CHAPITRE 10
Cela faisait une piste en moins.
Pourtant Sorc n’était pas encore décidé à la rayer de sa liste. Les krats étaient de bons menteurs par omission et ce Roi avait bel et bien tiqué lorsque la sorcière avait mentionné les meurtres. Quelles informations lui avait-il cachées ?
Il serait toujours temps d’y retourner avec de meilleurs arguments qu’une menace peu convaincante. Les sorcières n’étaient pas du genre à tuer de sang froid et le Roi des krats le savait. Mais aussi avec de meilleures questions peut-être.
La nuit était encore jeune et sa projection en chat encore fraîche. Il était temps pour Sorc d’aller braver quelques interdits.
Pour la suite de son enquête, il avait besoin de retourner dans la haute Ville.
Il quitta le quartier ouest en se faufilant dans les ombres et les recoins. Discrète silhouette se coulant entre les jambes des derniers éveillés, faisant s’envoler les pigeons et déguerpir les rats et les krats, apparaissant dans la lumière clignotante des réverbères pour en disparaître l’instant d’après.
Sorc remonta la colline tranquillement, appréciant les différentes ambiances des quartiers, humant l’air de la nuit, furetant dans les petites ruelles. La Ville était ville, à la fois propre et sale, bondée et déserte, claire et obscure. Les barres d’immeubles se découpaient sur le ciel ; leurs salons, s’allumant et s’éteignant, marquaient les façades d’un quadrillage fluctuant. Les vitrines des magasins rivalisaient pour éblouir le plus petit coin de trottoir. Les fumeurs animaient les devantures de bars, la fumée de leurs cigarettes se confondant avec la buée des souffles refroidis.
Puis vint le silence. Le silence des quartiers cossus que plus rien n’animaient à cette heure. Rues froides, volets baissés, lumières aux étages. Une voiture glissait de temps en temps sur l’asphalte dans un roulement feutré pour s’arrêter devant l’une des propriétés. En sortaient des silhouettes emmaillotées de grand manteaux sombres qui se transvasaient de la voiture vers leur demeure.
Sorc savait où il allait. Ce que la visite de jour n’avait pu permettre serait remplacé par une excursion nocturne bien plus fructueuse. Ou en tout cas l’espérait-il.
Arrivé à destination, une odeur de cendres et de fumée lui prit le museau. La villa calcinée de la famille Barniss avait perdu son toit, la plupart de ses fenêtres et son mur de façade était marbré de suie. Que trouverait-il dans une telle dévastation ?
Devant la maison, une voiture de police, une autre derrière. Les rubans de balisage interdisaient toujours l’entrée aux visiteurs ; mais Sorc était un chat de rue désormais. Rien ne pouvait l’arrêter, certainement pas les hommes de ce cher Capitaine Grive.
La sorcière se glissa dans un bosquet du jardin voisin, remonta la haie par en dessous puis s’approcha de l’une des fenêtres arrière de la villa. Elle avait perdu son cadre et ses vitres et béait à la nuit. Sorc y grimpa d’un bond discret et entra dans la demeure.
Il atterrit en douceur sur le carrelage d’une salle de bain imposante.
Le sol était jonché de débris, poutres et plaques de plâtre. L’odeur de brûlé, prégnante, cachait tout autre parfum. Sur un portant, étaient restées accrochées deux sorties de bain, l’une rouge, l’autre bleue. Des brosses à dent étaient encore posées dans un verre sur la vasque du lavabo. Brosses à cheveux et savons étaient éparpillés sur le sol, projetés suite à la tombée de morceaux de plafonds.
Il n’y avait rien ici pour lui se dit Sorc, qui s’avança patiemment vers la salle suivante.
La lumière des lampadaires de la rue fendait la maison, s’engouffrant par les fenêtres aux rideaux désormais manquant et par les pans de murs tombés. L’espace était zébré de leurs lueurs oranges et d’ombres bleu-nuit, découpant les volumes, les tranchant de distinct et d’indistinct.
La sorcière traversa une chambre à coucher dont le lit était entièrement parti en cendres, laissant au sol et sur les murs le tracé funeste de ce qui fut. Les meubles et leurs contenus étaient eux aussi partis en fumée, laissant une salle étrangement vide, étrangement noire.
