— Chapitre 10 —

Ses os menaçaient de s'échapper de leurs phalanges s'il continuait à le frapper. Ses doigts abîmés, tachés par le sang, il ne s'arrêterait pas tant qu'il n'aura pas ses réponses. Chaque minute de plus en était une de perdue dans ses recherches alors que la Bête le faisait tourner en bourrique. Harlow s'était résolu à l'étriper par moment, cette ordure jouait avec lui, il riait à chacun de ses coups. Il n'y avait pourtant rien de drôle. Des gouttes de sang dans le coin de sa bouche coulaient progressivement jusqu'à former une petite marre au sol, ligoté à une chaise, il ne se débattait pas un instant et en redemandait même plus encore. Quel genre d'être tordu était-il ? Il ne comptait plus les heures qu'il avait passé enfermer avec lui, Harlow jurait devenir fou. Il l'avait dépouillé, cherchant toutes traces suspectes, mais il ne trouvait rien. Rien qui ne pouvait l'aider dans son enquête, mais maintenant qu'il avait mis la main sur l'acteur principal, celui-ci ne souhaitait pas converser. Au lieu de vérifier que les médecins traitaient correctement Evelyn, Harlow se retrouvait à parler avec un mur voire une tombe jusqu'au moment où la Bête semblait se réveiller, comme illuminé par le ciel, il se mit à discuter. 

– Je me répète encore. Est-ce toi qui a organisé cette attaque ? 

– Boh... Je trouvais ça amusant ! Des petits soldats par ci et par là, comme des pions aux échecs, tu vois ! C'est si satisfaisant de les voir tomber un par un et se faire dévorer par l'épouvantable et majestueux Harlow. 

– Qui est à la tête du Royaume du Nord ? C'est toi, n'est-ce pas ? 

– Haha, moi évidemment ! La Bête riait si fort qu'on croirait l'entendre dans tout le palais. Votre alliance ne vaut rien contre mon armée. 

– Arrête de me raconter des conneries. Qui ? Qui est à la tête de ce royaume ? Parle ! 

Harlow lui saisit avec nonchalance la mâchoire pour la resserrer un peu plus chaque fois qu'il oserait lui mentir. 

– Je viens de te le dire, c'est moi, moi seul qui dirige ce royaume. Tu veux peut-être jouer aux devinettes ? Alors, hum, c'est une personne grande, avec un charisme surdimensionné, un humour d'enfer et surtout plus fort que toi. Qui suis-je ? Il explosa de rire après sa dernière question. 

Harlow en eut assez, il le balança au sol, le laissant s'écraser contre le sol froid, il restera ici. Il vint se poser au-dessuss de lui, pressant sa tête avec son pied qui manquait de lui écrabouiller la cervelle. 

–Parles ou tu ne sentiras plus que les fleurs par leurs racines. Qui est Monded ? 

– Ô Monded, mon maître adoré. Il est d'une immense bienveillance, toujours bon envers les autres et attentionné. Il peut t'offrir tout ce que tu désires, même tes désirs les plus macabres... 

Il en avait assez de ses remarques futiles et de ses incessantes moqueries, Harlow lui envoya un coup de pied en plein dans le ventre lui faisant cracher une importante quantité de sang. La Bête toussa les derniers mollards de sang pour se remettre à parler. 

– Hé, tu n'aurais pas par hasard une petite serviette pour m'essuyer le coin de la bouche. J'en aurais bien besoin vu la quantité de sang... 

– Ferme la ! Harlow lui cogna un autre coup en plein dans le thorax cette fois-ci. 

– Harlow, tu n'es vraiment pas marrant, toussait-il. Tu es si fâché contre moi, car j'ai tué Lucy ? Elle ne t'aurait rien apporté de toute manière l'ami. Comme on dit, une de perdue... Mais tiens donc, ta servante-là, la petite rouquine. Evelyn, c'est ça ! Elle est plutôt mignonne, non ? Regarde la, comme elle vient la queue entre les jambes vers toi. 

