler.
Après avoir essayé sur le portable de Quentin et être tombée sur le répondeur, elle se souvient que Félicie est allée rendre visite à son frère aujourd’hui. Elle ne pourra donc pas la joindre pour l’instant.
Quand Léa va chercher son courrier, elle reconnaît une des lettres. Une enveloppe orange. Elle l’ouvre et redécouvre l’écriture griffonnée du mystérieux amoureux anonyme.
Léa, je t’aime. Tu me manques à un point fou, je ne peux plus supporter de ne pas te voir. Et puis il y a autre chose que je voulais te dire. Je suis désolé. Je suis désolé pour tout. J’ai essayé, mais je n’ai pas réussi. C’était comme ça, c’était prévu. Je n’ai rien pu faire. Je m’excuse.
En voyant l’air étonné de son amie, Quentin se penche sur son épaule et lit les quelques lignes. Il fronce les sourcils d’un air contrarié.
— C’est qui ce gars ?
Léa secoue la tête.
— Je n’en sais rien, ça fait plusieurs fois qu’il m’écrit sans jamais me dire qui il est. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est la fin de son message… Désolé de quoi ? Qu’est-ce qu’il a fait ?
Quentin hausse les épaules.
— Ça doit être un crétin. Il ne sait pas ce qu’il dit. Ou alors il dit ça juste pour t’impressionner, il s’invente une vie pour avoir l’air d’un mec mystérieux. Franchement ce genre de dragueur à deux balles, ça fait pitié.
Elle rit, puis embrasse son ami sur la joue, ce qui le fait rougir.