La pièce suivante fut la bonne. Un immense salon au parquet ponctué de cratères noircis. Sorc avisa les restes d’un canapé, d’une table basse et d’une télévision aux contours fondus. Le plafond était effondré par endroit, tenait encore à d’autres, soutenu par des piliers de métal posés là pour éviter de nouveaux dégats. Sorc chaloupa entre les débris et s’approcha de chacune des petites marques laissées par les policiers pour attirer l’attention sur certains éléments de la pièce.
Il n’eût pas à chercher longtemps. Un peu partout étaient entourées à la craie des traces de griffures impressionnantes.
Voilà un point que Grive s’est bien gardé de me faire savoir, pensa Sorc.
Le parquet était éraflé en divers endroits, marqué de grands sillons de plusieurs centimètres de long, parfois plus grands encore. La sorcière posa sa patte à la base de l’une de ces empreintes ; ses griffes fines et courtes faisaient pâles figure par rapport aux tracés laissés dans le bois.
Un courant froid parcouru l’échine de Sorc et un mal de tête l’assaillit de nouveau.
De grandes griffures animales, du feu. Un mort.
Mais pas que. Il y avait autre chose. Une impression discrète, un picotement derrière l’oreille. Sorc ferma les yeux et attendit, se concentrant sur la détection magique. Le silence était entrecoupé des grincements de la maison en ruine. Un éclat de béton se détacha des murs pour venir s’écraser sur le sol. Une brise vint lui ébouriffer les poils.
Et là, un peu partout autour de lui, il cru percevoir quelquechose. Des traces, des ondulations de l’air caractéristiques. De la sorcellerie. C’était diffus, effacé, réticent à se révéler. Mais c’était bien là. Sorc n’était pas la première sorcière à venir sur ces ruines. Qui avait bien pu le précéder sur ce lieu de crime ?
Sorc rouvrit les yeux et tenta de percevoir d’où les vestiges de magie venaient et où elles partaient.
Mais devant ses pupilles de chat habitués à l’obscurité vinrent papillonner des petites tâches noires.
Que se passe-t-il ? Ce ne pouvait être la fin de sa projection, pas déjà, il savait pouvoir tenir plusieurs jours au besoin.
La migraine le prit encore plus fort, le clouant au sol. Ses yeux ne voyaient presque plus rien.
Un petit bruit retint son attention sur sa gauche. Rien de bien impressionnant, un léger froissement, un fin craquement.
Reprenant son souffle, Sorc réussit en un effort démesuré à charger vers le bruit et soulever d’un coup de patte une plaque de plâtre pour découvrir ce qu’elle cachait.
Prise de panique, une minuscule souris grise couina et s’enfuit à toute vitesse vers une autre cachette.
Sorc ne voulut ni ne put la poursuivre. Son champ de vision était noirci de marques qui voletaient devant ses yeux et envahissaient petit à petit tout l’espace.
Son crâne pulsait de plus en plus et d’un coup, tout devint noir.
La sorcière se redressa d’un coup, reprit son souffle et ouvrit les yeux en grand pour découvrir le plafond de sa chambre d'hôtel.
Sorc regarda son corps, ses mains, ses jambes. Il était de nouveau lui, sur son lit double à la chaleureuse couverture rouge.
Il se rallongea, frissonnant et épuisé. C’était la première fois qu’il était poussé hors d’une projection de façon aussi brutale.
Sa tête lui faisait encore mal mais sa vision était redevenue normale. Il referma les yeux, haletant.
Il entendit au loin le croassement de son corbeau, inquiet, mais ne put le rassurer d’un regard ou d’une caresse. Le sommeil le prit d’un coup et il s’y enfonça sans résister.
On y est ! La scène de crime ! Sorc pénètre enfin là où tout enquêteur qui se respecte doit se trouver. J'ai adoré sa progression vers ce salon sous l'oeil malicieux d'un chat. Tes descriptiions restent toujours immersives : on savoure les détails de cette nuit qui se déroule différemment selon les quartiers.
Les Kratz ont été évoqués : j'espère les retrouver pour redorer leur blason de mafia underground. N'abandonne pas ce qui se trame en coulisses !
Surtout que là, nous avons du lourd : créature surnaturelle, autres Sorcières et surtout une intrusion non-souhaitée. Sorc entrevoit ce que la police a mis de côté. J'aurais davantage insisté sur les griffures et cette énergie résiduelle. C'est un point-clé de son enquête qui se retrouve très occulté. D'autant plus que sa venue lui coupe sa projection astrale.