Ce monstre n'avait pas le droit de prononcer son nom, d'autant plus si c'était pour se moquer de lui. Cette fois, Harlow lui attrapa le col pour le soulever, lui et sa chaise, le collant de près.

– Ne t'avise plus jamais de l'approcher ou je promets de te faire subir un supplice dont tu n'imagines même pas, plus terrible que la Mort elle-même. 

Il n'en tirera rien, peut-être quelques jours sans boire ni manger, seul dans le froid, finira bien par le faire parler. Harlow l'envoya valser contre le mur, alors qu'il s'avançait vers la sortie le ton de la Bête se métamorphosa en un cri de détresse. 

– Harlow, non, attends ! Monded, incline toi devant lui, incline toi ! Il t'a fait don de sa grâce. Incline-toi devant ton maître ! 

Encore des plaisanteries, mais qui pour une fois le laissa perplexe. Il mentionnait un don, si le don était l'opportunité d'être un bâtard et haï par les autres, c'était pour le moins réussi. 

Elle sentait son corps se vider de tout son sang, accompagnée d'une insupportable douleur qui lui paraissait rompre ses organes. Les médecins n'y allaient pas de main morte, ils ne se rendaient pas compte de l'urgence, ils prenaient leurs temps pour l'examiner tandis que son sang s'imprégnait dans les draps et dans le matelas du lit de Harlow. S'ils attendaient encore longtemps, elle finirait par teindre tout son lit, peut-être qu'il y en aurait assez pour repeindre les murs, ils semblaient manquer de couleur ces derniers temps. Chaque fois que l'aiguille transperçait un bout de sa chaire, c'était un couteau planté de plus, Evelyn voulait hurler, mais elle n'en avait plus la force, serrant seulement les draps en se mordant les lèvres. Elle sentit des larmes, perlées le long de ses joues ; comme sur une table de torture, elle voulait avouer des choses qui n'existaient pas. Par moments, elle demandait d'y aller plus doucement, d'être plus délicat, ces médecins ne l'entendaient pas ou du moins faisaient semblant de ne pas l'entendre. Elle les suppliait, trop de fois, la douleur était insoutenable, peut-être bien plus lorsqu'elle s'était pris le coup de couteau. Dans un torrent de larmes, elle réussit à trouver la paix en s'endormant, tourmentée par ses maux. 

À son réveil, rien d'inhabituel hormis un épais bandage qui couvrait sa fine taille, dont ses coutures. Elle ne se doutait pas un instant qu'à ses côtés se tenaient sa mère et son frère, inquiets. 

– Maman ! Elle se réveille. 

Ses yeux s'écarquillèrent, elle ne le croyait pas, comment étaient-ils parvenus jusqu'ici ? Dans un geste un peu brusque, Evelyn se redressa pour leur faire face même si cela lui coûtait un supplice inimaginable. Sa mère vint la prendre dans ses bras pour l'empêcher de se faire mal, mais Evelyn la serra aussi fort qu'elle put. Versant un océan de larmes, chaque respiration et gestes lui coûtaient un effort de plus, une douleur de plus, pleurer lui causait tant de souffrance. 

– J'ai mal maman... J'ai trop mal... Je n'en peux plus...

– Evelyn, arrêtes toi. Tu devrais retourner à la maison, tu te malmènes ici.

– Je ne peux pas ! Comment on va faire sans cet argent ? Je ne veux plus que tu sois malade. 

– Arrête de t'inquiéter pour moi ! Pense un peu à toi Evelyn. Il faut que tu reviennes. 

– Maman, il n'y a plus d'aller-retour. Je dois finir ce que j'ai commencé. 

Sa mère fixait ses petites perles bleues attristées, posant une main sur sa joue qu'elle vint la caresser avec le bout de son pouce.

