Chapitre 10

Par Ohana
Notes de l’auteur : TW : agression, sang

Ce que Talia perçut en premier, avant même d’ouvrir les yeux, fut une odeur abominable qui semblait stagner autour d’elle. Elle prit une grande goulée d’air par réflexe, peinant à se défaire de la sensation laissée par la main de l’homme sur sa gorge. Manquant vomir de dégoût, elle s’étouffa pendant quelques secondes.

Elle força son corps à se calmer pour reprendre une respiration normale, puis tenta de se redresser. Ses membres ne voulaient pas bouger.

Elle papillonna des paupières pour se défaire du voile noir qui dansait devant ses yeux, et finit par apercevoir ce qui l’entourait. Elle était sous ce qui semblait être une grande tente. À nouveau, elle chercha à bouger.

Parvenant à redresser légèrement la tête, tendant le cou malgré la douleur, elle ne put empêcher un vent de panique de l’envahir. Elle était étendue sur une surface de bois surélevée, sans aucun lien. Elle tira avec un de ses bras, qui ne bougea que de quelques centimètres. Pendant une fraction de seconde, elle vit quelque chose briller autour de son poignet. De la magie. C’était de la magie qui la maintenait immobile, prisonnière.

Son cœur battant la chamade se répercuta dans ses oreilles et elle se tordit le cou autant que possible pour regarder autour d’elle, chassant d’un geste brusque de la tête une mèche moite qui lui était tombée sur le visage et qui lui irritait les yeu.

  • Te voilà réveillée, mon petit porcelet.

Un frisson glacé la traversa et elle chercha du regard l’origine de la voix. Penchant la tête vers l’arrière, les yeux écarquillés par la peur, elle distingua la silhouette monstrueuse du mage, qui la fixait depuis le fond de ce qui vraisemblablement était sa tente.

Talia dut s’y reprendre à deux fois avant d’arriver à émettre le moindre son, son regard écarquillé vrillé sur la silhouette qu’elle voyait à l’envers, à défaut de pouvoir tourner la tête.

  • Vous me voulez quoi ? cria-t-elle à moitié, sa gorge se serrant sous le coup de la terreur qu’elle ressentait.

Puis elle se souvint. Alaric. Le choc magique. Le mur. Cette fois, elle tira sur ses liens invisibles comme une forcenée, un sanglot à travers la gorge.

  • Vous l’avez … Espèce de monstre ! cracha-t-elle.

Le mage maléfique disparut, bougeant trop rapidement pour ses yeux humides, réapparaissant au-dessus d’elle, ses mains meurtries de chaque côté de la tête de sa prisonnière. Il la regardait de ses yeux injectés de sang.

L’odeur qui se dégageait de lui était immonde. Mais le souffle de l’adolescente fut coupé par ce qu’il dégageait. Ce n’était pas juste ses sens olfactifs qui étaient mis à rude épreuve. Son aura l’agressait. Elle pouvait la sentir sur sa peau, cherchant à aller en dessous. Elle continua à gigoter, envahie par une terreur incontrôlable.

Si elle avait pu hurler, elle l’aurait fait. Mais sa gorge s’était nouée, et elle peinait à respirer sous la pression magique qui pesait sur elle. Un autre sanglot lui échappa lorsqu’elle sentit son ongle sale lui meurtrir la joue, lui déchirant la peau comme si elle était faite de papier. La jeune femme ressentait une colère brûlante en elle, mais la peur la paralysait.

  • Il y a bien longtemps que je n’ai pas croisé quelqu’un dans ton genre. Les Voyageurs se font si rares ! Quel gâchis d’avoir fermé ces portes … Tellement de magie que nous ne pourrons jamais … goûter.

L’homme envahit son champ de vision, et Talia sentit sa langue immonde venir lécher la blessure qu’il lui avait infligée. Son geste l’électrisa. Ne réfléchissant pas, elle profita de sa proximité pour lui donner un coup de tête, seul mouvement qu’elle pouvait se permettre malgré la douleur. Elle ne voulait qu’une chose, qu’il s’éloigne d’elle.

