Morgane se réveilla en sueur. Jamais elle n'aurait imaginé avoir chaud la nuit près d'une zone boisée bretonne.
Elle profita de sa première journée pour rencontrer ses contacts, effectuer des recherches préliminaires et se renseigner sur le fameux Lirion. Mais impossible de ne le localiser ni même d'obtenir d'autres informations que le nom qu'il avait donné, probablement un nom de scène. Elle en profita pour s'entretenir avec des résidents locaux afin d'en apprendre davantage sur la région et confirmer ses recherches en ligne. Puis, le lendemain, elle se rendit dans le centre d'archives local, le mieux fourni selon ses sources. C'était là qu'elle effectuerait le gros du travail de recherche.
Le bâtiment des archives locales se dressait avec une imposante présence au cœur d'un parc paysager. Sa façade en pierre grise, façonnée par le temps et les éléments, racontait l'histoire de générations passées. Il avait très certainement été une demeure noble à l'époque du duché de Bretagne.
De nombreux bâtiments historiques étaient transformés pour y accueillir des bureaux et des équipements publics. Morgane sortit sa caméra et son pied pour filmer une vue d'ensemble et prit quelques photos. L'environnement était verdoyant et de nombreuses personnes, principalement des étudiants, profitaient du parc.
Les trois étages du bâtiment étaient couronnés d'un toit à pignon, couvert de tuiles en terre cuite usées par les saisons. Des lucarnes aux contours délicatement sculptés ponctuaient le toit, offrant un contraste entre la robustesse de la construction et les détails délicats qui l'ornaient. Juste au-dessus de l'entrée principale, un fronton en pierre cintré s'élevait, portant un blason.
L'entrée était flanquée de colonnes doriques élancées, dont les fûts étaient marqués par le passage du temps. Les chapiteaux décoratifs exhibaient des motifs floraux et géométriques, rappelant le style néoclassique en vogue chez les nobles à une époque. Les portes en bois massif, aux poignées de bronze poli, semblaient être le passage vers un monde de savoirs et de mystères. Morgane sourit en poussant la lourde porte, et son regard se dirigea immédiatement vers le majestueux escalier central en bois, richement sculpté. Les marches en chêne massif étaient usées et polies à certains endroits, témoignant des milliers de pas qui les avaient foulées au fil des siècles.
Une odeur de cire flottait dans l'air, et Morgane continua de filmer la bâtisse et les détails qui lui plaisaient.
La rampe en fer forgé qui serpentait le long de l'escalier était une œuvre d'art en soi. Chaque détail complexe était façonné avec minutie, ajoutant une touche de grâce à la structure imposante de l'escalier. Les motifs floraux s'entrelaçaient, créant une harmonie entre le métal patiné et le bois sombre.
La lumière du jour filtrait à travers les grandes fenêtres qui encadraient l'escalier, projetant des ombres douces sur les marches et les murs environnants. Les vitraux aux couleurs délavées ajoutaient une touche de chaleur et de couleur à l'ensemble, tout en créant une ambiance feutrée qui rappelait l'importance et la solennité des lieux.
Au sommet de l'escalier, un palier spacieux s'étendait, offrant des vues sur les différentes ailes du bâtiment. Elle suivit le panneau indiquant la salle des archives et vit un couple de jeunes en sortir en gloussant.
L'odeur du vieux papier lui chatouilla les narines quand elle poussa la porte de la salle des archives. Les rayonnages étaient chargés de boîtes, tantôt en carton, tantôt métalliques, et la lueur tamisée des lampes ajoutait une aura désuète à l'endroit. Elle sourit en se disant que de toutes les salles d'archives qu'elle avait fréquentées, celle-ci était la plus jolie.
Morgane choisit une table près de la fenêtre, là où un panneau Wifi était affiché, et installa ses affaires. Puis, elle se rendit à l'accueil des archives. Un homme aux cheveux poivre et sel, le visage légèrement plissé par le temps, s'approcha d'elle.
— Besoin d'aide pour vos recherches, mademoiselle ?
Morgane leva les yeux, un léger sourire en coin.
— Bonjour, oui. Je viens de la part de Ghislain Fernand, je suis journaliste et à la recherche d'articles de journaux traitant de disparitions en Bretagne en 1983, locales en priorité, ainsi que toutes les coupures de faits divers se rapprochant du sujet.
L'archiviste s'installa en face d'elle derrière l'ordinateur du bureau d'accueil, plissant les yeux et ajustant ses lunettes.
— Les disparitions, hm ? Vous avez une partie des archives qui ont été numérisées, mais nous ne sommes pas encore remontés à cette année, c'est un travail titanesque.
— Pouvez-vous m'apporter les journaux de cette année classés par mois s'il vous plaît.
Il consulta son écran, releva la tête après quelques instants, et lui indiqua qu'elle avait trois journaux référencés.