– Ô ma fille, aussi têtue que son père. Qu'est-ce que je vais faire de toi ? Evelyn, si cela se reproduit, j'exige que tu reviennes à la maison. Je préfère mourir de faim que de savoir que tu frôles la mort. 

– Evelyn, on ne veut pas te perdre, ajouta Elros.

Les dernières minutes, Evelyn profitait de les enlacer, leur dire combien elle les aimait et lui manquait. La séparation fut trop brusque pour elle, elle ne se remettait pas des événements. Les mots de sa mère résonnaient encore dans sa tête, elle devait se faire violence et avancer la tête haute. Elle devait gagner suffisamment pour soigner sa mère, assez pour ne plus se soucier de la nourriture, assez pour oublier le froid de l'hiver, assez pour les rendre heureux. Seule dans la pénombre, elle se força à se traîner hors du lit, ce même lit sali par son sang, Harlow lui en voudrait s'il voyait l'état de ces draps. En parlant du loup, Evelyn devait le retrouver. Elle s'élança alors à sa poursuite, à petits pas, elle longeait les murs des couloirs, même si chaque pas était une souffrance de plus. 

Il aurait dû aller frapper encore plus cette Bête. Détruire chacun de ses os, de la façon la plus douloureuse possible, lui arracher ses dernières réponses si elles n'étaient pas si médiocres. À peine avait-il fait quelques pas que des larmes s'étaient mises à couler. Il avait failli s'adosser au mur, mais il se résout de se rendre jusqu'à son bureau où les papiers administratifs s'entassaient, il avait presque peur de trouver l'acte de décès déjà signé de Lucy.

Harlow, assis sur sa chaise avant de fermer les yeux, il n'était pas habitué à être tourmenté par de telles émotions. Lui qui était si fier, si arrogant, pourquoi avait-il l'impression que sa carapace se brisait de plus en plus ? Puis un prince, surtout un homme, ne devait pas pleurer, de toute façon personne n'était là pour le remarquer. Personne. Absolument personne. Car Evelyn était sérieusement blessée, Lucy, morte. Il était certain qu'elle n'aurait jamais accepté d'avoir un mari aussi petit. Son frère devait sourire, mais lui, en était-il seulement capable ?

Il s'était alors arrêté devant sa glace pour s'observer comme il observait une bête de foire. L'homme qu'il voyait lui faisait incroyablement pitié, une fois le bandeau tombé avec ses yeux éteints, ses traits tirés, et tous ses esprits tourmentés qui ne cessaient de vouloir l'attirer en Enfer. Il ne semblait pas appartenir au monde des vivants, comme lui. Enfin, pouvait-il sourire ? Ses lèvres paraissaient plus lourdes et mortes, sa peau était aussi froide que l'eau glacée de cette foutue mer. Ce n'était pas en regardant le chef d'œuvre de ses choix, qu'il y trouverait quelque chose à complimenter. Et pourtant, il avait eu le mince espoir, de pouvoir aujourd'hui explorer ses sentiments qui paraissaient juste l'effleurer au-delà des réponses, il voulait quelqu'un qui pouvait les mériter.

Cette contemplation n'avait duré que quelques secondes, avant qu'il ne trouve cet acte stupide et inutile, puis il retourna à ses papiers qui ne le forçaient pas à se remettre tant en question. Depuis quand pleurait-il une mort ? Il était ridicule. Et puis, il trouvait bien plus de réconfort à remplir ses papiers qui lui permettaient d'être utile, de guider ce monde sans volonté, même dans le trou dans lequel il était. Pourtant, aujourd'hui, il avait l'impression que cela ne lui suffisait plus. Il avait peut-être changé et il doutait de ce côté humain qui se faisait de plus en plus existant. Depuis quand, espérait-il que quelqu'un allait trouver son bureau ?

Il avait fini par perdre ses pensées dans la masse de paperasse, en les écartant jusqu'à ne plus les apercevoir, qui était-il pour penser autant ? C'était un homme d'action, qui agissait par logique, et non pas, guidé par ses sentiments.

