C’est un été étrange, solitaire. J’ai à peine le temps de retrouver Lisa qu’elle s’envole pour l’Australie, voir son correspondant. Je me sens abandonné. J’ai parfois envie de hurler mon désespoir. Je ne comprends pas pourquoi l’immense attachement que j’ai pour les gens n’est pas réciproque, du moins pas dans la même intensité.
Pendant près de deux mois, mes journées se ressemblent, s’emmêlent. Je me lève tôt, je bois un café. Je vais me promener, à vélo ou à pied, selon mon humeur. Je rejoins mes parents pour le repas du midi. Ma mère s’est prise de passion pour la cuisine, j’ai donc droit à des plats toujours plus originaux et savoureux.
Le plus souvent, l’après-midi, je reste aider à la maison. Je fais la vaisselle avec ma mère. Elle met la radio et on discute de l’actualité. Puis je donne un coup de main à mon père pour le jardinage, ou pour toutes sortes de taches. A la fin des vacances, la maison de mes parents n’a jamais été aussi belle, propre et rangée.
Puis je finis par rentrer chez moi. J’écris. Je dessine. Comme Emilie le faisait. Rien n’a de sens, en réalité. Je me plais à aligner les mots qui me plaisent pour former des phrases incohérentes qui me plaisent tout autant. Je trouve du réconfort à laisser mon crayon glisser sur la feuille pour venir y former des arabesques plus ou moins complexes. Je ne peux pas dire que ces activités m’aident à me reconstruire, à guérir, à oublier Emilie. Au contraire, elles me rapprochent d’elle. Quand je m’affaire à noircir les pages de mon carnet, je ne peux m’empêcher de me demander si, de son côté, elle est en train de faire la même chose, au même moment. C’est dans son absence que je ressens le plus sa présence. C’est un sentiment bien cruel.
Il m’arrive, la nuit, de rêver d’elle. Ce sont des images confuses, décalées. Au réveil, je tente toujours de me rendormir, pour retourner la voir. Je n’y parviens jamais. Elle s’efface sous mes yeux, en même temps que le souvenir du rêve s’estompe.
C’est un été étrange, mélancolique et long.
***
Je suis resté assis bien longtemps sur un banc. Après être sorti du tram, j’ai voulu prolonger cette solitude apaisante et ai continué à ressasser mes souvenirs. Je me rappelle que ce carnet que j’ai rempli, cet été-là, je l’ai jeté il y a longtemps. J’aurais voulu le relire. Revoir ces phrases, ces mots. Mais peut-être qu’avec le temps, ils auraient perdu leur sens.
Je prends conscience de l’évanescence de mes sentiments. Et d’Emilie. Emilie qui à plusieurs reprises est apparue, plus brillante qu’une étoile, pour ensuite s’évanouir dans la noirceur de la nuit.
Je me lève enfin. Je rentre à la maison.
***
Sans Emilie, sans Lisa, j’ai l’impression permanente de voir naître autour de moi de nouveaux visages. Je ne connaissais même pas la voisine de mes parents. C’est une femme un peu rigide qui répète à qui veut bien l’entendre qu’elle a déjà planifié de A à Z ses funérailles. Elle a constitué un dossier comportant la liste des personnes qu’elle veut à son enterrement, elle a choisi les textes et les prières, elle a réservé sa place au cimetière. Elle est prête. Comme elle parle sans cesse d’elle, je n’ai jamais à parler de moi et cela m’arrange. A la fin de l’été, elle m’a dit que j’étais gentil, et elle m’a rajouté à la liste des invités à son enterrement. C’était touchant, d’une certaine manière.
Je ne connaissais pas non plus le garçon qui habite la chambre d’étudiants juste à côté de la mienne. J’ai dû le croiser une ou deux fois sans pour autant le remarquer. C’est le dernier jour des vacances, quand je suis revenu pour apporter quelques affaires, qu’on a parlé pour la première fois. Tous les deux, on a rien en commun en fait, et même en essayant de me contraindre à l’apprécier, je n’y suis pas parvenu. Pour autant, je trouve ça agréable de savoir que quelqu’un que je connais vit à mes côtés. Maintenant quand on se croise dans l’escalier, on se sourit.
La vie reprend son cours, peu à peu. Je redouble mon année de fac. Je perds mes repères car les gens que je côtoyais auparavant sont maintenant une année au-dessus. Je noue de nouveaux liens. C’est ce que j’ai toujours fait. Peu à peu ma douleur s’estompe.
Et Lisa revient. Je passe tout mon temps à ses côtés. Tout est simple avec elle. Après les cours, on sort ensemble. On parle, on ne fait que parler. Elle me parle de son correspondant australien, de leur relation amoureuse à distance. Elle me parle de sa famille, de ses études, de tout. Je lui parle aussi, de choses banales. Je découvre chez elle une délicatesse que je n’aurais jamais suspectée avant. Elle est patiente avec moi. On ne parle pas d’Emilie. C’est peut-être mieux ainsi. La seule mention de son nom me fait l’effet d’un coup de poignard. Lisa me consacre tant de temps que je crains qu’elle ne rate son année.
Plusieurs mois s’écoulent ainsi. Je m’accroche à ma meilleure amie comme à une bouée de sauvetage.
***
J’avais peut-être oublié le caractère impulsif de Lisa durant cette année scolaire là. Dès le début des vacances d’été, son correspondant australien vient en France. Elle me le présente. Il a l’air très amoureux. Pas elle. Quoi qu’il en soit, à peine deux semaines plus tard, il la demande en mariage. Elle accepte, sur un coup de tête, et elle s’envole pour l’Australie.
***
Lisa descend du taxi, et je la suis, hésitant. Je ne veux pas qu’elle parte. C’est inacceptable. Elle fait une erreur monumentale. Je saisis néanmoins ses valises et les porte jusqu’à l’aéroport. Je l’aide à aller enregistrer ses bagages et quand vient le moment de passer les contrôles de sécurité, elle me prend dans ses bras :
- En revoir Akira. Viens me voir dès que tu peux !
Elle n’est pas encore mariée. Je peux la retenir. L’empêcher de partir.
- Ne pars pas Lisa. Ne l’épouse pas. Tu n’es pas amoureuse de lui. Reste avec moi.
Elle me serre à nouveau dans ses bras et murmure une seule phrase :
- Tout le monde a besoin d’être aimé.
Elle se détache de moi, et tout de suite, la chaleur de son corps me manque. Je veux la reprendre dans mes bras et ne pas la laisser partir. Mais elle me sourit et part. Une fois entrée dans la file de voyageurs, elle se retourne et agite la main avec enthousiasme.
Cette fois, je suis vraiment seul.
Super chapitre, trop cool de voir la relation avec Lisa se développer. On sent qu'elle a souffert de l'attachement presque exclusif qu'Akira avait pour Emilie. La phrase où elle exprime son besoin d'aimer est très touchante. Son départ est assez déchirant.
Le passage que j'ai préféré est celui où Akira parle de ses voisins, avec qui il n'a que très peu en commun mais qui sont des relations tout de même agréables.
Petite remarque :
"Je me sens davantage abandonné" tu peux couper le davantage
Un plaisir,
A bientôt !
Je suis contente que tu aimes bien le passage où akira évoque ses voisins, parce que j'ai bien aimé l'écrire !
A très vite !