Sa tête posée contre le dos du guerrier, Alaric respirait laborieusement. Chaque foulée de leur monture commune lui tirait une vague de douleur qui manquait à chaque fois de lui faire perdre connaissance. Son bras pressé contre lui, il étouffait un râle à chaque fois qu’il serrait le poing. Quelle idée stupide d’ajouter une souffrance supplémentaire en saisissant l’arme de son kidnappeur ainsi. Gadriel lui avait bandé la main comme il le pouvait, étonné par ses étranges capacités de guérison.
L’homme poussait l’équidé à avancer le moins rapidement qu’ils pouvaient se le permettre, malgré les protestations du plus jeune, qui ne voulait qu’une chose, qu’ils retrouvent la trace de Talia au plus vite.
Alaric sentait encore le goût âcre de la potion que lui avait donnée leur guide, ce dernier ayant rapidement fouillé la cabane du couple qui l’avait enlevé. Il lui avait bien dit que l’effet ne durerait pas éternellement, et que s’il se démenait trop, celui-ci risquait d’être encore plus bref que prévu. Mais l’adolescent s’en fichait.
- Loric !
Le jeune homme sursauta et jeta un coup d’œil morne par-dessus l’épaule de Gadriel. Il vit l’autre guerrier se diriger à grande vitesse vers eux.
- J’ai retrouvé leurs traces, leur dit-il simplement.
Une étincelle se réveilla dans le regard du jeune homme. Il n’eut pas besoin de poser à haute voix l’interrogation qui lui brûlait les lèvres.
- Ils ont définitivement trainé une autre personne avec eux. Vivante.
Alaric émit une plainte mi-soulagée, mi-angoissée. Elle était vivante. Du moins, quand ils étaient passés par ici. Mais des heures les séparaient de ces monstres. Sans un mot, Gadriel talonna sa monture, provoquant une autre vague de douleur chez son passager, qui resta néanmoins silencieux.
Si quelque chose était arrivée à sa sœur … Pendant un instant, la douleur fut éclipsée par une vague de colère et de haine. Il ressentait toujours les effets de la source magique dans laquelle il s’était plongé. Mais son pouvoir était là, dormant, gonflant. Prêt à déverser feu et glace, quand il atteindrait un point de rupture que même le sort millénaire contenu dans les eaux d’Idris ne pouvait contenir.
Les heures se succédèrent. Alaric fut soudainement sorti de sa torpeur lorsqu’il sentit la monture ralentir. Il releva la tête, jetant un regard à Loric. Le guerrier épiait les environs. Il vit par la suite la main de Gadriel sur le pommeau de son épée. Ils n’étaient pas loin.
Une odeur ferreuse les assaillit. Le jeune homme dut se retenir pour ne pas se laisser glisser en bas de la monture pour courir dans la direction où elle semblait provenir. De toute manière, il n’aurait pas pu faire deux pas.
Ils émergèrent de la forêt pour se retrouver face à ce qui semblait être un campement abandonné. Les dizaines de tentes qu’ils pouvaient voir avaient été saccagées. D’autres semblaient avoir été pliées rapidement, laissant quelques vestiges ici et là. Mais les lieux donnaient l’impression d’être un camp fantôme. Aucun bruit n’en émanait.
Gadriel mit alors pied à terre, tout comme son coéquipier. Il leva les yeux vers le jeune homme.
- Des chances que tu restes sagement là ?
- Tu peux toujours espérer, cracha violemment Alaric, le fusillant du regard et le défiant de le laisser planté là.
L’ombre d’un sourire vint estomper l’air sérieux et concentré du grand guerrier. Il l’aida alors à descendre, et le soutenant comme il put, il suivit Loric, qui avait sorti son arme.
Zigzaguant prudemment entre les tentes détruites, ils finirent par émerger sur ce qui semblait être la place centrale aménagée par les anciens locataires. Ils se stoppèrent net. Une exclamation de surprise jaillit de la gorge du plus jeune, qui chercha à se défaire de la prise du guerrier.
En titubant, il s’approcha de la scène. Son regard ignora la vingtaine de cadavres. Plusieurs étaient au sol, mais les autres pendaient comme des poupées de chiffons à des branches. Branches qui semblaient avoir émergé du sol à un point précis.
Gadriel et Loric observèrent les lieux avec horreur. Certains des mercenaires avaient été tout bonnement pendus haut et court, les racines s’enroulant autour de leurs gorges. D’autres avaient des branches meurtrières et acérées au travers de la poitrine. Ils virent même des silhouettes entièrement recouvertes de solides lianes, immobiles pour l’éternité dans des poses qui laissaient croire qu’ils avaient fui la vague de la Loria végétale.
