Chapitre 10 - 25 janvier 2025

k_world_news - K-World

25/01/25 - 10:54

@hanjihun, @KD_King & @7yujun réunis de nouveau à la pré-soirée du Nouvel An 😄 L'ambiance était électrique, dites donc ! Plus d'info sur K-World : https://www.k-worl...

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Je reste à fixer la photo qui est jointe : trois hommes souriants, habillés en tenue informelle, dont l'un enlace l'autre, le dernier soutient un enfant. Je ne me reconnais pas sur le cliché. Et bien sûr, ils n'ont pas pu s'empêcher de dire que nos échanges étaient fort peu cordiaux dans l'article joint.

Je les déteste tous.

Je ronge mon frein en attendant à la sortie de l'aéroport, vers le quai que les écriteaux indiquaient pour l'avion de Flora. Je suis emmitouflé dans un long manteau noir, baskets blanches aux pieds, masque et lunettes de soleil cachant mon visage. Pour le moment, l'adresse de ma résidence n'a pas fuité. Je sors en voiture par le parking sous-terrain, et ainsi, personne ne m'a jamais croisé. Je prie toujours pour que les plus physionomistes ne me découvrent pas par hasard, dans la rue. Avec une grande affiche promotionnelle de The Last Dragon Savior à mes côtés, je pourrais être grillé en deux secondes si je n'étais pas ainsi grimé de vêtements amples. 

Dans mon sac à dos (que je porte contre mon ventre), je sens Tenshi gigoter et trouver une meilleure position pour dormir. Il a dormi tout le trajet, a dormi toute la marche dans l'aéroport et dort encore contre moi. Je caresse par-dessus le sac ce petit ange.

J'entends des accents français me parvenir aux oreilles. Sont-ce les voyageurs du vol de Flora qui passent enfin la douane ? Je sors mon petit panneau, avec le nom de Flora écrit dessus. Quelques voyageurs passent leur regard sur le panneau, puis dévient, cherchant leur vrai interlocuteur. Je reste patient, observant ces nouvelles têtes arriver dans ce pays étranger...

"Ji-Hun !"

Je me tourne vers le son. Une voix fluette, un peu cassée par un rhume (certainement), m'indique la direction de Flora. Une jeune femme, assez grande, à la longue tresse auburn qui rebondit de droit à gauche,  court en ma direction. Elle traine deux valises : un bagage en soute, plus volumineux et un bagage en cabine, plus petit. Son sac en bandoulière rebondit sur sa cuisse, les pans de son long manteau marron volent entre ses pas déterminés. 

Je la rencontre enfin en vrai, l'amie de Dayoung, la douce et rieuse Flora qui m'envoie tout le temps des mots doux alors que nous ne nous connaissons même pas réellement. Qui aurait imaginé que je sois si heureux de la voir enfin ? J'ai l'estomac qui se serre.

La pancarte revient à l'arrière de mon sac. Je tente de ne pas froisser Tenshi qui rouspète lorsque j'ose un peu déplacer le sac à dos. Flora se rut dans mes bras, m'enlaçant vigoureusement, sans crier gare. Je reste coi le temps de l'étreinte. Elle me sourit alors en m'observant de près, trop près.

Quelle chance que j'ai un masque, mes joues brûlent. Quelle idée de faire des câlins surprise à un cœur d'artichaut comme moi ?

"Ji-Hun, j'suis si contente de te voir enfin. Merci d'être là !"

Et ça recommence. 

Un câlin, où j'entends la jeune femme glousser près de mon oreille. Je suppose qu'elle est également heureuse de pouvoir enfin arriver en Corée, après ces années incertaines de pandémie et de frontières fermées. Je ne lui en veux pas d'exprimer sa joie en étant son cobaye... 

De plus, elle fait exprès de ne pas écraser mon sac et l'animal qui y demeure. 

Ma main se pose doucement sur son dos, pour la soutenir. Je la sens remuer sous moi, ses rires qui font hoqueter son dos, ses côtes. Ce qu'elle est grande. Jamais sur les photos je n'aurai imaginé qu'elle soit si grande ! Un mètre soixante-quinze ? Soixante-dix-sept ? Je suis presque à hauteur de ses yeux lorsqu'elle me regarde droit dans les miens.

"Oh, pardon, c'est pas très corona ça."

Elle se décolle enfin. Elle sourit tellement que je ne peux pas m'y tromper, malgré nos masques sur le nez. Je secoue la tête :

"On est masqués, ça devrait aller.

- C'est sûr ! Allez, c'est où la sortie ? Fais-moi visiter."