Lorsqu'il perçut les premiers chants d'oiseaux, il décida de quitter son obscur repère pour faire une constatation des dégâts, et des retombées diplomatiques. Tout ce sang, versé, de leur côté, devait être vengé. Le Nord était un endroit assez pauvre, néanmoins, ils devraient peut-être livrer bataille. Il se mentionna dans les personnes capables de la mener. Conscience ou non, sa réputation n'était plus à faire. Et puis, il avait à cœur de venger Lucie dont on lui avait rapporté la chaîne et l'alliance au bout qu'il mit, solennel. Ce petit anneau, verrait sa maîtresse être vengé.

Ensuite, il fit parvenir les proches d'Evelyn au Palais, dans le plus grand des secrets. Sinon, il doutait que sa demande eût été acceptée. Il espérait qu'ils repartiraient le sourire aux lèvres, qu'ils parleraient peut-être autour d'eux, que leurs souverains étaient bons dans très peu de temps. Ils allaient entrer dans des temps très durs. Il était important que le peuple ne se rebelle pas.

Une fois, ses dernières notes rangées, il se dirigea vers sa chambre, il devait être près de midi. Voilà plus d'une journée qu'il n'avait pas dormi, mais quand même, pourquoi se sentait-il si mal ? Il avait l'impression que son corps commençait à vriller et c'était bien la dernière chose qu'il lui fallait. 

Soudain, alors qu'il marchait pour en apprendre un peu plus sur l'état d'Evelyn, il la croisa au détour d'un couloir. Seule, fatiguée et blessée. Elle essayait de s'échapper, se disait-il. Il s'arrêta pour passer une main dans ses cheveux, devait-il se moquer ?

– Pour être aussi bornée à échouer, il n'y a qu'une personne. Vous êtes sans aucun doute, ridicule Evelyn. 

Admirable, il la voyait avancer difficilement, malgré sa blessure. Elle était au-delà de ses attentes. Il n'avait pas réussi à lui pardonner son comportement un peu trop mou, elle survivait, elle pliait l'échine lorsque cela était nécessaire, mais savait toujours se relever. Pour l'instant, il croyait qu'elle allait s'écrouler au sol. Remettant son bandeau, il ne pouvait pas le dire à Evelyn, il devait encore tester sa confiance. Il s'approcha alors d'elle pour saisir son bras et le croiser avec le sien. Maintenant, c'était à lui de guider leur danse, il la ramena à sa chambre, il ne put s'empêcher de soupirer, la mine sévère. Cette chambre de bonne ne serait finalement d'aucune utilité, Evelyn passait le clair de son temps dans la sienne.

– Vous êtes irrécupérable. Heureusement, vous avez la chance d'être un minimum fiable. Sinon, je me passerai bien d'un aimant à problèmes qui n'en fait qu'a sa tête.

Même s'il aimait ce côté-là, il ne pouvait pas l'admettre devant elle. Se moquerait-elle ? Le prendrait-elle pour un sensible pathétique ? Non, il devait garder le masque, le masque du prince Harlow Von Eler. Evelyn affichait un léger sourire sur son visage, toujours ce foutu sourire, comment pouvait-elle simplement encaisser de tels événements ou alors elle n'était pas humaine ? Il ne comprenait pas. 

– Je me devais de venir vous voir. 

– Rien ne vous y oblige, Harlow lui tenait la porte pour la laisser passer, elle n'avait pas fini de se reposer. Continuez de vous reposer dans mon lit, je ne l'utilise pas de toute manière. 

– Votre Altesse...

À deux pas du lit, Evelyn l'observait se tenir devant elle, alors qu'il guettait chacun de ses mouvements pour éviter qu'elle ne s'évanouisse à nouveau. Evelyn se relâcha pour se pencher en avant, l'entourant de ses bras, les yeux encore gonflés et rouges. 

– Je vous remercie d'avoir amené ma famille. 