Alaric continuait à avancer, s’appuyant aux branches lorsqu’il se sentait vaciller. Son regard avait tout de suite passé des cadavres à ce qui semblait être un cocon, au centre du camp.
- Talia ? fit-il d’une voix étranglée.
S’agenouillant, il toucha le cocon. Se déplaçant légèrement, il vit que celui-ci avait été éventré de l’intérieur. Elle s’en était sortie. Elle était vivante. Il tourna la tête, fouillant du regard les alentours.
- Elle était là ! cria-t-il à l’intention de Gadriel et Loric.
Ceux-ci s’approchèrent prudemment, essayant de faire abstraction du sinistre spectacle. Ils en avaient vu, des carnages, dans leur vie. Mais tout ceci dépassait largement ce à quoi ils étaient habitués.
- Elle était là, répéta confusément le jeune mage. Mais …
Le soulagement qu’il avait ressenti se dissipa pour laisser la place à un pic d’angoisse. Il grimaça en tentant de se relever.
- Hey, attends, fit le grand guerrier, cherchant à l’empêcher de se ruer vers il ne savait où.
- Il faut la retrouver ! cria Alaric.
Gadriel lui serra l’épaule assez fortement pour attirer son attention sans lui causer plus de douleur.
- Loric est déjà parti trouver une piste, lui souffla-t-il calmement.
Se forçant à reprendre son calme, Alaric jeta un coup d’œil à l’endroit où se trouvait l’homme un peu plus tôt. Effectivement, il avait disparu, sans un bruit. Hochant difficilement la tête pour faire comprendre à Gadriel qu’il avait compris, il se saisit du bras tendu pour se remettre debout.
- L’état des corps nous laisse penser qu’ils ont été tués il y a peu.
- Ce n’était pas sa faute, balbutia Alaric avec empressement.
- Je ne juge pas. Ils ont eu ce qu’ils méritaient.
Gadriel avait répliqué avec fermeté. C’était la guerre et ces morts avaient été dans le camp adverse. Ils devaient tous faire des gestes qui allaient au-delà de ce qu’ils pensaient être capable de faire.
Le guerrier l’aida à marcher jusqu’à la monture. Avant de l’atteindre, ils entendirent un sifflement.
- C’est Loric, on y va !
Quelques secondes plus tard, ils étaient en route pour retrouver le guerrier silencieux.
X
Talia entendit les bruissements des feuillages et les branches craquant sous des pas lourds avant de voir à qui ceux-ci appartenaient. Épuisée, elle tenta de se fondre dans le décor, roulée en boule.
- Talia ? fit une voix qu’elle ne pensait jamais entendre à nouveau.
- S’il reste dans le coin ceux qui se sont enfuis, on va vite avoir des problèmes, grommela une autre voix qu’elle connaissait.
Tourmentée par la fatigue et envahie d’une puissante vague de soulagement, la jeune femme éclata en sanglots bruyants.
- Tal ! cria Alaric.
Plusieurs jurons marmonnés, un bruit de chute et des feuilles qui craquent lui parvinrent. L’instant d’après, le visage de son frère envahit son champ de vision.
Tremblante, elle se laissa complètement aller, serrant Alaric contre elle. Elle n’arrivait pas à croire qu’il était vivant. En sortant du cocon, elle avait erré un moment, ne sachant où aller. Il n’y avait plus personne pour l’aider.
Son regard humide se porta sur les silhouettes derrière son jumeau. Sa crise de larmes redoubla d’intensité en voyant que les deux guerriers allaient bien, eux aussi. Ce cauchemar était fini. Enfin, presque.
Envahie par la fatigue, elle ne lutta pas. Elle ne voulait plus ressentir la douleur sourde dans ses membres, les brûlures de ses plaies sur ses côtes, son abdomen. Alaric, la sentant se relâcher, la serra contre elle, mort d’inquiétude. Il était lui-même sur le point de tourner de l’œil.
- Laisse-moi la porter, lui souffla Gadriel, qui s’était approché sans qu’il ne le remarque.
Hésitant un instant, le jeune homme lui laissa finalement le champ libre. Il ne voulait plus s’éloigner d’elle, mais il n’était pas en état de faire quoi que ce soit.
- Il y a un espace dégagé à une dizaine de mètres, fit la voix de Loric, qui avait disparu du champ de vision de l’adolescent.
Gadriel poussa un soupir contrit.
- Ce n’est pas l’idéal de rester dans les parages, mais j’imagine qu’on va faire avec.