Le mage poussa un grognement, mi-amusé, mi-frustré, du sang noir coulant de son nez déjà abimé.

  • Défends-toi comme tu veux, personne ne viendra à ton secours, ricana-t-il. Toi, et ta magie, sont à moi. À moi.

Il s’éloigna légèrement, disparaissant de sa vue. Talia se tordit à nouveau le cou, le cherchant du regard. Il était hors de question qu’elle le perde de vue. Mais même si elle tirait sur ses liens invisibles de toutes ses forces, elle n’arrivait pas à se libérer. Des bruits et du fracas lui parvinrent. Le mage semblait fouiller à droite et à gauche dans ses affaires, cherchant quelque chose.

Une exclamation ravie se fit entendre et la silhouette revint vers elle. Les yeux de Talia s’agrandirent lorsqu’elle vit qu’il tenait maintenant entre ses mains griffues une lame incurvée. Les symboles sur sa lame lui étaient inconnus, mais elle n’avait pas besoin de les connaître pour ressentir qu’il ne s’agissait pas d’un couteau ordinaire. D’un geste, il glissa celui-ci sous sa tunique puis remonta, déchirant son vêtement pour libérer le haut de sa poitrine, son ventre et ses côtes. Cette fois, elle perdit totalement le contrôle d’elle-même.

  • Va te faire … lui hurla-t-elle, sa propre voix lui blessant les tympans et la gorge.

Il la fit taire d’un coup au visage et elle sentit le sang emplir sa bouche.

  • Arrête de bouger, petit porcelet, lui susurra-t-il, ses yeux injectés de sang semblant briller d’une lueur démoniaque.

Talia s’immobilisa à nouveau, tremblant violemment, lorsqu’elle sentit la lame incurvée lui effleurer le ventre. Sa vue se troubla encore plus, sentant les larmes sur le coin de ses paupières. Elle se sentait terriblement perdue, et seule. Abandonnée et impuissante. Mais pourquoi avait-elle découvert cette porte ? Pourquoi n’avait-elle pas passé son chemin et oublié toute cette histoire ? Elle ne se retrouverait pas à la merci de cette créature infernale et son frère ne serait pas mort.

Lorsque la lame pénétra la chair de son ventre, elle serra les dents pour ne pas donner la satisfaction à ce monstre de l’entendre crier. Mais les larmes s’étaient libérées et coulaient abondamment sur ses joues, alors que son souffle se coupait à cause de la douleur.

  • Et d’un ! s’exclama, enthousiaste, le mage.

Sentant la tête lui tourner à cause de la douleur et la panique, Talia profita du fait que l’homme se soit brièvement éloigné en marmonnant des paroles qui n’avaient aucun sens pour tenter d’apercevoir ce qu’il avait fait. Chaque contraction de son corps était un supplice, mais il fallait qu’elle voit.

Cette fois, un gémissement apeuré sortit de sa gorge en voyant le symbole qu’il avait gravé sur sa peau ensanglantée. Apercevant la silhouette du mage revenir dans son champ de vision, elle émit une plainte, le contrôle de son corps lui échappant.

  • Bientôt à moi, souffla la créature, se délectant de chaque vague de douleur et de terreur chez sa victime.

Ne pouvant plus supporter la vue de ce visage ignoble, la jeune femme finit par plonger dans un état amorphe, espérant simplement que ça se termine rapidement, alors que le mage continuait de graver d’autres symboles, deux sur ses côtes, et un dernier au-dessus de sa poitrine à moitié nue.

Elle n’entendit pas lorsque le mage déposa négligemment le couteau cérémoniel à côté d’elle, semblant satisfait de son travail. Lorsqu’il vint se placer près de sa tête, emplissant son champ de vision de son aura ténébreuse, Talia ferma les yeux. Si elle pouvait tout simplement perdre connaissance …

Les mots que le mage se mit à prononcer plus fortement lui étaient toujours inconnus. Des incantations. Pendant de longues minutes, elle ne ressentit rien. Puis il eut un frémissement sous sa peau, sous les marques gravées. Les paupières toujours fermées, elle se concentra dessus.

