Chapitre 10

Notes de l’auteur : Edité le 14 juin.

Les pneus de la voiture crissèrent sur les graviers de l'allée où Morgane s'arrêta. Après plus de quatre heures de route et un arrêt au Mans où son oncle Hans l'avait appelée pour obtenir des informations sur son voyage, elle avait finalement trouvé le point de rendez-vous avec Suzanne, la femme qui l'avait contactée.

Elle frotta sa nuque, s'étira les bras et les jambes pour lutter contre l'engourdissement. Morgane en avait déjà plein la tête, mais elle avait hâte d'entrer dans le vif du sujet, ce qui la tenait en haleine. Des couinements de chiens se firent entendre, et un traîneau tiré par huit canidés arriva en vue.

La femme qui s'approcha d'elle était brune, les cheveux nattés relâchés dans le dos, affichant un sourire franc qui étirait son visage, laissant apparaître ses deux rangées de dents.

— Merci d'être venue aussi rapidement ! Je suppose que vous voulez voir où loge Elara ?

— Oui, je vous remercie. La journée a été longue, mais j'aimerais m'y mettre dès que possible.

— Montez, je vais guider les chiennes.

— On ne sera pas trop lourdes à deux ?

— Aucun problème, vous avez l'air toute légère, et je vais soutenir leur effort si je vois qu'elles fatiguent.

— Comme une trottinette ?

— Tout à fait ! Répondit Suzanne en éclatant de rire.

Quelques minutes plus tard, Morgane était arrivée au bungalow et prenait des notes de ses observations. Ses yeux indiquaient un départ précipité mais prévu. Les aliments dans le réfrigérateur étaient tous en état et rangés soigneusement, mais les vêtements étaient jetés en vrac dans le placard. La valise était encore sur place, mais aucun sac en vue et le téléphone branché ne disait rien qui vaille. Cela la surprenait le plus car cela ne ressemblait pas à un simple oubli, et peu de personnes s'envolent sans téléphone.

Elle sortit perplexe du logement pour observer les environs et interroger Suzanne sur les discussions qu'elle et Elara avaient eues. Sa première piste concernait le musicien Lirion et compte tenu du passé d'Elara, quelque chose la chiffonnait. C'était inhabituel et contradictoire. Elle se demanda si Elara avait consommé de la drogue, mais ça ne collait pas.

Elle nota tout ce qui lui passait par la tête pour y réfléchir plus tard et se concentra sur l'exploration des environs. Les chiens semblaient agités, et Suzanne les calmait en leur parlant doucement. La luminosité du ciel diminua rapidement alors que de gros cumulus le traversaient, et une forte bourrasque chargée de pluie fouetta la clairière où elles se trouvaient.

Suzanne héla Morgane pour qu'elles se réfugient non loin, chez sa tante. Le vent s'intensifiait, et la pluie tombait en grosses gouttes, s'écrasant avec fracas sur le sol meuble de la forêt, traversant leurs vêtements d'été. Les branches d'arbres bougeaient violemment, secouées par le vent tournoyant, et l'odeur d'humus et de feuilles les enveloppait alors qu'elles arrivaient à leur destination.

Une grande roulotte décorée se dressait dans la clairière, accolée à une sorte d'abri en bois partiellement fermé assez grand pour y installer le traîneau et les chiennes. Suzanne n'eut pas le temps de cogner à la porte qu'une vieille femme voûtée les invita à entrer d'un geste ample, sa voix étouffée par le fracas de l'averse.

Elles pénétrèrent essoufflées et trempées jusqu'aux os, leurs vêtements dégoulinant sur le tapis d'entrée, tandis que la propriétaire des lieux leur apportait une serviette. L'odeur d'herbes sèches et de fumée embaumait l'air, et elles s'installèrent sur une banquette enroulée dans une couverture.

Alors que les trois femmes restaient silencieuses, des éclairs illuminaient la pièce par intermittence, créant des ombres dansantes sur les murs. Assise derrière une petite table couverte d'un tissu brodé, Isolde mélangeait des cartes de tarot avec une grâce presque envoûtante pour une si vieille femme, ne levant même pas les yeux.

Suzanne se frictionna avec sa serviette et se couvrit avec la couverture.

— Bonsoir Isolde, désolée de te déranger, l'orage nous est tombé dessus. Nous partirons dès que cela se calme. Voici Morgane Meyer, je lui ai demandé de l'aide pour la disparition d'Elara.

Les yeux perçants d'Isolde se posèrent tour à tour sur Suzanne et Morgane, semblant voir au-delà de leur apparence physique.

— Bien, approchez-vous demoiselle.

Morgane s'avança curieuse et s'assit sur la chaise.

— Suzanne, prépare deux tasses de camomille et de menthe, l'eau est chaude.

Cette dernière hocha la tête et s'éclipsa pendant que Morgane fixait la vieille femme, interloquée.

— Elara n'a pas disparu, elle est simplement... ailleurs, déclara-t-elle d'une voix empreinte de certitude.

Morgane s'apprêta à répondre, mais Isolde l'interrompit avec un sourire indulgent.

— Cela est déjà arrivé par le passé. Une de mes amies est aussi partie.

— Quand était-ce ?

— En 1983.

— Y a-t-il eu d'autres disparitions ? Ont-elles été retrouvées ?

— Tant de questions et d'impatience...

Le vent soufflait fort à l'extérieur, secouant les parois de la roulotte comme si l'orage atteignait son paroxysme. Isolde fixait les cartes de tarot posées devant elle, sa voix résonnant doucement dans l'atmosphère chargée du lieu. La voyante tourna lentement la première carte et révéla le « Huit de Coupe ».