En jetant un coup d’œil à la frêle silhouette dans ses bras, il se radoucit. Non, effectivement, ils ne pouvaient pas se déplacer trop longtemps. Cela ferait plus de mal que de bien. Il se jura intérieurement que si un de ces êtres ignobles se ramenaient, il lui ferait personnellement payer pour ce qu’ils avaient fait. Cet élan de colère ne lui ressemblait pas, ni la culpabilité qu’il ressentait. L’homme s’empressa de les balayer dans un coin de son esprit.
Ils levèrent un camp de fortune à l’endroit indiqué par Loric. Tremblant de fatigue, tellement épuisé qu’il voguait dans un océan de douleur sans plus réellement la ressentir, Alaric restait assis aux côtés de Talia. Il ne voulait pas dépenser le peu d’énergie à penser à ce qu’ils avaient bien pu lui faire. Mais ses blessures, l’état de ses vêtements et ses traits tirés ne laissaient aucun doute sur le fait qu’elle en avait bavé.
Las, le jeune homme en était venu à laisser tourner dans son esprit fatigué une seule et unique pensée. Il voulait tout simplement que ça s’arrête. Qu’ils se réveillent de ce cauchemar et qu’ils réalisent qu’ils étaient toujours chez eux. Ce qu’il aurait dû considérer comme leur maison. Ce n’était que quand on perdait quelque chose qu’on se rendait compte à quel point celle-ci était importante. Les deux adolescents en avaient fait l’expérience plusieurs fois. Talia avait été plus intelligente et sensée que lui.
Le jeune homme sentit le grand guerrier poser un genou au sol, à côté de lui, lui tendant la potion.
- Bois le reste de la fiole, lui ordonna Gadriel.
Alaric s’apprêta à protester, ne voulant pas dormir. Il ne pouvait pas quitter d’une semelle Talia. Et puis, elle en aurait probablement besoin. Le guerrier soupira en levant les yeux au ciel.
- Ça ne va pas t’assommer, mais tu en as besoin, pour tes blessures. Tu ne vas pas tenir, tu veux vraiment mourir, là, maintenant ? Qu’est-ce que je vais lui dire quand elle se réveillera et qu’elle te retrouvera raide mort ?
Poussant un grognement irrité, le jeune homme obéit et but ce qui restait de la fiole, grimaçant à cause du goût absolument infâme. Aussitôt, il sentit un engourdissement se répandre dans ses membres. Il leva un regard incompréhensif vers Gadriel et vit son petit sourire en coin.
- Espèce de … commença-t-il, mais il ne put finir, tombant en arrière.
- Toujours vérifier que quelqu’un n’a pas trafiqué ce que tu bois. Ne t’inquiète pas, tu finiras par apprendre, ricana Gadriel.
Alaric sentit le guerrier le traîner un peu à l’écart, avec toute la délicatesse possible dans ce genre de situation, avant de plonger dans les ténèbres.
Gadriel, prudent, s’assura que l’adolescent était bien installé, qu’aucune de ses blessures ne s’étaient rouvertes, puis le couvrit chaudement.
- Il va te détester, si ce n’est pas déjà le cas, grommela Loric, qui était adossé à un arbre à quelques pas de là, le regard tourné vers l’obscurité de plus en plus grandissante.
- Je préfère qu’il ne voie pas ça.
Le ton de Gadriel s’était fait plus dur. Sa colère n’était pas dirigée contre son compagnon, mais à la simple vue du visage pâle et tiré de la gamine, il avait envie de tout détruire.
- Tu culpabilises.
Gadriel ne répondit pas à cette affirmation, détournant les yeux un instant vers la silhouette endormie d’Alaric, pour ensuite revenir vers Talia. Pour une fois, il n’avait pas envie de parler.
Il ne parlait que rarement de sa famille, surtout avec des inconnus, mais Loric connaissait ses deux enfants, Amalie et Krysto. La première devait avoir l’âge des deux Voyageurs qu’ils avaient promis d’escorter à bon port, tandis que son plus jeune fils avait récemment eu quatorze ans.
Cela faisait près d’un an que le guerrier ne les avait pas vus, la situation étant devenue chaotique partout dans les royaumes environnants. La seule consolation de Gadriel était qu’il les savait en sécurité, sous la garde de son mari, dans un village protégé par les Maraudiens.
Un soupir fusa d’entre ses lèvres, alors qu’il chassait la tension en lui. S’approchant de Talia, il s’accroupit doucement à ses côtés. Avec des gestes tout en délicatesse pour ne pas troubler son sommeil réparateur, il la dévêtit juste assez pour rendre visibles les horribles marques que lui avait faites le mage, prenant garde à préserver sa pudeur.