Le frémissement se transforma en pression, mais curieusement, elle ne ressentit aucune angoisse, aucune douleur. Décidant de suivre mentalement cette sensation, elle parcourut son abdomen, puis ses épaules et ses bras.

Elle sentit une chaleur sur son poignet gauche. Toujours impassible, s’accrochant à toute sa volonté pour ne pas sombrer, elle se focalisa sur la sensation. Quelle surprise elle eut lorsque le lien qui la retenait se matérialisa dans son esprit ! Elle exerça alors une pression mentale sur ce qui entravait ses mouvements.

Les incantations se firent plus intenses, s’engouffrant dans sa tête avec violence, ébranlant sa concentration. Elle ne devait pas se laisser emporter par cette vague ténébreuse. Elle ne devait pas abandonner. Elle ne voulait pas que ce salopard gagne !

Y mettant toute l’énergie de sa fureur, sa peur et son désespoir, elle sentit le lien qui retenait son bras gauche céder. Au même moment, les symboles sur son corps se mirent à luire et devenir incandescents, lui brûlant la chair et l’esprit. Cette fois, elle ne put retenir son hurlement, qui se répercuta dans la tente. Elle avait la sensation qu’on lui arrachait un membre, une partie d’elle.

Ouvrant les paupières, elle vit le visage concentré du mage au-dessus d’elle, semblant être au paroxysme de son rituel, prêt à la vider de toute sa magie. Sentant un élan de rébellion qui balaya toute l’énergie maléfique, elle se saisit du couteau de sa main libérée. Sans hésiter, elle le ramena au-dessus de sa tête, et planta la lame incurvée dans la gorge du mage.

Poussant un hurlement de rage, se sentant revivre, elle sortit la lame pour la replanter dans la gorge de l’homme, touchant cette fois la carotide. Le sang noir qui en jaillit l’aspergea mais elle n’en avait que faire.

Son regard était vrillé dans celui du mage, qui se tenait la gorge, tentant vainement d’éviter de se vider de son sang. Il voulut reculer mais ses jambes cédèrent sous lui et il s’effondra.

Se laissant porter par sa volonté de s’en sortir, et une puissante dose d’adrénaline, Talia ramena le couteau vers elle, faisant s’effondrer l’homme sur le dos en un gargouillis. D’un coup net, elle trancha ses liens magiques. La lame vibrait au contact de ceux-ci. Malgré son corps qui protestait et tremblait, la jeune femme se redressa et descendit de l’autel improvisé.

Le mage bougeait toujours, cherchant à sortir de la tente en rampant. Comment pouvait-il encore être en vie après avoir perdu autant de son sang infect ? Talia ne maitrisant plus ses mouvements, désirant simplement mettre fin à son calvaire et la colère qui grondait en elle, se jeta sur lui.

Le tournant sur le dos, assise sur son torse même si ça ne faisait qu’encore plus la rendre poisseuse de sang, elle leva le couteau au-dessus de sa tête.

  • Ça c’est pour mon frère ! gronda-t-elle, d’une voix devenue rauque par la fatigue et ses cris.

Sans une hésitation, elle le poignarda. À la poitrine, puis à la tête. Elle n’arrêta que lorsqu’il fut totalement immobile, ses yeux injectés de sang devenus vitreux et vides de vie.

Et ça, c’était pour elle, aussi. Sa colère s’était volatilisée, transformée en lassitude. Cette chose n’allait plus pouvoir faire de mal à qui que ce soit.

En tremblant, elle se laissa glisser du corps immobile, luttant contre son corps et son esprit qui la poussaient à se recroqueviller sur elle-même.

La situation lui revint au visage avec la force d’un coup de fouet. L’arme maculée de sang noir toujours en main, elle se releva en chancelant. Ignorant la puanteur des lieux, la jeune femme se saisit du premier bout de tissu à portée de main pour se couvrir les épaules, nouant le tout pour faire disparaître les marques encore suintantes qu’elle ne voulait surtout pas voir. Pas maintenant. Elle pourrait s’en occuper plus tard.