— Voici le « Huit de Coupe » déclara Isolde d'une voix calme, ses yeux voilés de sagesse observant la carte. Il nous rappelle les chemins que nous choisissons de suivre, les vérités cachées sous les vagues tumultueuses du temps.

Morgane observa la carte avec un léger haussement de sourcil.

— Un choix, donc.

La voyante sourit doucement, laissant une pointe d'énigme flotter dans ses paroles.

— Les racines sont souvent enchevêtrées avec des secrets et des vérités enfouies. Lorsque vous trouverez la clé pour explorer vos origines, les mystères qui vous entourent pourraient également trouver leur réponse.

Morgane manqua de rire, mais respira un grand coup pour écouter Isolde jusqu'au bout. Elle avait décidé de faire un reportage sur les mythes bretons ; elle devait rester ouverte à tout ce qu'elle entendrait. Après tout, elle n'avait jamais vu de voyante aussi crédible, et rien que l'orage qu'elle venait de traverser avait quelque chose d'irréel.

Isolde inclina la tête, ses cheveux argentés chatoyant faiblement à la lueur vacillante de la grosse bougie posée au centre de la table.

— Le passé qui vous a menée jusqu'ici, Morgane, sont comme des courants souterrains. Explorez-les avec un cœur ouvert, et peut-être trouverez-vous des réponses à des questions que vous n'avez pas encore posées.

Morgane détourna les yeux de la carte, perplexe. Elle n'avait jamais été portée sur la divination ou l'ésotérisme, mais cette vieille femme savait y mettre les formes.

— Je suis désolée, mais j'ai du mal à croire en ce genre de choses. On m'a appris à être cartésienne et analytique.

Isolde, imperturbable, tourna la seconde carte, révélant la « Tour ». L'image de la carte représentait une tour en flammes, une scène de destruction et de chaos.

— La Tour, annonça Isolde avec une gravité palpable. Elle peut marquer la fin de ce qui n'est plus en harmonie avec votre destinée. Une révélation brutale, un bouleversement nécessaire pour avancer.

Morgane fixa la carte, son regard passant de la figure en flammes à Isolde, puis à la carte suivante que la voyante tourna avec une lenteur délibérée : « Le Monde ». L'image représentait une danseuse entourée par une couronne de lauriers.

— Et enfin, Le Monde, murmura Isolde alors que la carte se dévoilait. Elle poursuivit d'une voix douce mais empreinte de conviction. Après la chute de La Tour, une opportunité de révélation et de guérison peut se présenter. Le Monde vous invite à embrasser ce qui est achevé et à vous ouvrir à de nouvelles perspectives. Les eaux qui ont nourri vos racines vous guideront vers une compréhension plus profonde.

Morgane observa les deux cartes, puis releva les yeux pour rencontrer le regard d'Isolde. Elle semblait convaincue de ce qu'elle disait, à tel point que Morgane n'osa la contredire.

La vieille femme lui adressa un sourire énigmatique.

— Parfois, un soupçon de foi suffit pour apercevoir les éclats de vérité.

Morgane s'apprêtait à répondre quand Suzanne arriva avec deux tasses fumantes du coin cuisine. Une fois les tasses entre leurs mains, Morgane prit une gorgée pour se réchauffer et Isolde reprit la parole.

— L'orage va bientôt s'arrêter. Laissez-moi vous dire une dernière chose. Je sens que ce n'est que le début, d'autres se sont déjà perdus et ce n'est pas terminé.

— Que voulez-vous dire par là ?

— Je comprends vos réticences. Si vous vous retrouvez dans le brouillard, repensez à ces mots.

Isolde, manifestement assurée de ses paroles, afficha un sourire énigmatique. Puis, la pluie cessa subitement.

— Je pense qu'il est temps pour vous de rentrer, il se fait tard.

La vieille femme se leva de son siège, rassembla ses cartes et mit fin à la conversation en les rangeant.

Les deux femmes la remercièrent et se mirent en route pour retourner à la voiture de Morgane.

— C'était une expérience intéressante. Votre tante est un peu loufoque...

— Ce n'est pas réellement ma tante, plus la vieille tante de tous ceux du coin, mais aussi étrange que ça puisse paraître, elle m'a sortie du pétrin plusieurs fois avec ses prévisions. Libre à vous d'y croire.

— Merci pour l'accueil, je vous tiendrai au courant si je trouve quelque chose.

Suzanne hocha la tête.

Morgane commençait à ressentir une migraine et une légère nausée. Sa journée avait été trop longue et la fin étrange. Elle avait besoin de repos.

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Bleumer
Posté le 12/03/2024
Pour une fois que je ne vais pas me plaindre!^^
Un chapitre clair et concis. Je commence seulement à me demander si Isolde ne serait pas une Hoper aussi, même si on en sait très peu sur cette race actuellement.
Papayebong
Posté le 27/03/2024
Amen XD
EmmaLy
Posté le 11/01/2024
Hello !
J'ai dévoré ce chapitre, j'avais vraiment envie de voir la suite.
Une question m'est venue au début : c'est un traineau à roulettes ? Ou alors il ne va que sur l'herbe ? Il y a assez peu de neige en Bretagne et sans roulettes je ne vois pas trop comment ça marche (simple curiosité)
Sinon, contente de retrouver Suzanne, Isolde est toujours aussi énigmatique je sens qu'il faut retenir les prédictions mais je pense que je ne vais pas y arriver, à voir si à un moment je me dis "mais oui, Isolde l'avait dit !"
Tout me semble fluide et naturel à la lecture. Je m'en vais donc voir la suite
Papayebong
Posté le 12/01/2024
Salut !
Super si le chapitre se laisse parcourir facilement !
Oui, c'est bien un traîneau à roulettes.
Et pour les prédictions, il y aura un rappel plus tard 😎 retenir ce genre de choses plusieurs chapitres avant m'est aussi difficile.
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