Chapitre 11
Deux semaines plus tard
-Le Roi !
Le son des trompettes retentit dans sa salle. Alion, Ellio, Kristof et Alexander se redressèrent subitement, faisant onduler leurs robes bleu nuit ornées de constellations dorées.
Le souverain entra d’un pas fier dans la Grande Salle de l’Akadémy. Comme chaque année, sa majesté Talios devait assister à une démonstration des quatre jeunes maäjes pour évaluer leur potentiel. Mais çela le déprimait, car jamais aucun de ces jeunes hommes n’avaient réussi à sauver sa femme.
Les quatre élus de cette année firent la révérence quand le roi passa devant eux, pour aller s’asseoir sur un fauteuil richement orné.
Alion, Ellio, Kristof et Alexander s’avancèrent devant lui, et répétèrent en cœur :
-Par mes pouvoirs, je servirai mon roi quoi qu’il m’en coûte. Que les dieux en soient témoins ! Arca et sajem erat ! (courageux et sage je serai !)
Furent alors apportés au centre de la salle un pot de fleur, un braséro, un aquarium et un ballon. Quatre objets communs, tout à fait banals.
Les jeunes garçons se mirent en file indienne. Un homme dans la salle annonça :
-Kristof, de la Terre !
Le nommé s’avança. Tous les yeux étaient rivés sur lui. Il posa l’index droit sur le pot de fleur.
-Maïa.
Une fleur magnifique sortit alors de terre. Rapidement, elle grossit démesurément pour atteindre les deux mètres de hauteur.
Des applaudissements retentirent dans la salle, comblée.
Coupant les hourras, l’homme annonça :
-Alion, de l’Eau !
Le deuxième jeune homme vint. Il s’approcha de l’aquarium, jusqu’à n’e s'en trouver qu’à quelques centimètres, et dit :
-Aqwa.
L’eau sortit de son récipient, en un geyser qui s’éleva jusqu’au plafond. Mais juste avant de le toucher, la colonne liquide se transforma en une brume qui resta en suspension dans la salle, puis disparu. Alion fut applaudit à tout rompre.
-Ellio, de l’Air !
Le plus petit des garçons s’avança vers le ballon gonflé à bloc. Il le prit entre ses mains, et murmura :
-Ventus.
Le ballon se dégonfla et le vent se faufila dans toute la salle, soulevant les jupons colorés des dames, faisant s’envoler les chapeaux des messieurs, arrachant des rires à la foule, qui l’acclama à en faire trembler les murs. Cette fois l’homme attendit avant de dire :
-Et maintenant, Alexander, du Feu!
La foule était en liesse.
Alexander Pyar, le jeune prodige de l’Akadémy, était connu par toute la noblesse du Royaume. Tous les bourgeois présents dans la salle attendaient avec impatience ce moment.
Le jeune homme s’avança d’un pas nonchalant vers le braséro, posa ses deux mains dans le charbon et dit :
-Pyra !
Le braséro s’enflamma. Mais bon, rien de bien impressionnant ! Puis, sous les regards ébahis des spectateurs, Alexander plongea ses mains dans le brasier, pour en sortir deux boules de feu. Il commença à jongler avec, les mains toujours intactes. Il les lança en l’air, elles se transformèrent en jet de lave, et retombèrent dans le braséro sous les applaudissements déchaînés des spectateurs.
Le roi avait des yeux grands comme des soucoupes. Quel exploit ! Les trois premiers avaient un talent lambda. Mais le dernier ! C’était peut-être le garçon qu’il cherchait ! Il se leva et alla serrer la main des quatre jeunes hommes.
De son côté, Lucius était bien embêté. Cet Alexander était un danger pour son plan. S’il arrivait à sauver la reine, ce serait un désastre ! Adieu le trône, le pouvoir, l’argent ! Il devait l’écarter de son chemin. Ou alors…
-Félicitation mon garçon ! Vous avez un don, c’est évident ! lui dit Lucius.
-Me… Merci monsieur… répondit Alexander, gêné par tant d’attention.
Contre toute attente, la pratique de la maäjy n’avait pas déplu au jeune homme. Il avait presque… Aimé. Il sentait lui aussi qu’il pourrait faire de grandes choses avec ses pouvoirs. Pour le moment il ne contrôlait que le Feu.
Il y a des siècles, les dieux fabulaires avaient offert la maäjy aux humains. A la base, sept éléments pouvaient être contrôlés, à l’effigie des sept dieux fabulaires : l’Eau, la Terre, l’Air, le Feu, la Vie, la Mort et le Temps. Mais les trois derniers avaient été bannis de l’apprentissage depuis la Guerre des Lumières après laquelle avaient été érigées les lois fondamentales de la maäjy. Les quatre éléments pouvant être maitrisés étaient attribués en guise « d’élément de départ » à chaque élu en fonction de leurs affinités :
Kristof étant bucheron apprenti, la Terre lui était prédestinée. Eltio était engreneur apprenti. L'Air étant l’élément le plus difficile à maitriser, il était fait pour lui. Pour Alion, il y avait l’embarras du choix. Mais au cour de tests, il s’était révélé être un excellent nageur, on lui a donc attribué l’Eau.