Si elle arrivait à s’en sortir.

Écartant un pan de la toile qui cachait l’entrée de la grande tente, elle jeta un coup d’œil à l’extérieur. Son sang se glaça. Elle était au beau milieu de ce qui semblait être un camp de fortune pour la bande de dissidents.

Le soleil étant encore bien haut dans le ciel, elle ne pouvait pas profiter de l’obscurité pour se glisser en dehors du camp. Et elle ne pouvait définitivement pas attendre la nuit. Voyant l’homme l’ayant retenue au village s’approcher de la tente, elle recula, manquant de se prendre les pieds dans le corps du mage.

Sentant son cœur battre dans ses oreilles, elle se força à ne pas céder à la panique. Il était hors de question qu’elle meure ici. Même si l’idée de retourner au village abandonné, pour retrouver le corps sans vie d’Alaric, la révulsait autant que l’idée de se faire à nouveau attraper.

Déchirant la toile de la tente avec son poignard étonnamment effilé – elle pouvait sentir la magie qui en émanait, mais n’y portait pour le moment que très peu d’attention – elle se faufila à l’extérieur. D’un pas léger, elle zigzagua entre les tentes, guettant le moindre bruit, la moindre voix, qui la faisait s’immobiliser brusquement à chaque fois, le souffle court.

Des cris se firent entendre derrière elle, la glaçant. Sa fuite avait été remarquée. Elle ne doutait pas que cela puisse arriver, mais la jeune femme aurait bien aimé un peu plus de temps. La distance qui la séparait des bois était terrifiante.

L’activité dans le camp se fit plus frénétique. Rapidement, elle dut se cacher. Prostrée, elle n’osait plus bouger. Elle ne pouvait plus se déplacer sans se faire repérer. Mais elle ne pouvait décemment pas rester là, elle risquait d’être prise au piège à tout moment. L’adolescente ne voulait pas tout ce qu’elle avait fait soit en vain.

Inspirant un grand coup, elle jaillit de sa cachette comme un diable, arme en main, et courut aussi vite qu’elle le pouvait, essayant d’ignorer les élancements de douleur que provoquaient les blessures que lui avait faites le mage.

Un nouveau pic de douleur la fit grincer des dents et trébucher. Une flèche venait de lui lacérer les côtes, manquant de justesse de lui provoquer une blessure encore plus grave. Malheureusement, elle n’eut pas le temps de se remettre à courir qu’une main large la saisit par les cheveux.

Poussant un cri de peur et de colère, elle se débattit, balayant autour d’elle avec son couteau. Le grognement de douleur qui lui parvint lui fit savoir qu’elle avait réussi à toucher son agresseur. Ce dernier lui donna un coup au visage, la faisant tomber au sol en crachant du sang, sonnée.

Une sensation glacée l’envahit. Elle avait échoué. Prostrée, elle se força à ouvrir les yeux pour fusiller du regard l’homme.

  • Tu vas regretter d’avoir tué notre guetteur ! gronda celui-ci, la saisissant à nouveau par les cheveux pour la relever.

Talia lui cracha son sang au visage. Sentir l’espoir, croire un moment qu’elle avait réussi à s’en sortir, pour que tout lui soit ravi en quelques secondes la rendait ivre de rage.

D’un coup de pied, l’homme fit virevolter le poignard qu’elle tenait toujours, et il la tira derrière lui, la tenant toujours par ses cheveux. Ruant et cherchant à se défaire de son emprise, elle ne put rien faire et fut jetée sur le sol, en plein milieu du camp. Elle en était certaine, cette fois, ils allaient la tuer.

Enfouissant son visage dans son bras pour ne pas leur donner la satisfaction de la voir s’effondrer de terreur, elle attendit le coup fatidique.