Ce n'était plus des excuses cette fois-ci, seulement de la tendresse. Harlow se crispa, il ne supportait pas qu'elle soit si proche, elle devait s'écarter. La repoussant de manière soudaine, Evelyn grimaça de douleur, il lui avait fait mal, mince. Il s'apprêtait à tendre une main avant de se ressaisir, il l'invita à s'asseoir. 

– J'ai besoin de vous parler. Vous ne m'avez pas tout dit Evelyn. Je veux, tout, absolument tout, savoir sur cette Bête. Tout ce que vous savez Evelyn, et pas d'entourloupes sinon je me chargerai personnellement de votre cas. Vous n'avez pas envie de connaître une douleur plus profonde que la vôtre. 

Perturbée, Evelyn tomba raide morte sur le lit, elle ne s'était pas suffisamment reposée, si seulement elle pouvait plonger dans un sommeil éternel à l'instant même. Elle ne devait pas, elle devait rester éveillée pour sa famille, pour Harlow encore un peu, le temps d'achever cette quête puis après, elle dormira. Torturée par son esprit, ses événements qui lui demandaient de toujours plus redoubler d'efforts, de se mettre de côté et d'avancer même si la douleur la transperce. Elle ignorait lorsqu'elle sera remise de son état, elle prenait l'habitude désormais, était-ce vraiment un coup, une blessure, un mal de plus qui allait l'arrêter maintenant ? Jetant un regard sur le côté, le sang séché tournait au marron, elle empestait le cadavre alors qu'elle n'était même pas morte. Elle refusait de se prélasser comme une carcasse, elle devait se relever, mais elle n'en trouvait plus la force. Evelyn s'élança dans un monologue, lui détaillant chacune de ses interactions avec la Bête, toutes ses pensées et idées. 

– Votre Altesse, il y a autre chose aussi, cela ne concerne pas Monded et la Bête. Hier soir, votre frère m'a pris appart pour m'emmener vers une pièce dans l'aile de vos parents. Et... J'y ai aperçu la Reine avec un enfant dans ses bras, un petit nourrisson. Le Roi m'a demandé de ne pas vous en parler, mais j'ignore pourquoi.

Un enfant, une cachotterie de plus, cela ne l'étonnait plus. Que cherchaient-ils à faire avec cet enfant ? Depuis combien de temps existait-il ? Tant pis, il n'avait pas la réponse à sa question, cela ne l'intéressait guère, il avait plus important. Harlow s'apprêtait à repartir avant qu'Evelyn ne l'interrompe : 

– Excusez-moi d'avoir taché vos draps. 

– Ce n'est rien... Quand vous serez remise, vous pourrez les laver, s'il vous plaît.

Cette phrase qui n'avait pourtant l'air de rien, Evelyn remarqua un changement. Où était passé le Harlow intrépide et qui manquait de reconnaissance ? Un sourire aux lèvres s'étendue en un rire mélodieux, elle ne pouvait s'en empêcher même si son ventre lui faisait affreusement, mal. 

– Ma personne, vous fait-elle rire Evelyn ? Il se raidit en fronçant les sourcils.

Gémissant à la fois de douleur, elle se relâchait complètement, elle se redressa sur ses coudes pour lui jeter un regard. Même si elle ne voyait pas ses yeux, elle sentait son regard pesé sur elle. 

– Je ne me moquais pas, vous êtes simplement surprenant. 

Bientôt, l'apparition du printemps, plus de neige, le beau temps s'installait à la capitale de Krima. Les fleurs s'épanouissaient, laissant la nature dominer de nouveau ce monde sanglant par sa verdure et ses vives couleurs. Les fleurs si belles et fragiles tout comme la chaire d'un humain, les pâquerettes se répandaient tout comme ces satanés humains qui croyaient pouvoir jouir d'une once de bonheur. 