— Suivez-moi, nous irons plus vite à deux.
Morgane suivit l'archiviste vers une étagère chargée de boîtes à l'arrière d'une gigantesque remise. Il gratta sa barbe grisonnante, un sourire presque complice sur son visage. Avec une aisance étonnante pour quelqu'un de son âge, il sortit une série de dossiers et de coupures de journaux pour les vérifier, puis referma les boîtes avant de les déposer sur un chariot à roulettes.
— Voici ! Premier trimestre 1983. Vous avez de quoi vous occuper. Je vous propose de me signaler quand vous voudrez la suite. Avez-vous l'habitude des recherches ?
Morgane accepta les dossiers, observant les coupures jaunies avec fascination.
— C'est exact ! Même si j'utilise plus souvent les archives en ligne. Avec les recherches par mot-clé, on gagne un temps fou.
— Nous fermons à dix-sept heures, je viendrai vous voir quinze minutes avant pour reprendre les documents.
— Très bien. Ah, autre chose ! Est-il possible d'utiliser mon téléphone ou ma caméra pour filmer la salle d'archives en général ? J'aimerais avoir une vidéo pour me remémorer l'ambiance et l'endroit où j'ai mené mes recherches. Puis-je également prendre des photos des articles intéressants ?
L'archiviste réfléchit un instant, puis acquiesça.
— Je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous fassiez une courte vidéo. Cependant, assurez-vous de ne pas capturer d'autres personnes présentes dans la salle, même de dos. Pour l'instant, il n'y a personne, profitez-en. Quant aux documents, bien entendu, vous pouvez également scanner les articles. Nous avons une photocopieuse multifonction au fond à gauche de la salle.
Morgane sourit, reconnaissante pour sa flexibilité.
— Bien sûr, je serai discrète. Merci beaucoup.
L'archiviste lui adressa un sourire sincère.
— Je suis ravi d'avoir pu vous aider. Les archives sont un trésor de connaissances et d'histoires, et il est important que ces souvenirs soient préservés.
Morgane repartit avec son chariot chargé de lourds dossiers jusqu'à sa table, et profita du calme et de la luminosité suffisante pour prendre quelques clichés, puis filmer la salle.
Elle commença par éplucher chaque journal, lisant en diagonale les titres et faits divers, et effectua un premier tri mois par mois. Ensuite, elle prit des notes et des photos de ses trouvailles. Au bout d'une heure, alors que sa nuque commençait à la faire souffrir, elle poursuivit sur son ordinateur.
Ses doigts volèrent sur le clavier, lançant des requêtes dans le moteur de recherche pour trouver des articles, des blogs et des forums concernant les disparitions de 1983. Elle trouva des retours d'expérience de locaux racontant des histoires sombres et étranges, ou évoquant la disparition de leurs proches. Morgane nota soigneusement les récits qui attirèrent son attention, sachant que chaque témoignage, chaque indice, pouvait contenir une pièce du puzzle.
Cependant, elle ne s'arrêta pas là. Morgane fouilla également les bases de données en ligne des journaux nationaux pour retrouver des articles d'époque sur les disparitions. Malheureusement, comme l'avait mentionné l'archiviste, il y avait peu de documents numérisés officiels et la plupart des disparitions médiatisées finissaient en homicide.
Elle jonglait habilement entre les recherches en ligne et les archives physiques, utilisant les deux sources pour recouper les informations et vérifier les détails. Les heures s'écoulèrent rapidement, mais Morgane était captivée par sa quête.
Après un moment, l'archiviste s'installa en face d'elle.
— Trouvez-vous quelque chose d'intéressant ?
Morgane hocha la tête, montrant plusieurs coupures de journaux.
— Ces disparitions semblent avoir eu lieu dans la même zone géographique. Auriez-vous d'autres articles sur ces cas ?
— La police locale conserve la plupart des informations concernant les affaires non classées. Je peux vous donner leur numéro et les informer de votre venue, cela vous fera gagner du temps.
Morgane remercia de nouveau l'archiviste et se replongea dans les articles avec une concentration intense. Le bruit des touches de clavier avait cessé, laissant place au murmure léger du papier. Elle nota des détails, des noms, des lieux, laissant le passé la guider vers une compréhension plus profonde.
En fin de journée, Morgane s'étira, sentant ses yeux fatigués après des heures de recherche intensives et quelques coupures au bout de ses doigts à force de manipuler le papier. Elle avait rassemblé une mine d'informations qu'il faudrait « épurer » . Alors qu'elle retournait à son gîte, elle savait que chaque article, chaque mot oublié, la guiderait un peu plus près de la vérité.
