Chapitre 10

Par Saphir

Le désert est vraiment immense. Nous voyageons depuis deux jours et nous ne sommes toujours pas sortis. 

Kalem essaye d’apprendre le Tinsarellien à Tristan, mais cela m’étonnerait qu’il apprenne les bases aussi rapidement. Cependant, je dois bien avouer qu’il se débrouille plutôt bien, et son accent est plutôt marrant à entendre. Liberté, en revanche, semble comprendre ma langue, bien qu’elle ne réponde jamais. Je n’arrive pas à deviner ses émotions, et c’est très perturbant étant donné que j’y arrive plutôt bien avec les autres personnes. 

Je continue de surveiller ma marque, qui s’étend petit à petit, millimètre par millimètre. Je ne pensais pas que ça grandirait si vite…

 

Nous nous sommes arrêtés un instant pour se reposer et manger un bout.

Tristan s’approche de moi, l’air timide. 

– Nausicaa, m’appelle-t-il. J’ai… quelque chose… pour toi, dit-il en bredouillant.

Je penche la tête sur le côté, à la fois intriguée par ce qu’il veut me donner et surprise qu’il arrive aussi bien à parler ma langue, alors que cela ne fait que quelques jours qu’il a commencé à l’apprendre.

– Oui ?

Le jeune garçon me tend un long couteau qui étincelle à la lumière du soleil. Sur la lame sont gravés ces mots : “mirai valai ni”. Je ne comprends pas ce qui est écrit mais, j’appécie tout de même le cadeau.

– Merci, je lui souris.

Il cherche ses mots parmi ceux que Kalem lui a appris.

– De rien, répond-il, hésitant.

Je hoche la tête, lui confirmant le fait qu’il ne s’est pas trompé. 

Il rejoint Kalem et lui parle dans sa langue natale. Le jeune homme à la peau sombre me sourit. Tristan ressemble à un petit enfant émerveillé de découvrir de nouvelles choses. Je crois qu’il a à peine un an de moins que moi. 

J’ai demandé à Kalem et Liberté s’ils reconnaissaient le symbole sur le médaillon que Vesper m’a donné, mais ils ont tous les deux répondu par la négative. Tant pis, j’essaierai de me renseigner une fois arrivée à Bellir, puis plus tard à Stëlle. 

 

Je crois que nous sommes enfin presque sortis du désert. Mes trois compagnons s’arrêteront donc à Bellir tandis que moi, je continuerai jusqu’à Stëlle. Kalem dit parfois que son pays natal, Rhadia, lui manque. Personnelement, Selka ne me manque pas du tout. En revanche, Vanille me manque. Cependant, je ne peux plus faire marche arrière. Je n’ai rien à gagner en retournant vivre à Selka, plus personne ne me retient. Et je ne veux pas passer le peu de vie qu’il me reste à entendre que cette ombre envahisse entièrement mon corps.

Je ne pose pas de questions à mes compagnons sur leur passé, et ils ne m’en posent pas non plus, ce qui m’arrange.

 

Quelques jours plus tard, le sol du désert commence à se transformer en herbe. Je n'avais jamais vu d'herbe avant, c'est… Comment décrire cela ? C'est très vert…

Nous avançons à un assez bon rythme. Nous serons à Bellir dans un jour ou deux environ. Parfois, nous traversons des forêts, de grandes étendues d'arbres. Cependant, les armes ne ressemblent pas du tout aux palmiers qui poussent autour des oasis du désert de Selka. Ceux-là sont bien moins hauts, et le sommet de leur tronc se divise en branches couvertes de minuscules feuilles, qui tombent en automne, une nouvelle saison dont j'ai appris l'existence récemment. Je pensais qu'il n'y avait que deux saisons dans l'année, l'été et l'hiver, mais il y en a en fait 4 : le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Nous sommes en septembre, c'est-à-dire en automne.

 

Finalement, après deux jours et demi, nous sommes enfin arrivés à Bellir. Je ne sais pas combien de temps le voyage de Kalem, Liberté et Tristan a duré, mais ils ont l’air soulagés d’être enfin arrivés à destination. 

 

Je crois que la ville de Bellir est un port, donc elle est est logiquement au bord de la mer. Ce sera l'occasion pour moi de la voir pour la première fois.