L’homme semblait hésiter sur la marche à suivre, s’engueulant avec d’autres. Certains semblaient vouloir la tuer rapidement et nettement, d’autres émettaient l’idée de s’amuser un peu avant. Ils étaient en colère d’avoir perdu leur seule source de magie.

Cachée dans cette carapace qu’elle s’était formée, incapable d’affronter ce qui se passait à l’extérieur et qui allait inévitablement la mener vers sa mort, elle vit, à quelques centimètres de son visage, une jeune pousse. Elle semblait être sur le point de s’ouvrir.

Les larmes se mirent à rouler sur ses joues sales. Elle aurait tellement aimé que son frère soit là. Son doigt effleura la petite fleur, se perdant dans sa contemplation pour éviter de penser à tout le reste.

Elle sentit alors un picotement dans le bout de son doigt. Croyant à prime abord que cela venait de la plante, Talia se rendit compte qu’au contraire, le tressaillement provenait d’elle. Comme avec les liens.

Ses sanglots se tarirent peu à peu. Ne sachant pas trop ce qu’elle faisait, elle plongea ses doigts dans la terre. Inspirant profondément, calmant ses tremblements, la jeune femme s’obligea à ignorer les mouvements autour d’elle.

Concentrée, elle chercha au plus profond d’elle-même. Elle devait être là. Cette étincelle. Oui, juste là. Elle pouvait la sentir. Elle y insuffla alors tout ce qu’elle ressentait. Mais ce qui primait, sur tout, c’était son besoin de retrouver la seule famille qui lui restait. Elle ne voulait pas le laisser là, seul. Même si le retrouver signifiait lui dire au revoir pour de bon.

Talia sentit sa magie gonfler autour d’elle. Et sous elle. Lorsqu’une main brutale la saisit, prête à lui faire subir les pires maux, la jeune magicienne libéra toute son énergie.

X

  • Si tu ne le remets pas en un seul morceau, Gale va nous faire la peau. La prime peut nous faire vivre comme des rois !

Un grognement énervé lui répondit.

  • Arrête de te répéter, je sais ce que je dois faire ! fit une voix plus féminine. Mais tu es sûr que c’est un mage ?
  • Rona, t’en connais, toi, des gens normaux qui guérissent aussi vite ? Nah, moi je te dis, ça sent la magie. Et Gale sait qui serait intéressé !
  • Ah, tiens, il se réveille … J’aurais préféré que non …

Alaric cherchait à comprendre ce qui s’était passé. Mais ses derniers souvenirs étaient flous. La douleur vive qu’il ressentait dans chaque partie de son corps n’aidait pas. Un gémissement sortit de sa gorge alors qu’il tenta de bouger.

Papillonnant des paupières, il vit à prime abord un plafond de bois. Malgré la douleur, il parvint à tourner la tête sur le côté. Il se trouvait dans une cabane exiguë. Son manque de force menaça de lui faire à nouveau tourner de l’œil mais il commençait à se souvenir.

Une main se posa sur son épaule pour l’empêcher de se relever, mais elle disparut bien vite de son champ de vision, remplacée par la silhouette d’un homme. Homme qui tenait une dague entre les mains. Le brigand pointa sa lame vers la gorge du jeune homme.

  • Bouge ou fais le moindre truc bizarre, et t’es mort ! lui dit-il, ses paupières plissées en un air méfiant, sans réussir à dissimuler la légère crainte qu’il ressentait.

Mû par cette volonté de retrouver Talia, oubliant tout le reste, Alaric se saisit de l’arme par la lame, s’ouvrant la paume et les doigts. La douleur ne le fit pas reprendre raison. Retrouver Talia. Sa seule famille, qui était en danger. C’était tout ce qui comptait.

  • Va chier ! gronda-t-il.

L’homme qui tenait le couteau jura et lui saisit le poignet pour lui faire lâcher l’arme. Le poussant légèrement pour le faire retomber, il se recula en grognant, mettant le couteau hors de la portée de l’adolescent.

