Le lendemain les deux amis passent la matinée ensemble. Ils décident d’oublier pour une fois leur énigme irrésolue et discutent de choses tout à fait normales. A force d’aborder des sujets tous plus variés les uns que les autres, ils en arrivent à parler des grandes vacances, et Quentin se met à raconter un de ses souvenirs.
— Un jour j’ai pris l’avion pour aller en vacances au Brésil. Et en plein vol, au milieu de l’océan Pacifique, une alarme a retenti, les gens ont commencé à paniquer, et les hôtesses de l’air nous ont clairement fait comprendre qu’on allait se crasher. Alors elles nous ont dit de garder notre calme, elles ont commencé à sortir des objets, je ne sais plus vraiment ce que c’était mais à mon souvenir il y avait des marteaux et des gilets de sauvetage. Et puis un peu après une voix au micro a annoncé que finalement c’était une fausse alerte, en nous demandant de les excuser pour la peur occasionnée.
Léa hausse les sourcils, surprise par cette histoire. Elle a vraiment du mal à y croire et ne voudrait pas paraître bête en faisant comme si ce qu’il a dit était vrai alors qu’il s’agit peut-être d’une blague. Elle lâche un petit rire forcé.
— Et tu crois vraiment que je vais avaler ça ?
— Mais ce n’est pas une blague, s'offusque Quentin. Je t’assure que c’est vrai !
En voyant son sérieux, elle veut bien croire que son ami ne plaisante pas, cependant elle reste méfiante.
— Non mais franchement, je ne suis pas dupe… Ça ne sert à rien de mentir.
Il lui fait comprendre son indignation en fronçant les sourcils.
— Pourquoi je mentirais ? Léa, je te l’ai déjà dit : une de mes plus grandes qualités c’est la franchise.
Elle se souvient alors du moment où il lui avait fait cette révélation, elle se souvient du moment où elle s’était dit qu’elle pouvait lui faire confiance. Et puis finalement son histoire n’est pas si implausible que cela. Elle hoche la tête.
— Oui, c’est vrai. Désolée d’avoir douté de toi.
Il reprend un air doux et sourit.
— Ce n’est pas grave. Cette histoire d’avion n’a pas vraiment d’importance, mais je veux juste que tu saches qu’il ne faut pas que tu penses que je dis n’importe quoi. Je sais qu’en général il faut toujours se méfier des gens, mais moi je ne suis vraiment pas le genre de personnes qui s’invente une vie ou qui cache des choses. Tu peux avoir confiance en moi.
Elle hoche la tête en souriant. Elle s’en veut d’avoir pu penser qu’il lui mentait et se dit qu’à l’avenir elle le croira.
Après un court moment, elle entend la sonnette de sa porte qui retentit. Elle se précipite pour aller ouvrir, et découvre Céline, qui après lui avoir dit bonjour lui tend son téléphone.
— Ta grand-mère m’a appelée en me demandant si elle pouvait te parler, je te la passe.
Léa est inquiète, elle se demande si tout va bien. Elle prend le téléphone et dit d’une voix soucieuse :
— Bonjour Mamie, tout va bien ?
A son grand soulagement, la voix de sa grand-mère est parfaitement normale, sans le moindre signe d'un quelconque souci.
— Oui oui, ma chérie, tout va bien. Mais ça faisait un bout de temps qu’on ne s’était plus parlées, je voulais savoir si tu allais bien. Et puis le téléphone c’est quand même bien plus pratique que les lettres… J’ai essayé d’appeler chez toi et j’en ai conclu que ton téléphone ne marchait toujours pas, alors j’ai cherché le numéro de ta voisine que tu m'avais donné.
Léa est heureuse d’entendre le ton si jovial de celle qui est maintenant le plus proche membre de sa famille.
— Tout va pour le mieux. Je passe les vacances avec Quentin, un ami. On essaye de résoudre une énigme…
— Oh, c’est intéressant tout ça. Et quelle est cette énigme ?
Léa aimerait tout lui raconter, et puis elle se retient. Ils en savent pour l’instant trop peu pour révéler quoi que ce soit, et puis elle n’est pas sûre que Félicie apprécierait de savoir qu’ils ont lu le journal de sa maman. Cependant, elle se souvient qu’elle avait une question à lui poser la veille.
— On t’expliquera une fois qu’elle sera terminée, par contre j’avais quelque chose à te demander, qui pourrait nous aider à la résoudre…
Félicie prend un ton encore plus attentif.
— Oui ma puce ?
— Tu pourrais m’en dire plus à propos d’une fille d’à peu près ton âge nommée Thérèse ?
Un silence se fait entendre à l’autre bout. Léa hésite entre répéter la question ou bien attendre que sa grand-mère ne rassemble ses esprits. Finalement, elle redonne signe de vie mais d’une voix beaucoup moins enthousiaste qu’avant.
— Oh tu sais… Ce sont de vieilles histoires. Je n’en sais plus rien, c’est trop vieux, j’ai tout oublié.
Léa a du mal à la croire, et voir que pour la première fois Félicie ne s’implique pas le plus qu’elle peut dans quelque chose qu’on lui a demandé la déconcerte. Elle ne comprend pas pourquoi sa grand-mère, d’ordinaire si gentille, réagit comme cela. Mais comme elle ne veut surtout pas attiser son énervement elle préfère ne pas poser plus de questions.
— D’accord… Bon ce n’est pas grave.
Elle espère que sa grand-mère va changer de sujet et que tout sera oublié, mais finalement Félicie la met encore plus mal à l’aise.