Je réserve deux chambres dans une petite auberge à l'entrée de la ville et laisse mes trois compagnons s'installer. Pendant ce temps, je décide de visiter un peu la ville.

Je croise de nombreuses personnes dans les rues pavées. Kalem m'a dit que c'était jour de marché, aujourd'hui. J'imagine que cette ville-là est légale, ce qui veut dire que je ne dois pas me comporter ici comme je le faisais à Selka.

La ville de Bellir est très belle, bien plus que celle que j'ai quittée. Les rues pavées sont décorées de bacs de fleurs des champs. Les maisons sont faites de briques, les toits sont en tuile et les fenêtres sont colorées de volets multicolores.

 

Je me suis perdue. Je vagabonde dans les rues de la ville, guidée par une odeur de sel et d'algues fraiches, pas comme celles, sèches, que j'utilisais pour assaisonner mes repas à Selka. J'arrive sur les quais du port et découvre, émerveillée, la plus grande étendue d'eau que j'ai jamais vue de ma vie. Devant moi, les vagues s'abattent contre le mur de pierre du quai. Je respire un grand coup et m'imprègne de l'air marin, enfin apaisée depuis que j'ai quitté Selka.

 

Je suis enfin de retour à l'auberge. En rentrant, j'ai acheté quelques provisions au marché, pour la suite de mon voyage jusqu'à Stëlle. J'ai prévu de rester quelques jours de plus à Bellir avec mes compagnons, puis de continuer, seule. Il ne faut pas que je prenne trop de temps pour arriver à Stëlle, car la marque continue de s'étendre.

Je n'ai pas très envie de quitter Kalem, Tristan et Liberté, mais je suis obligée. C'est dommage, j'avais trouvé des compagnons que j'aimais bien.

Je partage ma chambre avec Liberté, mais elle n'est pas là quand je reviens de ma petite balade dans la ville. Elle a dû descendre manger. Tant mieux, je vais en profiter pour me changer et éviter qu'elle voit ma marque sur l'omoplate.

 

Après m'être changée, je me glisse sous la couverture de mon lit. Je n'ai pas faim et je ne souhaite qu'une chose, dormir.

Le matelas est si moelleux que je m'enfonce dedans. Je me roule en boule. Je sens que je vais bien dormir, cette nuit.

 

 

Quand je me réveille, un rayon de lumière filtre déjà à travers les rideaux épais de la fenêtre. Sur le lit d'à côté, Liberté plie ses vêtements, toujours en silence. Sans me donner la peine de retirer le pyjama que j'ai acheté hier au marché, j'enfile le gilet gris que Cassandre m'a donné, la dernière fois que je me suis réveillée à l'infirmerie.

– Je vais manger un morceau, je reviens bientôt, j'avertis Liberté avant de quitter la chambre.

Elle hoche la tête sans s'arrêter de plier ses vêtements. Je descends les marches de l'escalier grinçant de l'auberge et me rend au bar. En jettant un œil à la grande horloge comtoise qui se tient dans le coin de la pièce, je réalise qu'il est déjà dix heures. J'ai vraiment dormi comme un bébé, et je meurs de faim.

Je m'assoie sur un tabouret et m'adresse à la barmaid.

– Bonjour, je voudrais bien une assiette de ragoût, s'il vous plaît.

– Pas de boisson avec ? me demande-t-elle.

– Non, ça ira, merci, je répond.

Je dépose quelques pièces sur le comptoir. La barmaid hoche la tête et me rapporte, quelques minutes plus tard, une assiette fumante.

Je le remercie et m'installe tout au bout du bar, seule dans le coin, pour être tranquille, mais cela ne dure pas longtemps. À peine ai-je commencé la dégustation de mon assiette de ragoût que je sens le regard de quelqu'un sur moi. 

Je me concentre sur mon plat, enfin j'essaie, car le regard de cette personne me perturbe vraiment. J'ai l'impression que qu'il me passe au crible. Je relève la tête et me retourne vers l'origine du regard. Je crois les yeux bleus d'un jeune homme, qui, aussitôt qu'il remarque que je l'ai vu, détourne le regard. Je hausse les sourcils, étonnée, mais je n'y fais pas plus attention que ça.

Je me retourne vers mon assiette, mais je sens à nouveau le regard du jeune homme sur moi.

– Qu'est-ce que tu veux ? je lui lance, agacée.