L'éclosion des Pâquerettes, une fabuleuse tradition parmi les vampires depuis maintenant plusieurs années. La veille du printemps, pour célébrer le début de le règne suite à la victoire de la bataille de Minuit, les vampires ont choisi de mettre en place un jeu pour amuser la galerie. Seuls les membres des vampires de la Haute et les royaumes alliés y ont accès ainsi que la famille Royale ; chaque participant se réservait le droit de choisir un humain, celui qu'il estimait le plus robuste. Ainsi, ils s'équipaient tous à armes à égales, c'est-à-dire, une épée, quelques flèches et un arc. Leur but, être le dernier survivant de la partie, on promettait au gagnant d'être relâché, qu'il pouvait jouir d'une vie en tant que noble déchu. Hélas, tout cela n'était que de belles paroles en l'air, les vampires ne faisaient que s'amuser et se moquer d'eux. Chacun d'entre eux, était manipulé pour tuer leur prochain sans un grain de tendresse, s'ils souhaitaient s'échapper, ils devaient tuer. Une pratique méconnue des humains, hormis les domestiques qui découvraient cette tradition qui se perpétuait dans la Haute. 

Evelyn bien loin de s'en douter, continuait ses préoccupations comme à son habitude. Ces fameux draps qu'elle avait promis de laver, elles les nettoyaient depuis quelques semaines. Depuis l'incident, elle ne s'entraînait plus, évitant l'effort pour prendre le temps de cicatriser, à la place, elle aidait toujours Harlow à poursuivre son enquête. Faisant constamment des allers-retours entre la bibliothèque et son bureau pour lui rapporter tous types de document. 

À l'arrière-cour, Evelyn étendait les grands draps blancs, qu'elle avait réussi à les retrouver comme neuf après plus de dix lavages. Toujours seule, les autres servantes la regardaient constamment d'un mauvais œil, celles-ci riaient au loin alors qu'elles dégustaient leur déjeuner. La jeune femme s'apprêtait à rentrer pour subvenir à d'autres tâches avant qu'une autre servante ne s'interpose, à en juger par son allure, elle devait être la servante personnelle de Harker. Elle en avait entendu parlé, plus d'une fois, raide dingue de lui, elle devait être emplie de jalousie lorsqu'elle dut apprendre qu'Harker n'avait de yeux que pour Evelyn désormais. 

– Hé toi, Evelyn, c'est ça ? 

– Oui, c'est bien moi. Que se passe-t-il ? 

– Elda m'a personnellement demandé de te dire qu'il nous manquait du bois à chauffer et elle veut que tu t'en charges. 

Du bois, elle jurait pourtant avoir vu la réserve encore pleine, les vampires n'étaient pas si dépensiers, n'est-ce pas ? Haussant les épaules, Evelyn acquiesça avant de se munir d'une brouette. Elle prendra son repas plus tard, elle s'élança dans la forêt.

Ses cris de joie, de haine et de victoire se propageaient dans l'enceinte du royaume. Depuis sa fenêtre, il observait ces minables s'acclamaient pour un bout de chair sur lequel un pari avait été lancé de plus de cent pièces. Harlow n'était pas intéressé par ce genre de futilité, évidemment son frère, s'y était vainement préparé depuis plusieurs mois déjà. Il détenait son petit jouet qu'il s'apprêtait à relâcher en pleine nature. Tirant les rideaux, il ne souhaitait pas assister une seconde de plus à cette barbarie. Tripotant ses documents depuis quelques minutes, il attendait le retour de sa servante qui commençait à se faire long. Cela faisait un mois, elle s'en était remise, elle ne devait plus se prélasser dans son lit qui plus est.

Soupirant, il posa une main sur son front pour se masser les tempes.

– Elle est si insupportable... 

Tandis qu'au rez-de-chaussée, les rires explosaient, Phollen, étant de passage, remarquait les cuisines plus animées que d'habitude. Il se préparait à pénétrer les lieux avant de surprendre une conversation pour le moins étonnante. 

