Alors qu'elle se dirigeait lentement vers la Salle du Trône, Kaelis sentit ses entrailles se serrer un peu plus à chaque pas. Jamais elle ne s'était sentie aussi mal à l'aise, mise à nue, terrifiée face à ce qui l'attendait derrière ces grandes portes. Elle savait que son mariage ne serait pas annulé, mais à quelles “exigences” son père avait-il fait allusion ? Que pouvait-on bien exiger d'elle pour réparer un tel désastre ? Pour laver l'honneur de la Maison Velmarn ?
Cette Maison - qu'elle avait cru être son nouveau foyer - pensait accueillir en son sein l'héritière d'un des pouvoirs les plus anciens et respectés de l'Empire. Et au lieu de cela, ils se retrouvaient avec une épouse n'ayant révélé aucun des dons attendus. Pire encore : elle portait en elle une magie inconnue, instable, impure - le fruit de croisements oubliés, d'un héritage brouillé, d'un pouvoir sans nom. Une épouse inutile. Que comptaient-ils faire d'elle, maintenant ?
Deux gardes à l'allure droite et austère lui ouvrirent les portes. Elle se retrouva face à Vaeren et à ses deux parents, installés sur leurs trônes, leur prestance dominait la salle comme une chape de marbre. Mais cette fois-ci, rien n'avait le goût d'un accueil. L'atmosphère s'était figée, froide, aussi tranchante que le silence qui régnait.
Kaelis s'avança jusqu'à eux et s'inclina avec respect. Un frisson glacé lui parcourut l'échine lorsqu'elle croisa le regard de son mari. Ce n'était pas de la pitié qu'elle y lut. Ce n'était pas de la colère non plus, ni même du mépris. C'était… le vide. Un abîme insondable, une absence d'émotion presque plus violente que la haine.
Ce fut Lord Asteron qui brisa le silence.
- Bonjour Kaelis. Vous avez bien mauvaise mine. Il vous faudra vous nourrir et vous reposer.
Elle fut surprise par la tonalité presque bienveillante de ces premières paroles. Mais il ne tarda pas à entrer dans le vif du sujet.
- Nous ne reviendrons pas sur ce qu'il s'est passé lors de l'Éveil du Sang, annonça-t-il d'une voix tendue. Ce qui est fait est fait, et nous ne pouvons revenir en arrière. Votre mariage ne saurait être annulé à cause de ce… malheureux événement.
Il choisissait ses mots avec soin, mais Kaelis sentait dans sa voix le tremblement d'une fureur contenue face à ce que ce “malheureux évènement” lui inspirait.
- Je vous présente mes excuses les plus sincères, dit-elle d'une voix tremblante. Je ne peux expliquer ce qui s'est passé, mais j'ai conscience d'avoir déshonoré votre Maison, et cela me couvre de honte.
Lady Seralyne prit la parole à son tour, sa voix était lisse et froide comme du verre poli.
- Comme vous le savez, Kaelis, votre mariage avait pour vocation d'engendrer une lignée nouvelle, porteuse d'une magie inédite et redoutable, à la hauteur des plus grands héritages de l'Empire. Il s'avère malheureusement que vous ne portez pas la Flamme Sacrée des Solmire, pour une raison que nous ignorons et qui nous importe peu.
Kaelis hocha lentement la tête, attendant de découvrir quel sort on lui réservait.
- Vous et Vaeren devrez néanmoins concevoir des héritiers. Et puisque vous ne pouvez transmettre les pouvoirs de votre lignée, nous devons garantir que ceux de la Maison Velmarn ne soient pas corrompus.
Les mots de Lady Seralyne lui glissaient dans l'esprit comme des lames.
- C'est pourquoi nous ferons venir l'un des plus éminents maîtres arcanistes de l’Empire. Il aura pour tâche d'annihiler les manifestations de votre magie - quelles qu'elles soient - afin qu'elles ne puissent se transmettre à votre descendance. Vous aurez une vie stable, un mariage honorable, en renonçant à vos pouvoirs. De nombreux mariages impériaux suivent cette voie pour préserver la pureté des lignées. Vous devrez l'accepter.
