Lorsque ses paupières s'ouvrirent, Kaelis mit quelques instants à retrouver ses repères. Le temps, l'espace… tout semblait flou. Elle se souvenait du rituel. De son échec. De s'être effondrée, lamentablement, devant toute l'assistance, impuissante face à ce qui s'était éveillé en elle. Que s'était-il passé ensuite ? Qui l'avait reconduite au Palais ? Quelle avait été la réaction de la foule ? Et ses parents ? Son mari ?
Un flot de questions bourdonnait dans sa tête. Aucune ne trouvait de réponse. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle se trouvait là. Quelques heures ? Plusieurs jours ? À en juger par la texture grasse de ses cheveux, elle aurait penché pour cette dernière option.
Et maintenant ? Que devait-elle faire ? Elle n'osa pas bouger, de peur que le moindre de ses gestes ne réveille cette force étrange qui sommeillait en elle. Tout l'Empire devait désormais savoir ce qui s'était passé. Elle était probablement devenue, aux yeux de tous, une imposture.
Submergée par ses pensées, Kaelis resta là, inerte, incapable d'aller se laver, de se nourrir. À vrai dire, elle n'avait même pas faim. Après de longues minutes de silence, le poids de la fatigue l'emporta, et elle se rendormit.
- Kaelis, ma chérie ?
Une voix douce, un murmure à son oreille. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, sa mère était là, assise à son chevet.
- Mère… que fais-tu là ? Que s'est-il passé ? parvint-elle à articuler.
- Oh Kaelis, je suis tellement désolée… Je ne pensais pas que… enfin, j'espérais… je croyais que cela pourrait fonctionner…
Sa tête lui faisait mal. Elle se sentait perdue, désorientée. Tout cela n'avait aucun sens.
- De quoi parles-tu ? Où est père ? demanda-t-elle, la gorge sèche.
- Écoute-moi bien, ma chérie… je n'ai pas beaucoup de temps.
Jamais Kaelis n'avait vu sa mère dans un tel état. Elle, qui avait toujours été calme, posée, solennelle mais douce, affichait à présent une panique viscérale. Une peur nue, brute.
- Tu dois retrouver Elion Mërran. Lui seul pourra t'aider. Il vit à Ellaria, la capitale de Theralis. Et quand tu le verras… dis-lui qui tu es. Montre-lui ton Glyphe. Il saura quoi faire.
Kaelis secoua la tête, les larmes brouillant déjà sa vision. Elle était incapable de parler. Lady Mereth caressa doucement son front du revers de la main. Son regard s'était adouci, mais il restait grave.
- Où que tu sois, Kaelis, ne fais confiance à personne. Suis ton instinct. Ne rejette jamais qui tu es, même si tu dois le cacher. Je sais que tu y parviendras.
Kaelis crut voir une larme rouler sur la joue de sa mère.
- Je t'aime, ma fille adorée. N'oublie jamais cela, ajouta-t-elle simplement.
Kaelis voulut répondre, mais une force invisible semblait la clouer sur place. Ses yeux se fermèrent malgré elle, et le dernier visage qu'elle aperçut fut celui de sa mère - doux, ébranlé, et pourtant digne - avant que le silence ne la recouvre de nouveau.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, l'aube pointait. Lira était à ses côtés, disposant une robe brodée de pourpre et quelques bijoux sur la coiffeuse. Avait-elle rêvé ? Sa mère était-elle réellement venue ? Tout s'emmêlait dans son esprit.
- Je suis désolée de devoir vous réveiller, ma Dame, mais vous devez manger. Et j'ai reçu l'ordre de vous conduire à la Salle du Conseil.
Lira la regardait avec une lueur de pitié dans les yeux. Kaelis se leva sans un mot. Ses muscles étaient endoloris, son corps vidé. Même Lira sembla surprise qu'elle tienne encore debout. Elle avait apporté un petit-déjeuner que Kaelis engloutit, avant de l'aider à se laver et à brosser ses cheveux.
Une fois habillée, elle se regarda dans le miroir : son reflet lui fit l'effet d'un coup de poing. Elle semblait avoir perdu plusieurs kilos, ses traits étaient tirés, ses cernes d'un violet livide. Sa peau avait la pâleur de la cire.
Le rituel l'avait rongée de l'intérieur. Elle n'était plus qu'une coquille vide.
- Qui se trouve à la Salle du Conseil ? demanda-t-elle.
- Votre père, ma Dame. Il souhaite vous parler en privé, avant que… vous vous présentiez devant votre époux.
Kaelis hocha simplement la tête. Elle suivit Lira dans le couloir. L'air lui semblait plus lourd qu'à l'accoutumée, presque irrespirable. Les ombres paraissaient s'allonger dans son sillage. Elle ne se sentait plus la bienvenue entre ces murs.
Lord Tharan se tenait près de la fenêtre lorsqu'elle entra. Il contempla quelques instants les jardins, sans se tourner. Lira referma la porte derrière elle.
- Bonjour, Kaelis, dit-il enfin en se retournant.
Ses traits étaient tirés, son regard fatigué. Lui aussi semblait vidé.
- Bonjour, père, répondit-elle, le regard soutenu.