J'opine et tends mon bras pour récupérer son bagage en soute. L'autre main soutient Tenshi sous les fesses, à travers le tissu du sac à dos. Je le sens gigoter. 

"Le voyage s'est bien passé ?

- Ouaip, j'ai regardé des séries et lu tout le long. Et, dormi. Je suis un peu KO mais ça s'est bien passé ! Pourtant y'avait une famille à côté, j'ai eu un peu peur mais... Ils étaient sages. Donc, rien à signaler."

Décidément, son coréen est excellent. J'entends les légères sonorités françaises dans quelques syllabes et manière dont elle a de prononcer les voyelles. Mais, de manière générale, elle s'exprime de manière fluide, quoiqu'un qu'avec un débit légèrement plus lent qu'une native. Je ne suis même pas sûr de m'exprimer aussi bien anglais qu'elle s'exprime en coréen. 

Me dirigeant vers le parking, je l'écoute parler et la nourris de quelques questions. J'aime bien écouter les gens. Tout n'est que passion lorsqu'elle se met à parler. Les séries qu'elle regarde, elle en parle avec passion. Les livres qu'elle lit, elle les analyse et décortique les ficelles narratives, les interactions entre les personnages avec joie. Je ne serai pas étonné si elle me disait qu'elle "shippait" des personnages entre eux ; mais, ce rayon-là, je le laisse à Dayoung. 

Elle siffle en voyant ma voiture.

"Voiture de richou."

Quelle drôle de remarque. Je me tourne vers elle.

"Un problème avec les vitres teintées ?

- Non, j'aurai l'impression d'être une star, héhé."

Nous entassons ses bagages dans le coffre, puis nous dirigeons hors de la sortie de l'aéroport. Flora ne peut pas s'empêcher d'observer tout autour d'elle, comme une enfant qui visite Disneyland. 

30 000 wons pour le parking, quelle bande de voleurs.

Flora s'occupe de Tenshi tout le long du trajet. Elle oscille entre observations des paysages urbains, et gagateries envers le petit animal. Je préfère me concentrer sur la route.

"À quelle heure tu dois rejoindre ton hôtel ?

- J'ai dit que mon avion arrivait à 15h05.

- ...Tu as menti ?" M'enquis-je, hésitant. 

- J'ai déformé la réalité. Y'a un parc proche de mon hôtel et de mon futur appart, et... des bobas. J'aimerais y trainer un tout petit peu avant de rester enfermée deux semaines.

- Oh.

- Tu resterais avec moi ?"

Je penche la tête en la direction quelques instants. Je ne suis pas sûr que ça soit bien qu'elle triche ainsi avec les services médicaux... mais... Elle a déjà eu tous ses vaccins. Pourquoi serait-elle contaminée ? De plus, nous n'avons pas de gros clusters depuis un moment...

"Pourquoi pas. Mais, il caille.

- Pfft ! Comme si dix petits degrés me faisaient peur !"

J'opine.

"Ça fera sa promenade à Tenshi. Si c'est bien le parc auquel je pense, je me promène là, habituellement. Enfin habituellement, depuis quelques jours quoi.

- Il est pas trop chiant, la nuit ?

- Ça va. C'est difficile de le forcer à dormir dans le coucouche-panier et pas avec moi.

- L'habitue pas, sinon tu vas avoir un chien dans tes draps toute ta vie.

- C'est plus facile à dire qu'à faire ! Il jappe tout le temps !

- Ah bah hey ! On est papa ou on ne l'est pas ! »

Elle rit. Encore.  Avec tellement d'aisance, de naturel.

Mes membres se crispent et je n'arrive pas à déglutir. Est-ce le manque de Hiewon qui me rend si sensible à la première présence féminine qui passe ? Ressaisis-toi, Ji-Hun. On touche pas aux amies de sa petite sœur. 

Flora a déjà analysé toutes les boutiques du Quartier. Après avoir récupéré quelque chose dans une valise, elle sait où aller en sortant du parking pour trouver des tteokbokki ("comme dans les dramas" a-t-elle dit) et des bobas. Nez rivé sur son portable, elle se laisse guider par l'appli. Je l'accompagne simplement, câlinant ma petite boule de poil qui s'est blottie contre mon cou. Une fois arrivés au parc, elle trouve un emplacement sous un arbre. Bien qu'il fasse froid, il y a effectivement du soleil aujourd'hui. Pas sûr néanmoins que se cacher de lui soit une bonne idée. 

"Hm, je peux l'enlever le temps de manger ?