***
Le lendemain, dès l’ouverture, elle se rendit au poste de police local indiqué par l'archiviste et eut la chance de pouvoir parler à l'officier responsable, contacté la veille. Sa carte de presse et sa notoriété dans une affaire où elle avait aidé la police lui permirent d'accéder à certaines informations précieuses et elle commença à recouper ses recherches avec les cas de disparitions figurant dans les journaux. Elle put faire un premier tri entre les personnes disparues et celles retrouvées.
Il y avait eu 86 personnes non retrouvées dans la région en 1983, ce qui correspondait à environ 3% du nombre total des cas de disparitions, si l'on comptait également les cas non médiatisés. Ces données étaient insuffisantes pour savoir si ce chiffre était normal. Elle se rendit auprès de l'officier responsable des archives.
Le responsable des archives leva les yeux vers elle depuis son bureau.
— Vous avez terminé ?
Morgane esquissa un sourire poli.
— J'ai quelques questions sur les statistiques des disparitions non élucidées dans la région. J'ai lu que le taux moyen est d'environ 3% pour l'année 1983. Est-ce que cela vous semble normal ?
Le responsable des archives ôta ses lunettes et croisa les bras.
— C'est un taux assez élevé, généralement avoisinant plutôt les 1%, mais chaque disparition est une situation complexe avec ses propres facteurs. Certaines sont résolues rapidement, d'autres prennent plus de temps. Les années ne sont pas toujours identiques.
— Je comprends, acquiesça Morgane. En dehors des cas de personnes toujours disparues, je m'intéresse également aux disparitions qui dépassent une semaine et j'aimerais savoir si vous avez des données ventilées par tranche d'âge. Je pense que cela pourrait mettre en lumière des tendances inhabituelles.
Le responsable des archives sembla intrigué.
— C'est une approche intéressante. Les disparitions sur le long terme pourraient révéler des schémas spécifiques. Les cas de disparitions chez les jeunes adultes sont généralement moins fréquents, car ils sont plus susceptibles d’exercer des responsabilités et des routines. Cependant, c'est quelque chose que nous pourrions explorer.
Morgane poursuivit avec un grand sourire.
— Exactement ! Les personnes âgées de dix à quarante ans ont souvent des engagements avec l'école, le travail, la famille. Il pourrait y avoir des facteurs qui les rendent moins susceptibles de disparaître. Si l'on compare avec les disparitions chez les jeunes enfants et les personnes âgées. Est-ce que vous auriez également les différentes causes de décès des personnes retrouvées en 1983 ?
Le responsable des archives hocha la tête.
— Vous avez raison. Les jeunes enfants et les personnes âgées sont généralement plus vulnérables et peuvent être davantage sujets à des circonstances accidentelles ou médicales. Je vais voir si nous avons des données classées par tranche d'âge et si je peux vous fournir ces informations. Concernant les causes de décès, une analyse détaillée serait très longue, mais je peux vous donner les chiffres pour les 5 causes de décès principales de la région dans les cas de disparitions.
Morgane acquiesça avec gratitude.
— Je vous en serais reconnaissante. Cela pourrait aider à mieux comprendre les disparitions et à sensibiliser le public.
Le responsable des archives sourit légèrement.
— C'est toujours bien de voir des journalistes aussi jeunes s'intéresser à des questions importantes. Je vais vous aider du mieux que je peux. Vous pouvez accéder à nos données et je serai disponible pour répondre à vos questions.
Morgane remercia le responsable des archives pour sa coopération. Ils échangèrent leurs coordonnées et convinrent de se revoir pour discuter des résultats une fois que les données seraient collectées et analysées.
Alors qu'elle quittait le bâtiment, Morgane se sentit encouragée par les perspectives que cette enquête pourrait offrir. Les statistiques des disparitions pouvaient détenir des réponses précieuses sur les schémas et les tendances qui pourraient aider à éclairer les mystères qui entouraient ces cas non résolus.
Restait à savoir pourquoi cette année-là le nombre de disparitions était plus important et s'il y avait d'autres spécificités qui s'éloignaient des statistiques.
Elle consulta son téléphone tout en mangeant un sandwich à l'ombre d'un arbre. Juliette lui avait laissé un message :
« Alors Miss Scully, tu avances ?»
Elle lui répondit en souriant. Lorsqu'elle était plongée dans ses recherches, elle avait tendance à oublier son entourage.
« Très bien Miss Marple, je commence le terrain cet après-midi. Je ne t'oublie pas si j'ai des choses à faire analyser.»
« Compte sur moi ! Je ferai trimer Thomas comme un galérien.»
Morgane pouffa de rire en terminant son repas et se leva pour se rendre à son prochain rendez-vous : la famille d'une des disparues avait accepté de lui parler et elle pourrait même interviewer la femme en question.
J'aime beaucoup l'ambiance d'archives que tu donnes étant moi même très sensible au Patrimoine et à la culture.
Morgane semble être une journaliste bien efficace, effectuant ses recherches avec minutie en croisant ses sources.
Je continue avec plaisir.