Un sifflement de colère se fit entendre, attirant brièvement l’attention de Loric vers son coéquipier. Quittant son poste de surveillance, il jeta un coup d’œil à ce qui avait provoqué l’élan de contrariété de son meilleur ami. Son visage restait impassible, mais il bouillonnait. Gadriel n’avait pas besoin de l’entendre de vive voix pour savoir qu’il était du même avis que lui. Ce salopard de mage, dont le corps avait été aperçu par les devantures d’une tente éventrée, avait bien mérité son sort.
Loric retourna à la place qu’il venait de quitter, laissant son coéquipier s’occuper des blessures de la jeune femme. Prenant soin de faire le moins de bruits possible, Gadriel étala le contenu de leur besace qui contenait quelques onguents. Ils ne se déplaçaient jamais sans, mais ils étaient plutôt pauvres en ressources dernièrement.
L’homme entreprit en premier lieu de nettoyer les plaies de Talia. Celle à la joue n’était pas infectée, bien que très grossière, mais les autres avaient une croute sombre qui avait commencé à se former. Avec des gestes précis, il parvint à les nettoyer et les désinfecter, attentif au moindre mouvement de l’adolescente. Celle-ci, à un moment, avait gémi de douleur lorsqu’il s’était occupé d’un des symboles gravés dans sa chair, mais sans plus.
Après avoir recouvert d’un bandage propre les plaies de Talia, Gadriel tâta sommairement ses bras et ses jambes, s’assurant qu’il n’y avait pas d’autres blessures. Il ne pouvait pas faire plus. Si elle avait des dommages internes, ils ne pourraient la soigner que lorsqu’ils seront sous la protection du roi Wallon. Ces prochains jours allaient être laborieux.
Sa tâche terminée, le guerrier recouvrit chaudement la jeune magicienne pour la laisser se reposer. Ce geste le ramena en arrière, quand il bordait Amalie. Pendant un instant, un sourire étira ses lèvres, avant de disparaître, balayé par la pensée qu’ils n’étaient pas encore sortis de toute cette situation cauchemardesque.
Les deux guerriers guettèrent toute la nuit, à l’affût du moindre mouvement. La logique voulait qu’ils ne risquaient pas d’être inquiétés avant quelques heures, pas après ce que Talia avait fait à une des troupes les plus craintes de la région. Mais il y avait eu des survivants. Les guerriers ne savaient pas exactement sous quelle bannière ceux-ci allaient se regrouper, maintenant qu’ils n’avaient plus leur atout de taille.
Ils ne voulaient pas le découvrir. Le plus important était d’amener les deux jeunes gens qu’ils escortaient en Héodeni. Ils seraient en sécurité, là-bas. Du moins, ils l’espéraient. Les deux hommes devaient faire confiance en leur commandant, qui avait assuré que le roi et son haut-mage allaient les protéger autant qu’ils le pouvaient.
Le matin se levait à peine lorsque Talia se mit à gigoter un instant, pour ensuite ouvrir les yeux. Son premier réflexe fut de se redresser en regardant autour d’elle. En voyant Alaric toujours endormi, elle se détendit légèrement.
Étouffant une plainte, elle se redressa juste assez pour être en position assise, la couverture serrée autour d’elle. Son regard se posa sur Loric, qui alimentait le feu, le temps que la fraîcheur du matin se dissipe. La jeune femme regarda autour du camp de fortune.
- Parti chasser, lui dit Loric.
Pour toute réponse, Talia hocha la tête. Cherchant une position qui lui provoquait le moins de douleur possible, mais n’en trouvant aucune, elle poussa un soupir. Craintive, ignorant la présence du guerrier, elle ouvrit les plans de la couverture pour observer les dégâts. Les bandages frais couvraient tout ce qu’elle n’avait pas vraiment envie de se rappeler. Elle ne put néanmoins pas s’empêcher de souffler un bon coup, sentant sa gorge se nouer.
La jeune femme s’essuya rageusement les yeux avec le dos de sa main, s’invectivant mentalement de ne pas craquer. Tout ça était derrière elle maintenant. Un frisson la traversa.
Levant les yeux, elle sursauta en voyant que Loric se tenait là, légèrement penché vers elle, lui tendant une tunique et une veste intactes. Les vêtements de rechange qu’Oza-Fynn leur avait donnés, au cas où. En prenant ce qu’il lui tendait, elle voulut le remercier, mais elle sentit à nouveau sa gorge se nouer. Il hocha sèchement la tête et retourna à sa place.