– Qu'est-ce qu'elle est stupide ! Lança une première femme.

– Et crédule ! Suivit une autre.

– Elle t'a vraiment cru sur ce coup-là, Lya. Tu peux t'assurer désormais le prince héritier rien que pour toi. 

– Du calme mesdemoiselles, attendons de voir si elle revient plutôt démembrée ou décapitée. Répondit Lya, une des domestiques les plus proches de Harker.

– Adieu la sorcière.

En effet, Harker avait promis tant de belles choses à certaines de ses servantes, parfois même une place à ses côtés, si elles accomplissaient ses désirs. Toutefois, il y trouvait toujours un défaut ou un reproche à faire pour leur laisser croire qu'elles avaient toutes leurs chances. Depuis l'arrivée d'Evelyn, il ne parlait plus que d'elle, il n'avait que son nom à la bouche.

Phollen derrière la porte, il écoutait attentivement ses commères, la situation s'éclaircit au fur et à mesure de leur conversation. N'hésitant pas un instant, il ouvrit la porte, les fusillant toutes du regard.

– Où est-elle ?

Tandis que le silence demeurait, Phollen s'empara de son épée pour la mettre en garde vers elles, il se répéta plus froidement.

– J'ai demandé où était Evelyn.

L'une d'entre elle, s'avança vers lui, croisant les bras, elle affichait une mine désintéressée, qui d'autre que Lya pour le dévisager.

– Elle est simplement sortie prendre du bois, c'est Elda qui m'a demandé...

– Menteuse. Je vous ai entendu, Elda ne dirait pas une telle chose. Nous sommes tous des humains qui servent les vampires et vous ne trouvez rien de mieux que de vous rabaisser plus bas que notre espèce. Vous ne valez pas mieux qu'un noble déchu, brûlez en Enfer.

Sur ces mots, Phollen disparut, il devait impérativement retrouver Evelyn avant qu'elle ne manque de se faire tuer par un de ces sauvages manipulés. Pour ce faire, il se rendait à l'armurerie pour y espérer croiser Isore, mais étonnamment sur son chemin se dressait une ombre bien plus imposante, celle du Second Prince. 

Harlow se retourna, indifférent, à travers son bandeau, il percevait le visage inquiet de Phollen.

– Phollen, que faites-vous ici ? Ne devriez-vous pas être à vos entraînements avec Isore ?

– Votre Altesse, Dame Evelyn s'est retrouvée en plein milieu de l'éclosion des Pâquerettes !

Il grinçait des dents, bon sang, ne pouvait-elle pas sagement rester au sein du palais ? Elle devait toujours s'attirer des ennuis et lui cherchait à les réparer. Il soupira, il n'était même plus étonné, un jour, la guerre se déclarait et puis l'autre un incendie éclatait.

– Voyons voir, j'ai déjà quinze bûches. C'est déjà assez lourd comme ça, je devrais rentrer. Après manger, je reviendrai, je demanderai de l'aide à Phollen !

Tandis qu'elle tirait difficilement la brouette, des craquements de bois se faisaient entendre à quelques pas derrière elle. Evelyn se retourna, suspicieuse, pourtant personne ne se présentait. Haussant des épaules, elle se remit à tirer comme une bourrine. Subitement, elle sentit son corps la lâcher lorsqu'un homme vint la plaquer au sol, appuyant légèrement sur sa plaie. Paniquée, Evelyn le repoussa en lui donnant des coups de pied, elle tirait ses cheveux, ses vêtements pour s'échapper au plus vite. Elle se releva aussi vite qu'elle put pour constater que ce n'était autre qu'un humain. 

– Je suis humaine ! Arrêtez-vous ! 