Il murmure quelque chose que je ne saisit pas et en décroche pas son regard de moi. Je finit mon repas en vitesse et me lève pour remonter l'escalier jusqu'à ma chambre.

Au moment où je pose le pied sur la première marche, le jeune homme aux yeux bleus m'accoste.

– Désolé si je t'ai dérangé tout à l'heure, s'excuse-t-il.

Je hausse un sourcil, l'invitant à continuer.

– Je m'appelle Rafael. Et toi, c'est Nausicaa, c'est ça ?

– Comment connais-tu mon nom ?

– Ma sœur m'a parlé de toi.

– Ta sœur ? Je la connais ?

– Elle s'appelle Cassandre, elle travaille pour Vesper, à Selka.

– Tu es le frère de Cassandre ? je m'étonne.

Je ne savais pas qu'elle avait un frère. Ils ne se ressemblent pas du tout.

– Tu voulais quelque chose de particulier ? je l'interroge.

– Je voulais te parler…

– Et c'est pour ça que tu me regardais fixement comme ça ? je soupire.

– Je me suis déjà excusé ! se défend Rafael.

– Et pourquoi voulais-tu me parler ? je continue.

– En fait, je ne sais pas me battre, et j'aurai besoin d'un partenaire de voyage. Cassandre m'a dit que tu savais plutôt bien te battre.

– Je vois… Eh bien, pourquoi pas…, je répond. Quel est ta destination ?

– En fait, je suis à la recherche de quelqu'un. Je pensais commencer mes recherches vers le nord-est de Tinsarell.

– Parfait ! C'est également ma destination. Et tu me payeras combien ?

– Tu veux que je te payes ? s'étonne Rafael.

Je penche la tête sur le côté, déconcertée par le jeune homme.

– Ça me paraît logique d'être rémunérée pour les services, je rétorque.

Rafael réfléchit un instant. Son regard se porte sur la médaille que je porte autour du cou, celle que Vesper m'a donné lorsque j'ai quitté son entrepôt. Rafael écarquille les yeux, mais il ne dit rien.

– On verra ça lors du départ, ça te va ?

– D'accord. Quand partons-nous ?

– Disons… dans deux jours ?

– Ça me va.

– On se retrouvera sur la grande place de la ville, là où le marché est installé.

J'acquiesce.

– À dans deux jours, alors, conclut Rafael.

 

En remontant les escaliers, après ma rencontre avec le frère de Cassandre, je croise Tristan et Kalem qui descendent.

– Oh, bonjour, Nausicaa ! Tristan et moi allons nous renseigner pour trouver un travail dans la ville.

– Vous voulez donc vous installer définitivement à Bellir ? je demande.

Kalem hoche la tête.

– Et toi, j'imagine que tu vas bientôt partir, devine le jeune homme noir.

Tristan a l'air déçu.

– Veux-tu venir en ville marcher un peu avec nous ? me propose Kalem.

– Avec plaisir ! Je vais me changer et je vous rejoins.

Je me rends dans ma chambre. Liberté est toujours là, elle est en train de griffonner dans un petit carnet. Pendant que je me change, je l'informe de la décision de nos deux compagnons.

– Et toi, que comptes-tu faire maintenant que tu es arrivée ici ? je l'interroge.

Elle hausse, les épaules, puis saisit son crayon de bois et inscrit quelque chose dans son calepin.

"Et toi ?"

– Je vais voyager vers le nord. J'ai un certain… problème à régler.

"Je pourrais t'accompagner ? Je suis à la recherche de quelque chose."

– Bien sûr ! Que cherches-tu ?

"Mes souvenirs", écrit-elle.

"Je suis amnésique."

– Oh, je vois. Je serais très contente de continuer à voyager avec toi !

Je lui souris, et elle me sourit également.

– Bon, je vais rejoindre Kalem et Tristan.

Liberté hoche la tête.

 

Nous nous rendons au ministère de Bellir dans l'espoir de nous renseigner sur mes endroits où on pourrait trouver un travail pour mes deux compagnons.

Le ministère est un gigantesque bâtiment au milieu de la grande place. Il est encore plus grand que la guilde des mercenaires de Selka. L'entrée, deux hautes portes blindées marquées du sceau de la ville de Bellir, est encadrée par deux énormes colonnes de pierre blanche. Par sa couleur éclatante, le bâtiment se démarque des autres.