- Comment veux-tu manger avec, Flora.

- Nah mais, tch. Si t'as peur je sais pas."

Je m'assieds au sol, en tailleur. Personne ne se pose au parc, seulement quelques promeneurs et mères de familles. Flora garde une certaine distance de sécurité lorsqu'elle enlève son masque et le garde accroché à son poignet. Un coup de gel antibactérien et la voilà à manger petit à petit la street food encore chaude (ou glacée, pour la boisson). 

Pour une fois, elle ne parle plus. Je n'ose pas non plus briser le silence. Je l'observe.

Je n'avais jamais remarqué sur les photos qu'elle avait des taches de rousseurs. C'est rare d'en voir ainsi sur quelqu'un, au naturel. Son nez est rouge ainsi que ses joues, réagissant aux températures froides. Les jointures de ses mains sont abimées, sèches. Je me demande si j'ai de la crème hydratante dans mon sac...

Tenshi, allongé dessus, m'empêche de voir. Il montre par réflexe son ventre dès que je veux m'approcher de lui, pensant que je cherche à le caresser et non à le dégager de là. Uh... C'est si compliqué de ne pas se laisser tenter. Je frotte vigoureusement ma main contre son petit ventre.

"T'es courageux. C'est bien," encouragé-je l'animal.

Flora glousse en avalant les dernières bouchées de tteokbokki. Elle cache ses rires derrière sa main, deux beaux yeux plissés regardant en ma direction. 

"Tu te moques de moi.

- Pas du tout Monsieur Dal. Je n'oserai pas. Tu me... m'attendris. On va dire ça comme ça. OH !"

Elle sursaute et pose sur le gazon son casse-croute. De son sac, elle extrait une petite pochette en kraft qu'elle me tend, l'air fier. 

"Qu'est-ce que... c'est ?" M'interrogé-je.

- C'est pour toi, pour te remercier de m'avoir accompagnée. J'ai aussi ce qu'il faut pour tes parents, mais ça, c'est dans la valise."

Je ne sais pas comment réagir pendant quelques instants. Je récupère le petit sachet, plus lourd en main que je ne le pensais. Elle a pensé à m'offrir un cadeau ? 

"M... merci.

- Allez, ouvre. Je veux que tu l'essayes."

Je m'exécute et sort du sachet en kraft une petite boite à bijou. De cette boite j'extrais un bracelet en métal, gravé. Il est lourd, large d'environ un centimètre, épais d'un ou deux millimètres. Je regarde les inscriptions : des motifs européens... Médiévaux, surement, avec des... chiens ? Très stylisés. L'extérieur du bracelet est de couleur or passé et les gravures sont plus foncées. Je l'enfile à mon poignet, ressers le métal et le contemple.

"Il est très beau."

Elle soupire longuement et se remet à rire : "Ouf ! Je ne savais pas trop quoi t'offrir, à vrai dire. Mais, je me disais qu'un joli bijou d'un artisan de chez moi pourrait te plaire ? J'te demande pas de le porter tout le temps bien sûr, héhé..."

Je reste fixé devant le bracelet, le malaxant entre mes doigts. 

"Ça a dû te couter cher...

- Non non, t'en fais pas. C'est du laiton, ce n'est pas un métal noble. J'ai beaucoup plus dépensé pour tes parents, pour être honnête.

- Qu'est-ce que tu leur as pris ?" demandé-je en relevant la tête.

- Oulah, laisse-moi traduire deux-trois mots, s'il te plait."

Reprenant d'une main son repas, son portable de l'autre, elle cherche la traduction de plusieurs mots. Je me demande quelles excentricités elle a bien pu ramener de France. Tenshi trouve très intéressant le bijou à mon poignet, en tout cas. Il ne s'arrête pas de le renifler. 

"Alors, j'ai pris du confit de pissenlit, de la confiture de cynorhodons, du sirop de verveine, des bonbons à la violette, quelques terrines, un saucisson aux noix et du miel de montagne. J'ai sué quand j'ai passé la douane avec le saucisson."

Même avec la traduction, je ne comprends pas la moitié des aliments qu'elle m'énonce. Des spécialités de chez elle, surement.

"Tu vas pas les empoisonner.

- Eh oh ! Non ! C'est que de l'épicerie fine locale !"

Elle se rapproche de moi pour me bousculer un peu, je rigole et l'évite.

"Ne m'approche pas, pleine de virus étrangers là."

Tenshi se rapproche d'elle pour tenter de gouter ce qu'elle mange. Elle refuse avec tact l'accès à la nourriture, repoussant par la truffe le chiot. Il pigne, revient contre moi. 