L'homme n'écoutait pas, il n'entendait plus rien, il allait l'étriper et il gagnerait cette course. Evelyn distinguait la haine et la rage qui brûlaient dans le blanc de ses yeux, elle se mit aussitôt à courir, s'enfonçant plus profondément dans les bois. Elle relevait sa robe pour être plus apte à courir, elle se rappelait de tous les conseils de Phollen et Isore durant un combat. Evelyn s'essoufflait, même si sa conscience lui soufflait de toujours courir plus vite que la minute précédente, elle devait trouver une solution. Par manque d'inattention, la jeune femme chuta en se prenant une racine d'arbre dans les pieds, à quatre pattes, elle allait se relever avant que l'homme ne lui saisisse la cheville pour la tirer vers lui.

– T'es foutue. Abandonne, je vais gagner.

Gagner, tous ces mots lui semblaient si flous, elle ne semblait pas comprendre la situation. Pourquoi un humain cherchait-il à l'anéantir ? Avant que l'homme ne prenne en main son épée, Evelyn se munit de ses dernières forces pour secouer son pied et l'envoyer valser en pleine figure. L'homme se recula brusquement en tenant avec fermeté son nez qui saignait abondamment. Sans perdre un moment, Evelyn lui arracha l'épée de ses mains pour l'enfoncer avec colère dans sa poitrine. 

Il criait, se débattait, pleurait de douleur, il l'insultait du profond de son cœur, mais il la suppliait alors qu'il perdait la vie au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient. 

– Je voulais juste sauver ma famille... S'il te plaît, épargne moi...

Tandis que son corps manquait cruellement de chaleur, Evelyn fit quelques pas en arrière, elle s'accroupit à genoux, le fixant sans rien dire. Ses yeux clignèrent une dernière fois, il relâcha un dernier souffle, Evelyn reposa une main sur sa poitrine pour espérer sentir le dernier battement de son cœur. Des larmes perlées, alors qu'il n'était qu'un inconnu, il avait tenté de la tuer, pour sauver sa famille disait-il. Et s'il racontait la vérité, comment pouvait-elle vivre avec sur la conscience qu'elle ait assassinée un innocent ? C'était pour sauver sa peau, était-ce vraiment légitime ? 

Séchant ses larmes avec sa main, elle s'essuie le sang du malheureux sur sa robe qui s'en imprégnait, de légères égratignures et tache de sang étaient apparentes sur son visage. 

Elle se redressa en jetant un dernier coup d'œil au cadavre, elle ne savait même plus où elle avait lâché sa brouette, tant pis. Elle croisait les bras et marchait en espérant se souvenir du chemin. Elle se décida à avancer vers ce qu'il semblait être les jardins royaux où elle percevait quelques agitations, elle n'était pas seule dans ses bois, peut-être une explication à cette étrange apparition. Au loin, plusieurs personnes se battaient en duel à l'épée, des bras et des têtes sautaient. Evelyn sentit ses poils se hérisser face à cette vision d'horreur, que se passait-il ? Accélérant le pas, elle finit par atteindre l'entrée des jardins royaux, à son grand étonnement, une foulée de vampires assistait à la scène, tous en train de discuter et de siroter un verre de vin. 

De l'autre côté, Harlow atteignit lui aussi ces mêmes jardins, il ne pouvait pas la manquer, cette chevelure ardente et ses perles bleues. Dépassant la foule, il s'approcha d'elle sous les regards ébahis des nobles, il détacha sa cape pour entourer Evelyn, il lui ordonna : 

– Rentrons, ce n'est pas un endroit pour vous.

Détaillant chacun de ses traits et gestes, un sourire sournois se marquait sur son visage au fur et à mesure qu'ils fuyaient ce monde. Saisissant son verre en main, elle s'avançait dangereusement vers sa future proie, vêtue d'une robe pourpre à la dentelle et aux perles omniprésentes, un sourire plus mince se dessinait. Un regard plus dissimulé que n'importe quel prédateur aurait avant de croquer à pleines dents sa victime. La Reine, confuse, l'interrogea : 

– Qui êtes-vous ?

– Rubis, Rubis Rosen, héritière de Polaï.  

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