— Je vais te laisser, Léa. Je vais préparer à manger. Je t’embrasse, à bientôt.
Léa murmure un « à bientôt », puis réalise que sa grand-mère a déjà raccroché. Elle sent une boule dans sa gorge, elle s’en veut d’avoir provoqué cette réaction de la part de celle qu’elle aime tant. Elle rend le téléphone à Céline, qui attend devant la porte, puis retourne près de Quentin, qui a à peu près suivi la situation.
— Ce n’est pas grave, Léa. On trouvera bien un autre moyen de retrouver cette Thérèse. En attendant il est midi, tu viens manger chez mes grands-parents ?
Comme d’habitude, Léa ne veut pas déranger. Mais à ce moment elle a besoin de se changer les idées, et accepte donc volontiers.
Léa retrouve avec joie la gentillesse de la grand-mère de Quentin. Ils passent rapidement à table, se servant copieusement des petits pois et des pommes de terre. Léa se montre le plus gentille et serviable possible, tout en profitant de ce moment qui lui redonne peu à peu le sourire. Au moment où ils commencent à manger, le grand-père de Quentin entre dans la pièce, un journal à la main. Pendant qu’il s’affaire à poser sa lecture et ses lunettes sur le placard, son épouse se lève.
— Je vais chercher une bouteille de jus d’orange à la cave.
Quentin se lève pour y aller à sa place, mais elle lui fait comprendre avec un sourire qu’il peut se rasseoir et sort de la pièce. Quelques secondes plus tard, le grand-père ouvre le frigo, et Léa voit que ses yeux se sont posés sur une bouteille de jus d’orange, dans la portière. Le vieil homme se met aussitôt à appeler sa femme.
— Thérèse ! Reviens, il y a encore du jus au frigo.
Léa a du mal à réaliser ce qu’elle vient d’entendre. Thérèse ? Il a dit Thérèse ? Elle entrouvre la bouche tout en fronçant les sourcils, et regarde Quentin d’un air interrogateur. Ce dernier lui adresse un regard gêné avant de baisser les yeux, et son teint commence à rougir. Léa sent son esprit basculer, elle ne peut pas croire ce qui est en train de se passer. Elle a peur de comprendre, et en même temps elle sent de la colère se former en elle. Comment son soi-disant ami a-t-il pu lui cacher que Thérèse était en fait sa grand-mère ? Et même s’il ne s’agit que d’une coïncidence, même si finalement ce n’est pas elle, pourquoi ne lui en a-t-il pas tout simplement parlé ? Contrariée, Léa n’adresse plus la parole à Quentin pendant tout le repas.
Quand elle a fini son assiette, elle se lève en déclarant :
— C’était vraiment très bon, je vous remercie. Je dois y aller, excusez-moi et à bientôt, j’espère.
Elle sort précipitamment, sans prendre garde aux remarques de Quentin qui essaye de la retenir. Au moment où elle arrive devant sa maison, elle l’entend courir derrière elle. Il la rattrape et lui attrape le bras.
— Léa, attends. Qu’est-ce qui te prend de partir comme ça ?
Elle essaye de cacher ses yeux qui commencent à se remplir de larmes, tout en faisant ses reproches à Quentin.
— Parce que tu ne le sais pas, peut-être ? Est-ce que j’ai bien compris ? Est-ce que ta grand-mère c’est vraiment Thérèse ?
Il baisse à nouveau les yeux.
— Oui.
Elle est encore plus énervée qu’avant. Tout se confirme, tout apparaît maintenant plus clair à ses yeux, et elle a besoin de faire sortir cette colère qui monte en elle.
— Alors depuis le début on cherche des indices, on interroge le village entier pour en savoir un peu plus, on se décourage de ne pas y arriver, et toi tu n’étais pas capable de me dire que cette Thérèse était en fait ta grand-mère ?
Au lieu de répondre il essaye d’apaiser la tension qui monte, ce qui ne fait que l'énerver encore plus.
— Arrête, calme-toi…
— Non je ne me calmerai pas ! Depuis des jours tu me fais comprendre que je peux avoir confiance en toi. Tu te fais passer pour celui qui ne cache rien à personne, celui qui dit toujours la vérité. Tu fais semblant de ne rien savoir de cette histoire, et en fait tu savais tout, et tu ne m’as rien dit.
Quentin a l’air honteux, il pose la main sur le bras de son amie, qui l’enlève aussitôt. Elle ne veut plus de lui, elle se sent trahie et a de plus en plus envie de pleurer. Elle ne veut plus parler à celui qu’elle croyait être son ami, bien que celui-ci essaie de se faire pardonner.
— Laisse-moi au moins t’expliquer…
Elle ne sait plus quoi dire. Elle lui en veut terriblement, mais en même temps elle avait mis tellement d’espoir en cette nouvelle amitié… Elle sait qu’elle ne devrait pas, mais elle n’a pas envie de s’arrêter sur une dispute.
— Dis-moi d’abord pourquoi, pourquoi tu ne m’as rien dit.
Il met un temps à répondre.
— C’est difficile à dire mais… au fond de moi je voulais que tu ne saches rien. Que tu n’arrives jamais à résoudre cette énigme. Je ne voulais pas que tu apprennes la vérité, parce qu’elle fait mal à entendre.
Elle reprend un peu son calme, mais garde de la rancoeur dans sa voix.
— Alors maintenant tu as intérêt à tout m’expliquer. Et attention si tu me caches encore le moindre détail.
Il hoche la tête, puis la suit jusqu’à chez elle, où ils s’assoient dans la salle de jeux.