Elle soupire d'aise et s'allonge sur l'herbe pour regarder le ciel de Séoul. Les nuages, les trainées d'avion, quelques oiseaux qui n'ont pas migré. Chaque respiration indique le bonheur, la sérénité, l'excitation. Puis, elle revient à mes côtés, remettant son masque sur le nez.

Je ne peux plus voir ses belles fossettes.

On m'a souvent dit, parfois même en interviews, que mes fossettes étaient charmantes. Le commentaire revient souvent, vraiment souvent. Maintenant que je vois ainsi quelqu'un d'autre avec des fossettes si marquées, je ne peux pas m'empêcher de comprendre les réflexions que j'ai pu avoir auparavant. 

"On danse ?

- Pardon ?

- On danse ? Là ? Je peux te montrer quelques pas de danse que je connais. Ça nous réchauffera."

Par réflexe, je regarde autour de moi si nous sommes épiés. Absolument personne ne prête attention à nous... Puis, on ne dérangera personne à danser en plein mois de janvier, dans un parc déserté...

"Pourquoi... pas." Réponds-je avec hésitation. "Tu as de la musique ?"

Aussitôt la question posée que j'entends le son faible de son portable ; les doux sons de musique traditionnelle chinoise. Flora augmente le volume et commence à s'étirer. Ce qu'elle est grande... Ah...

Main tendue en ma direction, elle m'aide à me redresser. Sans dire mots, elle commence quelques longs mouvements en tendant ses membres : bras levés vers le ciel, une jambe qui trace un demi-cercle dans le sol. Tenshi se cache dans le sac, passablement ennuyé qu'on s'agite ainsi devant lui.

Me tenant la main du bout des doigts, elle m'incite à l'imiter. Ce n'est pas très difficile de la décalquer en miroir. Je n'ai qu'à la regarder. À sentir ses légers balancements. À imiter les lents mouvements maitrisés. À doucement se laisser porter par la musique. 

Nous n'avons pas besoin de parler pour nous comprendre ; je suis habitué à suivre les instructions de quelqu'un, à observer les autres danseurs. Je ne suis déconcentré que par ses yeux noisette qui me fixent, imperturbables. 

Quelques instruments de musique se mêlent à la mélodie de base, accélérant ainsi les prises au rythme : plus d'endroit pour s'accrocher et prendre des initiatives. Plus d'endroits pour se rapprocher l'un de l'autre et tournoyer en regardant les cieux. Mes gestes ne sont peut-être pas parfaits, n'étant pas habitués à ce type de danse, mais je me sens revivre. Elle tente une petite excentricité et relève la jambe haut dans le ciel, dépliant doucement son mollet. Elle tient un instant en équilibre, se rabaisse et frôle le sol, dans un mouvement élégant. Je sens que la musique se répète et je l'imite. Elle tient ma main droite entre les siennes, doucement. Ça me sert d'appui et je ne perds ainsi pas l'équilibre. Néanmoins, je n'imite pas le mouvement au sol, préférant prendre ses deux mains entre mes doigts. Voit-elle que je souris, les yeux plissés, derrière mes lunettes de soleil ?

"Tu es bon danseur, effectivement.

- Pourquoi, tu en doutais ?"

Elle ne me répond pas immédiatement et relève le bras au ciel, pour tourner autour de moi et s'accrocher à mon ventre. Elle se cache.

Heureusement que nous sommes quasiment seuls et anonymes - je ne sais pas pour l'Europe, mais ce n'est pas si bien vu des élans affectueux… Allons mettre ça sur le dos de la danse. Nous avons le droit de danser, après tout.

"J'en sais rien. Je suis heureuse, c'est tout."

Je la laisse s'accrocher à moi, caressant ses avants bras contre mon ventre. Je me balance doucement au rythme de la musique qui s'enchaine : une autre, douce et mélancolique, musique traditionnelle chinoise que je ne connaissais pas. Flora rigole encore, se laissant bercer par les balancements de mon corps. 

La notion du temps m'ait presque étrangère - nous dansons ensemble, comme si nous n'étions que deux sur terre. La playlist de Flora s'écoule et il est temps de l'amener à son hôtel. 

Je ne pourrais pas la revoir avant deux semaines. Ça me parait si long.

Dans ma voiture, je reste un long moment à regarder le bracelet à mon poignet.

Bravo Ji-Hun, tu es encore en train de t'amouracher de quelqu'un que tu connais à peine...

 

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