-Concentre-toi ! Rappelle-toi, comment as-tu fait hier ?
-Je… Je ne sais pas… J’ai voulu hurler, j’avais peur, très peur, et j’ai produit cette… Chose qui a propulsé les gardes.
-Et bien pense à quelque chose qui te fait peur alors.
Nash essayait de trouver le moyen de faire ressurgir les pouvoirs de Keïrah. Pendant son trajet à pied depuis Anquïa avec son amie sur le dos, il avait analysé la situation, mémorisé tous les détails, s’était repassé des dizaines et des dizaines de fois la scène dans la tête, mais il n’avait rien trouvé. C’était un mystère.
Keïrah, quant à elle, était concentrée, les bras tendus devant elle et mains ouvertes, comme si elle voulait pousser un mur invisible. Depuis plusieurs heures, elle et le jeune homme essayaient de comprendre le phénomène étrange de la veille. Ce qui ne faisait plus de doute pour Nash, c’est que Keïrah savait manipuler la maäjy. En revanche la jeune fille était moins, bien moins sûre d’elle. Bien sûr, la maäjy la fascinait. Elle connaissait par cœur les sept dieux fabulaires : le Feu, l’Eau, la Terre, l’Air, la Vie, la Mort et le Temps. Ils avaient créé le monde, et offert la maäjy aux humains. Le quotidien de ces derniers était rythmé par les dieux luminaires, comme par exemple la Famille, l’Amour, la Vengeance, le Ciel, le Soleil ect… Et enfin, les petits évènements étaient la responsabilité des dieux ordinaires : la Pluie, la Récolte, la Maison, le Rire…
Tout ça, elle le savait déjà. Mais ces pouvoirs étranges qu’elle venait de découvrir… Elle ne s’en réjouissait pas. Elle avait propulsé cinq hommes sous l’effet de la peur. Alors que serait-elle capable de faire sur un coup de colère ? Elle voulait savoir pourquoi elle et comment se servir de ses pouvoirs . Mais au fond d’elle, ça lui faisait peur.
-Nash, dit-elle, on arrête. Ça ne sert à rien. Je n’y arriverai pas comme ça. En plus la nuit tombe, regarde les arbres.
En effet, la forêt commençait à se teinter de rose, bleu et vert fluo. La forêt luminescente avait une végétation particulière qui devenait phosphorescente la nuit. Ça lui donnait un air féerique. Keïrah sourit. C’était fantastique. Elle repensa à la journée précédente. Elle se refit dans l’ordre tous les événements. Le discours du roi au château, le sentiment de familiarité qu’elle avait ressenti et qu’elle pouvait maintenant expliquer, sa vision, et puis… L’explosion.
Une lumière s’alluma dans son esprit. La vision, puis les pouvoirs. La vision, puis les pouvoirs. La vision… La phrase tournait en boucle dans sa tête. La vision, puis les pouvoirs…
-Nash… Nash j’ai compris ! J’ai compris ! La vision, puis les pouvoirs !
Il la regarda sans comprendre ce qu’elle voulait dire. Elle se leva d’un bond et commença à faire les cents pas, en murmurant toujours la même phrase
-La vision puis les pouvoirs… La vision puis les pouvoirs…
Et plus elle ruminait, plus elle souriait, comme si chaque mot lui faisait comprendre quelque chose de nouveau. Elle finit par s’arrêter, s’approcha de lui.
-Les visions et les pouvoirs. C’est lié. Je pense… Je pense que les souvenirs sont ma forme de maäjy. Les visions doivent me permettre en quelque sorte de me « recharger ».
Même les oiseaux s’arrêtèrent de chanter. On aurait dit que le monde s’était tu.
Choqué. En cet instant, c’est ce qui décrivait le mieux Nash. Mais la joie pris vite le dessus sur la stupeur.
Il la prit par la taille et la fit tournoyer dans les airs en riant. Les deux amis souriaient jusqu’aux oreilles, les yeux pétillants. Quand il la reposa, elle passa la main dans les cheveux du jeune homme. Ce dernier, gêné, s’écarta brusquement de la jeune fille. Keïrah, embarrassée, baissa la tête, le rouge aux joues.
-Bon… On… On réessaye ? demanda-t-elle penaude.
Sans un mot, Nash s’écarta et alla s’asseoir sur une souche d’arbre. Les poings serrés à s’en faire blanchir les jointures, il s’en voulait. Pourquoi l’avait-il rejetée comme ça ? Quel idiot !
-Non, ne t’éloigne-pas, dit-elle. Met-toi devant moi. S’il te plaît.
Il obéit et se plaça en face d’elle à bonne distance.
Keïrah se concentra. Maintenant qu’elle avait compris, tout lui semblait plus clair, plus net, plus différent. Elle voyait des filaments de brume dorée qui s’échappaient de chaque être vivant autour d’elle. Elle se concentra sur ceux de Nash. Elle percevait un murmure différent pour chacun d’eux. Comme si chaque souvenir avait sa mélodie, sa chanson. Comme Sahïrkta à la cérémonie, pensa-t-elle. Métrisait-elle les mêmes pouvoirs ? Se concentrant énormément, elle attira un des filaments à elle. Il tourna dans sa main, avant d’y rentrer. Elle le perçu dans le plus profond de son âme, il vint chatouiller ses secrets les plus enfouis.Ça n’en était pas pour autant désagréable. On aurait dit une caresse. Elle vit le souvenir.
C’était Nash, qui ne devait alors pas avoir plus de cinq ans, jouer dans un jardin avec un petit chien qui – on le voyait sur son collier – se nommait Archie. Le rire cristallin de l’enfant rempli les oreilles de Keïrah, et lui fit monter les larmes aux yeux. Depuis combien de temps avait-il rit comme cela ? Mais pas le temps de s’attendrir. La jeune fille tendit les mains devant elle, et par la force de son esprit, contracta le souvenir en une sphère dorée, qui frôla l’oreille gauche de Nash et alla s’écraser contre l’arbre le plus proche en faisant s’envoler les oiseaux qui y nichaient. Keïrah, hébétée, regarda ses doigts, ses mains, et se précipita vers Nash pour voir si il allait bien. Il était dans le même état qu’elle.
-Qu.Est.Ce.Que.C’é.Tait.Que.Ca.Keïrah, dit-il en hachant chaque syllabe.
-Ça Nash, c’est ce qu’on va utiliser pour sauver ma mère et reprendre mon royaume des mains de ton père.