Kaelis comprit qu'elle ne devait surtout pas protester.
- Très bien, répondit-elle simplement. Je comprends.
- Vous pouvez désormais retourner dans vos appartements et vous reposer. Nous vous informerons de la date de l'Effacement en temps voulu.
Kaelis s'inclina en silence, puis tourna les talons. Vaeren n'avait pas prononcé un mot. Il avait soigneusement évité son regard, comme si elle n'existait déjà plus.
L'Effacement. Elle connaissait ce mot, mais jamais elle n'aurait imaginé l'entendre prononcé à son encontre. C'était une procédure ancienne, pratiquée par les plus illustres maîtres arcanistes de l'Empire. Elle avait pour but de couper le lien entre un être et sa magie de façon définitive. Une neutralisation complète : non seulement le porteur perdait l'usage de ses dons, mais il était également rendu incapable de les transmettre à sa descendance. La pratique était courante lorsque les héritiers d'une grande Maison devaient s'unir à des porteurs de magies secondaires, elle permettait d'assurer la transmission à leur descendance d'une magie parfaitement pure. Les grandes Maisons l'utilisaient ainsi pour éviter la consanguinité, tout en maintenant intact leur patrimoine magique. Mais l'Effacement était aussi un châtiment. On y soumettait les pires criminels, les mages instables, hérétiques, ou porteurs de pouvoirs jugés dangereux.
En cet instant, Kaelis ne se sentait ni épouse, ni noble, ni alliée. Elle se sentait traitée comme une menace, un obstacle. La simple idée que l'on puisse la priver de ce qui devait être son héritage sacré était une humiliation profonde. Bientôt, elle ne serait plus qu'un corps fertile au service de la lignée Velmarn, dépossédé de toute essence.
Lorsqu'elle regagna sa chambre, Kaelis s'effondra. Son corps entier tremblait, comme pris d'un vertige. Son cœur battait à ses tempes, et sa poitrine était si serrée qu'elle peinait à respirer.
Elle se recroquevilla au sol, le dos appuyé contre la porte close, incapable d'aller plus loin. Elle avait l'impression que tout son monde s'était écroulé d'un seul coup. On voulait la briser, l'éradiquer de l'intérieur. La réduire à une enveloppe vide, silencieuse, acceptable.
Elle pensa à sa mère. Était-elle toujours en vie ? Ou l'avait-on déjà sacrifiée au nom de l'honneur ? Elle n'en savait rien, et cette idée lui déchirait l'âme.
Elle pensa aussi à son pouvoir. Cette chose tapie en elle, étrange, indéfinissable, qu'on voulait effacer comme une erreur. Elle ne savait pas ce que c'était, ni d'où cela venait. Mais c'était tout ce qu'il lui restait. Et maintenant, ils allaient le lui voler.
Elle était seule. Rejetée. Repoussée par ceux qui l'avaient accueillie, trahie par ceux qui l'avaient élevée.
Je suis contente d'avoir lu un nouveau chapitre la situation devient de plus en plus intéressante. J'ai bien aimé l'attachement de l'héroïne à son nouveau pouvoir (un peu comme si c'était son bébé me semble-t-il) et le fait qu'elle semble d'une certaine façon rentrer dans le monde réel (son avenir n'est pas le chemin tracé et la félicité facile qu'elle espérait mais cela rend les évènements intéressants pour le lecteur).
Sur le style j'ai été un peu gênée par l'usage un peu excessif à mon sens du "on("On voulait la briser, quel sort on lui réservait....) Cela aurait été plus précis et percutant selon moi avec un sujet bien définie. Par ailleurs parfois cela me semble un peu redondant comme si on redisait la même chose avec d'autres mots: par exemple:
- Kaelis s'effondra. Son corps entier tremblait, comme pris d'un vertige.
- Elle était seule. Rejetée. Repoussée par ceux qui l'avaient accueillie, trahie par ceux qui l'avaient élevée.
La chape de plomb est un instrument de torture utilisé au moyen âge me semble-t-il. J'ai un doute sur l'expression chape de marbre.
J'apprécie de plus en plus l'histoire et j'ai hâte de lire la suite.
Belle continuation