Chapitre 11

Par Maëlys

5 ans plus tard…

 

Je tire un peu sur ma cravate pour desserrer le nœud et soupire en passant une main dans mes cheveux. Il faut vraiment que je les coupe. Un collègue m’a fait la remarque hier et depuis, je n’ai pas arrêté d’y penser. Je sors du métro et me dirige machinalement vers mon lieu de travail.

Pendant que je marche, je sors l’enveloppe de ma poche, l’ouvre et déplie les deux feuilles remplies d’une écriture ronde. J’ai reçu la nouvelle lettre de Lisa hier. Je lui écris chaque mois, et elle me répond toujours très rapidement, malgré la distance qui nous sépare. J’ai toujours un sourire aux lèvres quand mes yeux parcourent ses lettres.

Elle va bien, son travail lui plaît. Elle ne me partage que les bonnes nouvelles. Je fais de même.

Pourtant, je pourrais lui en dire, des choses. Je pourrais me plaindre. Je pourrais lui dire que je suis seul, sans elle. Je pourrais lui dire que je passe mes jours à errer, comme un fantôme sans attache, à errer dans les bureaux, à errer dans la rue, à errer dans le métro. Je pourrais lui dire que je me sens hors de moi-même. Que quand je passe devant un miroir, je ne me reconnais plus. Que je suis devenu ce que je ne voulais pas être. Que je me suis laissé conditionner, enfermé dans un travail qui me lasse, avec des collègues que je méprise. Je pourrais lui dire que je perds peu à peu des fragments de ma vie qui s’envoleront pour ne jamais revenir.

Je pourrais lui dire, mais je ne le fais pas.

***

J’appelle un taxi pour le retour. Je lui demande de m’emmener à la gare, puis au parc, puis au centre commercial. Après plusieurs tours de la ville, je lui donne mon adresse. J’ai fini mon voyage jusqu’à Emilie, je la quitte. Soudain je repense à cette pièce qu’elle avait joué, celle d’Orphée et Eurydice. Je me dis un peu mélancoliquement que je suis Orphée. Je suis descendu aux Enfers retrouver Emilie mais en revenant chez moi, je la perds, elle s’efface. Et moi, je la laisse partir.

En tournant la tête, j’aperçois le cimetière, au bord de la route. Cette phrase résonne en moi : « Emilie est morte ». J’entends le silence du deuil. C’est un silence pesant, plus bruyant qu’un cri.

Je tends au chauffeur plusieurs billets avant de lui souhaiter une bonne soirée. J’appuie sur la sonnette. J’ai oublié de prendre mes clés, en partant ce matin. J’attends plusieurs minutes. Lisa n’ouvre pas. Avec un petit gémissement de douleur, je m’assois sur le pas de la porte, pour l’attendre. Elle est peut-être à un rendez-vous, ou chez une amie, je ne me souviens plus. Elle fait tant de choses que je n’arrive plus à suivre. Elle a toujours été ainsi.

 

L’année de mes 30 ans, Lisa divorce. Je me rappelle de la surprise que je ressens, à la lecture de cette nouvelle. Lisa n’avait jamais mentionné le moindre problème conjugal dans ses lettres.

Quelques mois plus tard, elle revient en France, avec la même valise que celle qu’elle portait le jour de son départ, cinq ans auparavant. Je viens la chercher à l’aéroport. En voyant l’avion dans lequel elle se trouve, je suis pris d’émotion. Cette fois, elle ne me quitte pas. Elle vient à moi.

Dès qu’elle m’aperçoit elle agite la main avec enthousiasme. Je marche à pas rapides jusqu’à elle. Elle n’a pas changé. Elle est simplement plus bronzée qu’avant, et son parfum a changé.

- J’ai bien fait de revenir, tu es devenu beau ! plaisante-t-elle.

Je lève les yeux au ciel. Je ne lui retourne pas le compliment. Elle a toujours été belle.

***

Lisa travaille maintenant dans un magasin de prêt-à-porter de ma rue. On se retrouve souvent le soir, après le travail. Je ne compte plus le nombre de nuits où elle a dormi dans le canapé de mon appartement, trop fatiguée pour rentrer chez elle. Je ne m’en plains pas. Chaque moment passé avec elle est précieux. C’est en vivant son absence que j’ai compris à quel point sa présence m’importait.

J’ouvre le frigo, en retire deux canettes de bière et vient m’assoir à côté de Lisa, devant la télé. Sa tête est penchée en arrière et ses yeux sont fermés.

- T’en veux une ?

Lisa ouvre les yeux et tourne la tête vers moi. Elle hoche la tête et saisit la canette. Elle relève la tête et boit deux gorgées de bière.

- Je vais bientôt aller dormir. Je travaille demain.

- Je peux rester ?

- Le canapé t’appartient, maintenant.

Elle a un petit rire avant de laisser échapper un bâillement. Elle se replace sur le canapé, sa tête sur l’accoudoir, ses jambes sur mes genoux.

- Tu ne veux pas qu’on aille à la mer demain, plutôt ?

- Ce n’est pas une question de volonté malheureusement. Il faut que j’aille travailler.

- C’est une question de volonté. Si tu ne veux pas y aller, n’y va pas. Si tu veux démissionner, démissionne.

Je soupire.

- Tu as compris ce que je voulais dire.

Lisa se redresse et attrape mon visage entre ses deux mains :

- Dé-mi-sionne.

Je saisis ses poignets et la rallonge. Elle se laisse faire en riant.

- Je ne pourrais plus t’emmener au restaurant si je suis au chômage.

- C’est moi qui paierai alors.

Je me lève.

- Allez, je vais dormir ou tu vas finir par me convaincre.

- DE-MI-SSIONNE !! s’écrie Lisa alors que je referme la porte de ma chambre.

***

Lisa a toujours eu une grande influence sur moi. Et cette année-là plus que tout. J’attends la fin du mois, et je démissionne.

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Edouard PArle
Posté le 29/09/2024
Coucou Maëlys !

La relation avec Lisa est de plus en plus intéressante et chou, commence limite à prendre un peu le pas sur Emilie, qui se fait plus discrète ces derniers chapitres (même si on sent que son arc n'est pas encore clôt). Le passage où Lisa revient d'Australie est vraiment chouette et mignon. Le passage sur la déprime d'Akira est vraiment bien géré, il n'est pas éludé mais ne prend pas le pas sur le côté sympa du chapitre.

"Je pourrais lui dire que je perds peu à peu des fragments de ma vie qui s’envoleront pour ne jamais revenir." super passage !

"- J’ai bien fait de revenir, tu es devenu beau ! plaisante-t-elle. Je lève les yeux au ciel. Je ne lui retourne pas le compliment. Elle a toujours été belle." incroyable ce passage !!

Un plaisir,

A bientôt !
Maëlys
Posté le 02/10/2024
Coucou !
Je suis contente que tu aimes bien cette relation ! J'avais peur que la déprime soit mal gérée, du coup ça me rassure ! Merci :)
A très vite !
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