- Écoute-moi. Les Velmarn vont bientôt te recevoir, et tu vas devoir faire profil bas. Ils sont… furieux du déroulement de la cérémonie. Ils ont l'impression d'avoir été trompés.
Si son père était surpris ou désorienté, il n'en laissa rien paraître. Kaelis perçue néanmoins une lueur de déception au fond de ses yeux.
- Je suis navrée, père. Je… je ne comprends pas ce qu'il s'est passé. J'ai pourtant suivi le rituel à la lettre… Je suis si désolée de vous avoir déçus…
- Ce n'est pas de ta faute, répondit-il, froidement. Mais la rumeur court déjà dans tout l'Empire que tu ne serais pas une héritière légitime de la lignée Solmire.
- Mais… c'est absurde…
- J'ai pu m'entretenir avec Lord Asteron, le mariage ne sera pas annulé. Ce serait reconnaître un échec, et nous ne pouvons nous le permettre. Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour tenter d'apaiser la colère des Velmarn, mais tu devras répondre à leurs exigences.
Elle resta figée, ne comprenant pas ce qu'il voulait dire.
- J'aimerais voir Mère, répondit-elle péniblement.
- C'est impossible.
Son ton était tranchant. Sans appel.
- Qu'est-ce que tout cela signifie ? Pourquoi Mère n'est-elle pas ici ? D'où vient ce pouvoir en moi ? Que suis-je censée en faire ?
Tharan planta son regard d'acier dans les yeux de sa fille. Elle y lut un avertissement.
- Souviens-toi de tout ce que je t'ai enseigné.
Elle se rappela qu'entre ces murs, leur parole n'était pas libre. Elle comprit alors qu'il ne lui dirait rien de plus.
- Une dernière chose, Kaelis.
Tharan marqua une pause.
- Tu connais les lois, lorsqu'une rumeur d'adultère salit le nom d'une Maison, seules deux options permettent à celle-ci de laver son honneur. Un sacrifice doit-être fait : celui de l'enfant, ou bien de la mère. Je te demanderai de ne pas intervenir dans cette histoire.
Kaelis recula d'un pas, comme frappée au ventre. Elle n'était pas tout à fait sûre de comprendre ces paroles, ou tout du moins elle refusait de les comprendre. Elle sentit ses jambes se dérober sous ses pieds et ses yeux se remplir de larmes.
- Vous… vous ne pouvez pas… C'est impossible ! Vous n'avez pas le droit !
Sa voix se brisa. C'était un cri de désespoir qui sortait de ses entrailles, mais qui semblait étouffé par l'atmosphère lourde et pesante de la pièce. Ce qu'elle vivait ressemblait à un épouvantable cauchemar. Un cauchemar éveillé qui ne semblait pas vouloir prendre fin.
- N'oublie pas ce que je viens de te dire, Kaelis. Sois forte. Tu restes une Solmire.
Kaelis n'eut pas le temps de protester que son père avait déjà franchi les portes de la salle et disparu sans faire un bruit.
J'aurais apprécié connaître un peu plus les règles de fonctionnement de cet univers en particulier quel est le role d'une reine exactement gouverne-t-elle ou pas? Comment sont exploités les pouvoirs par les familles et créer un nouveau pouvoir avec une étrangère n'est-ce pas risqué? J'aime bien l'héroïne qui pour une fois une fois n'est pas une adolescente godiche mais une jeune femme qui ne conçoit pas d'autre destin que celui qu'on lui imose , considère son devoir et sa fierté de s'y plier et évoluera surement au fil du récit. Par contre je l'ai trouvé physiquement assez cliché tout comme son mari la magnifique blonde aux cheveux long et le beau brun au yeux bleus m'ont paru un peu fades du coup. De même j'ai bien apprécié ce qui ressort de la personnalité du mari qui change un peu du classique enemy to lovers mais j'aurais aimé un peu plus le comprendre (pourquoi ne consomme-t-il pas l'union et pourquoi cela ne contrarie-t-il et n'étonne-t-il pas plus sa femme ? Dans cet univers de mariage arrangé cela m'a semblé contradictoire)et il parait presque trop parfait.
J'adore votre titre qui m'évoque vraiment un conte et que je trouve très poétique.
Sur le style, je suis très bien l'histoire ce qui est très agréable. Quelques remarques malgré tout. Dans le chapitre 9 l'héroïne constate qu'elle a perdu quelques kilos et les kilos étant une unité rattaché à notre époque et civilisation le terme m'a comme sortie du récit et j'ai trouvé qu'il y avait parfois beaucoup de terme en "ment" qui alourdissait le récit.
J'ai en tout cas vraiment apprécié ma lecture et espère lire la suite.
Effectivement il y a plein de choses sur le fonctionnement/l'univers du récit que je n'ai pas encore beaucoup développé car j'avais peur de perdre le lecteur dès les premiers chapitres et je me suis dis que j'en dévoilerai de plus en plus au fur et à mesure.
Je prends en compte les autres remarques que vous avez pu formuler, notamment sur le physique et sur le besoin d'aller peut-être plus en profondeur dans les relations des personnages pour la suite (ce qui est prévu !).
Je prends note de tout cela pour les prochains chapitres et vous remercie vivement d'avoir pris le temps de me partager votre ressenti en détails !