La jeune femme, avec des gestes prudents, enfila la tunique par-dessus sa tête. Chaque mouvement tirait sur ses plaies, lui faisant faire des grimaces. Elle s’enveloppa ensuite dans la veste, pour cacher les ecchymoses qu’elle avait sur les bras. Elle voulait simplement oublier.
Son sac.
Son cœur s’emballa et elle chercha frénétiquement autour d’elle, oubliant toute prudence. La besace que lui avait donné Oza-Fynn, qui contenait les fioles de Rei et les lambeaux de son cardigan, unique vestige de ce qui lui restait de leur monde à eux. Elle s’en voulut intérieurement de paniquer pour un bout de tissu.
- Il est ici, Tal.
Elle tourna la tête vers Alaric, qui la regardait d’un air inquiet. Il tira la besace à côté de lui en tentant de se redresser, grimaçant de douleur.
- Attends, fit doucement Talia, celle-ci sentant les battements de son cœur se calmer.
Elle se releva et alla s’asseoir à côté de lui, prenant le sac et le serrant contre elle.
- Comment vas-tu ? lui demanda-t-elle.
Alaric la regarda avec surprise.
- Moi ? Toi, plutôt, comment tu vas ? Tu m’as fait une sacrée peur …
La jeune femme serra un peu plus son sac contre elle. Elle n’avait pas la force de faire semblant.
- J’ai cru que tu étais mort, craqua-t-elle, ne luttant plus contre son corps qui fut malmené par de profonds sanglots.
Elle s’en voulut à nouveau, mais cette fois ce fut de voir la souffrance sur les traits de son frère jumeau alors que celui-ci se redressa pour l’entourer de ses bras. Elle se laissa aller contre lui, en ayant plus que besoin.
- J’ai été stupide, ce n’est pas nouveau, tenta-t-il, pour essayer de la faire sourire.
Il n’aurait jamais dû s’en prendre à ce mage maléfique. Le provoquer. Il n’avait tout simplement pas supporté l’idée d’être à nouveau impuissant dans ce monde qui ne leur avait fait que des crasses jusqu’à présent. L’adolescent avait voulu reprendre le contrôle, sans connaître les règles du jeu. Peut-être que s’il avait été là, avec sa sœur, ils auraient pu mieux se protéger. Il aurait peut-être pu prendre les coups à sa place.
- Il t’a fait du mal, souffla-t-il d’une voix vibrante de colère.
Elle ne lui répondit pas, continuant de déverser tout ce qu’elle avait retenu jusqu’à présent. Elle s’en fichait que Loric fusse dans les parages – elle ne remarqua nullement que l’homme s’était éloigné, pour leur laisser un moment d’intimité.
Finalement, ses tremblements se tarirent, plus par fatigue que parce qu’elle se sentait mieux. Elle préférait ne pas répondre, ne pas lui raconter. Elle ne voulait pas qu’il sache ce qu’elle avait subi. Les marques, elle comptait bien les cacher, trouver un moyen de les faire disparaître. C’était mieux ainsi.
Talia se blottit contre Alaric, profitant de sa présence. Dans un coin de son esprit, elle savait qu’ils n’étaient pas encore en sécurité. Ils le savaient tous les deux. Mais pour le moment, elle n’avait pas la force de s’inquiéter.
Tout à leur épuisement, ils ne remarquèrent pas que Gadriel était revenu de la chasse. Ce dernier les laissa tranquille, préparant en silence le repas. Faire un feu n’était pas la meilleure des idées, mais leurs protégés avaient besoin de reprendre des forces.
Le guerrier avait profité de son temps en solitaire pour réfléchir. Il devait être réaliste, dans leurs états, ils avaient très peu de chance d’arriver au royaume du roi Wallon sans qu’ils ne tombent sur d’autres ennuis. Il leur restait plusieurs jours de route, du moins s’ils avançaient à un rythme soutenu. Les deux Voyageurs n’y arriveraient pas, risquant d’aggraver leurs blessures.
La seule solution était de faire preuve de prudence, peut-être même voyager de nuit pour éviter les déplacements de masse en journée. Ils allaient devoir éviter les quelques villages qui restaient sur leur route, même si avoir un toit sur la tête ne serait pas du luxe. Mais la plupart était entre les mains des dissidents.
Oui, ils allaient faire ça. Ils pourraient ainsi avancer sans risquer des complications chez les jumeaux. Mais plus ils tardaient, plus ils risquaient de tomber sur de nouvelles troupes rebelles, ce qu’ils voulaient absolument éviter. Les jeunes mages n’étaient plus en état de se battre, et même si les deux guerriers avaient encore de l’énergie à revendre, ils restaient réalistes. Ils ne pourraient pas tenir indéfiniment contre les nombreuses menaces des terres occupées.