En tout cas, je confirme. La Zone est liée à cette série de crimes. Quelle est donc la Sorcière qui a laissé son familier de feu faire le ménage pour iel ? Et pour quel réel motif ? Ce crime maquillé continue de m'intriguer ! Le retour d'un rituel disons ancestral ?
Au grand plaisir !
désolée pour ce long silence, je me suis un peu éloignée de PA quelques semaines pour réfléchir à "Feux" et je pense qu'il y a trop de choses qui ne vont pas dans ce texte.
J'ai besoin de m'en éloigner pour y revenir beaucoup plus tard, quand j'aurai de nouveau plaisir à bosser dessus ce qui n'était pas le cas dernièrement.
Je vais donc sans doute mettre ce texte en "hiatus"...
Je suis désolée, tu as beaucoup commenté et c'était très utile, j'espère que ce ne sera pas trop frustrant pour toi que la publication du récit s'arrête ainsi en pleine lecture ...
En tout cas je garde précieusement tous tes commentaires, ils me seront très utiles pour la future réécriture : )
Merci encore pour tout et encore désolée,
itchane
Sorc effectue un grand bond en avant dans sa recherche, on dirait que d'autres sorcières sont passées par là et ont fait en sorte que leurs collègues ne s'en mêlent pas. Hâte de savoir où tu nous emmènes :D
Encore un très agréable chapitre !
A très vite
oui, l'enquête démarre enfin, haha.
J'espère que le début n'était pas trop long...
En tout cas je suis contente que le récit te porte toujours.
Merci pour tes messages,
À bientôt !
J'ai trouvé les indices très intéressants, en plus nous en avons appris un peu plus sur le fonctionnement de la projection.
La description de la ville était peut être un peu longue et redondante car elle était bien décrite dans les chapitres précédents, mais c'est une impression qui reste très subjective.
En revanche j'ai fort apprécié la description de la maison et le point de vue de chat.
Oui l'enquête met un peu de temps à se mettre en place, je suis vraiment contente que tu sois arrivée jusque là sans t'ennuyer : D
Je note pour la description de la ville qui est peut-être de trop, je verrai cela en réécriture, merci pout ton message, il me sera très utile ♥
Merci encore Sim !
J'aime beaucoup ta description de la traversée de la Ville. Les ambiances sont palpables et je trouve qu'on se sent "chat", qu'on voit le monde à ce niveau.
La visite dans la maison est délicieuse. La description donne une sensation de dévastation au quotidien, qui excite ma curiosité et donne un léger sentiment d'horreur. Celle-ci va croissant jusqu'à l'attaque (?) contre Sorc.
Je me fais l'hypothèse qu'on va rencontrer des mages, dans cette histoire. En tous cas, j'aime bien la progression que tu impulses avec cette entrée progressive dans le vif du sujet.
Coquillette :
- le silence des quartiers cossus que plus rien n'animaient -> n'animait - au passage, j'aime beaucoup ce paragraphe, que je trouve à la fois concis, précis et imagé dans l'évocation de cette ambiance nocturne.
merci de tes compliments sur l'ambiance côté "chat" du récit, je suis ravie que cela t'ait plu ^^
Haha, oui les mages... j'aurai voulu un peu de suspens sur ce point mais toi et Raza me voyez venir d'un peu loin j'ai l'impression : P
Bon je note, je note ^^
Car en même temps si je ne les introduis pas au fur et à mesure du récit ça ne sert à rien de les sortir d'un chapeau plus tard non plus !
Bon, je verrai vos futurs commentaires sur la suite, hahaha : )
Merci encore de prendre le temps de me laisser tes ressentis ainsi !
Je me demande si cette souris est une projection aussi. Et lz mal de tête était il de Tchekov? Il semblerait bien! <3
Le passage est vif, presque trop court? Peut être parce que je n'ai pas appris quelque chose que je ne savais déjà?
Un point de détail très détail :
Je crois que vestiges est masculin (pluriel), donc il faudrait un "ils", dans " d’où les vestiges de magie venaient et où elles partaient. "
Bonne soirée!
tu es rapide comme l'éclair pour lire et commenter xD
Merci beaucoup !
Hmmm oui, c'est sans doute un peu rapide encore ici. Je pense que l'ensemble du texte méritera sans doute d'être un peu étoffé. J'ai l'impression de passer un peu rapidement chaque étape.
Oh, tu n'as rien appris de plus ? Les griffures, ça n'est pas suffisant, tu as quand même une impression de chapitre un peu creux ?
Je vais y réfléchir alors : )
Merci pour tes remarques