  • C’est un fou celui-là …

Alaric l’ignora. Il voulut retenter de se redresser mais en fut incapable. Un autre visage entra dans son champ de vision. Une femme, cette fois.

  • Écoute, tu es en mille morceaux. Il vaut mieux que tu ne bouges pas.

Il pouvait sentir une certaine douceur dans la voix de la femme, mais quelque chose lui intima de ne pas lui faire confiance.

  • Je … dois retrouver quelqu’un, croassa l’adolescent.
  • S’il y avait quelqu’un avec toi avant qu’on te trouve, il n’y est plus. Cette troupe de monstres ont dû le zigouiller depuis longtemps.

Les souvenirs lui revinrent avec une brutale précision. Cette créature, qui ne ressemblait plus du tout à un être humain, avait enlevé Talia. Alaric lui avait résisté. Quel geste stupide … Maintenant il ne savait plus du tout où elle était. Ni si elle était toujours … en vie.

Lui-même avait cru mourir. Mais il s’était réveillé, dans ces décombres, le corps brisé. Il ne savait pas combien de temps il était resté là, à naviguer entre la conscience et l’inconscience. Puis, tout à coup, il avait réussi à se relever. La douleur était toujours présente, mais son esprit en avait fait abstraction. S’étant traîné tant bien que mal sur quelques dizaines de mètres, totalement à l’aveugle, il n’avait pas pu aller bien loin. Des cavaliers lui étaient tombés dessus. Après ça, il ne se souvenait de rien. Il avait dû perdre connaissance.

Son esprit se révolta alors mais son corps refusait de lui obéir. Une horrible douleur irradiait par tous les pores de sa peau.

  • Tu ne peux pas lui donner quelque chose ? grommela l’homme, qui continuait à le surveiller au cas où il tente quelque chose de trop magique à son goût.

La dénommée Rona sembla hésiter puis se leva. Le cœur du jeune homme se mit à tambouriner plus fort. Hors de question qu’ils le droguent ! Mais la femme ne put aller au bout de son geste, le tissu imbibé d’un produit anesthésiant entre les mains. Un vacarme se fit entendre à l’extérieur de la cabane de bois dans laquelle ils se trouvaient.

Ses ravisseurs se jetèrent un regard nerveux avant de sortir. Il eut des cris. Alaric put entendre la femme sacrer fortement sur quelqu’un avant de se taire brutalement. L’homme repassa par la porte, en chutant, projeté par une force inconnue. Il tomba durement sur le dos et, sonné, resta au sol. Le propriétaire de cette force apparut alors dans le cadre de la porte.

Alaric plissa les paupières, son corps meurtri tendu, prêt à se défendre, même s’il n’était pas en état de le faire.

  • On vous laisse seuls quelques heures, et voilà ce qui arrive, grommela Gadriel, se dirigeant vers lui.

Le jeune homme se détendit légèrement. Une vague de soulagement l’envahit. Le guerrier était vivant. Ses chances de retrouver sa sœur avaient grandement augmenté.

Leur protecteur s’approcha. La taquinerie sur ses traits se transforma en inquiétude, en voyant dans quel état était le jeune mage.

  • Est-ce que tu peux marcher ?
  • Ouais ! gronda Alaric, cherchant aussitôt à se redresser.

Voyant qu’il avait du mal, Gadriel l’aida. Mais à peine s’était-il mis sur ses pieds qu’il s’effondra en un cri de douleur. Le rattrapant de justesse pour éviter qu’il ne se fracasse encore plus dans sa chute, le guerrier grimaça.

  • Non, rectifia, penaud, l’adolescent.

Il serra les dents, pour étouffer une plainte.

  • Je ne sais même pas comment tu fais pour être encore conscient. On a vu l’endroit où vous étiez …

Alaric en n’avait pas la moindre idée. Tout ce qu’il savait, c’était qu’avant, il était à l’article de la mort, et que maintenant, même si la douleur était insoutenable, un feu brûlait en lui. Un feu qui le poussait à se lever malgré la situation.

  • Sacrés mages, grommela le guerrier. Laisse-moi t’aider.
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