Mais la raison pour laquelle Alex avait hérité du Feu était bien plus complexe. Il brûlait d’un feu intérieur, alimenté par la haine. La haine envers la destruction de sa famille. Mais il avait appris à contrôler ce brasier, il le portait en lui depuis si longtemps… C’était aussi grâce à sa moitié, son ange gardien: Keïrah. Ils s’étaient trouvés, deux âmes égarées, deux vies brisées. Lui avec une enfance en miette, elle sans enfance. Ils s’étaient relevés ensemble, avaient fait le chemin ensemble, avaient surmonté tous les obstacles ensemble.
Jusqu’à ce jour, où Alex avait été embarqué vers l’Akadémy. Depuis qu’elle n’était pas là, le feu s’était ravivé et détruisait toutes ses barrières petit à petit. Il trouvait la force de sa maäjy dans ce brasier, mais à chaque fois, ça rallumait de plus en plus les braises.
En quelques secondes, rien qu’en serrant la main du jeune homme, Lucius avait vu tout ça.
L’usage de la maäjy noire n’était pas légal, mais elle était bien pratique !
Il usait des trois éléments interdits. Il venait d’utiliser la Vie, qui permet de lire dans l’âme. Pour la reine Nyana, il avait eu recourt à la Mort, qui, à bon dosage, peut juste plonger la victime dans un profond coma.
-Voudrais-tu que je te montre quelque chose mon garçon ? demanda Lucius à Alex, une idée derrière la tête. Ne t’inquiète pas, ça ne durera pas longtemps.
Le jeune homme opina poliment du chef.
-Suis-moi, lui ordonna l’homme.
-Ne devrais-je pas prévenir les autres que je…
-Non, ce n’est pas la peine, répondit Lucius sans se retourner.
Ils quittèrent la salle pour s’enfoncer dans les couloirs de l’Akadémy. Alexander resta silencieux pendant tout le trajet, mais poussa une exclamation quand le mur pivota devant eux au moment où Lucius le poussa. Ce dernier lui renvoya un sourire carnassier, presque effrayant… Ils marchèrent pendant une bonne dizaine de minutes dans ce passage qui venait de s’ouvrir devant eux, pour arriver devant une porte en bois très ancienne, à en juger par les gonds bien entamés par la rouille. Un imposant cadenas la verrouillait. Lucius sortit une vieille clé dont la peinture s’écaillait. Il ouvrit la porte avec une étonnante facilité, sur une pièce qui ressemblait fort à un laboratoire, mais en plus… Maäjyque. Des fioles remplies de vapeurs nacrées, de liquides noirs ou multicolores remplissaient les étagères.
-Bienvenue dans mon petit repaire ! annonça l’homme d’un ton un peu trop enjoué.
Alex était intimidé. Quelles étaient ces expériences étranges ? Ces mixtures repoussantes ? Ces ustensiles inconnus ?
-Qu’est-ce que c’est que… Ca ? demanda-t-il en englobant la pièce d’un geste du bras.
-Ça mon garçon, répondit Lucius, ce sont les merveilles de ma maäjy.
-A quel élément ont-elles recourt? interrogea le jeune homme.
-Viens, lui ordonna l’homme sans répondre à sa question.
Ils s’approchèrent d’une cage voilée par un drap d’où s’échappaient des grognements. Lucius retira le tissu, et Alexander vit alors la créature la plus abominable qui soit, telle que les mots lui manquèrent pour la décrire. Un jeune griffon avec une tête de chien rageur ? Un loup lépreux avec des ailes et des crocs de quinze centimètres ? Le pauvre garçon fut secoué de violents haut-le-cœur.
-Tu as vu cette merveille ? dit Lucius comme si il n’avait pas remarqué le mal-être d’Alexander.
-Que… Comment est-ce… Pourquoi… D’où vient… C’est… Non…
-Ceci, Alexander, est une démonstration de ce que tes professeurs appellent: maäjy noire.
Le jeune homme dû agripper la table pour ne pas tomber. De la maäjy noire ?
-Je crois que je vais y aller, dit-il d’une voix tremblante.
-Ne te sens-tu pas attiré par ce miracle ? continua Lucius comme s'il n’avait rien dit. Tu sais Alexander, nous pourrions faire de grandes choses toi et moi ! Tes pouvoirs, mes connaissances et…
Alex ne l’écoutait plus. La porte. La porte. La porte. Juste ça. Rien d’autre. Pendant que l’homme parlait tout seul, il reculait progressivement vers la porte, sa seule issue. Il essayait de ne pas regarder toutes les horreurs autour de lui.
-Mon garçon ?
Le jeune homme se figea sur place.
-Je vais y aller monsieur, répéta Alexander d’un ton un peu plus alarmé.
-Tu n’es donc pas intéressé par cette puissance ?
-JE VAIS Y ALLER ! cria-t-il, terrorisé.
Au moment où il allait se saisir de la poignée, Lucius tendit la main vers lui, et figea la main d’Alex en l’air.
-Tu n’iras nulle part Alexander. Tu es à moi à présent ! dit-il dans un rire cruel.
Le pauvre garçon était muet de terreur.
Il vit les yeux de Lucius rétrécir pour n’être plus que deux fentes.
Il sentit le souffle âcre de l’homme sur sa peau.
Il entendit le sifflement d’une langue fourchue.
La morsure fut brève.
Côté gauche du cou.
Il sentit le venin parcourir ses veines.
Il eut juste le temps d’entendre un ricanement sadique avant de sombrer.
Peu de temps après, il se réveilla.
Une seule idée en tête.
Détruire. Tout.