Nous entrons dans le hall au sol de marbre. Au plafond, un magnifique lustre étincelle, illuminant la salle de la lumière. Là aussi, des colonnes sont alignés à gauche et à droite. Entre chacune d'entre elles, des hommes et uniquement des hommes sont installés à des bureaux, habillés en costumes noirs.

Nous nous approchons de celui qui est le plus près de la porte et dont le petit écriteau indiqué "Accueil".

Je prend la parole.

– Bonjour, je souhaiterai me renseigner à propos de quelque chose…

L'homme jette un regard désapprobateur à deux compagnons, et plus particulièrement à Kalem. 

– Je vous écoute, grommelle-t-il.

– Mes compagnons et moi-même cherchons un travail, ici, à Bellir. Savez-vous à qui nous pouvons nous adresser pour cela ? je demande le plus poliment possible.

L'homme grogne une réponse sans même lever les yeux de ses papiers.

– On ne donne pas de travail aux étrangers, ici.

Je fronce les sourcils et croise le regard navré de Kalem. C'est parce qu'il a la peau noire que l'homme au costume dit ça ?

– Comment ça ? je réplique.

– Vous venez d'un pays du sud, non ? Vous m'avez très bien entendu.

L'homme agite vaguement la main vers Kalem.

– Il est noir, il ne vient pas de notre pays. C'est impossible pour lui d'obtenir un travail ici.

Je reste bouche bée. L'origine de quelqu'un n'est pas un prétexte pour autoriser ou non les gens à travailler !

Je foudroie l'homme du regard, mais il ne me remarque pas, tellement il est absorbé par ses dossiers et ses papiers. Il ne fait plus du tout attention à nous.

Irritée, j'entraîne Kalem et Tristan hors du ministère.

– Allons chercher ailleurs, je m'écrie, puisque cet homme ne semble pas vouloir nous aider !

Kalem baisse la tête. Il semble avoir été blessé par les propos de l'homme.

 

Nous nous dirigeons maintenant vers le port, pour parler aux marins. Ils seront plus aimables, du moins je l'espère, eux qui voyagent à travers les mers et qui rencontrent sans cesse des peuples différents.

Je m'approche d'un marin qui est occupé dans les cordages de son navire.

– Bonjour ! je lui lance.

Il se tourne vers moi.

– Oui ? Bonjour, jeunes gens !

Comme Kalem, il a la peau sombre. J'espère qu'il ne fera pas de différence, lui.

Je lui répète ce que j'ai demandé à l'homme du ministère tout à l'heure.

– Attendez, je descends, ce sera plus pratique pour discuter.

Il glisse agilement de cordage en cordage et atterrit sur le pont du bateau. Il emprunte ensuite une échelle pour nous rejoindre sur les quais du port.

– Alors comme ça, vous cherchez un travail ?

– Oui, mais seulement pour les deux compagnons, Kalem et Tristan, je précise.

– Je pense qu'on peux vous trouver quelque chose, en effet. Attendez une seconde, je reviens, dit-il.

Il remonte sur son navire, puis redescend quelques instants plus tard accompagné d'un jeune garçon frêle à la peau mate. 

– Voici Oscar, un nouveau. Oscar, je te laisse t'occuper d'eux.

Le jeune garçon s'approche de nous.

– Martin m'a dit que vous cherchiez un travail…

Je devine que Martin est l'homme qui vient de partir.

– Oui, pour mes deux compagnons.

– D'accord. Suivez-moi…

 

Nous passons le reste de la journée sur le navire où travaille Oscar, appelé Le Mirage. Kalem et Tristan ont l'air de se plaire, ici. Ils ont été embauchés en tant que mousses par Martin, qui est le capitaine, en échange d'un logement.

Moi, je me contente de les regarder de loin. Travailler sur un bateau me m'intéresse pas vraiment… Le roulis du pont me donner envie de recracher tout ce que j'ai avalé à midi.

 

J'ai laissé Kalem et Tristan sur le navire Le Mirage et je suis sur le chemin pour rentrer à l'auberge. Il fait froid et sombre. Je pense qu'ils vont passer la nuit sur le navire.

La nuit, il n'y a plus personne dans les rues de Bellir. Le silence règne. Je frissonne de froid dans mon fin gilet de coton et presse le pas pour rentrer à l'auberge. 

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